LES DOSSIERS
DE L'ACTION SOCIAL CATHOLIQUE
REVUE MENSUELLE EDITEE PAR LE MOVEMENT OUVRIER CHRETIEN
ETUDE INFORMATION DOCUMENTATION
33ME ANNEE N0' 8-9 AOUT-SEPT. 1956
Dossier des manifestes, conclusions de congrs, declarations
et discourse concernant l'volution du Congo Belge
I. Declaration adresse aux fidles et aux homes
de bonne volont pdr les Evques de l'Afrique
belge le 29 juin 1956 ... ... ... ... ... ... ... 627
II. Le Manifeste du Parti Social Chrtien sur le Congo 630
III. Le Manifeste de la Confdration des Syndicats
Chrtiens du Congo ... ... ... ... ... ... ... 632
IV. Declaration du Parti Socialiste Belge ... ... ... 635
V. Le Manifeste de Conscience Africaine ... ... 638
VI. Le dernier discours de M. L, Ptillon, Gouverneur
Gnral du Congo Belge, au Conseil du Gouver-
nement 1956 ....... ... ... ... ... ... ..... 645
.: .. .-,. : ',. ,
SOMMAIRE:
Aprs une Tragdie. R. Pasquasy ... ... ... ... ... 561
- Le laec dans l'Eglise et dans le monde. Mgr. Philips 564
- L'insurrection de Posen. Prof. Dr. FI. Peeters ... ... 579
- Un prcurseur social au XIXme sicle : Edouard Duc-
ptiaux (1804-1868). Chapitre I : L'homme. Abb
R. Riche ... ... ... ..... ..... ............ ... 9
NOS CHRONIQUES .
Chronique de politique intrieure :
Redcouverte du Congo. -- J. H .. ... ... ... ... ... 602
Chronique conomique :
Le Canal et l'pgypte. Ch. W\ .. ... ... ... ... ... 607
LES GLOSES DU PSYCHOLOGUE
Le choix d'un tat de vie. R. P. .................... 611
VIE DES ORGANIZATIONS OUVRIERES CHRETIENNES
Echos de la 38me Semaine Sociale Wallonne. Vie chr.
tienne et action ouvrire en Wallonie . Herv ... ... 614
EN NOVEMBRE
sortira de press le volume contenant
LE TEXTE INTEGRAL DES LEONS
DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE
sous le titre :
Vie Chrtienne
et Action Ouvrire
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Bruxelles.
LES DOSSIERS
DE L'ACTION SOCIAL CATHOLIQUE
REVUE MENSUELLE DU MOVEMENT OUVRIER CHRETIEN
33me Annie Nos 8-9 Aot-Septembre 1956
Rdaction et Administration : 127, rue de la Loi, Bruxelles. Tl. 34.96.00
Compte Chque Postal: 7630.00 Les Dossiers de I'A.S.C. Bruxelles
Abonnement: 150 frs l'an Etranger : 200 frs Le numro: 20 frs
Aprs une tragdie...
Marcinelle est marque au fer rouge dans nos cours...
Un admirable lan de solidarity national a succd la stupeur
et l'angoisse. L'inconscient collectif qui forme la toile de fond de
toute communaut, s'est brusquement rveill pour unir, dans un
mme frisson d'altruisme, Wallons et Flamands, riches et pauvres,
travailleurs de l'esprit et travailleurs manuels.
C'est le creuset de la douleur qui prouve la vritable participa-
tion au group. Il semble que l'me belge se soit retrouve lors des
tragiques journes que la nation entire a vcues en pense avec ceux
que la mort a frapps dans une ghenne terrestre et ceux qui, dans
un don total de soi, ont tout fait pour arracher la mine le lourd
tribute qu'elle a voulu.
L'homme est ainsi fait. La vie de tous les jours le renferme sur
soi. Ce ne sont que les sommets de la souffrance qui le sensibilisent
entitement ses frres.
Wals cette sensibilisation, par le fait mme qu'elle s'adresse au
cur, a des effects phmres. L'vnement douloureux pass, les
hommes retournent leurs proccupations et leurs querelles.
Il ne faudrait pas que la tragdie de Marcinelle ne toucht que
l'affectivit. Si l'on veut que son souvenir demeure et conditionne
certaines attitudes collectives, elle doit aussi toucher les esprits.
La fibre du cour doit faire vibrer celle du cerveau.
Dans sa sphre d'action, chaque Belge tirera une leon de ce deuil
national. Une leon qui soit la measure de son engagement social.
Les instances politiques, administrative et techniques respon-
sables des conditions de travail, penseront scurit d'abord. Si l'on
se fie aux statistiques runies par le Bureau international du Travail,
la Belgique n'occupe pas, au point de vue des dangers d'accidents
miniers, cette position nettement dfavorable que certain, sous le
coup d'une motion bien comprhensible, ont voulu lui reconnatre
561
UNIVLRSIIYO.E FLORIDA LIBRARIES
au moment de la catastrophe de Marcinelle. La vrit est qu'elle
occupe une position moyenne: pour 1950 1955, 1,17 accidents
mortels par an et par mille ouvriers, pendant que les Etats-Unis
atteignent le chiffre de 2,54, le Canada 1,80, l'Allemagne Occidentale
1,45, l'Italie 1,09, la France 0,92, l'Angleterre 0,71 et la Hollande 0,53.
Malgr les efforts louables dj accomplish, il reste donc beaucoup
faire en Belgique au point de vue de la scurit dans .les mines
et de la scurit du travail en gnral. Mais celle-ci doit se penser
plus l'chelon collectif qu' l'chelon individual, car si l'on
est parvenu rduire dans de sensibles proportions les causes d'acci-
dents individuals, on n'a gure diminu les risques de catastrophes.
A la recherche de la scurit collective concoureront, dans un
large esprit d'entr'aide, non seulement les autorits responsables,
mais aussi les organizations ouvrires et les laboratoires spcialiss.
A la voix du chef, il imported d'unir celle de l'ouvrier et celle du
chercheur.
Evidemment, la scurit collective doit d'abord s'tendre au plan
matriel: management d'issues par l'intercommunication entire
siges d'extraction voisins, emploi de matriaux resistant la chaleur,
vacuation des gaz nocifs, systmes d'alerte perfectionns, etc... Les
homes de science, clairs par l'exprience des praticiens, trouve-
ront bien les solutions qui s'imposent chaque cas particulier.
Ce n'est pas tout. Pour que la scurit collective soit rellement
efficace, elle doit dborder la matire pour atteindre l'esprit. Tous
les efforts tendront donc vers la creation d'une mentality de scurit
collective du travail. L'opinion publique sera alerte et forme. Car
si l'on veuf crer le climate psychologique qui sera le stimulant des
recherches faire et des measures prendre, il faut partir du group.
Les bornes du risque peuvent tre recules si la collectivit cre
elle-mme cette lame de fond qui balaiera les usages prims, la
routine aveugle et les gosmes. A tout prix, il faut dconditionner
le rflexe travail-danger. Une attitude de soumission amne facile-
ment la fatalisme, qui est le pire ennemi. du progrs. L'ide de travail
doit tre absolument spare de l'ide de risque. C'est la condition
sine qua non pour former cette mentality sans laquelle toutes les
bonnes volonts risquent de turner en rond ou de s'puiser dans
des ralisations parcellaires et des demi-mesures.
Pour crer cette ambiance de scurit collective, un vaste mou-
vement d'ides sera dclench dans tout le pays. Si la scurit est
intimement lie la technique en ce qui concern son volution, elle
est troitement soumise la psychologie en ce qui concern son
application.
IH est de fait qu'on ne peut saisir le sens des murs profession-
nelles de l'ouvrier belge sans se rfrer sa mentality. Son caractre
individualiste rpugne aux notions collectives. Il pensera plus facile-
ment protection individuelle que protection du group. Les systmes
d'ducation et de propaganda en tiendront compete.
Faire table rase du pass est vain. C'est la lumire des progrs
techniques et de l'exprience du travailleur qu'il doit tre repens.
Et c'est la lumire de la psychologie du Belge que la scurit col-
lective sera enseigne dans les coles professionnelles et qu'une
mentality adequate sera cre dans le monde du travail. La press,
la radio, les conferences, les aides visuelles et les demonstrations
pratiques aideront former cette attitude chez le grand public et chez
l'ouvrier lui-mme.
Cette measure serait inefficace si elle n'tait intgre dans une
restructuration de la faon de percevoir la condition ouvrire.
Comme l'a dit Mgr. Himmer, vque de Tournai, lors des fun-
railles des victims de Marcinelle, il faut btir un monde o la
scurit des travailleurs et toutes les autres exigences de la justice
seront plus compltement assurs . Pendant qu'ouvriers, syndicats,
patrons et gouvernements s'pauleront mutuellement pour rsoudre
l'exploitation des mines ou toute autre besogne dangereuse ou insa-
lubre, pendant que, dans les diffrentes couches de la population,
ceux qui ont quelque responsabilit social s'efforceront de crer
une base d'intrts communs dans le domaine de la scurit collec-
tive du travail, une grande uvre d'ducation devra tre entreprise
dans le sens d'une revalorisation morale de la condition ouvrire,
de la rude condition ouvrire du XXme sicle.
Sire, nous voulons qu'on nous respect , disait un jour un
mineur au roi Lopold. En mme temps qu'on rsoudra des probl-
mes de simple humanity, qu'on pense, par example, celui de
l'ge d'entre la mine, on abordera ceux qui relvent de la
consideration due celui qui, de ses mains, asservit la matire. C'est
ici que les ducateurs auront un rle important remplir. Ce sera
aussi un rle difficile, car ils devront percer une solide armature
de prjugs et de traditions pour crer cette optique social qui
considre d'abord l'homme avant le mtier.
Au terme de cette formation, la jeunesse devrait pouvoir border
avec un gal respect le travail des mains et celui de l'esprit. Et dire
Monsieur l'Ouvrier comme elle dit Monsieur le Professeur .
Si l'on veut hter l'avnement d'un monde fraternel et plus
human, si l'on veut enfin s'inspirer d'un christianisme authentique,
il imported de hausser dans les esprits la condition ouvrire et d'incul-
quer aux jeunes la grandeur du travail des mains. Des mains qui
btissent le monde.
Le sang et les larmes de Marcinelle ne doivent pas perdre leur
valeur de symbol. Un ferment de renouveau social doit natre de ces
corps tombs dans les tnbres de la mine.
Marcinelle est marque au fer rouge dans nos cours... Qu'elle
le soit aussi dans nos esprits !...
R. PASQUASY.
Le lac dans l'Eglise
et dans le monde
par Mgr. PHILIPS
Professeur l'Universit de Louvain Snateur
Le terme- laque se dfinit gnralement par opposition au
clerg. Laque sera celui qui n'est ni prtre ni religieux. Il a si peu
de consistance, dans le language courant, qu'il faut, pour le situer,
une rfrence l'institution sacerdotale et monastique. Rien d'ton-
nant, ds lors, que le lac demand au clerc, de prfrence celui
qui s'occupe de thologie, des indications un peu plus positives sur
son propre statut. La question devient plus pressante depuis qu'il
y a des prtres-ouvriers et mme, dit-on, des religieux camoufls en
civils. On ajoute ce phnomne une autre remarque: d'aprs le
droit ecclsiastique, le prtre aussi bien que le lac peut tre religieux.
Avec cela les ides deviennent rellement confuses.
Pourtant, dans la vie social, personnel ne s'y mprend. Les
prtres, mme s'ils affichent un vif anticlricalisme, ne se muent pas
en lacs, pas plus que les braves pres qui, par dessus la bure, met-
traient une salopette. Au dire de certain, la complication est due en
bonne parties l'esprit subtile et retors des thologiens. Qu'on per-
mette donc un thologien de faire effort pour arriver plus de
clart et de simplicity.
Pour mieux russir, recourons l'histoire, grande matresse de
sagesse.
Primitivement, laque est un mot d'Eglise et mme un mot
sacr. Le terme provient du grec biblique et il dsigne l'homme qui
appartient au Laos, le people lu et sanctifi par Dieu. Les nations
paennes, dans la langue de la bible, ne s'appellent pas Laos, mais
ethn. Laos est un titre d'honneur qui, de l'ancien Isral, est pass
l'Eglise catholique. Tout membre de la communaut du salut, en
vertu de son baptme et de sa profesison de foi, sera donc laque.
L'infidle et l'incroyant ne peuvent en aucune manire revendiquer
ce titre. S'ils s'en affublent, c'est de leur part une prtention passa-
blement ridicule.
Et pourtant nous ne savons que trop les dommages causs par
les lois laques ou l'cole laque . Le dictionnaire circonscrit
ce sens driv et pjoratif de la manire suivante: indpendant de
toute confession religieuse . Tenant compete de l'euphmisme, nous
pouvons traduire en language clair: dpendant d'une ,, confession "
antireligieuse . Devant une pareille transformation de sens, on posera
la question: comment en un vil plomb l'or pur s'est-il change ?
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
Au sein de la communaut cclsiale il existe une differentiation.
Certains fidles sont investis d'une mission et d'une autorit spciales.
Ce sont les membres de la hirarchie. A eux s'oppose la masse des
croyants qui n'ont aucun commandement exercer. Ils ont gard
le nom de laques comme ils ont conserv celui de fidles. Le prdi-
cateur qui interpelle ses auditeurs comme ses bien chers fidles
ne se range pas du ct des infidles, pas plus que les snateurs
remains, en arborant leur S.P.Q.R., ne se retranchaient de la com-
munaut populaire romaine.
Entre les deux groups, disons des pasteurs et des brebis, il
rgnera facilement une difference de style, parfois mme une cer-
taine tension. Les subordonns se plaignent par moments d'une
immixtion fcheuse de leurs chefs dans leurs affaires purement
profanes. A ce moment prcis, les laques se dressent contre ce qu'ils
appellent le clricalisme, et si cette resistance est pousse jusqu'au
bout, le lacisme finit par combattre la religion elle-mme, et
laque deviendra synonyme d'antireligieux. En France, cette
signification dfavorable est devenue classique. Les adversaires du
clerg et de la religion, en sortant de l'Eglise, ont emport avec eux
une appellation qu'ils rejetteraient avec horreur s'ils en reconnais-
saient la marque d'origine.
Tchons, aprs cette petite note smantique, d'laborer une notion
relle et positive du lacat.
I. DESCRIPTION DU LAIC
Le lac est celui qui, par son baptme, acquiert la dignit de
personnel dans l'Eglise et devient le sujet des droits et des
devoirs du chrtien au sein de la communaut. (Code de Droit
Canonique, 87). En particulier, il a le droit de recevoir du clerg,
d'aprs les normes de la discipline ecclsiastique, les biens spirituels
et surtout les moyens de salut indispensables (Can. 682). Pensez
la prdication de la vrit rvle, aux normes de la vie chrtienne
surnaturelle et, en particulier, aux sacrements de la foi. Le sacrement
de l'Ordre, institu par le Christ, tablit une distinction entire le
clerg et le lacat, pour la direction des fidles et le ministre du
culte divin (Can. 984).
Le baptme, qui modifie le sens profound et l'orientation finale
de la vie de l'homme, ne change pas sa condition concrete. Il le laisse
o il tait. Le baptis, moins de se retire dans le clotre et faire
profession de moine ou de moniale, demeure tabli dans la situation
profane qui est le lot normal de l'immense majority des chrtiens.
Soumis l'autorit hirarchique en tout ce qui appartient la vie
religieuse et morale, il reste cependant dans le monde , plus mme,
il y est insr et engag par tous les liens de son existence familiale,
civil et professionnelle, ce qui n'est plus le cas pour le religieux.
Le lacat est donc l'ensemble du people de Dieu, en route vers
le salut, mais qui n'a pas rompu les attaches honntes, avec la socit
MGR. PHILIPS
humaine universelle. Le clerg est pourvu, dans l'Eglise, d'une auto-
rit sacre: sa position est, ds lors, particulire. Les religieux, en
ce qui les concern, ont quitt le monde pour s'tablir sans tergiverser
dans la situation finale que la thologie appelle eschatologique. Les
lacs, eux non plus, ne font pas du monde leur demeure definitive;
ils passent lentement et progressivement travers les valeurs et les
vicissitudes de ce monde, de relais en relais, puisque, mme pour eux,
cette terre n'est pas la patrie. Elle reste pourtant, jusqu'au moment
fix par la Providence, le champ de leur travail, le terrain de
l'accomplissement de leur devoir, le lieu de leur histoire et la route
de leur ascension. Avec tout leur dtachement formel, ils sont encore
matriellement impliqus dans la vie terrestre. Ils traversent le monde
par une monte au salut, alors que les religieux ont coup les entra-
ves et brl les tapes pour se faire immdiatement et exclusivement
citoyens du ciel. Leur vocation est une sortie ; celle des lacs, un
passage .
Cette description positive caractrise le lac dans sa difference
avec le prtre et le religieux. Avec le premier, c'est la possession des
pouvoirs qui est en cause. Avec le second, c'est la situation
vitale qui est dterminante.
Le prtre est ordonn . Il entire dans les ordres ; il fait parties
des rangs, au moins infrieurs, de la hirarchie. En un sens rel il est
spar et on attend de lui une activity cultuelle et apostolique
qui pratiquement absorbe toutes ses capacits. Notre catholicisme
occidental n'imagine mme plus qu'il puisse fonder une famille ou
exercer une profession lucrative, mme si ces interdictions ne sont
pas de droit divin, mais d'origine ecclsiastique. Le prtre de rite
oriental, mari et pre de famille, s'il reste intgralement muni des
pouvoirs du sacerdoce, nous semble nous trop peu libr pour son
activity surnaturelle, peut-tre mme expos trop de conflicts d'int-
rts personnel, pour servir l'Eglise d'une faon totalement dsin-
tresse. Nous ne regrettons pas que Rome refuse d'assouplir le
clibat sacerdotal: le prtre, pour tre l'homme de tous, ne sera
retenu par personnel en particulier.
Il sera avant tout le ministry du culte, sacrificiel et sacramentel.
Les fidles recevront, de sa bouche et de ses mains, les sacrements;
eux ne les donnent pas, sauf le baptme d'urgence et le marriage qui
est au sens plein le sacrement des lacs. Le prtre prche le message
de Jsus-Christ, c'est--dire qu'il l'enseigne avec autorit en prolon-
geant et en participant la mission de son vque. Le lac peut diffu-
ser, lui aussi, le discours du salut; dans certaines circonstances, il sera
mme officiellement autoris le faire, mais il ne pourra jamais
exiger de la part de ses frres aucune soumission. Il fera donc bien,
pour ce motif thologique aussi, d'viter le ton enfl du prdicateur.
Le cur, enfin, aura diriger sa paroisse. Il lui appartient, en vertu
de sa charge d'mes, d'inculquer ses ouailles les commandments
du Christ: il seraa vritablement chef dans le domaine religieux,
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
directeur au spiritual et, plus que consulteur ou conseiller, interprte
authentique de la loi morale.
Ici, la ligne de partage est claire : les lacs n'ont pas devenir des
vicaires en vestoh. Passons donc la dmarcation qui les spare des
religieux. L, le trac est plus dlicat.
La vie religieuse, au sens canonique, est base non seulement sur
la pratique des conseils vangliques, avec ou sans voeux officials,
elle comporte, en outre, ce qu'on oublie trop souvent, une organisa-
tion de la vie en commun. Les ordres monastiques anciens et les
Congregations apostoliques actives d'une poque plus rcente, gar-
dent, avec certaines adaptations et attnuations, l'organisation com-
munautaire. C'est ce qui fait leur force. Par toute leur existence,
leurs membres se sparent du monde pour mieux lui signifier le
caractre prissable de tous ses biens et lui rappeler instamment
l'unique ncessaire, le salut des mes. Ces valeurs terrestres qu'ils
ne dnigrent ni ne condamnent, ils les ramnent ostensiblement leur
importance toute relative et caduque.
Au moyen ge surtout, nombre de chrtiens ont prouv la
nostalgic du clotre et tch de se rapprocher le plus prs possible
de l'enceinte sacre par la creation des Tiers Ordres. Plus d'un de
ceux-ci a fini par franchir la frontire et s'riger lui-mme en congr-
gation religieuse en sacrifiant la condition laque.
Le seuil diffrentiel est donc plutt dans l'exercice de la vie
commune que dans la pratique de la chastet parfaite, la pauvret
et l'obissance volontaires. Les conseils vangliques, du moins avec
certaines reserves, peuvent s'observer dans la condition mondaine ,>.
Une vocation de ce genre vient d'tre codifie par de rcents dcrets
remains. Tout le monde aujourd'hui est au courant de l'existence des
Instituts Sculiers, ralisation indite de l'tat de perfection chr-
tienne. On pourrait les voir comme une forme de transition entire
la vie laque et l'ordre religieux.
Souvent ils revendiquent trs haut leur caractre lacal, sans quoi
ils perdraient du coup leur originalit. L'engagement de leurs associs
dans le temporel n'est cependant plus total: ils ne sont plus enlacs
dans le marriage. S'ils garden leur profession, ils ne fondent pas de
famille. Ils redisent sans doute avec Pguy: il faut que France,
il faut que chrtient continue , mais la charge de pourvoir la
procration de nouvelles gnrations, ils l'abandonnent d'autres,
en se contentant de christianiser les enfants de leurs frres. Dans
le sicle et pas du sicle pourrait tre leur devise. Gardant avec
le lacat un contact par l'intrieur, ils pourront plus aisment servir
de levain dans la pte.
Reste une dernire catgorie examiner, catgorie fort disparate,
amalgamant toute espce de lacs devenus titres divers gens
d'glise. Nous ne nous attarderons pas aux sacristains et aux bedeaux.
Mme revtus de soutane et de surplis, personnel ne les prend pour
des clercs. Mais le dveloppement de nos organizations d'Action
MGR. PHILIPS
catholique et d'Action social a suscit un nouveau type de chrtien:
le permanent qui exerce un emploi full-time dans les rangs de
l'apostolat. Le P. Rahner est d'avis que ces dirigeants d'oeuvres et
ces dtachs pour le service, hommes et femmes, ne sont plus des
lacs, puisque leur travail exclusif est d'essence ou du moins de
rsonnance et de finalit religieuses.
Cette thse nous semble inexacte. Ce permanent ne devient ni
clerc ni religieux: il ne reoit aucun pouvoir sacramentel et il ne
pratique ni vux ni separation du monde. Thologiquement, sa con-
dition lacale est intacte. Totalement consacr la promotion chr-
tienne des ouvriers, par example, anim d'un zle apostolique capable
d'difier ou mme de faire rougir plus d'un prtre, il n'entre en
aucun sens dans les ordres. Il ne franchit donc point les frontires
du lacat et il ne renonce pas la creation d'un foyer personnel. On
doit donc constater qu'il n'abandonne point son engagement dans
le sicle, mme s'il honore intgralement sa vocation de rapprocher
le sicle du sanctuaire ecclsial. S'il comprend bien sa situation, son
activity et son existence, il ne sera pas cur de dsir ni moine par
vu implicite, ce qui lui donnerait un air d'inauthenticit dplaisante.
II. TEACHES DU LAIC
La mission des lacs doit s'exprimer au pluriel, car elle est mul-
tiple et ses rapports avec la mission du clerg sont fortement diver-
sifis. Procdons par paliers, au risque de donner la classification
prsente quelque chose d'artificiel. La vie se chargers bien ne mna-
ger les accords d'une activity la suivante.
1. Il existe d'abord une tche commune tous les membres
de l'Eglise, clercs ou lacs. Faute d'un terme plus comprhensif ou
plus saillant, nous parlerons ici du Tmoignage, en appliquant ce
mot la vie chrtienne intgrale.
Tout membre du people de Dieu doit prendre une part person-
nelle, selon toutes les dimensions de son existence, la ralisation de
l'oeuvre de la Rdemption. Si le Corps mystique n'est pas un vain
mot, personnel au sein de la communaut ne peut se dsintresser,
ni en pense ni en actions, du salut commun. Observation digne de
remarque, saint Paul enseigne que l'institution de la hirarchie par
le Christ a prcisment pour but d'amener tous les membres, jusqu'au
dernier, partager la charge universelle d'difier le corps et de
promouvoir et d'tendre la vie sainte du people de Dieu (Eph. IV,
11 ss.). L'indiffrence et la passivit reviennent un dplorable refus
de service qui est une espce d'homicide spiritual par omission.
L'institution des pasteurs et docteurs vise la promotion des simples
membres la collaboration d'adultes dvous et responsables, donc
capable de parler et d'agir.
Ce tmoignage sera beaucoup plus vcu que proclam. S'il lve
trop le ton de la voix, il devient suspect. Par contre, il postule un
568
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
engagement complete et une fidlit total. Le monde demand de
pouvoir vrifier l'authenticit de l'affirmation chrtienne par la con-
duite personnelle de ceux qui la rpandent. On n'aura pas encore
un ouvrier chrtien ni un ingnieur catholique, si on assure ces
hommes une pratique dominicale rgulire et de l'autre ct une
formation professionnelle sans lacunes. On obtiendrait d'excellents
technicians qui, par hasard, dans leur vie prive, se trouveront tre
croyants, mais sans faire passer un flux de grce et d'idalisme dans
leur mtier d'homme. Nous ne souffrons que trop de ce fractionne-
ment funeste.
La consequence saute aux yeux: par suite du compartimentage,
ce n'est plus la vie humaine comme telle qui rend tmoignage au
Christ, c'est une petite fraction, soustraite l'existence relle, qu'on
veut bien lui rserver. L'engagement, ds lors, n'atteint plus la per-
sonne mme du tmoin et il perd, vis--vis des autres, son efficacit.
Il serait parfaitement abusif d'accorder une attitude de ce genre
le titre de tmoignage chrtien.
Par contre, l'application intgrale d'un style de vie chrtienne
dans toutes les decisions et activits profanes, mrite sans contest
le nom d'apostolat. Nous avons appris, ces dernires annes, largir
ce concept au del des cadres et des rangs aligns de nos organisa-
tions. Sans dcrier celles-ci, car elles sont nobles et indispensa-
bles, nous les renforcerons dans la measure exacte o nous
dvelopperons la conviction en profondeur de chacun de leurs mem-
bres. Le militant de base n'est pas toujours celui qu'on pense.
Vous le constatez,. cette mission personnelle est universelle, ce
que nous ne pouvons affirmer de l'affiliation nos ouvres
d'apostolat. Les circonstances peuvent rendre cet enrlement impra-
ticable, alors que personnel ne peut se dispenser de vivre son
appartenance au Christ dans chacun de ses actes, mme les plus
enracins dans la matire terrestre.
Faut-il l'ajouter ? Cette vocation atteint le lac personnellement,
mais pas le lac seul. Prtres et religieux, eux aussi, doivent faire
rayonner autour d'eux une vertu humaine et chrtienne au-dessus
de tout soupon et de toute critique. La socit moderne ne manque
pas de rappeler le clerg ce devoir primordial et elle a raison.
On peut dire plus: tmoignage, engagement, apostolat, mission,
c'est tout un. C'est le baptme qui, par la grce, intime cet ordre et
imprime ce dynamisme. L'Eglise ne peut dverser son obligation
missionnaire sur quelques zlateurs qui iront porter au loin le mes-
sage vanglique. La communaut comme telle est missionnaire et
en acte d'expansion sanctifiante. Elle entrane, si elle veut tre fidle
aux premires gnrations chrtiennes, les gnrations prsentes dans
le mme lan de jeunesse et d'ardeur communicative.
2. Il existe ensuite une tche propre au lac dans la vie religieuse
de l'Eglise. La vie du culte, de la prire et des sacrements n'est pas
un enclos rserv au clerg, auquel les fidles auraient accs des
MGR. PHILIPS
moments dtermins pour y tre" les spectateurs plus ou moins int-
resss et toujours, passifs d'une action rituelle clricale.
Sous couleur de simplification des ides, ou sous prtexte de
prvenir des heurts et des conflicts, on a propos de confier aux
prtres le droit exclusif de rgenter les affaires de religion et de
reconnatre aux lacs une mission non moins exclusive d'ordonner
et d'administrer le temporel. C'est exactement la thse de Rosenberg
sous le rgime naziste: Ne voit-on pas qu'avec une distribution aussi
raide des rles, on en arrive priver le lacat de sa plus minente
dignit,. celle; de raliser sa vocation divine ?
Pourquoi reconstruire ce mur de separation que le Christ a dtruit
par sa mort ? Pourquoi enfermer les lacs dans le parvis des gentils
avec defense absolue d'outrepasser les grilles riges par l'troitesse
ou la lchet des hommes ?
Heureusement, nous entendons parler beaucoup aujourd'hui de
la participation active des fidles la messe. On a mme organis
des messes ouvrires, ce qui peut revtir un sens sublime ou sombrer
dans une caricature sparatiste et donc hrtique. Tout dpend de
l'esprit qui anime cet essai de personnalisation.
Pensez la prire. L'office canonial don't s'acquittent le prtre
et le moine, ne dispense pas les fidles de leur devoir d'adoration et
de supplication. Toute l'Eglise doit tre un seul corps priant. Prier,
c'est l'acte essential du croyant, et en catholicisme, toute prire est
communautaire. Elle cherche une expression social qui n'touffe pas,
mais suscite l'entremise de l'me individuelle.
Pensez aux sacrements que le chrtien n'a pas subir mais
recevoir, ce qui veut dire demander et accueillir avec une volont
spontane et libre, pour que le rite soit vraiment rformateur et
rgnrateur des mes. Du point de vue lac, cela ne vaut pas seule-
ment pour le marriage. Y a-t-il un acte plus personnel que celui de
communier ou d'avouer humblement ses pchs ? Les personnel
pieuses peuvent dire des neuvaines pour la conversion des pcheurs :
elles ne sauraient se confesser leur place. La champagne pascale est
autrement complex et ardue.
Cette tche lacale religieuse peut comporter une participation au
service direct de la communaut ecclsiale. Ce sera le cas pour les
dirigeants ou les auxiliaires du secrtariat paroissial et pour les
catchistes d'enfants ou d'adultes en instance de conversion. Ne
croyez pas que cette institution soit propre aux pays de missions ni
que nos grandes cits europennes, plus paennes que l'Afrique cen-
trale, puissent se dispenser d'y recourir. Mentionnons aussi, parce
qu'il ne faut point taire la ralit de notre propre histoire, le rle
de supplance don't les lacs s'acquittent avec un courage admirable
et mouvant dans les nations soumises un rgime de perscution
rgulire. Dans la measure de leurs capacits, ils remplacent le prtre
incarcr ou devenu maquisard. La survivance du christianisme dans
la moiti de l'Europe dpend de leur dvouement cach.
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
Mesures d'urgence, direz-vous, imposes par des circonstances
exceptionnelles. N'oublions pas le devoir de diffusion du message
vanglique dans la vie de tous les jours, au foyer, l'usine, l'heure
du casse-crote, aux moments de loisir. O, pensez-vous, les juge-
ments de valeur, sur les problmes de la vie et sur la morality, se
transmettent-ils d'homme homme, en imprimant une direction sou-
veraine l'existence du people ? Ce n'est pas l'glise, mais au
carrefour des quarters, dans le voisinage et le compagnonnage.
Trop souvent c'est une vanglisation rebours. La vritable
christianisation, adapte la situation mondaine , se pratique par
l'amiti, l'exemple, la parole, l'encouragement, le geste secourable,
l'avertissement et parfois la fire resistance la corruption. Ne
croyons pas que les charismes don't parle le Nouveau Testament se
soient teints en chrtient, mme si nous avons oubli les noms
grecs de pneumatisme et de prophtisme. Il y a encore aujourd'hui
des dons de l'Esprit don't les plus simples sont souvent les plus vail-
lants porteurs, ralisant la conversion du semblable par le semblable
et la promotion religieuse et morale de tout un group sociologique.
Vocations d'lite, direz-vous cette fois-ci, et qui suppose une mis-
sion spciale, authentique ou du moins surveille et approuve par
l'Eglise. Que pensez-vous alors de l'ducation religieuse et humaine
en famille ? Etre pre et mre n'est pas une vocation exceptionnelle.
C'est la voie de la grande majority des humans. Ils ne s'entendent
pas toujours pratiquer comme il faut ce mtier-l. N'empche que
leur rle religieux est pratiquement irremplaable. L'cole chrtienne
pourra remdier certaines dficiences, elle ne comblera jamais com-
pltement les lacunes du foyer familial. O la plupart d'entre nous
ont-ils appris les rudiments de la foi, esquiss leur premier geste
religieux, bgay leur premiere prire ? Ce n'est pas l'glise ni
sur les bancs d'une classes, mais auprs de leur maman. Je ne cherche
pas l'motion facile ni l'idalisation, mais je sais que l'exemple de
droiture donn par un pre de famille est plus dcisif pour l'orienta-
tion de toute une vie que cent leons d'un matre d'cole.
Les parents de la classes ouvrire ne sont pas mieux prpars que
ceux des categoriess bourgeoises pour entreprendre, chez leurs
enfants, cette formation de l'homme et du chrtien. La lutte scolaire
peut contribuer ouvrir nos yeux sur l'imprieuse ncessit de
veiller l'ducation des ducateurs naturels. Notre personnel
enseignant, lui non plus, n'est pas compos en majority de prtres
et de religieux ou religieuses. A un nombre imposant d'instituteurs
et d'institutrices laques, l'Eglise confie, parfois en tremblant, non
seulement l'enseignement du catchisme, mais la formation de l'me
des gnrations montantes.
L'apostolat extrmement vari que nous venons d'voquer
grands traits, complete harmonieusement celui du clerg. Cette tche
religieuse est troitement lie celle de la hirarchie, et il va de soi
qu'elle s'exerce sous son autorit directed. Aux laques, en premiere
instance aux parents, il appartient de manager la mise en contact
MGR. PHILIPS
de l'Eglise avec le monde, faute de quoi sa mission salvifique ne
trouvera pas o s'insrer et elle restera inoprante.
3. Il existe enfin une tche propre au lac dans le domaine profane
qu'il s'agit d'organiser non sous le signe du paganisme, mais du chris-
tianisme. Instituer sur toute l'tendue de la civilisation un ordre
profane chrtien , pour reprendre l'expression de Jacques Mari-
tain, quelle vocation exaltante pour le lacat Ce rle reconnu au
lac lui est, cette fois-ci, spcifique. Le clerg n'a pas s'y immiscer,
sauf pour lui assurer son animation suprieure. Pour le reste, le lacat
y est autonome. Autonomie pourtant ne signifie pas d'abord indpen-
dance, mais responsabilit devant les lois et les exigences inhrentes
la matire traite.
En ordre principal, cette uvre doit manier des lments ayant
valeur humaine par eux-mmes et intressant au plus haut point
le tout grand nombre des citoyens, croyants et incroyants. Cela nous
arrange un lieu de rencontre pour tous. Mais videmment il ne doit
pas tre tanche devant l'ide chrtienne. Il faut qu'il puisse s'ouvrir
l'influence humanisante et personnalisante de l'Evangile. Du
moment que l'Eglise n'est pas destine aux anges, mais doit ouvrer
dans le monde des humans, il income aux matres de cette destine,
c'est--dire aux lacs, d'y rendre la tche de l'Eglise plus aise.
Le marxisme, vous le savez, est ce point de vue absolument
intolrant. Il le doit son essence profonde, puisqu'il est convaincu
que n'importe quelle forme de religiosit est pour l'homme et
l'ouvrier une alination et donc un crime. Le marxisme l'tat pur
ne se pratique gure dans nos rgions, mais il insinue son dynamisme
dans le coeur des masses qu'il russit embrigader. Au del des
intentions conscientes et avoues, il y a la tendance fondamentale,
condamnant la religion comme lchet, d'un ct, et exploitation, de
l'autre, et tchant d'en arracher la dernire racine. Les dclarations
lnifiantes n'y changent rien. La religion affaire prive est une con-
cession provisoire qui finira par se consumer elle-mme ou mourir
d'inanition.
Le communism scientifique n'est pas seul propager cette con-
ception du monde sans ouverture vers l'au-del. Le rationalisme
liberal du sicle dernier, qui n'est point mort aujourd'hui, est au
moins cousin germain du marxisme, mais en plus police. L'un et
l'autre interdisent l'Eglise tout space vital, reserve faite pour
le sanctuaire et, s'il le faut, pour la sacristie. C'est identifier la reli-
gion avec le seul culte en la coupant de la vie humaine.
Devant ce fait, il sera toujours trs difficile d'entrer en conver-
sation avec des hommes de gauche. Nous ne parlons plus la mme
langue. Religion signifie pour nous une attitude qui oriented et com-
mande toute notre existence. Pour eux, les applications de ce principle
dans le domaine social, conomique, ducatif, familial, cultural, tout
cela est le terrain propre et exclusif de la politique. Defense l'Eglise
de s'y introduire.
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
Ds lors, le chrtien dans le monde aura une mission extrmement
important accomplir. Ni clercs ni moines ne sauraient la prendre
en mains. Permettez-moi de la dtailler quelque peu.
a) Le lacat, par une action profane, inspire par sa conception
de la vie, doit ouvrir une brche dans la muraille qui clt le monde
sur lui-mme et le rend impntrable l'esprit chrtien. Sans doute,
l'intrieur de cette forteresse il subsiste encore pas mal de valeurs
qui, historiquement parlant, doivent leur existence au christianisme
dsormais banni. Notre civilisation occidentale est faite en grande
parties du respect de la libert et de la dignit humaines, qui est un
legs de l'ge religieux. Ces valeurs sont coupes de leur racine nour-
rissante, mais elles agissent encore sur l'esprit et le coeur de nos
contemporains. Sur ce point une cooperation pratique est souvent
possible, parfois impose, et elle peut s'avrer bienfaisante. Nous ne
prtendons aucunement tre les seuls dfendre et promouvoir
le relvement des dpossds et des petits. La justice social, sous des
formes sans cesse repenses, et avec des applications toujours plus
intelligentes et plus tendues, ne peut que rapprocher la socit des
vues et des intentions du Christ et de l'Eglise.
Il y aura, videmment, la base de nos efforts et du travail des
autres, de notables divergences qui rendront la collaboration delicate
et hasardeuse. Nous n'entendons pas de faon identique le respect
de la personnalit, la protection de la famille, les droits de la charit,
l'intgrit des mours. Mais, condition de tendre un quilibre
concrete, il y a des chances de mettre l'abri certaines valeurs fonda-
mentales et de leur assurer une emprise lmentaire sur les foules.
Le clerg, un rgime hostile peut l'emmurer; quant au lacat, impos-
sible de l'enfermer dans le plus norme des camps .de concentration.
L'ouverture aux valeurs humaines, transfigures pour nous par la
rvlation, c'est aux chrtiens dans le monde la manager et
l'largir.
b) En second lieu, cette activity social, politique, culturelle,
ducative, doit s'inspirer aux sources de la vrit ternelle et se lais-
ser porter sur la grce, ds qu'elle est exerce par des croyants.
Personne ne peut nous interdire de demander l'Eglise la force
et le courage ncessaires pour entreprendre un travail trop souvent
crasant. A compare notre activity avec celle du non-croyant, on
constate que la ntre part d'un principle plus lev et tend une
ultime finalisation transcendante. Entre ces deux bouts, le terme
initial et le point final, notre action est, de plus, anime par un esprit
suprieur qui n'est autre que l'Esprit du Christ. Matriellement nous
Spouvons nous atteler avec ceux d'en face la mme besogne: nous
l'excuterons avec une me diffrente. Plt au ciel que nos militants
en aient toujours conscience!
Nos oeuvres de tous genres, syndicats, coles, mutualits, crches,
hpitaux, asiles, que sais-je encore, seront organises d'aprs les
mmes techniques et les mmes rgles d'efficacit que celles des
MGR. PHILIPS
autres. Nous esprons mme qu'au point de vue technicit moderne
nos institutions sauront se mettre aux avnt-postes. Mais c'est sur-
tout en valeur humaine qu'elles doivent tre suprieures. Le but vis
en toute dernire instance respectera scrupuleusement l finalit
interne, profane, terrestre et temporelle de toutes ces ralisations.
Sans quoi, sous prtexte de surnaturalisme, nous finirions par les
vider de leur substance et par les dtruire. Nos coles, par example,
seront des hauts lieux de science et nos cliniques des merveilles
d'adaptation mdicale. Mais nos mthodes et nos directives respecte-
ront toujours l'inviolable saintet de l'homme appel la noblesse
de l'union avec Dieu.
c) Ouverture l'esprit chrtien, disions-nous, inspiration person-
nelle par la grce du Christ; il faut ajouter enfin, comme mission
propre du lacat : l'actualisation de la presence de l'Eglise au coeur
du monde. L'Eglise sera toujours, en un certain sens, minoritaire.
Sa situation actuelle est plus qu'auparavant celle de la diaspora
des anciens isralites, la dispersion au milieu d'une ambiance tran-
gre et hostile. L'Eglise demand de pouvoir travailler au bien des
masses, mais elle ne saurait appuyer ses revendications que sur la
gnreuse entremise de ses membres lacs. Qui, en dehors d'eux,
pourrait garantir nos coles, par example, un statut quitable et des
chances de vivre ? Mais c'est encore le problme social, dans toute sa
complexity, auquel le chrtien moderne se trouve affront. Ce travail
et cette lutte ne finiront pas de si tt. Nous promettre une solution
definitive et complete serait nous lancer dans la plus prilleuse
illusion. Chaque jour il faudra rsoudre de nouvelles complications
et un gnie vraiment crateur n'y sera point de trop.. L'adaptation
du monde aux ncessits de ses habitants ne sera jamais acheve.
L'Eglise non plus et le lacat non plus ne pourront se reposer avant
le dernier soir. Le grand repos est pour l'ternit. Entretemps, il faut
creuser,, inventer, construire et perfectionner nos institutions, pour
que l'Eglise trouve la place qu'il lui faut et la libert d'action
indispensable pour accomplir sa tche.
4. A ce point prcis, nous devons accorder une attention spciale
l'action concerte des catholiques sur les structures vitales et
sociales de notre humanity. Je veux parler d'une activity organise,
adapte et, au besoin, spcialise, d'aprs les composantes de notre
socit et de leurs exigences particulires. Ces lments appartien-
nent aux donnes objectives du problme. Feindre de les ignorer
serait une sottise et parfois un pch. Non que nous puissions isoler
la question ouvrire de l'ensemble des relations sociales. Une parties
retranche d'un tout perd sa signification et sa consistance. Si quel-
qu'un veut se condamner l'irralisme, parce que sa vue ou son
courage n'est pas assez large pour embrasser tout le champ d'action,
il sera personnellement responsible de la ruine de ses projects cen-
sment gnreux. Qu'il sache entretemps que le christianisme est
de trempe universaliste.
Mais cet universalisme lui-mme est raliste; il sait bien que nous
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
ne sommes point des mes spares. Notre vie est dans le corps et
grce lui elle s'ouvre sur le monde. L'esprit doit s'incarner dans les
hommes et dans, les structures. La dsincarnation total 'prne par
des aptres dsabuss, refuse de redescendre sur terre;' elle a peur
de se container au contact de la matire et, sous prtexte de spiri-
tualisation, elle empche l'esprit, de vivifier un vrai corps, c'est--dire
un corps charnel.
La matire sans doute est gluante et absorbante; 'elle pourrait
captiver l'esprit et finalement l'touffer. Les 'dfenseurs de la mthode
d'incarnation auront y veiller. Voil pourquoi nous n'alourdirons
pas le poids dj considerable de nos organizations. Elles ne pren-
dront pas plus de corporit qu'il n'en faut pour soutenir l'me
vivante. En terms plus clairs: l'administratin -ne peut pas 'tuer
le movement. '
Or, le movement ne march jamais par vitesse acquise. A chaque
instant il doit utiliser de nouvelles nergies, capable d'activer la
propulsion et d'augmenter la productivity.
Nos organizations sont multiples et varies. Phnomne hriss
de difficults; mais infiniment bienfaisant. Aucune enterprise ne peut
se prvaloir d'un monopole. Ne rclamons pas le pluralisme en face
des autres, pour imposer ensuite une morne uniformit dans nos
propres rangs. Ce serait striliser nos efforts.
Nous avons des groupements d'Action catholique proprement
dite, suscite par un appel ou une approbation spciale de la hirar-
chie. Ils travaillent sous la responsabilit de lacs, sans doute, mais
aussi sous une direction plus immediate de l'Eglise qui s'engage en
leur faveur et les couvre de son autorit. Cette forme d'activit
s'exercera surtout dans le secteur de la formation personnelle et
collective.
Une plus grande libert d'action est accorde nos organizations
sociales. La place du lac, c'est--dire du chrtien dans le monde, c'est
ici qu'elle s'ouvre toute large. Encore faut-il reconnatre que syn-
dicats, mutualits, quipes populaires, tout cela n'est pas la mme
chose. Ce n'est pas moi vous l'enseigner. Mais quelle que soit
l'oeuvre particulire qui attend vos services, elle sera toujours vita-
lement insre, enviscre dans un milieu human caractris.
L'homme universal ou mme l'homme du XXme sicle est un tre
de raison, une abstraction. Ce qui existe, c'est l'ouvrier de telle
entreprise, habitant telle region et tel quarter, dans des conditions
de famille nettement individualises.
C'est ces types d'hommes, passablement diffrencis malgr
le brassage de la grande masse, que vous devrez adapter votre action.
Il n'y a pas de formule universelle, ni surtout de mthode invariable.
Vous perdrez le contact si vous n'tes pas mme de suivre la march
du dveloppement social ou incapables de vous accrocher, de coller,
comme on dit, au rel. Ce rel est en perptuel changement. L'ouvrier
de 1956 n'est plus celui d'avant-guerre ni encore moins celui de 1920.
MGR. PHILIPS
L're atomique l'a marqu dj profondment. Vos enqutes et vos
analyses sociographiques d'il y a quelques annes sont dj vieillies
et tout au plus utilisables comme arrire-fond en vue d'une interpr-
tation historico-gntique.
Mais si les situations sont toujours en flux et reflux, il y a
cependant des constantes et surtout il y a des valeurs humaines et
religieuses permanentes et toujours actuelles. Nous avons des insti-
tutions qui, au fond de toutes les modifications de surface et d'aspect,
garderont une structure durable et pratiquement irremplaable. Vous
m'avez compris : je veux parler entire autres de la ralit paroissiale.
Si vous faites mine d'ignorer ce facteur, il ne manquera pas, lui, de
vous rappeler plus d'objectivit.
N'oubliez pas non plus que la paroisse, elle aussi, est hirarchise.
Elle n'est pas une fraction de l'Eglise, mais bien plus l'Eglise entire
rendue prsente sur un territoire limit et pour une population
dtermine. Nous ne pouvons, dans notre travail apostolique, nous
rclamer directement de l'vque, en mconnaissant le cur que
l'vque a dsign. Aucune activity ne saurait tre fconde si elle
n'est pas srieusement concerte avec l'Eglise sur place.
Nous avons la reputation, en Belgique, d'tre plus pratiques que
beaux parleurs. Notre pragmatisme cependant pourrait tre court
vue. Il imported de rflchir avant d'agir, aussi bien que pendant la
ralisation de l'initiative et par aprs.
Rien ne sert, d'ailleurs, d'assurer le contact avec les masses, si
aprs avoir tabli les possibilits d'change, nous n'avons plus rien
donner. Le cardinal Suhard nous avertit solennellement de ne pas
nous trouver les mains vides au moment o il faudra commencer
la distribution.
La mystique du movement n'est pas un vain mot. Or, vous le
savez, la mystique n'est jamais porte par la foule. La masse, on peut
tout au plus l'hypnotiser par un pseudo-mysticisme fallacieux et
dangereux. La mystique authentique, c'est la conviction personnelle
profonde, faite de foi et de charit surnaturelles. En d'autres terms,
c'est l'Esprit du Christ, que seule l'Eglise peut nous communiquer.
L'attitude fondamentale de l'homme devant Dieu est rceptive.
L'attitude du lacat l'est doublement, puisque, au sein de la commu-
naut, il doit recevoir des mains de la hirarchie la vrit libratrice
et la grce transformante. Mais recevoir, accueillir, saisir et embras-
ser, nous l'avons dit, c'est tout autre chose que s'incliner et subir.
Il n'y a, sur terre, rien d'aussi actif ni d'aussi productif que l'homme
cr qui commence par accepter les prvenances de Dieu. Le don
divin, en effet, est en mme temps un devoir sublime accomplir.
L'aptre, conscient de la mission qui lui fut gratuitement accorde,
devient, d'aprs saint Paul, le collaborateur de Dieu.
Nous n'allons pas, pour autant, nous cantonner dans le sacral, en
prtextant la transcendence absolue de l'activit purement religieuse.
Le Christ sauve les hommes totalement, me et corps, non seulement
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
quand ils prient, mais aussi quand ils travaillent. Ils ne sauraient
prier s'ils ne trouvent de quoi vivre et ils ne sauraient vivre sans
travailler. Jsus a sanctifi mme la matire cosmique. Vous vous
en rendez compete : au fond de ce religiosisme troit se cache l'erreur
que nous avons dmasque plus haut et qui identified la religion total
avec le culte. Nous n'allons pas, la faveur d'un dtour fallacieux,
donner raison au marxisme et au rationalisme. Mme en Russie on
n'interdit pas la prire prive. On se content de la ridiculiser, ce qui
est plus pernicieux. On n'empche pas le patriarche de chanter sa
grand'messe. Mais on refuse radicalement l'Eglise de sanctifier par
l'intrieur la vie et le travail des hommes.
Cela ne veut pas dire que, pour nous, prier et peiner, c'est tout un.
Le travail muni des plus belles intentions n'est pas un acte de pure
adoration. A l'inverse, la prire seule, sans l'effort, serait un refus
de servir. Il faut prvenir toutes ces confusions et mettre chaque
chose sa place et la faire venir son heure.
Nous serons, par ailleurs, sur nos gardes contre toute surcharge
religieuse. Finalement, cela donnerait la nause et le travailleur
sincre s'en dtournera dgot. La religion est trop leve pour la
turner en recettes faciles et superficielles. L'abus de pareils remdes
russirait nous endormir, mais pas nous gurir. Ce ne sont pas
les pieuses paroles et les exhortations melliflues qui pourront rem-
placer l'effort crateur de la justice et de la charit sociales.
CONCLUSION
On m'avait demand de vous dcrire la place du lac dans l'Eglise
et dans le monde. Double indication qui n'implique aucun compar-
timentage. Nous ne vivons pas tantt dans l'Eglise et tantt dans
le monde. C'est par l'Eglise que le chrtien est present au monde.
L'Eglise et le monde ne sont pas spatialement diviss, mais formel-
lement distincts. Sans quoi la religion passerait simplement, dans des
rgions thres, par dessus la tte de l'homme terrestre qui a terri-
blement besoin d'tre sauv par elle.
Par des approximations et des dlimitations successives, nous
avons essay de circonscrire la notion prcise du lacat. Le lac a
le droit de savoir ce qu'il reprsente dans l'Eglise. Si, au point de vue
du fidle ordinaire, notre ecclsiologie n'est pas acheve, elle dessine
cependant avec une nettet croissante le statut plein de richesse du
simple baptis, disons mieux, sa vocation et sa noblesse.
Il possde une tche commune avec les dtenteurs suprmes du
pouvoir hirarchique et avec les spcialistes de la spirituality, les
religieux: savoir la mission de rendre tmoignage au Christ par
une vie intgralement chrtienne. Sa function n'est pas identique
avec celle du prtre et sa situation n'est pas celle du moine. Mais
son engagement chrtien est le mme, parce qu'il est galement total.
MGR. PHILIPS
Il y a ensuite une activity proprement laicale qui s'exerce soit
au dedans, soit autour du sanctuaire, en collaboration troite avec
le prtre, chef du ministre. C'est l'activit religieuse, dont.l'applica-
tion la plus rpandue et sans doute la plus important est l'ducation
chrtienne, mais qui comporte aussi l'apostolat infiniment vari,
destin rapprocher du Christ et de l'Eglise l'me de tous les frres.
Enfin, il y a la charge spcifiquement lacale de ramener la vie
trpidante du monde sous le signe du Christ, en organisant un ordre
de civilisation vraiment digne du nom chrtien. Ce monde, il faut
que le lacat en dgage l'entre pour qu'il ne soit pas revche
l'inspiration vanglique, mais qu'il adopted des conditions de vie
favorables la presence bienfaisante de l'Eglise.
Vos organizations sociales ne s'interdisent aucun de ces trois types
d'apostolat, mais elles les font converger vers l'unique but qui est
le rgne du Christ dans une communaut humaine, faite d'enfants
de Dieu.
Je voudrais ajouter une dernire ide. L'Eglise est le people de
Dieu en march et le corps du Christ en travail d'accroissement et
de sanctification. Son achvement ne sera pas atteint avant la phase
finale et cleste. Entretemps, nous ne pouvons pas vivre sur les
acquisitions dj faites et tenues en reserve. Nous mangerions notre
capital. Chaque jour, au contraire, nous devons nouveaux frais nous
laisser saisir par le dynamisme extrmement exigeant de la grce.
En d'autres terms, il n'existe, dans le Royaume de Dieu, ni rentiers,
ni capitalistes: il n'y a que des travailleurs. Tous, prtres, religieux,
lacs, nous avons, avec la matire humaine que Dieu nous met en
mains, peiner, pour en faire, par sa grce Lui, une uvre d'art
spirituelle, personnelle et communautaire. Le Pre cleste pourra
la regarder avec complaisance, parce qu'elle portera les traits de
son Fils, rdempteur des hommes et du monde.
L'insurrection de Posen
Le rapport suivant sur l'insurrection Posen des tudiants et
des travailleurs les 28, 29 et 30 juin derniers, a pu tre tabli
sur la base d'interrogatoires sur les vnements en juin 1956, et
auxquels ont bien voulu se prter des personnel qui, en leur quality
de reprsentants commerciaux auprs de la fire commercial,
avaient t tmoins oculaires des vnements. L'esquisse du plan
de la ville, qui y est ajout, a t dessin de mmoire, et il se peut
que dans les dtails elle ne soit pas tout fait exacte. Ce rapport
est la synthse des diffrents tmoignages.
Prof. Dr. Fl. PEETERS.
1. LA POSITION DE DEPART
a) En gnral:
L'attitude l'gard des Russes non seulement dans la parties
de la Pologne qui, avant 1914, faisait parties de la Russie des Czars,
mais galement dans la region de Posen a t, depuis plusieurs
dizaines d'annes, franchement hostile. L'affluence des Polonais
chasss par les Russes des territoires de la Pologne de l'Est, annexe
par l'Union Sovitique surtout de la Galicie et de la Volhynie -
a encore sensiblement aggrav cette hostility. La grande majority
de ces personnel chasses de la Pologne orientale a t dirige vers
les territoires anciennement allemands l'Est de la ligne Oder-Neisse.
Mais plus tard, une grande parties de ces Polonais dplacs s'en est
retourne vers l'Est et s'est tablie entretemps en Haute Silsie et
dans la region de Posen. (1)
Les sympathies du people polonais pour ses anciens allis de
l'Ouest, surtout dans les territoires allemands avant 1914, se sont
renforces considrablement la suite de l'occupation sovitique.
L'individualisme sculaire du Polonais, qui dans l'histoire a eu parfois
des consequences politiques dsastreuses pour ce people, est un
lment de farouche resistance contre les tentatives de collectivisa-
tion, contre les tendances l'tatisation et, en gnral, contre toutes
les formes de sovitisation.
Ainsi, la Pologne fut le seul Etat satellite voisin de l'Union Sovi-
tique qui, dans ces tendances artistiques, est rest moderne et qui a
(1) Cette affirmation est en concordance avec de nombreuses informations
parvenues Berlin-Ouest et selon lesquelles le gouvernement de Varsovie
a essay par tous les moyens d'enrayer cette second migration. Les motifs
de cette second migration semblent bien tre le sentiment d'inscurit et le
manque de confiance dans la politique de Varsovie et de Pankow qui, sur
instigation de Moscou et sans l'assentiment des allis occidentaux, ont fix la
frontire de l'Oder-Neisse par le trait du 6 juillet 1950.
FL. PEETERS
rsist catgoriquement aux tentatives sovitiques d'y introduire un
art proltarien selon les exigences de l'ordre nouveau. L'instinct de
proprit prive et l'esprit frondeur du Polonais avaient dj t
un facteur de resistance invincible du temps de la division de la
LEGEND :
.......... ANCIENNES FRONTIRES DE POLOGNE AVANT 1939
FRONTIERES DU TRAIT OU 6.3 5 1950
TERRITOIRES ANCIENNEMENT ALLEMANDS, ACTUELLEMENT SOUS
ADMINISTRATION POLONAISE
TERRITOIRES. ANCIENNEMENT POLONAIS, ANNEXES PAR L'UNION
SSOVIETIQUE.
Pologne, surtout dans la parties annexe par la Prusse, et ces facteurs
se font sentir encore plus efficacement en ce moment. Cette reaction
de l'individualisme polonais est d'autant plus violent, qu'aujourd'hui
les entreprises ne sont pas seulement tatises, mais sovitises
cent pour cent. Alors que les reprsentants des Soviets se sentent
encore trangers en Allemagne de l'Est, tout Russe en Pologne
L'INSURRECTION DE POSEN
affirme, en parlant de la Pologne, elle est ntre . Que le catholi-
cisme se dfende farouchement contre la sovitisation, est suffisam-
ment connu pour ne plus insisted sur ce fait. En consequence, le parti
communist polonais a t forc d'en tenir compete en Pologne
beaucoup plus que dans tous les autres Etats satellites. Par example
la soi-disant conscration de la jeunesse une parodie infme
et paenne de la Confirmation n'a pas t pousse en Pologne
comme en Allemagne de l'Est.
b) Les antcdents immdiats:
Depuis le premier mai, et dj depuis la fin du XXme Congrs
du Parti Communiste de l'Union Sovitique, le gouvernement polo-
nais avait fait des concessions plus importantes au people que
ce ne fut le cas dans les autres Etats satellites. Les glises sont restes
ouvertes aux fidles. Il tait permis de. voyager l'tranger et d'entrer
en Pologne. Le contrle de passeports spciaux pour les voyages
l'intrieur du pays, tabli auparavant aux limits des provinces et
des villes, qui rendait tout voyage l'intrieur du pays impossible,
a t supprim le 2 mai 1956.
A plusieurs reprises, le gouvernement a avou des fautes politi-
ques graves. En un mot, le gouvernement tait devenu mou .
Ces faits concordent dans leurs grandes lignes avec la situation
en Allemagne avant l'insurrection du 17 juin 1953.
Par l'ensemble de ces faits a t cre une situation qui a remar-
quablement renforc l'audace des.forces de l'opposition. L'on chercha
une occasion de manifester en presence d'trangers, afin d'attirer leur
attention et, par l, l'attention du monde sur la situation lamentable
du people polonais sous la botte sovitique. Cette condition tait
remplie pendant la presence de Monsieur Hammerskjbld Varsovie
et en presence de plusieurs centaines de reprsentants et de visiteurs .
l'occasion de la foire commercial de Posen. A l'origine, la mani-
festation ne devait tre autre chose que l'expression claire et nette
sous les yeux des trangers de la volont de resistance contre les
forces sovitiques.
La situation gnrale au point de vue alimentation depuis la fin
de la guerre en Pologne est devenue encore plus catastrophique que
pendant l'occupation allemande durant la guerre. Au course des der-
niers mois, les tickets n'taient plus honors; les prix montaient en
flche et il rgnait dans les couches populaires une vraie famine. La
situation alimentaire s'aggravait encore sensiblement du fait que le
gouvernement tait forc d'conomiser des vivres pour la foire et
surtout pour les visiteurs trangers; et cela depuis des mois. Quoique
la population tait au courant de cette politique alimentaire , il
n'y avait aucune haine contre les trangers, auxquels on montrait
des talages pleins de vivres depuis huit jours avant l'ouverture de
la foire.
FL. PETERS
2. L'OCCASION DE L'INSURRECTION
Les Ateliers Cegielski Gorna, l'Est de Posen, sur la rivire
Wartha, ont t, pendant la priode entire les deux guerres, des usines
d'armements. Aprs la deuxime guerre mondiale, ces usines furent
rebaptises et reurent le nom Usines Stalin , mais pour l'expor-
tation, l'ancien nom de Ateliers Cegielski fut conserv. Dans
plusieurs comptes-rendu sur l'insurrection, il a t dit que ces usines
fabriquent des locomotives. Cela n'est pas exact: on y fabrique des
machines-outils. Dj avant la guerre les conditions de travail dans
ces usines n'taient pas particulirement roses; mais pendant les
dernires annes, elles ont t plusieurs reprises l'origine de
grves et de dsordres srieux.
Un certain nombre d'ateliers de construction de Haute Silsie et
les mines avaient pu obtenir des amliorations de salaires. Par
contre, les ateliers Cegielski n'obtenaient pas ces avantages, parce
qu'ils dpendaient d'une autre administration gnrale; ceux-ci vou-
lurent les obtenir par la menace de la grve.
Comme on le savait dj par la press, les ouvriers avaient envoy
une dlgation Varsovie pour prsenter leurs revendications. Cette
dlgation est probablement parties le 15 juin. La date prcise n'a pu
tre tablie. A partir du 15 juin, des rumeurs, sur une grve immi-
nente circulrent dans Posen. Le lundi 25 juin, la grve devait com-
mencer, si les revendications d'augmentation des salaires n'taient
pas satisfaites par l'employeur, c'est--dire l'Etat.
Le lundi 25, le mardi 26 et le mercredi 27 juin passrent sans
incidents. Les travailleurs attendaient le retour de leur dlgation,
qui arrivait Posen le mercredi, sans avoir pu obtenir autre chose
que des promesses vagues et peu rassurantes. Les faits ne sont pas
encore suffisamment connus. Jusqu'au jeudi 28 juin, les dsordres
se limitrent encore des vnements l'intrieur des ateliers
Cegielski. Le chef du movement de grve don't le nom ne peut
tre mentionn ici fut arrt le mercredi 27 juin.
3. LA PREMIERE JOURNEE
Le jeudi 28 juin, 8 heures prcises, la grve commena dans
toute la ville de Posen. Les tramways furent arrts. Dans les fau-
bourgs de la ville, les trams circulaient gratuitement, dans le but de
favoriser la concentration de grvistes l'intrieur de la ville. Les
restaurants, les cafs et les maisons de commerce furent ferms. Les
travailleurs du chemin de fer rejoignirent leurs camarades de la
mtallurgie en arrtant partout les trains. Les trains s'arrtaient
la limited de la ville; et aucun train ne passait plus travers la ville.
A la tte de la manifestation marchaient les travailleurs des usines
Cegielski, qui faisaient sur les trangers l'impression d'tre des hom-
mes mins par la faim et habills de haillons.
L'INSURRECTION DE POSEN
FL. PEETERS
Les manifestants marchaient travers la ville sans aucun ordre et
portaient des calicots points la main d'une faon trs primitive
et exigeant Zadamy znizkecen i chleb (Nous exigeons une dimi-
nution des prix et du pain). A chaque fois qu'ils voyaient des tran-
gers, les manifestants criaient niech zyje (terme qui signifie peu
prs : hourra). Continuellement les manifestants criaient aux trangers
Racontez l'tranger comment on nous traite et comment a va en
Pologne Ces phrases furent prononces surtout en allemand, mais
aussi en anglais et en franais, selon qu'ils voyaient une plaque
matricule de voiture automobile allemande, franaise ou anglaise.
Pour mieux faire comprendre la suite de la manifestation, nous
avons ajout ici un plan de la parties de la ville o ont eu lieu les
manifestations. Ce plan a t dessin en connaissance de cause par
quelqu'un qui connat bien la ville, mais sans consultation d'un plan
de la ville, de faon qu'il est possible que de petites erreurs s'y soient
glisses.
Les manifestants se grouprent tout d'abord en deux points qui
ont, par la suite, eu une influence decisive sur le droulement des
vnements :
a) la rue Martin avec le chteau prussien et l'universit;
b) l'immeuble de la police d'Etat, dans la rue Fritz Reuter, n" 2,
appele en ce moment Kochanowskiego 2/4, o se trouve le sige
de l'administration provincial et de la police secrte.
Le chteau prussien a t remani plusieurs reprises pendant
la second guerre mondiale et a, en ce moment, le caractre d'un
immeuble reprsentatif luxueux. A l'exception de la couple de la
tour, l'extrieur est rest inchang et est trs connu par de nom-
breuses photographies.
Le sige de la police secrte de Posen est un btiment qui,
l'origine, a t conu pour servir d'hpital, mais fut pendant la guerre
le sige du chef des SS et du commandant de la police de la cir-
conscription de la Warthe. C'est un trs grand immeuble, avec une
faade d'environ quarante mtres. Il se trouve dans une rue latrale
de larger normal. Cette rue latrale a t ferme hermtiquement
depuis la fin de la guerre jusqu'au mois de mai 1955 au moyen d'une
haie de fil de fer barbel. Les maisons civiles dans la rue taient
occupes par les agents de la police secrte, et dans toutes les caves
sous les bureaux et sous le casino taient entreposes des provisions
de munitions trs abondantes. (Ce dtail sur la foi du tmoignage
d'employs polonais et d'habitants de cette rue, qui est ouverte en
ce moment). La rue a t de nouveau ferme et on a dj commenc
l'vacuation des maisons.
A 10 heures 30, lorsque la rue de la Sarre present Dom-
browskiego -, le march Jerzica et la Kaganowskiego taient pleins
de monde, la masse exigeait la liberation du meneur principal de la
grve en presence du fils de celui-ci, un garon de quinze ans. Une
,L'INSURRECTION DE POSEN
femme, agent de la sret de l'Etat, se trouvant une des fentres
du btiment, tua le garon de deux coups de pistolet. Le garon, qui
se trouvait dans la premiere range des manifestants, tait mort sur
le coup. Les manifestants jusqu' ce moment ce n'tait rien d'autre
qu'une manifestation tremprent leur drapeau dans le sang du
garon et, cette nouvelle, une nervosit et une surexcitation gn-
rale s'emparrent de toute la ville. Immdiatement aprs les deux
coups de pistolet, l'ordre ne fut pas encore trouble par une riposte
des travailleurs; ceci est une preuve qu' ce moment-l les travail-
leurs ne disposaient pas encore d'armes feu. S'ils avaient eu des
armes, il n'y a pas de doute qu'ils auraient abattu la femme la
fentre. A la nouvelle de l'assassinat du jeune garon, la foule
assaille et prend d'assaut la prison de la Mtihlenstrasse, et les interns
pour la plupart des vrais criminals furent librs. Tous les dossiers
furent jets par les fentres du palais de justice adjacent. Une mon-
tagne de paper fut arrose d'essence et brle sur la rue. Plusieurs
tas de paper brlaient encore le soir. En mmre temps, le poste
metteur servant brouiller les missions des postes occidentaux
et qui se trouvait sur le toit d'une maison du March Jerzica, fut
pris d'assaut et dtruit.
Aprs qu' la suite de l'incident devant le btiment de la police
secrte la manifestation se fut change en vraie insurrection, se
formrent dans la masse des remparts de corps humans pour pro-
tger. la foule contre les reprsailles. Des groups d'hommes, bras
dessus, bras dessous, marchaient en rangs serrs devant les masses
de manifestants pour les protger contre le feu ventuel de la police.
Ces hommes taient presqu'exclusivement des tudiants de l'universit
de Posen et des coles professionnelles. A partir de ce moment, les
tudiants avaient la direction de l'insurrection.
A 11 heures 30, des troupes russes occupaient le poste metteur
de Posen. La garnison polonaise se trouvait dj depuis plusieurs
jours pour des manuvres dans la region de Wollstein-Neutomischeb,
l'ouest de la ville de Posen. Il est possible, mais il n'est pas prouv,
que la manifestation ait t diffre du lundi au jeudi, pour pouvoir
manifester en l'absence des troupes polonaises. La garnison russe
la plus proche se trouve Gnesen, au nord-est de Posen.
Il est spcialement remarquable que la milice polonaise, c'est--dire
la police, s'est trouve ds le commencement aux cts des mani-
festants et que, lorsque la manifestation se mua en insurrection,
la police n'a prsent ni hostility ni opposition. La police a remis
aux tudiants des armes feu et, en parties, a pris une part active en
luttant aux cts des insurgs.
Pendant toute la journe et pendant les jours suivants, mais alors
avec moins de chances de russite, les insurgs ont sans interruption
tent de prendre d'assaut le sige central de la police d'Etat dans
la Fritz Reuterstrasse.
Vers 13 heures et au course d'un assault contre ce btiment, la fille
de l'ancien propritaire de la fabrique de chocolate Goplana fut
FL. PEETERS
tue d'un coup de feu, ensemble avec une femme qui se trouvait
prs d'elle. La mre de cette jeune fille, qui tait rentre en Pologne
en venant de Paris avec un group de rapatris, avait t mise en
prison par la police d'Etat, parce qu'elle avait demand que la
fabrique de chocolate soit de nouveau nomme Goplana .
La foule a pu tirer de la fentre l'agent qui avait tir sur les
femmes. Celui-ci russit se librer et put courir encore une cen-
taine de mtres. Alors il fut repris et littralement dchir et dpec
par la foule. Des trangers, qui se trouvaient l'endroit, n'ont plus
pu voir que des parties du corps dpec, tels que les mains, la tte
et les pieds. De minute en minute la violence et la rage montaient
de plus en plus.
Un nouveau centre de combat se format ensuite autour de la
maison des tudiants dans la Stalinogrodska et autour de l'universit
ct du chteau.
Les insurgs recevaient des armes prises dans les provisions de
la prison et dans les dpts de la milice, et il est possible qu'ils aient
reu galement des armes prises sur les provisions du movement
clandestine polonais, quoique le movement clandestine soit faible
Posen mme.
Entretemps, la police d'Etat avait pu jeter dans la lutte deux
chars d'assaut, qui prenaient position devant le sige de la police
et devant le chteau.
Quoique le centre de l'insurrection se trouvt dans la parties ouest
de la ville, les autres quarters de la ville furent galement en
bullition et on lutta aussi dans les faubourgs.
4. LA DEUXIEME ET TROISIEME JOURNEE
Pendant la nuit, la lutte dans les rues et dans les maisons tait
devenue moins violentt, mais des units de l'arme de la garnison
de Posen et probablement aussi de Gnesen et d'autres villes de
garnison, furent diriges sur Posen. Le matin du vendredi, il se
trouvait tout autour de Posen un cercle de chars d'assaut, qui avaient
comme tche primordiale d'empcher l'arrive de renforts pour les
insurgs. Alors que le vendredi matin les combats continuaient
encore dans les centres susmentionns, ils se dplaaient lentement,
au courant de l'aprs-midi, vers la priphrie de la ville, surtout en
direction de Kundorf, o les insurgs furent coincs entire les troupes
du gouvernement et le cercle de chars d'assaut autour de la ville.
Les tudiants, les troupes gouvernementales qui avaient choisi de
lutter avec ls insurgs, ont lutt jusqu' la dernire cartouche
ensemble avec la police.
Les rues Stalinogrodska, Martinstrasse, Schlosstrasse, Saarland-
strasse, Rooseveltstrasse et Tiergartentrasse prsentent l'image d'une
ville encore plus radicalement dtruite que Berlin en 1945. Les pavs
ont t arrachs par les chars d'assaut. Les insurgs avaient construit
L'INSURRECTION DE POSEN
des barricades derrire des tramways renverss et le btiment de la
police secrte n'avait plus une seule fentre. La faade du btiment
tait dchiquete par des coups de fusil et des obus d'artillerie.
5. LES VICTIMS
Tous les tmoins oculaires sont d'accord pour affirmer qu'on s'est
battu avec un achernement extreme et que les chiffres des pertes
de vies humaines, publies par le gouvernement sont falsifis. Un
mdecin polonais Posen tmoigne qu'il y a eu environ 480 morts
et plus de 1.000 blesss graves. Les pertes du ct du gouvernement
sont probablement moins importantes, parce que ces troupes taient
mieux armes, mais il estime le nombre des morts une centaine
environ.
6. Y A-T-IL EU UNE DIRECTION ?
Tous les Polonais avec lesquels les tmoins ont pu s'entretenir
ont affirm que l'insurrection n'avait pas de chefs; qu'il y a eu
uniquement un comit de grve qui avait pris la conduite de la
manifestation des travailleurs de l'usine Cegielski. L'insurrection
elle-mme se trouvait presqu'exclusivement sous la conduite d'tu-
diants qui, cause de cela, furent recherchs systmatiquement par
la police d'Etat aprs l'chec de l'insurrection. II est certain que les
Polonais ont voulu profiter de l'occasion de la presence de nombreux
trangers Posen pour montrer par une manifestation quelle est la
situation en Pologne et, sous ce rapport l, on peut parler d'intention
ou prmditation.
Sur la foi de tmoignages concordants, il est remarquer que
la sympathie pour les insurgs tait gnrale jusque dans les
rangs des fonctionnaires du parti communist, et que le motif rel
et immdiat des troubles a t la situation catastrophique au point
de vue alimentation, et non des divergences idologiques ou des faits
de politique gnrale.
Contre l'hypothse d'une insurrection planifie et prpare, il est
remarquer :
a) que l'cho qu'a provoqu l'insurrection en Occident a t trs
faible, encore plus faible, si possible, que l'cho qu'a eu l'insur-
rection du 17 juin 1953 en zone sovitique allemande;
b) l'impossibilit de mener bonne fin une insurrection en Pologne
aussi longtemps qu'il y a entire la Pologne et l'Ouest une zone
sovitique allemande qui joue le rle d'isolateur;
c) qu'aucun tranger n'a eu la moindre part dans l'insurrection. Ce
fait a t reconnu par le gouvernement polonais, qui a laiss sortir
de Pologne tous les trangers, visiteurs de la foire;
d) l'hypothse d'une direction tlguide de l'tranger est rejeter
pour la raison trs admissible, que le rsultat de l'insurrection
de juin 1953 en zone sovitique allemande a men par contre-coup
FL. PEETERS
une situation de dcouragement et d'apathie gnrale. L'impos-
sibilit dans laquelle se trouvent en ce moment les chefs respon-
sables de la guerre froide de venir en aide un movement
insurrectionnel derrire le rideau de fer aurait t une second
preuve de l'impuissance de l'Ouest. L'Ouest n'a aucun intrt
livrer cette preuve aux Polonais;
e) une insurrection en Pologne ne pouvait avoir comme consequence
qu'un arrt dans un processus de relchement de l'emprise des
forces publiques sur la population. Ce relchement avait com-
menc dj;
f) que la ligne Cyrankiewicx-Ochab (l'actuel gouvernement polo-
nais), qui tait bien moins radical que la ligne de Ulbricht-
Grotewohl en zone sovitique allemande se trouve, de par le fait
de l'insurrection, affaiblie. La politique Ulbricht-Grotewohl se
trouve confirme par l'insurrection de Posen;
g) que la reunification de la Rpublique Fdrale avec la zone sovi-
tique, qui est la condition primordiale pour la liberation de la
Pologne, se trouve, de par l'insurrection de Posen, retarde de
nombreuses annes. Il est devenu clair, que la reunification de
la Rpublique Fdrale et de la zone sovitique entrane avec elle
invitablement la liberation de la Pologne. Une Pologne voisine
d'une Allemagne libre ne restera pas sovitique.
7. QUELS ETAIENT LES MOTIFS ET LES BUTS
DES INSURGES?
Cette question est aussi important que complique et il n'est pas
possible de rpondre d'une faon absolument certain et uniform.
Il est certain que l'indpendance de la Pologne y a jou un rle
important. A plusieurs reprises, les manifestants ont chant l'hymne
bien connue La Pologne n'est pas encore perdue .
Il est certain galement que la haine sculaire contre le Russe
a t un motif important, surtout partir de l'aprs-midi du 28.
Non moins certain est la volont de se librer de la legislation
conomique et de la rglementation des entreprises impose par les
Soviets. Il est remarquable que les travailleurs aient fait des repr-
sailles si sanglantes pour venger la mort d'une femme qu'ils connais-
saient comme femme de capitalist.
Certainement, l'inscurit gnrale au point de vue des droits
humans et la continuation des arrestations arbitraires par la police
secrte ont t un facteur important de provocation. Il est noter
que ces arrestations continuaient, malgr les ordres du gouverne-
ment, ce qui semble prouver que la police secrte s'est approprie
une certain indpendance d'action l'gard du gouvernement com-
muniste polonais. Cette indpendance d'action n'est pensable que sur
la base d'une entente avec les autorits d'occupation sovitiques.
Il est certain que, mme dans les milieux communists polonais, la
L'INSURRECTION DE POSEN
haine antirusse joue un rle important. Enfin, il est certain que le
sentiment d'tre exploit et vid conomiquement par les mthodes
coloniales russes, est infiniment plus fort en Pologne qu'en zone
sovitique allemande. (2)
8. UNE COMPARISON AVEC LE 17 JUIN 1953
EN ZONE SOVIETIQUE ALLEMANDE
a) Le point de dpart des deux insurrections est tonnamment sem-
blable dans les deux cas. Les concessions du gouvernement devant
le mcontentement de la population renforcent le sentiment que le
gouvernement est faible et rendent les masses conscientes de leur
force rvolutionnaire. (3)
b) La part qu'ont prise les tudiants l'insurrection est Posen
beaucoup plus important qu'en Allemagne le 17 juin 1953.
c) La police tait clairement du ct des insurgs.
d) Les troupes qui luttaient contre les insurgs n'taient pas russes,
mais polonaises. Il s'agissait donc d'une vraie guerre civil et cela
explique qu' Posen une parties plus considerable des troupes
est passe du ct des rvolutionnaires que le 17 juin en
Allemagne.
e) Les forces motrices psychologiques ont t les mmes dans les
deux cas et il est prvoir que les consequences psychopolitiques
seront les mmes.
f) Ni en Allemagne ni Posen, les membres du parti communist
n'ont jou un rle suffisamment important pour qu'il faille le
mentionner.
g) La plus grande violence et le caractre plus passionnel de la lutte
Posen est certainement une consequence du caractre national
polonais.
9. LES CONSEQUENCES DE L'INSURRECTION
Le samedi 30 juin et le dimanche 1er juillet commena le contrle
systmatique de toutes les maisons pour retrouver les insurgs.
A cette action policire participaient plus de 2.000 agents; un nombre
qui permet d'affirmer que le gouvernement a retir de toutes les
provinces ses agents de la police d'Etat, aprs qu'il tait devenu
clair qu'ailleurs dans le pays il n'y avait rien craindre. Les insurgs
ont enterr en parties leurs armes dans les parcs de la ville et dans
les jardins; la majority les a jetes. Cela se passait surtout dans
(2) Le lecteur aura constat la similitude frappante qu'il y a entire les
mthodes nazies chez nous pendant la guerre et les mthodes sovitiques en
Pologne dans le domaine de l'exploitation conomique et le domaine de la
terreur policire. (F. P.)
(3) Ce fait est considr par Lnine comme une des conditions primordiales
d'une revolution proltarienne. (F. P.)
FL. PETERS
la parties de la ville entire la ceinture de chars d'assaut et la limited
de la ville. Les arrestations en masse et les contrles ainsi que les
interrogatoires continurent longtemps. La frontire occidentale de
la Pologne fut fermement garde, pour empcher la fuite d'insurgs
vers la zone sovitique allemande et vers Berlin.
Le gouvernement polonais se trouve maintenant devant la tche
delicate de prouver que l'insurrection a t tlguide par les
imprialistes du capitalism occidental, sans enrayer pour cela
ses importations et exportations avec ces pays imprialistes et
capitalistes .
Il est absolument certain d'avance que les procs qu'on monte en
ce moment ne trouveront aucune foi parmi les Polonais. (4)
10. LES VISITEURS DE LA FOIRE COMMERCIAL
Le 28 juin, 9 heures, les halles d'exposition des pays trangers
furent fermes aux visiteurs polonais. Les halles polonaises restaient
ouvertes mais vides de visiteurs. Les Franais et les Belges, ainsi que
les Anglais et les Amricains se sont enfuis de Posen ds le 28 juin.
Les exposants allemands, qui avaient des halles avec des products
particulirement prcieux, sont rests. Ils ne pouvaient plus atteindre
les htels. Ils gagnaient, en contournant la foire commercial et les
parties de la ville o l'on se battait, des quarters encore tranquilles.
Les haut-parleurs passaient le communique, qu'ils taient placs sous
la protection de l'ambassade d'Angleterre (il n'y a pas d'ambassade
allemande en Pologne). Un vice-consul anglais, present Posen, ras-
semblait les Allemands le soir du 28 juin dans l'htel Bazaram au
Wilhelmplatz, et dclarait que l'Angleterre ne pouvait plus prendre
la responsabilit pour leur protection et scurit. Il donna vivement
le conseil de partir aussi vite que possible. Il affirma qu' son avis
les rouges reconquerraient la ville en partant des faubourgs.
Le lendemain, les instructions du consul taient changes et il
dclarait en un allemand correct que la seule chose qu'il fallait faire,
c'tait de se tenir tranquille et "que les combats de rue taient dj
termins dans cette parties de la ville. Prcisment ce moment,
les auditeurs pouvaient entendre des coups de feu dans le voisinage
immdiat de la foire et le vice-consul ajouta que tout commentaire
tait superflu .
Les exposants allemands ont pris beaucoup de fotos et ont mme
pris des films, mme en des points o les combats taient en plein
course. Il n'est pas impossible que ces films soient mis la disposition
d'organismes s'occupant de la lutte anticommuniste.
(4) Il est probable que chez nous et en gnral en Europe la thse du
gouvernement polonais trouvera plus de crance qu'en Pologne mme.
Un prcurseur social
au XIXme sicle
par l'abb R. RICHE
Edouard Ducptiaux a sa place indique dans la phalange des
rformateurs sociaux.
Inspecteur des prisons en Belgique, il a poursuivi la rforme de
notre rgime pnitentiaire qui est devenu aux yeux du monde entier,
le type accompli du rgime cellulaire.
Prcurseur social, il a exerc une grande influence sur son
temps il fut le grand organisateur et l'animateur des clbres
assembles gnrales des catholiques Malines en 1864, 1865,
1868, qui voyaient se runir des catholiques de nombreux pays.
A ce double point de vue, Ducptiaux mrite d'tre connu non
seulement dans son pays, mais en dehors. (1)
Chapitre I. L'HOMME
Portrait moral et physique
D'un mot nous pourrons caractriser au moral, l'homme Edouard
Ducptiaux don't nous voulons dire la pense et l'oeuvre.
Il nous suffit de lire les tmoignages de ses contemporains au
lendemain de sa mort.
Le Journal de Bruxelles crivait :
Nous apprenons l'instant une nouvelle qui affligera profondment les
coeurs catholiques : c'est la mort de M. Edouard Ducptiaux, l'infatigable
secrtaire gnral des Congrs Catholiques de Malines, le patriote courageux et
dsintress, le chrtien plein d'ardeur et plein de foi, l'homme qui a consacr
toute sa vie et toute son intelligence au service de son pays et de ses frres
malheureux.
Cette mort est une perte immense pour la Belgique et pour toutes les ouvres
de bienfaisance auxquelles M. Ducptiaux a glorieusement attach son nom.
(1) Ducptiaux a fait l'objet de plusieurs notices biographiques parues
pendant sa vie et aprs sa mort.
Signalons seulement :
M. DA PASSANO: Edouardo Ducptiaux. Genova.
Armand NEUT: M. Edouard Ducptiaux. Revue Gnrale , 1869.
Vicomte de MELUN: M. Ducptiaux. Le Contemporain (Paris) et La
Revue Gnrale (Bruxelles), 1869.
Enfin, en 1922 et 1934, M. Edmond RUBBENS a consacr E. Ducptiaux un
important ouvrage en deux volumes, que nous avons largement utilis dans
notre expos.
R. RICHE
...'I1 est mort avec le calme et la srnit du vrai chrtien et dans les
sentiments de la plus touchante pit... Il s'est prpar la mort avec une
resignation don't sont seuls capable les esprits que soutiennent la foi et la
certitude du devoir accompli. Cette mort est un vide immense pour l'opinion
catholique...
M. Ducptiaux tait d'une activity dvorante. Sa vie n'a t qu'une suite
ininterrompue de travaux utiles la socit... Par ses crits, par son activity
et par son infatigable persvrance, M. Ducptiaux s'tait acquis un rang distin-
gu parmi les hommes qui ont le plus contribu amliorer les conditions morales
et matrielles des classes -laborieuses et des dshrits de la fortune. Il laisse
un nom honor et respect, et le souvenir des services qu'il a rendu son pays
et la socit est imprissable. Intelligence d'lite, ceur ardent et plein de
gnreux lans, me leve et claire du flambeau de la foi, M. Ducptiaux
possdait toutes les qualits qui font l'homme de bien et le citoyen utile. Sa vie
avait t un modle de dvouement et de travail et sa mort a t un example
de supreme pit. M. Ducptiaux s'est endormi dans le Seigneur avec une douce
srnit d'me, aprs avoir retremp sa noble nergie dans les douces et salu-
taires consolations de la religion (23 juillet 1868).
Et Le Bien Public , aprs avoir longuement retrac sa carrire,
concluait: La nouvelle de sa mort aura un triste retentissement
non seulement dans notre pays, mais dans tout le monde catholique,
o il avait tant et de si prcieuses relations. Il laisse parmi ses amis
et collaborateurs un vide, qui ne sera point combl, mais le souvenir
de ses mrites et la grandeur de sa tche qu'il a glorieusement
remplie, resteront debout avec sa mmoire qui est en bndiction.
In memorial aeterna erit justus. (24 juillet 1868).
Voil l'homme au moral.
Et au physique, comment tait-il ?
Son ami Prosper de Haulleville en a trac un portrait vivant.
Ecoutons-le :
C'tait un homme court, gros, sinon obse. Il portait invariable-
ment une redingote noire, croise sur la poitrine. Ses cheveux longs
et gris, spars avec une certain coquetterie sur la parties gauche
de la tte par un irrprochable chemin de Coblence , rappelaient
les commencements de l'Ecole romantique de ce sicle. Le front
n'tait pas large, mais la chevelure, sans tre paisse, tait bien
plante, sans calvitie. Tous les membres de ce petit homme taient
replets et arrondis. Toujours rase bleu, la figure tait avenante et
bienveillante. Derrire de grosses lunettes encadres d'caille, des
yeux vifs et remuants sduisaient l'interlocuteur ou le mettaient
l'aise. La parole, moins facile que la pense, sortait avec un certain
effort de gosier, lgrement obstru par la graisse et par une affection
cardiaque. Cet homme bienveillant et doux s'animait quand on le
contredisait et alors -les phrases grimpaient les unes sur les autres,
sans atteindre leur achvement, les lunettes subissaient une lgre
trpidation, sa parole sifflait et la figure paraissait effare : on riait
volontiers de ces fcheries inoffensives. Sa corpulence le rendait
UN PRCURSEUR SOCIAL AU XIXme SICLE
sdentaire : il se promenait peu. De bonnes mours, sobre, rang dans
ses ides, son travail et ses papers, il tait toujours occup. Il avait
peu de littrature, de philosophie et de thologie, pas d'esthtique,
la posie lui tait inconnue sinon antipathique, il passait cependant
une parties de ses nuits sans sommeil lire, dans son lit, des romans
anglais dans l'dition Tauchnitz. Admirablement laborieux et chari-
table, il ne disait jamais du mal de personnel. Chose tonnante chez
un pareil homme, vertueux en some, il avait une forte teinte de
vanit, presque de l'orgueil, pas dangereux cependant.
Premires annes
Edouard Ducptiaux est n Bruxelles, l'an douze de la Rpu-
blique Franaise, le 10 Messidor, soit le 29 juin 1804, de Jacques-
Joseph, son pre et de Marie-Caroline de Nayer, sa mre.
Il fit ses tudes secondaires d'abord en Belgique, puis Paris
dans la maison d'ducation de la rue des Champs que dirigeait l'abb
Lioutard.
Il rvle dj ce qu'il sera: un homme plein de sollicitude et de
charit pour les pauvres.
Ils sont dignes de remarque, les nobles sentiments qu'il exprime
dans une lettre ses parents :
Vous me dites que la misre est extreme Bruxelles; il en est
de mme partout ailleurs. L'hiver qui s'annonce comme devant tre
rigoureux cette anne. Mon Dieu, que je plains le sort des malheu-
reux livrs toutes les horreurs d'une mort presque assure, si nous,
cruels, inhumains que nous sommes, nous voyons nos semblables,
nos frres, rduits l'extrmit sans que nous leur portions aucun
secours. Notre me est-elle assez dpourvue de tout sentiment de
compassion pour que nous fermions notre coeur la piti et notre
bourse la charit ? Non; c'est pousser le comble de l'inhumanit
que de ne point les secourir de tout notre pouvoir et de ne point
les soulager dans leurs peines. Mettons-nous bien dans l'esprit que,
lorsque nous ngligeons les pauvres et les abandonnons leur mal-
heureux sort, nous ngligeons Jsus-Christ.
Cette charit prenait sa source dans une religion sincrement
vcue comme nous l'apprend un autre passage de ses lettres :
Nous sommes malheureusement dans un temps o l'on ne peut
tre pieux et vertueux impunment. Vous voit-on frquenter les
glises, approcher des Sacrements, faire quelqu'acte charitable, vous
tes mpris, on vous regarded comme un bigot, comme une personnel
ides troites. Vous piquez-vous d'honneur, de bonne foi, de probit,
en un mot, tes-vous vertueux, on attribue cela l'ambition, au dsir
d'tre distingu des autres hommes, un orgueil don't ojn ne doit pas
se piquer dans un sicle de lumires moins d'exciter les rires et les
R. RICHE
moqueries des grands esprits. Ne nous trompons pas, l'irrligion est
la source d'o dcoulent tous les malheurs auxquels nous sommes en
proie et qui nous accableront bientt- si nous ne sortons de notre
aveuglement: tristes fruits des doctrines perverses et subversives
de nos philosophes modernes qui, sous le nom pompeux de rgn-
rateurs du genre human, n'ont fait que le longer dans un abme
d'erreurs et de dsordres o il prirait sans resource, si la Divine
Providence n'tendait sur lui la main secourable en suscitant encore
quelques hommes pieux, justes et clairs, propres le ramener dans
le chemin de la Vertu. Il nous faut des flambeaux qui nous clairent
et non des feux qui nous dvorent.
Au course de sa vie, Ducptiaux abandonna malheureusement ses
pratiques religieuses.
Mais il devait revenir, comme nous le dirons, sa religion sin-
crement et profondment vcue.
C'est Lige, puis Gand, qu'il fit ses tudes de droit. En 1827,
il est reu, Gand, docteur en Droit remain et moderne.
Il prsenta pour sa thse de doctorate un sujet auquel il
tenait: Dissertatio inauguralis juridica de poena poenae capital
substituenda .
Ce n'tait que la traduction latine du chapitre VIII d'un ouvrage
qu'il venait de faire paratre et intitul: De la peine de mort .
Nous aurons plus loin l'occasion d'analyser l'ouvrage qui, remar-
quons-le dj, n'tait pas le fruit d'une speculation abstraite.
Dans une nouvelle brochure parue peu aprs: De la justice de
repression et particulirement de l'inutilit et des effects pernicieux
de la peine de mort , il dira, avec combien de sincrit, la source
concrete d'o lui sont venues ses convictions.
Moi, j'ai franchi le cercle troit des affaires et des plaisirs dans
lequel d'autres sont contenus; j'ai interrog les sanctions l'aide
desquelles on prtend encore maintenir notre scurit; j'ai vaincu
ma rpugnance, et j'ai visit les cachots o gmissaient les condamns
la peine capital; j'ai t tmoin des horreurs de leur agonie et
de la froide indifference de leurs bourreaux; je me suis ml la
foule presse et palpitante qui entourait l'instrument homicide, et
l j'ai vu verser le sang human sous prtexte de prvenir l'effusion
du sang human; j'ai vu la nature outrage, la justice foule aux
pieds par ceux mmes appels maintenir son empire; j'ai vu
le ministry de Dieu infaillible pardonner, et l'homme faillible exercer
une atroce vengeance: pouvais-je aprs cela rester tranquille et me
taire ? Devrais-je respecter l'abus quelque criant qu'il me part
et l'autoriser en quelque sorte par mon silence ? Puis-je ne pas
insisted, ne pas protester contre son maintien ? Si tant de citoyens
restent indiffrents et muets, ne dois-je pas lever la voix pour
eux ? (p. XI).
LIN PRCURSEUR SOCIAL AU XIXme SICLE
La carrire politique
1815-1830. Par la volont des puissances runies Vienne, les pro-
vinces belges sont runies aux provinces des Pays-Bas pour constituer
le Royaume des Pays-Bas .
La Belgique support mal la violation de nombreuses liberts;
Ducptiaux protest dans le journal: Le Courrier des Pays-Bas .
Il est arrt, condamn, emprisonn. C'est ainsi que Ducptiaux
fit un an de prison...
Nouvelle. experience sur laquelle il s'appuyera pour plus tard,
inspecteur gnral des prisons, condamner les prisons o les dtenus
vivent en commun et demander l'installation des prisons cellulaires.
Ce n'est pas, Messieurs, dira-t-il au Congrs de Malines en 1864,
une simple thorie que je vous expose. Je vous dis ce que j'ai vu
et ce que j'ai pratiqu. Avant d'inspecter les prisons, j'ai moi-mme
t dtenu et, diffrentes reprises, jamais je vous prie de le croire,
pour assassinate ou pour quelque autre crime vulgaire... et j'ai
prouv sur moi-mme les effects du systme alors en vigueur (prisons
communes). Eh bien, Messieurs, c'est le spectacle des vices abomi-
nables de ce systme, c'est le dsir ardent et la ferme volont d'y
porter remde dans la measure de mes forces, qui m'ont dtermin
embrasser la carrire que j'ai parcourue pendant trente-deux annes
et que je n'ai abandonne que lorsque l'excs de travail et de fatigue,
aprs avoir dlabr ma sant, menaait mon existence. (Assemble
gnrale des catholiques en Belgique Malines, 1864, tome II,
pp. 133-134).
Vint la rvolte de 1830.
Le dsir de prvenir toute effusion de sang lui inspire le project
d'aller trouver le prince Frdric intentionn d'entrer Bruxelles,
la tte de ses troupes.
Le rsultat le plus clair est qu'il fut arrt.
Deux jours aprs, on lui notifia qu'il tait condamn tre pass
par les armes.
Heureusement, aprs dix-huit jours de souffrances indicibles
endures dans les casemates de la prison des Carmes, il fut libr.
La Revolution triomphait.
Le Gouvernement Provisoire organisa des lections pour le
Congrs National: assemble constituante.
Ducptiaux posa sa candidature. Il ne fut pas lu.
Mais le 29 novembre 1830, le Gouvernement Provisoire mettait
un terme sa carrire politique, en le nommant inspecteur gnral
des prisons et des tablissements de bienfaisance .
R. RICHE
Son influence politique n'avait cependant pas pris fin. Nous ver-
rons bientt comment, membre d'associations librales, il fut amen
plus tard rompre avec le parti liberal et militer dans les rangs
du parti catholique.
L'inspecteur gnral des prisons et des oeuvres de bienfaisance
Inspecteur gnral des prisons, Ducptiaux poursuivit avec un
zle admirable la rforme du rgime pnitentiaire : nous nous ten-
drons longuement sur ses tudes et ses ralisations au chapitre
suivant.
En 1841, il fut appel prendre place au sein de la Commission
central des statistiques que le Gouvernement venait de crer au
Ministre de l'Intrieur.
Il se rvla un des meilleurs statisticiens de l'poque et il utilisa
largement les donnes statistiques qui taient sa porte pour docu-
menter les nombreux rapports qu'il fut appel publier sur les
questions charitable et sociales.
L'Acadmie Royale de Bruxelles s'associa, en 1847, Ducptiaux
en quality de correspondent de la classes des lettres et des sciences
morales et politiques. Il fut lu membre titulaire en 1859.
Depuis 1856, il tait membre correspondent de l'Institut de France.
Le publiciste et le prcurseur social
Edouard Ducptiaux publia une srie impressionnante d'ouvrages
qui visent au relvement matriel et moral des classes les moins
privilgies de la population.
Il prpare chacun de ses grands travaux par un nombre consid-
rable de brochures.
Puis, l'ouvrage paru, il insisted en publiant de nouveaux aperus.
C'est chez lui un systme bien arrt. Pour tre entendu et
compris, disait-il, il faut non seulement crier fort, mais longtemps.
Il faut insisted sans cesse.
Ce qui caractrise Ducptiaux, crit son biographe, Edmond
Rubbens, n'est pas sa quality de savant.
Son immense rudition lui servit davantage pour la pratique
que pour la science pure. Il tait moins un penseur et encore moins
un thoricien qu'un coordonnateur et un vulgarisateur. Son activity
intellectuelle tait seconde et fconde par une grande gnrosit et
un dvouement absolu son noble programme : le relvement mat-
riel et moral des classes laborieuses.
Il eut nanmoins une influence tout aussi grande sur les ides
que sur les institutions de son poque.
UN PRCURSEUR SOCIAL AU XIXme SICLE
Prcurseur social, il avait compris qu'aucune rforme n'tait
ralisable sans changement pralable des ides et des conceptions
rgnantes. Il s'effora donc de convaincre ses contemporains et de
toucher en mme temps leurs cours et leurs esprits. (Tome II,
pp. 119-120).
Ducptiaux avait t pendant une longue parties de sa carrire
d'opinion librale et indifferent en matire religieuse.
Sa sincrit l'amena une double conversion: une conversion
politique et une conversion religieuse.
Sa conversion politique
Bien que fidle l'esprit de 1830 et ardemment unioniste, il fit
parties de diverse associations librales.
Mais bientt il s'alarma devant les tendances extrmistes anti-
unionistes et anticlricales qui se manifestaient au sein du libralisme.
Il eut le courage de ses opinions.
Au moment o, en 1857, les libraux s'en prirent la libert des
foundations charitable, Ducptiaux publia son ouvrage don't nous
aurons l'occasion de parler plus en dtail: La question de la charit
et des associations religieuses en Belgique (1857).
Ce fut la publication de cet ouvrage qui le spara dfinitivement
du parti liberal.
Ce que j'tais en 1830, crivait-il, je le suis encore aujourd'hui:
on me tranait alors devant la cour d'assises pour avoir dfendu le
droit d'asile et protest contre le rgime d'exclusion et d'intolrance
qui pesait sur nos provinces; on me cite aujourd'hui la barre du
parti liberal pour avoir os dfendre la libert de la charit et essay
de ramener dans les voies de la justice et de la tolerance les esprits
gars par de vaines terreurs ou d'aveugles prjugs. Les annes
se sont coules, la gnration ancienne, incessamment dcime, fait
place une gnration nouvelle : au sein de cette transformation qui
s'tend aux hommes et aux choses j'en appelle mes vieux com-
pagnons rests comme moi fidles leurs principles : en est-il un seul
qui affirmera que j'ai trahi la noble cause pour laquelle, jadis, nous
avons combattu et triomph ensemble ?...
Comment se fait-il que moi et tant d'autres vieux libraux de
1830, nous ne soyons plus aujourd'hui que des rtrogrades et des
rengats ?
Il faut bien que je me rsigne le dire, car je crains qu'on
n'hsite l'avouer spontanment: au lieu du libralisme vraiment
large, constitutionnel, national, qui proclame la libert sans reserve,
en tout et pour tous, avec toutes les consequences lgitimes qui en
dcoulent, on a inaugur un libralisme btard qui n'accepte la libert
R. RICHE
que sous bnfice d'inventaire, et qui, sous prtexte de maintenir la
tolerance, la refuse brutalement quiconque ne se courbe pas sous
son joug et n'arbore pas sa bannire. Ce libralisme, don't la formule
vritable chappe l'esprit le plus perspicace, a ses nuances comme
tout ce qui n'est pas clairement et positivement dfini: chez les uns,
c'est une sorte d'gosme commode, de laisser-aller irrflchi, qui les
dispense d'approfondir les questions et de penser par eux-mmes;
pour les autres, c'est un mode d'application de ce vulgaire dicton:
,, Ote-toi de l, que je m'y mette "; pour d'autres encore, c'est un
moyen d'influence, un pidestal o trne leur popularity phmre;
ceux-ci s'y rattachent de bonne foi, comme l'inventeur son oeuvre,
et il serait injuste peut-tre de leur refuser les gards dus la
paternit; ceux-l s'en font un blier pour battre en brche l'difice
catholique en se recouvrant du masque de redresseurs de torts et
d'adversaires des empitements clricaux: ce sont les plus logiques,
mais aussi les plus dangereux et les seuls qui sachent vraiment ce
qu'ils veulent et o ils vont. Les suivra-t-on jusqu'au bout ? Voil
la question.
Allons au fond des choses et parlons sans vains mnagements.
Dans ce pays catholique, on en est venu ce point que quiconque
professe ouvertement sa religion s'expose tre mis au ban du
libralisme, tel qu'on l'a travesti pour satisfaire aux nouvelles ten-
dances de l'poque. Il faut dissimuler sa foi et se faire en quelque
sorte complice de l'aveuglement et de la tyrannie des indiffrents
et des non-croyants, sous peine d'tre honni et bafou comme fauteur
des abus d'un autre ge et partisande la dme et de l'inquisition.
Aprs la publication de son ouvrage, Ducptiaux combattit ner-
giquement le radicalisme liberal et prcha l'union sur le terrain de
la libert et de la tolerance religieuse.
Sa conversion religieuse
Sa conversion politique fut suivie de sa conversion religieuse.
Les motifs de cette conversion, crit Prosper de Haulleville, qui
fut un de ses families, furent d'abord sa bont, sa charit et son
amour pour le travail et pour l'humanit, puis ce fut l'exemple donn
par sa femme, l'ange du foyer.
Il tait mari depuis 1842 Pauline-Marie Delahaye, sur laquelle
de Haulleville nous donne les renseignements suivants:
C'tait une femme trs intelligence, trs habile, instruite, poss-
dant tous les instincts de la distinction.
Aimable, pleine d'attention pour son mari, elle lui fit un intrieur
charmant et le bon Ducptiaux connut enfin les joies du foyer
domestique, dans l'automne de sa vie.
Elle consacra une grande parties de sa vie aux uvres, notamment
aux glises pauvres, au patronage des jeunes ouvrires, l'adoption
UN PRCURSEUR SOCIAL AU XIX`m SICLE
des jeunes orphelins vocation ecclsiastique, aux Dames de la
misricorde.
Elle recevait normment et exploitait ses relations et celles de
son mari en faveur de ses ftes de charit. Au dire de ses amis
et connaissances, elle dployait une activity aussi extraordinaire
que lui.
L'organisateur des Assembles gnrales des catholiques
Malines en 1863, 1864, 1867
L'Allemagne avait organis depuis 1848 ses grands congrs
catholiques.
En 1862, E. Ducptiaux et J. Moeller, professeur l'Universit
de Louvain, assistant, Aix-la-Chapelle, la XIVme assemble gn-
rale des Associations Catholiques d'Allemagne. Ils se concertent pour
organiser de pareilles assembles en Belgique.
Cependant, ils veulent donner ces assembles un caractre
international.
Ils russissent: la premiere assemble de 1863, il y eut
des vice-prsidents d'honneur trangers appartenant treize pays
diffrents.
Le Comte Charles de Montalembert y pronona les deux discours
historiques sur L'Eglise libre dans l'Etat libre .
Mme succs en 1864. Ce caractre international est mis en
lumire dans l'avant-propos du compete rendu: A la difference des
assembles nationals, qui ont d'ailleurs aussi leur ct avantageux
et que l'on ne peut assez encourager, les Congrs internationaux
revtent le caractre vraiment universal et catholique qui fait tomber
les barrires entire les hommes professant la mme foi et les assimile
tous dans la seule et grande famille.
Ce caractre est aussi celui de l'Eglise dans son organisation
religieuse et ecclsiastique; en le transportant dans la sphre laque,
on dote l'Eglise d'un puissant auxiliaire qui, merchant constamment
d'accord avec elle, participant ses labeurs et partageant ses joies
comme ses peines, allge son fardeau et prpare et assure son
triomphe. (Rapport 1864, tome I, p. XIX).
Je relve les vice-prsidents d'honneur des Etats Pontificaux et
d'Italie: Mgr. Nardi, auditeur de Rote Rome; M. le Chevalier
Eugne Albri Florence; le chanoine Candiani Monza; Csar
Canter Milan; J.-B. Casoni Bologne; le marquis J. Patrigi-Montoro
Rome; le duc Salviati Rome.
Au congrs de 1867, vingt-et-une nations taient reprsentes.
Les congrs furent suivis par une foule considerable de quatre
mille cinq mille personnel.
R. RICHE
Les congressistes se rpartissaient en diverse sections : uvres
religieuses, Economie chrtienne, Education et Instruction chr-
tiennes, Art chrtien, Dfense des Intrts et Libert catholiques,
Presse et Publications, Associations.
Rapports taient faits aux sances gnrales des rsultats des
travaux des sections. Le Congrs mettait alors aux voix les decisions
proposes.
C'est Ducptiaux qui fut l'organisateur de ces clbres Congrs
de Malines de 1863, 1864 et 1867.
M. Prosper de Haulleville, qui fut associ l'ouvre de Ducptiaux,
a racont comment ce dernier s'y prit pour mettre sur pied le
premier congrs.
Ducptiaux communique ses ides quelques amis beaucoup
plus jeunes que lui. Il fut bientt dcid que l'on convoquerait
Malines une immense assemble laque de tous les catholiques belges
dsireux de travailler une organisation de leurs forces civiles
(laques).
Il fallut naturellement placer l'oeuvre sous le patronage des
autorits religieuses.
Pendant prs de deux ans, le Comit central don't je viens de
dire l'origine, travailla activement la preparation de la runion
de 1863. La maison de Ducptiaux fut transforme en bureau central.
Il s'improvisa lui-mme secrtaire gnral. Du matin au soir,
il ne s'occupait que de cette besogne aride, distribuant les besognes
accessoires de jeunes collaborateurs, mais ne faisant jamais rien
de dfinitif sans les consulter. C'tait de sa part une vritable
roublardise , comme on dit aujourd'hui, car il tait toujours sr
de l'approbation, tellement sr que, derrire notre dos, il agissait
mme avant notre approbation formelle.
Son despotisme congressiste tait tempr par tant de bont,
de dsintressement, de savoir-faire et d'esprit de transaction, qu'on
le laissait aller sa guise.
Barthlmy Dumortier seul maugrait parfois.
A nous, il ne laissait aucun repos. Pour mieux nous tenir, il nous
invitait djeuner ou dner, et le soir, Madame Ducptiaux invitait
nos families.
Ducptiaux tait la hauteur de la lourde tche d'organisateur
de pareilles assembles internationales. Par ses voyages, par sa
participation toutes les grandes assises internationales, par la rpu-
tation de ses crits, Ducptiaux est en relation avec tout ce que
l'Europe possde en fait de clbrits.
Il met profit cette vaste et brillante amiti pour attirer
Malines des catholiques minents de tous les pays. (Defourny:
Les Congrs Catholiques en Belgique , Louvain, 1908, pp. 35-36).
Les congrs de 1863, 1864 et 1867 n'eurent pas de lendemain.
UN PRCURSEUR SOCIAL AU XIXme SICLE
La raison en est dans la disparition de Ducptiaux, qui ne trouva
pas de successeur pour- la tche norme qu'il avait assume trois
reprises et que M. Defourny caractrise de la sorte : Avant le
Congrs, Ducptiaux voyage l'tranger pour rencontrer des adh-
rents de marque, il tient jour une correspondence crasante.
Pendant le Congrs, il veille aux plus menus dtails de l'organisa-
tion, il done des renseignements sur les logements et les htels,
il reoit les trangers de distinction, il rgle la march des travaux,
il assisted aux runions gnrales, discute dans plusieurs sections.
Ce petit homme replet, bourru en apparence, est partout et suffit
tout.
Il est le premier Malines et en part le dernier.
Aprs le Congrs, il public des comptes-rendus trs tendus,
don't l'ensemble forme une important collection de cinq fort volumes.
Le travail d'une session peine liquid, la preparation de la session
suivante l'absorba dj. A diverse reprises, il sacrifice l'oeuvre des
sommes importantes prleves sur ses fonds personnel.
Sa sante altre depuis trs longtemps succombe ces fati-
gues... L'institution ne lui survcut pas. Elle s'tait trop incarne
en lui. Une ouvre complex ne peut se perptuer quand elle repose
sur le talent exceptionnel d'un seul homme. Celui-ci l'emporte en
disparaissant. ( Les Congrs Catholiques en Belgique , Louvain,
1908, p. 39).
Ses dernires annes
Aussitt le Congrs de 1867 termin, Ducptiaux fit diligence
pour en publier le compte-rendu.
Bien que ses forces dclinaient, il mena bonne fin, en 1868,
l'dition.
L'hydropisie l'envahissait; il endure avec une admirable patience
ses cruelles souffrances.
Le 9 mai 1868, la sance publique de la classes des Lettres de
l'Acadmie, il monta pour la dernire fois la tribune politique et
y donna lecture de son important mmoire : La question ouvrire .
Ce fut son testament social et conomique.
Soutenu par son pouse, il support avec calme et avec une
grande resignation religieuse ses longues souffrances. Le 21 juillet
1868, il s'teignit paisiblement l'ge de 64 ans.
Selon le vu qu'il avait formellement exprim, quelques amis
seulement accompagnrent sa dpouille au cimetire de Laeken.
(A suivre)
NOS CHRONIQUES
CHRONIQUE DE POLITIQUE INTERIEURE
Redcouverte du Congo
Il aura fallu les vnements d'Afrique du Nord et les incartades
anticlricales de M. Buisseret pour que les problmes du Congo soient
jets en pture la polmique dans la mtropole.
En quelques mois, l'opinion belge a subi une avalanche de dclarations,
mmoires, manifestes. Tout le monde s'est mis de la parties, y compris les
socialists qui ont organis un congrs. Quelle sera la porte de toutes
ces manifestations ? Telle est la question laquelle nous essaierons de
fournir des lments de rponse.
AU PARTI SOCIAL CHRETIEN
Le manifeste du P.S.C. date de la fin fvrier. Il fait suite la runion
du Conseil gnral du Parti qui s'est tenue le samedi 25 fvrier au Palais
d'Egmont. Raymond Scheyven a public dans la Revue Politique de
mars 1956 l'essentiel du rapport qu'il avait prsent cette assemble.
Il est donc vrai que, plusieurs mois avant les socialists, le P.S.C. s'est
saisi des problmes que posait l'volution politique et social du Congo
Belge. Il est vrai aussi que le manifeste du P.S.C., bien qu'incomplet, est
digne de constituer l'bauche du programme d'un grand parti. Mais l
n'est pas toute la question. Il s'agit maintenant de savoir s'il existe au
P.S.C., ou au moins dans le chef de quelques personnalits capable
d'influencer fondamentalement notre politique colonial, une volont
prcise de traduire en actes politiques les belles intentions figurant dans
le manifeste. Or, que constatons-nous ?
M. Scheyven, qui d'ordinaire sait tre courageux et prcis, a d
prendre pour son expos devant le Conseil Gnral du Parti de nombreuses
precautions oratoires. Bien sr, le dput de Bruxelles a dfendu des thses
progressistes, mais en des terms tellement prudents qu'on a l'impression
que l'orateur voulait ne pas effaroucher l'aile conservatrice du parti. Par
ailleurs, au course des dbats coloniaux de fin avril la Chambre, et de
fin juin au Snat, aucun orateur du P.S.C. n'a rellement harponn le
ministry sur des questions autres que celles relatives la querelle scolaire.
Du 25 fvrier au 25 avril pour les dputs, et au 20 juin pour les snateurs,
les mandataires sociaux-chrtiens avaient pourtant tout le loisir de pr-
parer des interventions inspires du manifeste du parti.
AU PARTI SOCIALIST
Les 30 juin et ler juillet, le P.S.B. a tenu un Congrs Extraordinaire
qui s'tait donn pour tche de formuler un programme pour le Congo
et le Ruanda-Urundi . Ces assises ont fait hurler la press conservatrice.
Parmi celle-ci, l' Echo de la Bourse et La Libre Belgique se sont
CHRONIQUE DE POLITIQUE INTRIEURE
particulirement distingus; l'un parle de communism, l'autre de Mau-
Mau la Maison du Peuple .
S'il est vrai que l'intrt des socialists pour le Congo est de toute
fraiche date, il n'en reste pas moins perseverare diabolicum qu'il
est normal, et mme heureux, que le deuxime parti national en impor-
tance se penche sur l'avenir politique de la colonie. D'ailleurs, le Congrs
du P.S.B. fut en moyenne de bonne tenue. Les interventions dmagogiques
et les poncifs doctrinaires furent rares. Plusieurs orateurs avaient une
connaissance personnelle des problmes coloniaux et il serait injuste de
les mpriser.
Louis Major, secrtaire national de la F.G.T.B., occupait la prsidence
du Congrs. A cette place, comme ailleurs, il fit preuve de son insolente
mdiocrit. Sa bruyante et creuse intervention ne fut qu'un chapelet de
reproches l'gard de la C.S.C. congolaise. Il enrage le pauvre que
ses aboiements convulsifs ne parviennent pas susciter une F.G.T.B.
congolaise solide. Pendant que Louis Major s'agite sur les estrades belges,
la C.S.C. Congo travaille et progress.
Mais Louis Major est cependant parvenu tre amusant en dissertant
sur une nouvelle casuistique socialist propos du salaire. Pour le Congo,
on enterre le slogan A travail gal, salaire gal et on le replace par :
A travail de valeur gale, salaire gal . Marx a d se retourner dans
la tombe. Tout ce bla-bla veut dire qu'il faut payer plus les blancs que
les noirs.
Il est bien vident que le fait pour les Europens de quitter, leur
famille et leur pays pour aller travailler sous un climate qui souvent ruine
leur sant et celle de leur femme et de leurs enfants, justifie une indem-
nisation, qu'il convient d'ailleurs de maintenir dans des limits dcentes.
Pour le reste, nous ne voyons vraiment pas pourquoi une function bien
remplie par un noir serait moins bien rmunre que si elle tait assure
par un blanc.
En dehors de Louis Major, il s'est trouv aussi deux ou trois politi-
ciens, don't Buset, pour distribuer quelques coups de griffe aux missions
et aux uvres catholiques, mais on doit l'objectivit de signaler l'un
ou l'autre hommage discret qui a compens ces mesquineries.
Comme on peut le lire par ailleurs, les resolutions votes n'ont rien
du marxisme ni de l'anticolonialisme chevels. Dans ce programme, les
problmes conomiques prennent une large place. Le P.S.B. semble d'ail-
leurs beaucoup plus son aise pour dfinir ses positions en Afrique que
pour les prciser dans la mtropole.
On remarquera les tendances autoritaires et centralisatrices en matire
de sant publique. A cet gard, le rapport introductif s'exprimait comme
suit : Le Conseil Suprieur de la Sant, ainsi nanti de l'autorit nces-
saire, doit effectivement reprendre la direction de toutes les formes
d'activit mdicale, officielles ou prives, bonnes ou mauvaises, existantes
ou exister, la direction de tous les services d'hygine et de toutes les
activits sociales, quelles qu'elles soient (page 49).
Si les resolutions se bornent en matire scolaire prner un dvelop-
pement considerable de l'enseignement official lac , elles ignorent sim-
plement les coles des missions. Dans le rapport introductif (page 52),
celles-ci sont temporairement tolres dans les terms que voici : Compte
tenu de la situation de fait, le P.S.B. est favorable au maintien de
l'enseignement subsidi, pour autant que celui-ci entreprenne les efforts
ncessaires pour amliorer sa quality, accepted de soumettre les manuels
qu'il emploie au contrle de l'Autorit et qu'une inspection officielle soit
renforce et rendue nettement plus efficace.
CHRONIQUE DE POLITIQUE INTRIEURE
UNE ENTENTE NATIONAL EST-ELLE POSSIBLE ?
Il est, notre avis, vain d'esprer raliser une politique colonial
srieuse sans un large accord entire sociaux-chrtiens et socialists. Ce
n'est que dans ces formations qu'on peut trouver les hommes capable
de concevoir et appliquer des rformes la measure des responsabilits
que porte notre pays. Ce n'est qu'avec un appui et un contrle parlemen-
taires de ces deux parties qu'il y a une chance de voir se renouveler notre
politique colonial.
Encore faudrait-il que quelques hommes de ces deux groups prennent
la decision de s'entendre et fassent preuve au Parlement d'une combat-
tivit autre que celle que nous avons pu constater jusqu' present.
Nous avons vu qu'au moment des discussions parlementaires, les
mandataires sociaux-chrtiens avaient dj oubli le tout frais manifeste
du parti. Remarquons d'ailleurs que ni M. Scheyven, ni M. Wigny n'ont
pris part ce dbat.
Quant aux socialists, la direction du parti avait la cynique prudence
de n'ouvrir le Congrs extraordinaire qu'au lendemain de la discussion
des budgets.
M. Buisseret jouit ainsi d'un nouveau sursis pour continue sa politique
conservatrice. Les tnors du P.S.B. se sont d'ailleurs soigneusement gards
de prendre des engagements immdiats. Aucun d'entre eux non plus n'a
eu le courage de dire au congrs qu'il fallait rechercher avec les autres
formations politiques les bases d'un accord national.
A la lecture du manifeste du P.S.C. et du programme du P.S.B., on se
rend compete qu'il n'est pas impossible d'arriver des positions communes
dans plusieurs domaines. Le problme clef de l'mancipation politique
pourrait tre abord avec des chances srieuses d'arriver dfinir des
objectifs, des mthodes et des tapes qui recueilleraient l'appui des deux
parties. Il en va de mme pour une grande parties des problmes conomi-
ques et sociaux.
Restera, bien entendu, comme en Belgique, le redoutable obstacle des
divergences en matire scolaire. A brve chance, on peut craindre le
mme cueil en ce qui concern la politique de sant. Ce qui reste faire
en ces deux domaines est cependant si vaste et si urgent qu'avec un
minimum de bonne volont, on pourrait arriver un compromise hono-
rable qui n'excluerait aucun concours.
UN DANGEREUX PRAGMATISME
Nous avons le choix entire deux attitudes. L'une consiste raliser
lentement, avec une pondration qui confine la lenteur, des rformes
progressives qui associent les indignes aux responsabilits publiques en
commenant par l'chelon local. Mais ces rformes seront mises en ouvre
empiriquement en function des opportunits et des pressions internes et
externes.
Il y a une autre mthode par laquelle le gouvernement belge tracerait
un plan long terme en prcisant les grandes tapes.
Les volus du Congo et tous les pays qui nous observent, pourraient
ainsi apprcier le but et la progression sincres de nos efforts.
Jusqu' present, nos gouvernements et leur reprsentant Lopold-
ville ont choisi la premiere mthode. Nous donnons ainsi l'impression
de vouloir temporiser.
Dans son trs beau discours devant le Conseil de Gouvernement,
M. Ptillon a expos la thorie pragmatiste en des terms qui forcent
CHRONIQUE DE POLITIQUE INTRIEURE
l'admiration et la sympathie. M. Ptillon ne nous a pas convaincu, car
il nous semble avoir sousestim les aspirations des volus et les pressions
que le Congo subira fatalement de la part des pays limitrophes et mme
des pays trs loigns, comme les Etats-Unis ou l'U.R.S.S. Il nous faut
prendre des engagements chance et les remplir scrupuleusement,
sinon nous perdrons la confiance des indignes et nous serons dpasss
par les puissants courants rvolutionnaires qui balayent l'Asie et l'Afrique.
Bien sr, l serait sot de vouloir tracer un programme minutieux
donnant le dtail du timing observer, des institutions dvelopper et des
pouvoir confrer. Mais ne serait-il pas sage d'indiquer au moins les
grandes lignes du statut des relations Belgique-Congo vers lequel tendront
nos efforts et ne serait-il pas plus politique de montrer aux Congolais les
principles tapes que nous les convions franchir ?
M. Van Bilsen a, dans cette revue, prconis une telle attitude,
empreinte la fois de loyaut, clart et ralisme. (1)
Le lecteur ne sera pas peu tonn d'apprendre que l'tude publie
par M. Van Bilsen, a t, selon une declaration de M. Buisseret au Snat
le 20 juin, dnonce par la sret publique et les responsables de l'ordre
en Afrique . Aprs cela, on reste rveur sur les conceptions librales
de la libert d'opinion. Nous parierions gros qu'avant dix ans, les mmes
instances voqueront la moderation de ce texte avec nostalgic.
Sur le plan conomique, nous avons fait preuve de plus de prvoyance
avec la mthode du plan dcennal. Les projects actuellement l'tude pour
le site d'Inga constituent aussi un acte de foi courageux dans l'avenir.
Resterait maintenant examiner srieusement si le dveloppement
industrial interne est conforme aux intrts indignes dans son ampleur,
sa composition et sa localisation. Cet aspect du problme n'a fait l'objet
d'aucun dbat srieux au Parlement, ni en sance publique, ni en
commission.
Quant la question important des rmunrations, si mme elle a t
aborde plusieurs fois au Parlement, nous ne trouvons nulle part d'indi-
cations compltes ni sur la situation, ni sur la politique du gouvernement.
Nous aurions prfr que nos parlementaires harclent le ministry sur
ce chapitre plutt que d'changer avec lui de l'eau bnite de cour sur
les relations humaines.
TU ES MON FRERE
La Belgique a eu la chance d'tre reprsente sur le sol africain par
des gouverneurs gnraux de toute grande classes. Des Rijckmans, des
Ptillon, mme si certain aspects de leur politique nous paraissent
errons, sont des hommes qui ont rendu au Congo et la Belgique
d'immenses services, tant par la quality de leur administration que par
les tmoignages personnel de leur lvation d'esprit.
A l'occasion des manifestations organises dans le cadre du cin-
quantime anniversaire de l'Union Minire, M. Ptillon a prononc un
important discours. Graduellement les temps approchent o, renonant
l'ancienne formule (Tu es mon pre, N.d.l.R.), le noir dira au blanc:
,,Tu es mon frre" . C'est dans ces terms que le Gouverneur Gnral
a sonn le glas du paternalisme.
Les hommes ne sont pas des saints, pas plus nos compatriotes d'Afrique
que nous. Pour les Belges d'Afrique il y a d'ailleurs des difficults que
ceux de la mtropole mconnaissent. Il nous est facile nous qui raison-
nons depuis nos bureaux de Bruxelles, de concevoir des programmes
(1) Voir les Dossiers de l'Action Sociale Catholique , fvrier 1956. Cette
tude existe galement en brochure spare. Prix: 15 francs. C.C.P. 7630.00,
Dossiers de l'Action Sociale Catholique , Bruxelles.
CHRONIQUE DE POLITIQUE INTRIEURE
d'mancipation politique et social. Le blanc d'Afrique, lui, chaque jour
que Dieu fait s'use les nerfs et le coeur sou un soleil impitoyable. Mme
lorsqu'il est plein de bonne volont l'gard des noirs, il essuie parfois
des dceptions amres. Il doit aussi faire face aux critiques d'autres
blancs dj aigris ou qui n'ont jamais eu le coeur fraternel.
Et puis, il y a les habitudes de luxe contractes par beaucoup d'pouses.
Il n'est donc pas facile de crer un climate fraternel dans des cir-
constances o les susceptibilits sont si facilement fleur de peau. Bien
sr la visit du Roi et les bons discours du Gouverneur peuvent faciliter
la creation d'une certain ambiance. Le tmoignage de quelques blancs
dvous et lucides peut aussi amorcer de fcondes amitis.
Mais les vnements vont vite. Les problmes se posent une chelle
qui dpasse les moyens d'action d'une lite qui, par la nature ternelle
de l'homme, restera tragiquement minoritaire.
Il faut des actes de gouvernement qui prcdent et suscitent les volu-
tions ncessaires. C'est l'administration central qui portera fatalement
la plus grosse part de responsabilit. C'est, ds lors, dans la mtropole
qu'il faudra avoir la clairvoyance de prendre les decisions politiques
importantes pour orienter la politique colonial.
Ce n'est donc pas qu'aux blancs et aux noirs d'Afrique qu'il faut faire
comprendre le Tu es mon frre . C'est aussi dans la mtropole qu'il
faut saisir la porte de ce changement.
Ajoutons d'ailleurs que nous ne sommes pas sans inquitude l'gard
du comportement des parties politiques.
Nous n'attendons rien des ractionnaires libraux. Mais, mme le
P.S.C. et le P.S.B. n'ont pas encore prouv jusqu' present qu'ils taient
dcids faire plus que des dclarations prometteuses. Dans ces condi-
tions, le moment ne serait-il pas venu pour les organizations ouvrires
de faire bouger les parties ? La C.S.C. Congo a mis au point un bon
programme de revendications sociales et c'tait l son rle normal. Mais
chacun sent que d'autres problmes se posent qui ne seront rsolus que
si l'opinion mtropolitaine fait pression sur les parties et les gouvernements.
Une fois de plus, les organizations ouvrires pourraient trs opportun-
ment prendre la relve des parties politiques qui, pour l'instant, paraissent
incapables de prendre d'eux-mmes des options fondamentales.
23 aot 1956. J. H.
Dans ce mme numro
prenez connaissance du
DOSSIER DES MANIFESTES,
CONCLUSIONS DE CONGRESS,
DECLARATIONS
DISCOURS
CONCERNANT L'EVOLUTION DU CONGO
BELGE
Voir plus loin pages 627 656
CHRONIQUE ECONOMIQUE
Le Canal et l'Egypte
Il y aurait beaucoup dire et crire au sujet du problme de Suez.
Au point de vue politique et juridique d'abord, quant l'avenir de l'aide
occidentale aux rgions conomiquement sous-dveloppes ensuite, et sans
doute aussi en function des difficults possibles pour nos propres appro-
visionnements. Nous avions rappel dans notre prcdente chronique, et
une toute autre occasion faut-il le souligner, que si, avant la guerre,
le Moyen-Orient fournissait 22 1% de nos besoins, il intervient aujourd'hui
concurrence de 75 % (car les besoins de l'Europe ont plus que tripl et
les U.S.A. consomment l'entiret de leur production). Des problmes
inquitants ne manqueraient donc. pas de se poser trs court terme,
crivions-nous, si pour une raison ou pour une autre, le Moyen-Orient
venait suspendre ou rdure sensiblement le volume de ses expeditions.
Actuellement, pour transporter le ptrole du Moyen-Orient vers
l'Europe et la cte-Est des Etats-Unis, on peut choisir entire des ptroliers
passant par le Canal, des ptroliers empruntant la voie du Cap de Bonne
Esprance, ou des pipe-lines don't la construction tend se dvelopper.
Voici quelques chiffres montrant l'importance contemporaine du Canal:
Production % de
de ptrole Transports production
1955 par le canal transport
par le canal
(millions tonnes mtriques)
Koweit 55,0 42,5 77
Arabie Soudite 47,0 6,7 14
Irak 33,9 3,9 12
Iran 15,8 5,0 32
Katar 5,4 3,9 72
Autres pays 5,0 -
Mais il nous intresse plus particulirement dans cette chronique de
ramener l'attention du lecteur sur l'conomie d'un pays o la Belgique
possde encore un certain prestige avec des intrts important et qui ne
diffre pas sensiblement de l'conomie des autres pays arabes du
Moyen-Orient.
LA CHANCE DES VOISINS
Le dernier rapport des Nations Unies souligne que dans l'ensemble de
cette region, la vie conomique est toujours conditionne par le sort des
cultures esentielles : crales (bl, orge, riz), fruits, graines olagineuses,
coton. Dans le cas de l'Egypte, la rcolte de coton reprsente environ
30 % de la valeur total de la production agricole et 85 % environ de la
valeur total des exportations du pays. C'est bien pourquoi les variations
du produit national brut, de l'emploi industrial et de la balance commer-
ciale sont assez rgulirement lies aux variations de la production
de coton.
Au Moyen-Orient, l'industrie du ptrole est un cas exceptionnel et
n'intresse d'ailleurs pas l'Egypte, tout au moins d'une manire directed.
Cette industries, qui dans l'ensemble du Moyen-Orient n'emploie pas plus
de 150.000 personnel, possde dans la region des installations (y compris
les raffineries et les pipe-lines) d'une valeur de 2,6 milliards de dollars
CHRONIQUE CONOMIQUE
environ et elle procure actuellement aux gouvernements l'quivalent de
quelque 880 millions de dollars par an (sans computer la contribution de
200 millions de dollars environ, qu'elle apporte chaque anne l'conomie
des pays intresss sous la forme des salaires et traitements qu'elle verse
son personnel ainsi que des paiements qu'elle effectue au titre de ses
achats de biens et de services). La contribution directed de l'industrie
ptrolire aux recettes courantes de l'Etat dans les principaux pays pro-
ducteurs de ptrole de la region, est considerable : elle varie de 38,3 %
en Iran et 97 % Koweit.
L'Egypte est effectivement un producteur du prcieux carburant, mais
trop faible pour jouer d'ores et dj un rle srieux et, comme on le
verra au tableau suivant, sa balance ptrolire est toujours dficitaire.
Exportations et importations de ptrole brut par pays du Moyen-Orient
Exportateurs :
1950 1953 1954
Arabie saoudite 20.660 31.259 36.200
Irak 6.177 26.953 29.200
Iran 6.552 50 491
Katar 1.533 3.980 4.697
Zone neutre 823
Total des exportations 50.909 103.983 117.311
Importateurs:
Aden -- 1.473
Bahreip 6.249 8.277 9.049
Egypte 59 486
Isral 224 914 967
Liban 493 544 546
Total des importations 6.966 9.794 12.521
Total net des exportations 43.943 94.189 105.327
Source : United States Department of the Interior, Bureau of Mines,
World Petroleum Statistics (Washington, D.C.).
COOPERATION ARABE
ET INTERVENTION DES PAYS COMMUNISTS
Mais il nous parat trs utile de dgager deux tendances peu prs
gnrales. La premiere, don't la productivity court terme est sujette
caution, apparat dans l'effort des pays arabes pour raliser entire eux
une cooperation conomique plus troite. Les accords entire pays arabes
de septembre 1953, qui prvoient des reductions ou des exemptions de
droits de douane pour les products en provenance des pays participants,
ont t ratifis par tous les signataires (l'Irak, qui a t le dernier le
faire, les a ratifis en janvier 1955) et sont en vigueur depuis la fin
de 1953. De plus, on s'est efforc d'largir la porte de ces accords. Par
example, sa runion de janvier 1956, au Caire, le Conseil conomique
de la Ligue arabe a approuv des additions la liste des marchandises
qui bnficient d'un traitement prfrentiel dans les Etats membres de la
Ligue arabe, et il a t cr un comit charge d'tudier les problmes
relatifs au transit.
La deuxime tendance gnrale a t le dveloppement des changes
avec l'Europe orientale et, dans certain cas, avec la Chine continental,
la faveur d'accords bilatraux ou d'accords de troc. Au course de ces deux
dernires annes, presque tous les pays de la region ont cherch, en
concluant des accords de ce genre, amorcer des relations commercials
CHRONIQUE CONOMIQUE
avec certain de ces pays et augmenter le volume de leurs changes
avec d'autres. Cela s'explique en parties par les difficults que les pays
du Moyen-Orient ont rencontres pour trouver des dbouchs en Europe
occidentale et en Amrique du Nord; leurs prix ne pouvant pas toujours
affronter la concurrence.
Il se peut et ce point de vue est clairement exprim dans le remar-
quable document consacr au commerce international en 1955 par le
Secrtariat Gnral du G.A.T.T. (accord gnral sur les tarifs douaniers
et le commerce) que sous le rapport de la concurrence les pays de
l'Est soient mieux placs que les principaux pays industries de l'Ouest
pour fournir des biens d'quipement en raison de l'intgration technique
plus pousse laquelle ils procdent entire eux, sous la forme d'changes,
de dessins industries, etc..., et en raison de leur spcialisation en matire
d'exportation.
Par example, la Tchcoslovaquie se consacre de plus en plus l'expor-
tation de machines-outils, de vhicules moteur et d'quipement de
centrales lectriques, l'Allemagne orientale se spcialise dans l'exportation
de machines lectriques et d'instruments de precision, la Hongrie dans
celle des chalauds, des locomotives Diesel et de l'appareillage lectrique,
tandis que la Pologne offre de vendre du matriel roulant ferroviaire, de
l'quipement pour les industries extractives et des machines motrices, et
que la Roumanie export du matriel de forage, des tubes et des tuyaux
pour l'industrie ptrolire. Enfin, les exportations de la Pologne et de
l'Allemagne orientale 'comprennent un nombre croissant de bateaux.
Le fait que, dans leurs accords de commerce bilatraux avec les pays
non-industrialiss, les pays de l'Europe orientale se montrent disposs
accepter, en plus des dispositions relatives au credit rciproque, aux
paiements diffrs et l'assistance technique, le rglement de leurs
livraisons par des paiements en nature chelonns sur un certain nombre
d'annes, constitute un autre facteur qui a facility la conclusion de ces
accords. Les pays de l'Europe orientale se sont galement montrs prts
acheter d'importantes quantits de matires premires et de products
alimentaires qui, en certain cas, auraient trouv difficilement preneurs
sur les marchs mondiaux; de mme, ils sont disposs contractor des
engagements termes en ce qui concern la fois les prix et les quantits.
LE PROPRE CAS DE L'EGYPTE
L'Egypte est incontestablement le pays arabe o les pays communists
ont port leur plus grand effort de pntration. Des lments non ngli-
geables ont jou en leur faveur, comme la triple alliance (Egypte-Syrie-
Arabie) favorise par l'U.R.S.S. contre le pacte de Bagdad, l'insuffisance
des revenues en devises et le dsquilibre prononc de la balance commer-
ciale avec le monde libre, le besoin d'aide trangre dans le domaine
du dveloppement conomique du pays et de l'armement.
Le tableau suivant montre bien (en Livres gyptiennes) les modifica-
tions intervenues dans le commerce avec l'Est.
Importations Exportations
Pays 1955 1954 1955 1954
Tchcoslovaquie 3.707 2.734 8.803 6.035
Allemagne Orientale 872 492 1.408 734
Hongrie 708 1.275 4.150 1.820
Pologne 99 471 2.877 2.395
Roumanie 3.861 1.734 4.034 2.668
U.R.S.S. 3.314 2.315 7.018 1.871
Chine Populaire 326 274 8.542 3.965
Yougoslavie 1.063 675 1.630 1.137
Bulgarie 167 87 100 97
CHRONIQUE CONOMIQUE
Mais tout ceci n'a pas amlior substantiellement la situation de
l'Egypte. Sans doute, en 1955, les finances intrieures sont demeures
saines. Les investissements effectus dans l'industrie et dans les mines
ont augment, mais les chiffres obtenus n'offrent rien de sensationnel.
Par contre, les placements trangers privs don't il est inutile de
souligner la ncessit restent faibles et pour cause : sur deux millions
de dollars en 1954, 1,8 million ont t consacrs l'industrie ptrolire.
Le deficit annuel de la balance commercial depuis cinq ans est aux
environs de 44 millions de livres gyptiennes, et le deficit annuel moyen
de la balance des paiements s'tablit 22,5 millions de dollars. L'volution
des avoirs de l'Egypte on devises trangres confirm cette situation et
l'on prendra connaissan e avec intrt du tableau suivant (31 dcembre
de chaque anne et en millions de livres gyptiennes) :
Compte sterling N 1 (libre) 34,7 20,8
Compte sterling N 2 (bloqu) 146,2 124,9
Dollars amricains 13,3 21,3
Autres devi ses 14,8 9,7
209,0 176,7
Or 60,6 60,6
269,6 237,3
L'U.R.S.S. et les satE
ce deficit, leurs prome
ou quelque chose de rel
L'Occident possde, d'api
impressionnante. Mais
srieusement desservi, d
des mthodes commercial
d'affirmer qu'elles ne sc
llites sont-ils mme de remdier durablement
sses, voire mme leurs contracts sont-ils du bluff
? Ne nous htons pas de conclure ngativement.
s toutes les apparences, une advance quantitative
!e facteur n'est pas dcisif, car l'Occident est
ans les relations avec les contres pauvres, par
es et financires inadquates et don't il est permis
nt pas en voie d'amlioration.
Ch. W.
LES GLOSES DU PSYCHOLOGUEj
Le choix d'un tat de vie
Le problme que nous abordons ici, n'est pas un problme facile. Ni
facile poser, ni surtout facile rsoudre. Car il ne se pose pas dans
la nonchalance ou les compressions, car il ne se rsout pas d'emble ou
dans la dmission.
La question que nous posons aux parents est claire : Avez-vous dj
song srieusement, pour vos enfants, au choix d'un tat de vie ? Nous
disons bien : un tat de vie. La porte de notre question dpasse singuli-
rement le simple choix professionnel. Et c'est prcisment parce qu'elle
le dpasse qu'elle est, pour les parents chrtiens, une question de premiere
importance.
Il ne s'agit donc pas, pour eux, sous peine d'abdiquer leurs devoirs
les plus sacrs, de la regarder de ct, en pensant que la rponse
viendra d'elle-mme, ou ne pas la regarder du tout, en se disant que
les ducateurs ou les institutions sociales lui apporteront la solution qui
convient. Dans ce domaine, le hasard fait souvent mal les choses et
personnel ne peut se substituer aux parents. On peut les aider, mais non
les remplacer : leur responsabilit reste entire. Non pas qu'ils doivent
considrer ce problme avec anxit. Seulement avec beaucoup de srieux.
Choisir un tat de vie n'est rien moins que choisir un chemin pour
aller Dieu. A ct de la voie royale : la vocation religieuse, il y a une
multitude d'autres voies qui se caractrisent par l'occupation qu'elles
sous-tendent dans le monde matriel. Mdecin, avocat, maon, mtallur-
giste... ne sont que des mtiers si l'on a d'abord en vue la situation social
, ou le gagne-pain .Ce sont des lments important de l'tat de vie si l'on
envisage d'abord le spiritual.
Pour autant, la solution de ce problme n'appartient pas qu'aux
parents. L'intress a quelque chose y voir. Ainsi, le droit canonique
reconnat au mineur une certain autonomie en la matire. (1) Il peut,
de son propre gr, entrer en religion l'ge de quinze ans. Ds sa quator-
zime anne, il peut introduire des causes, auprs des tribunaux eccl-
siastiques, concernant la vocation sacerdotale ou religieuse. Et cela sans
le consentement de son pre ou tuteur. L'Eglise prsume donc que l'enfant
mineur est capable de choisir son orientation de vie ds l'ge de'quatorze
ans. En lui reconnaissant ce droit personnel, l'Eglise ne fait que rappeler
ses parents, la transcendence des droits de Dieu sur les leurs. Socit
imparfaite, la famille doit collaborer avec l'Eglise et se soumettre
l'autorit ecclsiastique dans les domaines qui relvent des pouvoirs de
cette dernire.
La vocation, au sens thologique du terme, est essentiellement
appel de Dieu. Le rle des parents consiste s'assurer de l'authenticit
de cet appel en consultant un prtre ou le confesseur de l'enfant et,
ensuite, tout mettre en ouvre pour que celui-ci puisse rpondre ce
pacte scell, dans l'intimit de son me, entire Dieu et lui.
(1) Cf. Chanoine D. JOOS: L'orientation scolaire et professionnelle et la
psychologie scolaire. Namur, Les tudes classiques, 1954.
LES GLOSES DU PSYCHOLOGUE
Puisque l'ducation n'est pas un simple dressage, mais un veil
human , comme dit J. Maritain (2), les parents se doivent d'avoir
constamment recours l'intelligence, la sensibility et la volont libre
de leur enfant dans toutes les questions qui touchent son avenir. L'ide
essentielle une education chrtienne est une ide religieuse, qui donne
le sens du rapport entire Dieu et sa creature. Pntrs de la vritable
connaissance de la nature de l'homme, les parents chrtiens ont comme
mission de favoriser la conqute de la libert spirituelle et intrieure
de leur enfant.
Si l'appel de Dieu n'a pas retenti en lui, il va devoir opter pour un
mtier d'homme. Au moment prcisment, o il pose son premier acte
d'homme, c'est--dire cet engagement vers une action personnelle et
social qui se concrtise dans une profession, le milieu familial doit tre
attentif aux moindres manifestations du dynamisme qui pousse l'tre vers
ses fins terrestres. Les gots et les aptitudes ne se rvlent qu' l'obser-
vateur patient. L'amour est la premiere condition de la connaissance. Chez
des parents aimants, l'observation devient singulirement lucide et pn-
trante s'ils se donnent la peine d'aimer leur enfant pour lui-mme, pour
sa destine humaine de creature de Dieu.
Cependant, il arrive parfois qu'en matire d'engagement personnel,
les parents ne saisissent pas le sens cach du comportement de leur enfant
et qu'ils soient mal placs pour apprcier les exigences d'une profession
sur le plan individual et social.
C'est alors que le psychologue s'insre entire eux et leur enfant. Mais
cet intermdiaire auquel ils peuvent faire appel, n'est pas l pour luder
leur responsabilit ou restreindre leurs droits. Il est l pour leur donner
un conseil et pour aider leur enfant voir clair en lui-mme. On comprend
toute la dlicatesse de la mission du psychologue-orienteur. On comprend
aussi l'importance, pour les parents et pour l'enfant lui-mme, du choix
de cet intermdiaire.
La responsabilit de la famille est engage lorsqu'elle fait appel au
gurisseur au mpris du mdecin. Elle l'est davantage encore sur le plan
des valeurs humaines lorsqu'elle consulate un psychologue-amateur au
mpris du praticien diplm. On s'tonne de constater que des parents
apparemment de bon sens accordent du credit aux charlatans modernes
de la mdecine et de la psychologie. Cette attitude est d'autant plus ton- .
nante que les diagnostics mdicaux s'appuient de plus en plus sur des
analyses ou des radiographies et que les diagnostics psychologiques se
fondent de jour en jour davantage sur l'observation et l'investigation
scientifiques, sur la formation et la maturity humaines du psychologue,
issu actuellement de l'universit.
Dans ces domaines, l'ducation du public laisse dsirer. Que de
mamans qui sont incapables de reliever temps les premiers symptmes
d'une maladie infantile courante Que de papas qui sont incapables de
distinguer la paresse ou la mauvaise volont d'un manque d'aptitudes
pour une tude donne Bien peu de parents savent renseigner exactement
le mdecin et suivre correctement ses prescriptions. De mme, bien peu
de parents savent aider efficacement l'orienteur et appliquer intelligem-
ment ses conseils.
Trop souvent, une confiance passive, et aveugle par le fait mme, -
prside aux contacts entire mamans et mdecins, entire papas et psycholo-
gues. C'est le plus mauvais service que l'on puisse rendre la psychologie
que de la croire infaillible et de la considrer comme la panace qui dlivre
les parents de leurs soucis et qui dispense l'enfant de la lutte quotidienne
pour la domination de soi. Croire la toute-puissance du psychologue est
le bon moyen pour le rendre impuissant !
(2) L'ducation la croise des chemins. Paris, Edition de la L.U.F., 1946.
612
LES GLOSES DU PSYCHOLOGUE
Alors s'tonnera-t-on que cette confiance irraisonne se tourne, au
premier mcompte, vers les formules aussi mystrieures que vides des
gurisseurs et des psychologues-amateurs ? Affichant un mpris profound
pour la science, les uns et les autres ne prtendent-ils pas qu'eux seuls
ont la clef du problme, qu'eux seuls peuvent gurir ou conseiller ?
Scurit, oui, mais fausse et combien dangereuse scurit que la leur !
En psychologie comme en mdecine, l'information du public est faire.
Il y va de la sant psychique et de la sant mental de tous. L'enseigne-
ment devrait tenir compete de cette lacune dans des course comme ceux
de puriculture ou de pdagogie familiale. Certes, on a fait du chemin
dans le domaine de l'hygine infantile, mais dans celui de l'ducation
familiale, on n'est -pas bien loin.
Il tombe sous le sens que des parents chrtiens doivent choisir un
psychologue don't les principles de vie rpondent aux leurs. C'est de la
plus lmentaire prudence. Notre pays compete assez de services d'orien-
tation scolaire et professionnelle que pour rendre possible cete option
fondamentale.
La grandeur des actions humaines se measure l'inspiration qui les
a fait natre , disait Pasteur. La psychologie applique conue comme
une aide la personnel procde d'une intention laquelle on peut faire
confiance et qui est de nature donner aux techniques d'approche de la
personnalit une tonalit rellement humaine, c'est--dire comprehensive
et delicate la fois. Les parents ne sauraient tre trop prcautionneux
quand il s'agit, de concert avec leur enfant, de prendre les decisions qui
orienteront toute son action terrestre.
R. P.
VIE DES ORGANIZATIONS
OUVRIERES CHRETIENNES
Echos de la 38n" Semaine Sociale Wallonne
du Mouvement Ouvrier Chrtien
VIE CHRETIENNE
ET ACTION OUVRIERE ENr WALLONIE
Du jeudi 23 au samedi 25 aot s'est tenue, au Collge Saint-Paul
Godinne-sur-Meuse, la 38me Semaine Sociale Wallonne du Mouvement
Ouvrier Chrtien. L'objectif essential et ultime de tous les efforts de
l'ensemble des organizations ouvrires chrtiennes, savoir la vie chr-
tienne des travailleurs, constituait son programme. Dirigeants et militants
engags dans l'action social et apostolique sous des formes trs diverse
avaient bien compris l'importance de ces travaux, puisque jamais jusqu'
present une Semaine Sociale n'avait connu pareille affluence et semblable
homognit.
Aprs une court crmonie religieuse la chapelle, au course de
laquelle Mgr. L. J. Suenens pronona une court allocution, les semainiers,
qui s'inscrivirent au nombre de prs de 500, furent introduits aux travaux
de la Semaine par une prface prsente par Mgr. E. Dejardin, aumnier
gnral du M.O.C. Aprs avoir rappel que le M.O.C. n'a pas d'autre raison
d'tre que de faire passer le christianisme dans toute la vie du travailleur,
non seulement dans la vie personnelle de chacun des membres de la classes
ouvrire, mais aussi dans les milieux de vie et dans les structures
de la socit, Mgr. Dejardin esquissa le programme des travaux de la
38me Semaine Sociale. Un premier effort de rflexion devait porter sur
la doctrine en ce qui concern le rle de l'Eglise dans le monde et celui
des lalcs baptiss dans l'Eglise et dans le monde. (1) Au del de cette
reprise de conscience et de cet effort de precision doctrinales, les semai-
niers allaient examiner les faits et s'entraner des mthodes plus
rigoureuses pour connatre la situation religieuse des travailleurs de
Wallonie. Recherches socio-religieuses avec le concours de spcialistes et
experience ouvrire de nombreux militants et militants se combineraient
pour amorcer une description approfondie et valuable de cette situation.
Aprs avoir, dans une dmarche ultrieure, examin les causes de la
situation ainsi rvle, les semainiers passeraient l'tude des conditions
conomico-sociales et pastorales et concomitantes d'une vie ouvrire rel-
lement chrtienne.
Il resterait alors au Mouvement Ouvrier Chrtien, reprsent par ses
dirigeants et ses militants, s'interroger sur la faon don't il a compris
et don't il remplit sa mission de promotion de vie chrtienne ouvrire.
(1) Sous le titre Le lac dans l'Eglise et dans le monde , le present numro
des Dossiers public le texte intgral de l'expos fait la 38me Semaine
Sociale Wallonne par Mgr. Philips sur ce sujet.
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
Lourde mission que sans doute il n'est pas seul devoir et pouvoir accom-
plir. Au del de cette mission circonscrite un territoire, le Mouvement
Ouvrier Chrtien, conscient de la solidarity qui unit tous les hommes dans
l'oeuvre universelle de la Rdemption, se devait d'largir les horizons et
d'amplifier les aspirations des semainiers la measure des exigences
pressantes de l'apostolat mondial.
Aprs avoir ainsi esquiss le travail de la 38me Semaine Sociale
Wallonne, nous croyons rpondre au souhait de nos lecteurs en rsumant
brivement chacun des exposs.
La doctrine
LE ROLE DE L'EGLISE DANS LE MONDE
Monsieur le chanoine Louis JOOS, vicaire gnral du Diocse de
Tournai, rappela d'abord quelques ides fondamentales sur la nature
de l'Eglise.
a) Sous son aspect visible, l'Eglise est la socit des baptiss vivant
ici-bas en communion avec le Souverain Pontife et les vques. Elle est
organise hirarchiquement, mais elle est une assemble de responsables
hirarchiss.
b) Sous son aspect invisible, l'Eglise est une communaut vivant d'une
vie intrieure. Elle vit de la vie surnaturelle qu'elle reoit du Christ.
Elle est le prolongement et l'achvement du Christ qui est la vrit
et la vie.
Quant sa mission, elle n'est autre que la mission du Christ : associer
l'humanit la vie de Dieu mme en lui communiquant la grce de la
filiation divine, en faisant de nous des fils de Dieu.
L'Eglise n'est pas de ce monde. Les valeurs dans lesquelles Elle est
engage, les moyens et la puissance don't Elle dispose, dpassent infini-
ment les valeurs de ce monde. Elle ne recherche pas ces valeurs pour
elles-mmes. Elle ne s'appuie pas sur elles; Elle n'est pas charge de les
organiser. Mais Elle est cependant envoye tout homme vivant en ce
monde pour ouvrir son esprit et son cour la vie divine; Elle est envoye
au cour de ce monde pour y embrasser, accueillir, mettre en uvre tout
ce qui peut tre orient vers Dieu.
Ce qui contrarie son ouvre de vie, l'Eglise doit en purifier l'homme
et le monde : aussi lutte-t-elle contre le pch et duque-t-elle la ncessit
et au sens du dtachement.
Depuis le premier jour de son existence, mais aujourd'hui plus que
jamais, l'Eglise accomplit cette mission dans un souci d'universalit et
d'unit.
a) Elle est, en effet, l'Eglise catholique, envoye tous les hommes,
de tous les temps et de tous les pays : Elle doit assumer toute leur vie.
Elle a donc un rle immense. Partout o Elle n'est pas encore, Elle doit
brler de la volont d'y tre et mettre tout en ouvre pour s'y implanter.
Partout, pour Elle, le devoir s'impose de l'adaptation et de l'ouverture
toutes les situations diffrentes dans le temps et dans l'espace.
Un seul ordre de presence s'impose, celui de la prdilection divine pour
les petits et les humbles, aptes, plus que d'autres, recevoir les trsors
du Royaume.
Ainsi, pour tre sans cesse disponible et ouverte, doit-elle se purifier
et nous purifier de l'gosme et de l'orgueil de ceux qui possdent ,
fut-ce ceux qui possdent la vrit et la vie.
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
b) Elle est aussi l'Eglise qui unit le monde dans le Christ. Elle est
une et unifiante. Elle ramne l'unit de la foi et l'unit de l'amour
dans le Christ Jsus.
Tout ce qui aujourd'hui est valeur d'union et de communaut l'int-
resse : c'est pour Elle l'image lointaine et le point d'accrochage de la grce
d'unit laquelle le Christ a convi l'humanit, grce qui a pour type
et pour origine l'union mme entire le Pre et le Fils. Tandis qu'Elle se
rpand dans le monde si vaste et si divers, Elle risque quelque dgrada-
tion de son message et de son action. Aussi sait-elle que son union au
Christ est essentielle et qu'Elle est tout entire dans la perfection
du troupeau, dans la saintet profonde de ceux qui sont ses meilleurs
enfants.
Mais ses enfants seront-ils saints qui ne seraient pas dpouills de tout
ce qui dans les attraits > du monde les dtache de Dieu ?
Rle magnifique de l'Eglise. Mais rle bien grave de cette Eglise, que
nous sommes tous, puisqu'Elle est la voie, la voie unique qui est prsente
aux hommes nos frres pour raliser leur salut.
LE LAIC DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE
Dans une premiere parties de son expos, Monseigneur PHILIPS,
professeur l'Universit de Louvain et Snateur, procda la description
du lac.
a) Positivement, le lac est le fidle baptis, avec les droits et devoirs
qui en dcoulent, dans la situation normal des hommes dans le monde;
il y est engag, surtout par sa famille et sa profession.
b) Il se diffrencie d'avec le prtre, qui est* ordonn pour le
ministre des sacrements, la prdication et la direction religieuse de la
communaut des fidles et qui a une participation propre au pouvoir
hirarchique.
Il se diffrencie du religieux, qui non seulement pratique les conseils
vangliques, mais se retire dans la vie du clotre, en dehors du monde.
Les membres des institute sculiers vivent dans le monde, et sous cet
angle, ils sont lacs; mais ils pratiquent les conseils vangliques et,
comme tels, ils ne sont pas engags compltement dans le monde (famille).
La premiere difference affected les pouvoirs; la second, la situation.
Le travail, mme full-time, au service de l'Eglise, ne change pas la
condition (thologique) du lac : il ne devient ni clerc ni religieux, mais
il reste engag, surtout par sa famille.
Le baptme change donc le sens de la vie du lac, mais non sa
situation .
Dans une second parties, le professeur exposa les diverse tches
du lac.
1. Tche commune tous les membres de l'Eglise, clercs et lacs. Tout
membre du people de Dieu doit prendre une part personnelle, selon toutes
les dimensions de son existence, la ralisation de l'oeuvre rdemptrice.
Il doit donc collaborer l'dification de l'Eglise qui est, comme telle,
communaut vivante et rayonnante (missionnaire). Le plus important, ici,
est le tmoignage, vcu plus qu'affirm, rendu au Christ dans tous les
domaines. Cette tche atteint le lac personnellement, mais non le lac seul
2. Tche propre au lac dans la vie religieuse de l'Eglise.
Celle-ci comporte la participation la vie du culte, des sacrements
et de la prire. Elle peut comporter aussi une part au service direct de la
communaut des fidles, par example secrtariat paroissial, mission de
catchiste, rle de supplance en rgime de perscution, etc.
ECHOS DE LA 38-e SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
Elle comporte toujours un devoir d'vanglisation ou de diffusion du
message chrtien, adapte la situation mondaine , par l'exemple,
la parole, l'encouragement, l'avertissement. Cela peut aller jusqu' la con-
version du semblable par le semblable, et dans tous les cas jusqu' son
advancement religieux et moral.
Une application primordiale se ralise dans le marriage et l'ducation
religieuse; une autre, dans l'influence exerce sur le voisinage, la com-
munaut de travail, de loisirs et de profession.
Cet apostolat complete celui du clerg, surtout grce une mise en
contact avec le monde, qui s'avre indispensable.
Cette tche religieuse est troitement lie celle de la hirarchie et elle
s'exerce sous sa dpendance directed.
3. Tche propre au lac dans la vie du monde, pour la civilisation sous
le signe chrtien. Cette tche s'exerce dans les lments qui ont valeur
humaine par eux-mmes, mais qui, par leur ouverture l'Evangile, doi-
vent rendre la tche de l'Eglise plus aise.
Ce rle est spcifique pour le lac qui, dans ce domaine, jouit d'une
autonomie plus considerable. Il comporte les trois points suivants :
a) Faire en sorte que le monde de la politique, de l'conomie social,
de la culture, soit ouvert l'esprit chrtien. On pensera surtout aux valeurs
rvles et aux valeurs humaines morales : respect de la personnel, justice,
charit, intgrit des mours.
b) Faire en sorte que le monde moderne s'inspire de la pense chr-
tienne, dans ses institutions, ses buts, ses mthodes.
c) uvrer dans le monde pour y crer des conditions favorables la
presence et l'activit de l'Eglise. Ici surtout le chrtien se trouve
affront aux problmes sociaux. Il dveloppera le sens de l'homme ;
il recherchera, souvent en collaboration avec les non-catholiques, crer
de nouvelles solutions, mieux adaptes, pour rendre service au monde
en soutenant, chrtiennement, la justice et la charit. C'est son devoir et
donc son droit. Il acceptera, ici, l'autorit indirecte de l'Eglise sur la valeur
morale de toutes ces activits.
Enfin, Monseigneur Philips fit une application particulire concernant
l'utilit ou la ncessit d'une action concerte sur les structures, donc une
action organise et adapte (spcialise). Elle ne perdra pas de vue
l'insertion des problmes et des groups particuliers dans l'ensemble,
sous peine de devenir irrelle par fragmentation. Elle est commande par
l'incarnation de l'esprit chrtien dans les hommes et dans les
situations.
Elle peut prendre la forme de l'Action Catholique au sens strict,
suscite par un appel special de la hirarchie et exerce sous son autorit
plus immediate, surtout dans le domaine de la formation.
La plupart du temps elle s'exerce sous la forme de l'activit social
chrtienne avec ses diffrentes organizations. Elle tient compete de l'inser-
tion des hommes dans le milieu de vie, tant paroissial que professionnel,
de la famille, de l'entreprise, de l'habitat, etc. Elle invented continuel-
lement de nouvelles adaptations et des mthodes plus pures et plus
efficaces.
C'est ainsi qu'elle prendra tout le relief et toute la mystique qui
lui viennent de ses sources d'inspiration chrtienne, en vitant de se
cantonner dans le sacral sous prtexte de la transcendence de l'activit
strictement religieuse. Tout en cartant soigneusement les confusions
et la surcharge religieuse, elle tnmoignera firement de sa foi dans le
Christ, Sauveur et Espoir de l'humanit.
ECHOS DE LA 38m' SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
Les faits
SOCIOLOGIE DE LA PRATIQUE RELIGIEUSE EN WALLONIE
L'abb Franois HOUTART, Directeur du Centre de Recherches Socio-
Religieuses, prsenta une synthse des tudes de la pratique religieuse,
actuellement ralises. Il rpondit d'abord la question : est-il lgitime
d'tudier sociologiquement les faits religieux ?
En effet, une telle tude suppose que l'on rduise les dmarches
religieuses des manifestations sociales; qu'on puisse les chiffrer et
dcouvrir certaines lois. Or, les relations entire Dieu et l'homme sont d'un
ordre7 qui transcende l'humain.
Ces relations ont cependant deux ples : Dieu et l'homme. L'homme
est en rapport avec Dieu avec tout son tre. Ce ne sont pas des mes
dsincarnes qui prient, sont enseignes ou exercent l'apostolat. La nature
humaine est aussi social. Le comportement de l'homme est, de par cette
nature mme, soumis certain conditionnements sociaux : culture, degr
d'instruction, classes social, profession, etc.
Dans le domaine religieux on retrouve aussi une srie de condition-
nements sociaux l'attitude religieuse. Ils se situent donc sur le plan
de la rponse de l'homme aux avances divines et non sur celui de la grce
ou de la nature mme des relations entire Dieu et les hommes.
La sociologie applique aux faits religieux essayera de reliever quels
sont les conditionnements sociaux. Ils peuvent tre d'ordre trs different.
L'absence d'glise dans un quarter, par example, aura pour rsultat une
pratique dominicale trs infrieure dans la population. Par ailleurs, la
qualification professionnelle peut aussi tre un lment jouant en faveur
ou en dfaveur de l'observance religieuse. Avant de dterminer les causes
de ces phnomnes, il faut les circonscrire avec precision, les rapprocher
d'autres phnomnes sociaux du mme ordre et essayer de dterminer
certaines constantes.
Le professeur s'attacha ensuite dcrire la diversity des types d'tudes
socio-religieuses correspondent la diversity des problmes envisager
et des mthodes utiliser.
On peut classer les divers types de recherches de la faon suivante:
1) Etudes sociographiques : La premiere dmarche effectuer est une
description du phnomne dans sa ralit actuelle et une expression
visuelle de celle-ci. C'est le cas de presque toutes les tudes de pratique
religieuse. Ces tudes portent sur des entits diverse : pays, rgions,
diocses, paroisses. C'est aussi le cas de ce que nous pourrions appeler
l'cologie religieuse, ou la localisation spatiale des structures et des faits
religieux. Il Sagira surtout des villes, o les types de quarters sont
mis en relation avec l'quipement religieux: paroisses, prtres,, mou-
vements, etc.
2) Etudes sociologiques proprement dites: Celles-ci ont un caractre
plus pouss. Il s'agit de l'analyse des processus des faits religieux, de leur
rpercussion dans les groups sociaux. Par example les tudes du compor-
tement religieux externe des groups socio-professionnels ou des types
culturels divers.
3) Etudes de psychologie social religieuse: Ds qu'il s'agit d'tudier
plus que le comportement externe, mais l'opinion religieuse ou le degr
d'imprgnation religieuse d'un group de personnel, les mthodes diff-
rent. On se rapproche de la psychologie. Nous groupons ici les tudes
sur le contenu mental religieux d'une population.
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
4) Planning gographique et structure: Les tudes thoriques sont
peut-tre intressantes en elles-mmes, mais elles doivent mener surtout
l'action. Elles doivent donc servir une application. Cette application
se ralisera, par example, dans le planning gographique, planning parois-
sial ou scolaire d'une ville ou d'une region. Elle se ralisera aussi dans
le planning d'une action pastorale ou missionnaire : par example dans les
cas des missions rgionales au dpart d'une tude sociologique.
Mais l'abb Houtart devait surtout s'attacher fournir aux semainiers
une description aussi valuable que le permettent l'tat des recherches
prsentes de la pratique religieuse en Wallonie. Il le fit en prsentant
le contenu d'une brochure spciale dite pour la Semaine Sociale et
prpare par le Centre de Recherches Socio-Religieuses. Cette brochure
comprend deux parties : La pratique religieuse en Wallonie et
L'observance dominicale ouvrire en pays wallon .
Dans la premiere parties, un chapitre entier est consacr la pratique
dominicale. On y examine la Wallonie par rapport la Belgique et
ensuite une srie de caractristiques de la population wallonne sont mises
en rapport avec cette pratique dominicale. Finalement, le fait politique
est compar au fait religieux. Le second chapitre traite des autres
pratiques.
Dans la deuxime parties relevons les titres suivants : le taux de pra-
tique des actifs; le taux de pratique et la densit ouvrire; le niveau
de pratique ouvrire et celui des autres groups sociaux; la pratique
des qualifis et des non qualifis; le problme de la mobilit journalire
du travail et la pratique dominicale; la pratique religieuse des travailleurs
trangers. (1)
UNE ENQUETE DE MENTALITE OUVRIERE
A LIEGE ET A CHARLEROI
La pratique religieuse n'est pas un signe exclusif de la mentality
religieuse. Elle s'allie avec deux autres lments : les croyances et l'atti-
tude morale. C'est pourquoi, conjointement avec la synthse don't il vient
d'tre question, une premiere tude portant sur ces lments et applique
aux ouvriers de la grosse industries wallonne fut prsente aux semainiers.
Monsieur Jacques DUMONT, du Centre de Recherches Socio-Religieuses,
exposa les rsultats de cette enqute qu'il avait mene avec quelques
collaborateurs. Voici quelques indications concernant l'objectif poursuivi,
la mthode employe et les conclusions qu'on a cru pouvoir en tirer.
Il s'agit donc des principaux rsultats d'un sondage d'opinion effectu
auprs d'ouvriers belges de conditions diffrentes au point de vue niveaux
professionnel, cultural et de vie, occups dans les entreprises, grandes
et moyennes, des plus important secteurs industries de la grosse industries
des bassins de Charleroi et de Lige.
Ce sondage tendait dcouvrir, par contacts directs et au moyen
d'interviews, les attitudes les plus frquemment adoptes par les per-
sonnes touches, devant les valeurs religieuses et les valeurs morales et
sociales connexes au religieux. Comportant peine une centaine d'inter-
views, nombre limit en raison des grosses difficults du reprage des
sujets, ce sondage ne peut prtendre reflter d'une manire, fut-ce
approche, l'attitude de pense de l'ensemble de la classes ouvrire wallonne.
(1) Cette brochure de 48 pages de grand format et comprenant de nombreu-
ses cartes, tableaux et graphiques, ainsi qu'une bibliographie, peut tre obtenue
en versant 35 francs (trente-cinq) au C.C.P. 3157.74 des Semaines Sociales
Wallonnes, 127, rue de la Loi, Bruxelles. Prire de mentionner sur le talon du
bulletin de versement: La pratique religieuse en Wallonie .
ECHOS DE LA 38-'e SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
Nanmoins, les investigations individuelles trs pousses (112 questions
et sous-questions par interview) permettent de dgager des types de
comportements religieux ou areligieux.
L'expos des principaux rsultats, tel qu'il fut prsent la Semaine
Sociale, comportait trois parties : I. Les faits religieux. II. Le contenu
mental religieux. III. Les valeurs socio-morales (attitudes individuelles
et attitudes de groupe.
PARTICULARITES DES REGIONS SEMI-RURALES
Cette communication, faite par Monsieur l'abb Joseph BRILMAKER,
Directeur des uvres Sociales de l'arrondissement de Namur, avait pour
objet de faire ressortir certaines particularits de la vie des ouvriers
industries vivant en rgions semi-rurales et donner aussi une physionomie
gnrale de ces rgions.
On a d se contenter d'une consultation global auprs de tmoins
privilgis : travailleurs militants, dirigeants syndicalistes, mutualistes,
quipiers populaires, dirigeantes de L.O.F.C., hommes d'uvres, hommes
engags sur le plan politique; prtres de paroisses, aumniers d'ouvres.
La consultation comportait une trentaine de questions; son dpouille-
ment devait servir de base au travail. Certains documents officials, thses
d'Ecole Sociale, livres, articles de revues furent consults.
Cette communication ne pouvait tre qu'un point de dpart, dans nos
movements, pour une analyse plus pousse du milieu social vritable
dans lequel vivent les travailleurs.
LES CAUSES DE LA DECHRISTIANISATION
DE LA CLASSES OUVRIERE
Monsieur Elie BAUSSART constate tout d'abord que la dchristianisa-
tion de la classes ouvrire est la dernire phase d'un phnomne historique
qui remote plusieurs sicles.
La revolution industrielle et le capitalism tablissent le primat de
l'argent ou, en d'autres terms, l'idoltrie de l'argent, qui corrompt et
dtruit l'esprit chrtien. La bourgeoisie dominant dirige l'conomie son
profit, dispose de l'Etat, dresse une nouvelle chelle des valeurs; elle
enfante une civilisation son image que, par un abus de mots, on appelle
parfois la civilisation chrtienne. A l'intrieur de la socit, la condition
proltarienne et la lutte des classes donnent naissance au matrialisme
marxiste qui s'oppose au matrialisme liberal. L'imprialisme, les natio-
nalismes condamnent la politique international et mnent aux guerres.
Il faut reconnatre que les chrtiens ont une grande part de respon-
sabilit dans cet tat de choses. Le monde chrtien intgr dans la socit
librale en adopted les ides et les sentiments, les pratiques et les murs,
il s'est laiss gagner par la morale bourgeoise; les patrons chrtiens,
comme les autres, ont impos leur personnel (la main-d'ouvre) des
conditions de travail, de salaire et de vie injustes et inhumaines. L'Etat,
instrument politique du systme conomique, s'appuie sur la droite qui
rassemble la majority des chrtiens et mobilise leur influence.
Les enseignements des Papes, notamment de Lon XIII et de Pie XI,
furent peu couts.
Pendant ce temps, la socit capitalist s'organise et se dveloppe
en dehors de l'Eglise, elle difie un monde soustrait son rayonnement
et qui ne se rfre elle que pour y chercher une caution et un appui
extrieurs.
Les travailleurs, mobiliss dans les usines, entasss avec leurs families
dans les corons misrables et les quarters lpreux des villes, s'agglom-
rent en une masse, le proltariat, lui aussi en dehors de l'Eglise.
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
Monsieur Baussart ramne alors quatre les causes profondes de
la dchristianisation ouvrire. Ces causes, don't il exposa le mcanisme
d'influence, sont : la socit actuelle dans laquelle vit l'ouvrier et qui n'est
pas ou est peine une socit chrtienne; l'usine o l'ouvrier passe son
existence et qui determine son sort et celui de sa famille; le coron, le
quarter, voire la rue, qui constituent le milieu quotidien dans lequel
l'ouvrier est vraiment lui-mme; enfin le parti ou le syndicate auxquels
il est affili.
En conclusion, le professeur soulignait que ce qui a manqu et manque
encore, c'est une presence chrtienne vivante. Cette presence a manqu
lors de la revolution conomique, elle continue manquer dans la socit
moderne matrialiste et soumise l'argent.
L'action
LES CONDITIONS ECONOMICO-SOCIALES ET PASTORALES
DE LA VIE CHRETIENNE DES TRAVAILLEURS
Monsieur l'abb Charles LAGASSE, Rvrend Cur Tubize, prsente
tout d'abord deux observations historiques.
I. Lorsqu'on examine de prs comment s'est constitu, ou se constitute
encore l'heure actuelle, la classes ouvrire, on peut remarquer ce qui suit.
Le monde du travail, c'est--dire le milieu de travail avec ses prolonge-
ments conomico-sociaux, est un monde bti ds l'origine sur une concep-
tion matrialiste de la vie. La seule chose qui compete est le profit. On fait
travailler ou l'on travaille dtenteurs de capitaux, cadres dirigeants
et travailleurs non pas pour crer des biens, mais pour gagner de
l'argent. L'artisan, la profession librale, cre des biens et vit de ces
biens, soit directement, soit pas l'change contre de la monnaie. Tandis
que le prteur de capitaux ou le travailleur cherche d'abord retire
de ses capitaux ou de sa force de travail le plus d'argent possible et la
creation de biens n'est qu'accessoire.
Pour cela, des hommes abandonnent leur mode de vie, leurs habitudes,
quittent le cadre sociologique dans lequel ils vivaient, parfois leur village,
et sont plongs, sans transition, dans le monde du travail qui leur est
totalement tranger. Il leur est d'autant plus tranger que le monde dans
lequel ils ont vcu jusqu'alors tait imprgn de valeurs chrtiennes, alors
que le monde du travail est, lui, matrialiste, bti partir d'une concep-
tion matrialiste de la vie.
Cette transplantation cre un dsarroi et le nouveau travailleur arrive
dmuni dans un monde qui lui impose son mode de pense et de vie. Ds
lors, ses reactions sont matrialistes dans le milieu de travail. Lorsqu'il
rentre chez lui, dans sa famille, son quarter, sa paroisse, il retrouve en
parties son ancien cadre de vie imprgn, lui, de christianisme et parsem
de gestes chrtiens. D'o, au dbut, une dualit dans sa vie : il y a le
travaileur et il y a le pre de famille, l'homme de son quarter. L'un est
matrialiste et l'autre garde encore pour certaines valeurs un jugement
chrtiens, certain gestes religieux, une certain morale chrtienne. Et
plus ce milieu familial et de quarter est rest homogne, plus longtemps
cette dualit durera. Mais le milieu de travail est plus influent que la
famille o, surtout au dbut, il passe trs peu de temps cause des
heures de travail... ou cause de la misre qui y rgne et le mode de vie
et de penser qu'il a trouv l'usine. Plus rapidement chez certain que
chez d'autres il imprgnera peu peu tout le reste de sa vie, surtout
si sa femme et ses enfants travaillent eux aussi. L'unit de sa vie se
refait, mais sur une conception matrialiste de la vie.
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
La plupart des tudes s'attachant au problme de la dchristianisation
de la classes ouvrire considrent, tort, pensons-nous, ce phnomne
comme un phnomne lent et progressif et leurs investigations en fait
ne portent que sur la perte progressive, elle, de la pratique religieuse,
sans rencontrer la cause profonde.
Ce qui est frappant, c'est que l'entre dans le milieu de travail s'accom-
pagne de la perte de n'importe quelle conception spiritualiste, puisque
cette entre se fait toujours en dfaveur de n'importe quelle religion.
Il n'y a donc pas de dchristianisation, mais un double phnomne:
l'homme entire dans la vie nouvelle, la vie de travailleur don't il adopted,
ds l'entre, la philosophie matrialiste et perte progressive dans le reste
de sa vie de gestes religieux, perte plus ou moins rapide suivant la force
de resistance du cadre sociologique dans lequel il vit.
II. Une population se donne des institutions bases sur le mode de
penser de sa majority. Une population chrtienne se donne spontanment
des institutions chrtiennes qui sauvegardent et dveloppent sa foi. Ainsi,
une population majority chrtienne se donnera des coles chrtiennes,
syndicats, mutuelles, coopratives, cercles dramatiques, journaux, parties
politiques chrtiens.
L'institution n'est que la consequence de la conception de vie. Ce n'est
pas l'institution qui a fait penser chrtiennement, mais les chrtiens qui
se sont donns des institutions chrtiennes. Ainsi, un chrtien, quels que
soient les griefs qu'il puisse avoir envers une de ces institutions, n'envi-
sagera jamais l'ventualit de passer des institutions bases sur une
conception de vie qu'il ne partage pas.
De mme, dans une region socialist, les travailleurs se sont donns
des institutions dans lesquelles ils retrouvent leur faon de penser et,
mme si ces institutions ne leur donnent pas satisfaction, ils n'imaginent
pas la possibility de les quitter.
Le professeur examine alors comment, devant ces deux faits, se pose
pour un travailleur le problme de son entre dans l'Eglise. Et il note
deux reactions psychologiques :
1) Le travailleur qui se pose le problme de son entre dans l'Eglise
rencontre une premiere difficult. Sans savoir toujours l'exprimer, il a
l'impression qu'en entrant dans l'Eglise il va introduire dans sa vie une
dualit. Il sent que dans le monde conomique et social, chez les gens
qu'il ctoie et don't certain se disent chrtiens, l'Evangile est absent.
Cette constatation cre en lui un dsarroi. Il conclut : les chrtiens ne sont
pas meilleurs que les autres; ou encore : la religion est une affaire de
femmes et d'enfants; ou encore : je suis croyant, mais je n'ai pas besoin
de l'Eglise.
Le monde de la technique exerce un prestige norme sur le travailleur;
c'est son monde lui, o il se meut l'aise. Il espre mme y trouver
l'vasion don't il ressent le besoin. Or, ce monde est paen. Et ceux qui lui
apportent l'Evangile bien souvent ne sont pas plongs dans ce monde
technique.
2) Une second difficult vient du fait que l'Eglise apparat au travail-
leur d'abord comme une srie d'institutions, et la conversion cela veut
dire pour lui commencer par changer d'institutions, de syndicate, de
mutuelle, de journal, de cercle, d'cole pour ses enfants, de parti poli-
tique... Outre que ces changements demandent un gros effort qu'il
apprhende, il y a le fait qu'il est tranger ces institutions, celles-ci ne
sont pas dans la ligne de sa pense, elles sont bases sur une philosophie
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
qu'il n'a pas encore. N'tant pas encore chrtien, il ne voit pas la ncessit
de ces changements, mais il croit qu'ils sont condition sine qua non de
sa conversion.
Monsieur l'abb Lagasse tire alors deux conclusions:
1) Le monde du travail, conomico-social, de la technique, tant depuis
toujours non-chrtien, il faut que l'Eglise, les chrtiens presents dans
ce monde s'emploient l'imprgner de valeurs chrtiennes. C'est le rle
des chrtiens individuellement et des institutions chrtiennes comme le
syndicate, la mutuelle, etc.
2) Il faut que l'entre dans l'Eglise apparaisse comme tant d'abord
l'adhsion une foi, une philosophie et non pas des institutions.
Ici se pose le problme de l'vanglisation des travailleurs.
L'entre dans l'Eglise est un phnomne progressif, suite une rv-
lation progressive et se fait par tapes. La premiere est l'entre dans
le catchumnat ou petites communauts de gens qui, ensemble, parent
la recherche de la vrit, aids par un ou plusieurs chrtiens et s'exer-
cent une vie de prire et de charit. C'est le rle du chrtien aptre
et des movements d'Action Catholique. Changer d'institutions ne sera
qu'une consequence logique de la conversion.
LE MOVEMENT OUVRIER CHRETIEN FACE AU PROBLEM
C'est Monsieur Olivier GREGOIRE, Secrtaire Gnral du Mouve-
ment Ouvrier Chrtien, qu'il appartenait de mener, en collaboration avec
les semainiers, cette confrontation.
Le rapporteur rappelle tout d'abord l'objectif et la nature du Mouvement
Ouvrier Chrtien.
Son objectif n'est pas autre chose que l'imprgnation par le christia-
nisme de toute la vie ouvrire; des personnel, des milieux et des
structures.
Cet objectif conduit la conception d'un movement capable d'apporter
rponse tous les besoins des travailleurs, besoins temporels quels qu'ils
soient et besoins spirituels.
Le Mouvement Ouvrier Chrtien n'est cependant pas une organisation
unitaire, mais une fdration d'organisations diverse.
Il travaille la fois sur le plan d'vanglisation et sur le plan de
construction de la civilisation. On n'y trouve cependant pas d'organisations.
don't 'on puisse dire qu'elles travaillent uniquement sur un seul de
ces plans.
Syndicat chrtien et mutualit chrtienne se situent sur le plan de
construction du monde sur lequel l'Eglise invite les lacs travailler,
mais par la perspective et parfois le contenu de leur action, les militants
font bien souvent ouvre directed d'vanglisation. Les organizations cul-
turelles et apostoliques uvrent sur le plan d'vanglisation, mais par
certain aspects se situent sur le plan d'dification du monde profane.
Monsieur Olivier Grgoire montre ensuite que les mthodes d'organi-
sation et d'action du Mouvement Ouvrier Chrtien se justifient pleinement.
En effet, considrant la classes ouvrire de Wallonie, on peut affirmer :
1) qu'un movement ouvrier chrtien luttant sur le plan de la defense
des intrts des travailleurs, de l'amnagement des milieux et des
structures est une condition de sa rechristianisation;
2) que l'action apostolique, pour avoir quelque chance de succs auprs
des travailleurs, doit tre mene par des travailleurs;
3) que cette action doit tre organise dans le cadre du Mouvement
Ouvrier Chrtien sous peine de courir de graves dangers pour
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
l'action sur le plan des milieux et des structures comme pour l'action
d'vanglisation.
Les rsultats obtenus disent l'efficacit de ces mthodes.
Mais il y a cependant lieu de se poser quelques questions. Le rappor-
teur en fit le commentaire et les semainiers groups en carrefours y
rpondirent. Voici ces questions poses aux dirigeants et militants du
Mouvement Ouvrier Chrtien :
- La coordination, la collaboration en vue de la ralisation de notre
objectif fundamental commun sont-elles assez conscientes et assez
effective ?
- Sommes-nous assez audacieux sur le plan de la rforme des structures;
en d'autres mots, sommes-nous assez attentifs transposer sur le plan
des structures nos exigences quant l'homme spiritual ?
- Prsentons-nous une figure, des gestes, des paroles assez accrochants
pour retenir l'attention des masses, susciter et maintenir de nombreu-
ses vocations de militants ?
- Avons-nous assez le souci du ressourcement de nos militants ?
LES TRAVAILLEURS
ET LES PERSPECTIVES MONDIALES DE L'APOSTOLAT
C'tait vraiment Monseigneur Joseph CARDIJN, Aumnier Gnral
de la J.O.C., aptre infatigable qui va de pays en pays faire jaillir l'tin-
celle apostolique parmi la jeunesse travailleuse, qu'il revenait d'largir
les horizons de la Semaine Sociale la dimension mondiale. II le fit avec
sa conviction et sa fougue entranantes. Voici le rsum de son expos :
1. L'vanglisation de la classes ouvrire de Wallonie est insparable
et solidaire de l'vanglisation de la classes ouvrire du monde; tant
cause des dangers qui la menacent qu'en vue de la mission qu'elle a
accomplir.
L'unit et l'interdpendance du monde se dveloppent d'une faon
vertigineuse. Il n'y a plus moyen de sparer les peuples, les races, les
continents et les religions. Ce qui est vrai au point de vue gographique,
conomique, politique, cultural et human, est infiniment plus vrai au
point de vue religieux et spiritual. Le problme de la Rdemption du
monde est insparable; et tout chrtien, o qu'il se trouve, est appel
y cooprer. La formation religieuse, apostolique et missionnaire doit
toujours, partout et auprs de chacun, avoir des perspectives mondiales.
Le christianisme n'est pas une religion nationalist ou racist. Le christia-
nisme et l'Eglise sont catholiques, universels.
2. La croissance foudroyante de la population, associe une transfor-
mation technique et conomique sans prcdent, dans un monde de plus
en plus uni et solidaire, donne au problme de l'apostolat missionnaire
des dimensions en extension et en profondeur qui n'ont jamais t
atteintes dans le pass.
3. Mais c'est surtout la naissance, la croissance et la situation de la
population travailleuse mondiale du proltariat mondial qui posent
l'Eglise et aux chrtiens de tous les pays les problmes les plus
angoissants.
4. Les conditions, dans lesquelles se dveloppe cette croissance de la
population en gnral et de la population ouvrire en particulier, produi-
sent aujourd'hui une prise de conscience universelle du contrast
monstrueux, qui existe entire le niveau de vie des peuples dvelopps et
des peuples sous-dvelopps, dans le domaine de l'alimentation, de
l'hygine, de la longvit, de l'habitation, de la culture notamment et cela
surtout pour les masses de travailleurs salaries qui affluent dans les
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
villes et les rgions industrielles de tous les continents. Cette prise de
conscience soulve une vague de nationalism, d'anticolonialisme, d'anti-
occidentalisme. Les accusations contre la race blanche sont gnrales dans
les races de couleur, qui confondent Eglise et Christianisme avec la race
blanche.
Les trois M (Militaires, Marchands, Missionnaires, les derniers au
service des premiers) sont voqus dans tous les congrs et dans tous les
publications des peuples de couleur comme les instruments de l'impria-
lisme occidental. Le rveil nationalist et racist est accompagn partout
d'un rveil religieux antichrtien.
5. Le communism international exploit cette situation tragique, sur-
tout dans les continents et auprs des peuples sous-dvelopps, et attise,
avec la lutte des classes, la lutte des races, contre les peuples occidentaux
et contre l'Eglise, qu'il reprsente comme l'allie historique de tous les
imprialismes conomiques et politiques.
L'heure de l'unit du monde et de sa transformation complete, par
la croissance de la population et surtout de la population travailleuse,
est par dessus tout l'heure de l'apostolat missionnaire dans le monde et
surtout dans le monde du travail. C'est la prise de conscience qui s'impose
tout chrtien et, en particulier, tout travailleur chrtien et toute
organisation ouvrire chrtienne.
L'ignorance de la doctrine chrtienne et, en particulier, de la doctrine
social de l'Eglise rend la classes ouvrire du monde impuissante, non
seulement pour lutter contre l'emprise du communism, mais pour accom-
plir sa mission terrestre, la fois chrtienne et ouvrire. (Pie XI et
Pie XII, passim).
Pour accomplir cette mission, les travailleurs doivent recevoir:
1) une doctrine apostolique et missionnaire qui leur explique la valeur
apostolique et missionnaire de leur vie, dans leur milieu de vie, pour
tous les problmes de cette vie. Une formation infantile et scolaire
ne suffit pas pour cela. Il faut la formation d'une lite qui apprenne
comprendre et transformer sa vie comme un apostolat mission-
naire, qui soit le levain chrtien, le ferment chrtien dans la masse
ouvrire de tous les pays du monde, qui multiple dans tous les pays
les lites ouvrires chrtiennes, les aptres et les missionnaires chr-
tiens, dans le monde du travail. (Q. A.).
2) une organisation apostolique et missionnaire qui dveloppe cette for-
mation et cette action apostolique et missionnaire dans tous les pays
du monde. De mme qu'il n'y a pas moyen de sparer l'aspect spiritual
et l'aspect social, il n'y a plus moyen de sparer les paroisses, les
diocses, les pays et les continents. L'extension du Rgne de Dieu,
par toute la terre dans le monde du travail, exige un lacat ouvrier
organis la dimension du monde, pour la solution chrtienne des
problmes du monde du travail, dans le rgime actuel du monde du
travail, dans les organizations gouvernementales et non-gouvernemen-
tales du monde actuel (O.N.U., Unesco, O.I.T., F.A.O., etc., etc.). Tout
gosme individual et collectif est meurtrier pour l'Eglise et pour les
travailleurs eux-mmes. Malheur aux travailleurs blancs et surtout aux
travailleurs blancs chrtiens qui ngligent leurs frres et leurs surs
de couleur !
Cette formation et cette organisation apostolique et missionnaire des
travailleurs exige un minimum de discipline et d'unanimit la base, dans
les endroits o habitent et vivent les travailleurs, au plan local et parois-
sial. Une organisation international est impossible sans une base locale,
ECHOS DE LA 38me SEMAINE SOCIAL WALLONNE DU M.O.C.
qui en est la source et la garantie. Une organisation international est
une pyramid don't la base plonge par ses racines dans la vie de ses
membres. L'heure de l'vanglisation de la classes ouvrire du monde est
l'heure de la formation, de l'action et de l'organisation ouvrire parois-
siale et locale.
Tous les chrtiens doivent comprendre que la classes ouvrire du monde
est la croise des chemins. Elle doit choisir entire le communism
matrialiste et le christianisme apostolique et missionnaire.
Tous doivent aider former et multiplier les travailleurs, aptres et
missionnaires, capable et dsireux d'tendre cette mission rdemptrice
toutes les races et tous les continents. Il y a dans la classes ouvrire
du monde un reservoir inpuisable de forces apostoliques et missionnaires
pour l'Eglise !
Le rassemblement de 30.000 jeunes dlgus de la J.O.C. international
Rome autour du Saint-Pre veut montrer le seul chemin de la Libration
et de la Rdemption de la classes ouvrire du monde.
POUR CONCLURE
Au course de la sance de clture, durant laquelle Andr OLEFFE,
President du Mouvement Ouvrier Chrtien, tira les conclusions des
travaux, Monseigneur CHARUE, Rvrendissime Evque de Namur,
apporta aux semainiers le rconfort de ses encouragements en soulignant
l'importance de l'objet de la 38me Semaine Sociale Wallonne.
Les semainiers vcurent ces journes d'tudes dans un climate de grande
ferveur, favoris par la messe communautaire quotidienne et une veille
d prire l'intention des travailleurs victims de la catastrophe de
Marcinelle. Le jeudi 23 aot, jour d'ouverture de la Semaine Sociale, les
participants avaient appris qu'aucun espoir ne subsistait plus de retrouver
des mineurs vivants. C'est sous l'impression profonde des dures conditions
matrielles, des risques considrables et des grandes douleurs de la vie
ouvrire de nombreux travailleurs que les semainiers ont mdit sur les
moyens de redonner cette vie ouvrire un sens human, en lui redon-
nant son sens chrtien. Si le christianisme avait profondment pntr
notre socit moderne, la condition ouvrire eut t toute autre, elle eut
pu tre une forme de bonheur human et elle eut t de toutes faons
heureuse par l'union au Christ-Rdempteur, l'amour de Dieu notre Pre
commun, par la collaboration leur plan divin sur l'humanit tout entire.
Et dj plusieurs se demandent si la 39me Semaine Sociale, celle de
1957, n'aura pas continue la 38me et approfondir cette premiere
rflexion, resort puissant de notre action social et apostolique.
Herv.
ATTENTION : Le texte intgral des leons donnes la 38me Semaine
Sociale Wallonne paratra en volume la fin du mois de novembre.
Prix: 70 francs, verser au C.C.P. 3157.74 des Semaines Sociales Wal-
lonnes, 127, rue de la Loi, Bruxelles.
Dossier des manifestes, conclusions
de congrs, dclarations et discours
concernant l'volution du Congo Belge (1
I.
Declaration adresse aux fidles et aux homes
de bonne volont par les Evques de l'Afrique belge
Runis en conference plnire Lopoldville, le 29 juin 1956, sous la prsidence
de S. E. Mgr. Bruniera, Dlgu Apostolique, les Vicaires et Prfets Apostoliques
du Congo Belge et du Ruanda-Urundi ont adress aux fidles et aux hommes de
bonne volont une declaration exposant la position de l'Eglise en face des probl-
mes qui se posent actuellement au Congo. Voici le texte de cette declaration:
1. Fidle l'exemple de son divin Fondateur qui passait au milieu des hom-
mes en faisant le bien, l'Eglise se penche avec un amour maternel sur les
besoins de l'humanit. Dpositrice des paroles du salut, Elle se sent tenue de
donner ses enfants, comme tous les hommes de bonne volont, les directives
aptes assurer un heureux agencement de l'ordre social temporel.
2. Toute organisation social vritable doit tre base, d'une part, sur le
respect inviolable de la dignit de la personnel humaine et de sa destine ter-
nelle; d'autre part, sur la ncessit pour l'homme de vivre en socit et sur
le devoir qu'il a de collaborer au bien commun.
3. Les socits humaines sont d'importance trs ingale. Les unes sont essen-
tiellement contingentes et varient avec les circonstances qui les ont fait natre.
Tels sont, par example, les syndicats, les groupements culturels. D'autres sont
des socits ncessaires, imposes par la nature de l'homme comme la famille
et l'Etat, ou voulues explicitement par Dieu comme l'Eglise.
4. La tamille est une institution naturelle, base sur le marriage monogamique
et indissoluble, lev par Jsus-Christ pour ses fidles la dignit de sacre-
ment. La polygamie et le divorce, qui spent la famille la base, doivent tre
combattus fermement.
La famille, entendue au sens strict du mot, comprend le pre, la mre et
les enfants. Le pre est le chef natural de la famille. La mre est associe
(1) Note de la Rdaction. Nous consacrons dans ce numro notre
Chronique de politique intrieure au problme du Congo. Le present
dossier sera, pensons-nous, une documentation prcieuse pour tous ceux
qui veulent, sur ce grave problme, s'enqurir de l'opinion d'hommes vrai-
ment responsables.
Nous rappelons que dans le numro des Dossiers de l'Action Sociale
Catholique de fvrier dernier nous avons public une important tude
due M. A. A. J. Van Bilsen et intitule : Un plan de trente ans pour
l'mancipation de l'Afrique Belge . Cette tude a eu et a encore un grand
retentissement en Belgique et au Congo. Elle a t rdite sous forme
de brochure que l'on peut se procurer en versant la some de 15 francs
au C.C.P. 7630.000 des Dossiers de l'Action Sociale Catholique , 127, rue
de la Loi, Bruxelles.
'DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
cette autorit. Ni le clan, ni l'Etat ne peuvent se substituer au pre comme
chef de famille.
La famille est antrieure au clan et l'Etat; c'est elle de grer le bien
commun familial.
Les parents ont le devoir, et donc le droit, d'duquer leurs enfants. Ils
choisissent l'cole qui rpond aux exigences de leur conscience. L'autorit
publique doit respecter ce droit et faciliter l'accomplissement de ce devoir.
Le marriage est un contract entire un homme et une femme et non entire deux
families. Il exige donc la pleine libert des contractants et exclut toute ingrence
indue du clan ou de la parent dans les affaires familiales.
La dot, qui n'est pas requise la validit du marriage, est en soi une institu-
tion indiffrente. Mais elle devient immorale lorsque son montant est exagr
au point de constituer un obstacle au marriage un ge normal.
,Le marriage chrtien relve de l'autorit ecclsiastique. Seuls ses effects
proprement civils sont de la competence de l'Autorit Publique.
5. L'Eglise Catholique est la socit surnaturelle fonde par Jsus-Christ
pour conduire les hommes au salut ternel.
6. L'Etat est une socit civil qui a pour function propre la gestion du bien
commun temporel des hommes et des families qui la composent. Cette socit
dcoule de la nature de l'homme et est comme telle voulue par Dieu. Elle peut
revtir cependant des formes diverse, depuis celles du clan et de la tribu
jusqu' celles de nos Etats modernes, royaumes ou rpubliques. L'autorit civil
en constitute un des lments essentiels; elle doit tre respecte et obie.
Cette autorit n'est pas illimite et ne peut tre arbitraire. Elle est lgitime
dans la measure o elle pursuit rellement le bien commun. Ses dtenteurs
doivent, les tout premiers, pratiquer la justice et principalement la justice
distributive et gnrale.
7. Les matires purement spirituelles relvent exclusivement de l'Eglise. Les
matires purement temporelles sont du resort direct de l'Etat. Certains pro-
blmes concernent galement l'Eglise et l'Etat: leur solution doit tre cherche
et trouve de commun accord et dans le respect des droits de chacun. Tels sont
notamment les problmes concernant l'enseignement, l'ducation, les associations
de jeunesse.
8. Dans nos rgions, la socit revt un caractre particulier du fait qu'elle
est constitute de peuples associs par le jeu des vnements historiques.
Cette situation cre des obligations et des droits rciproques dans tous les
domaines: social, conomique, politique, cultural. Seule une action base sur la
justice et la charit, inspire par l'Evangile et reconnaissant la primaut des
intrts des autochtones pourra rsoudre les problmes dlicats que posent
le present et l'avenir.
Les Evques du Congo Belge et du Ruanda-Urundi jugent opportun de
dterminer la position de l'Eglise en face de ces problmes, et nommment:
- le problme de la proprit prive, individuelle et familiale;
- le problme du travail et de sa rmunration;
- le problme des associations professionnelles et conomico-sociales;
- le problme des relations humaines;
- le problme de l'mancipation politique.
1. LE PROBLEM DE LA PROPRIETE PRIVEE
Les biens terrestres sont essentiellement ordonns aux besoins du genre
human et de tous les hommes. Cette destination commune n'exclut cependant
par leur appropriation prive ou personnelle, qui est conforme la nature
humaine et profitable l'ordre social. Quel que soit le rgime de la proprit,
la fin primordiale des biens terrestres doit tre sauvegarde. C'est de la nature,
donc du Crateur, que les hommes ont reu le droit de proprit prive. La
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
famille a le droit de possder et, en premier lieu, de possder un foyer o une
vie familiale, matriellement et moralement saine, arrive se mettre pleinement
en valeur. Il convient que les pouvoirs publics favorisent, d'une manire effi-
cace, la constitution de ce patrimoine familial. (Code Social). En cette matire,
le droit clanique doit s'adapter aux exigences de la morale chrtienne.
2. LE PROBLEM DU TRAVAIL ET DE SA REMUNERATION
Qu'il soit intellectual ou manuel, le travail est le moyen providentiel pour
l'homme de se procurer les resources ncessaires sa vie et celle de sa
famille.
Pour tre just, la rmunration du travail lou autrui doit tre fixe en
premier lieu en tenant compete du but du travail. Nanmoins, d'autres lments
doivent intervenir galement dans la determination du salaire, savoir: le
rendement du travail, la qualification de l'ouvrier et ses responsabilits, la
situation financire de l'entreprise, les possibilits conomiques d'une region
donne.
Une difference de salaire base uniquement sur une difference de race
serait injuste.
Les bnfices de l'entreprise doivent tre rpartis quitablement entire tous
ceux travailleurs, personnel de matrise, dtenteurs du capital qui ont
contribu sa prosprit. Chacun doit participer effectivement aux plus-values
acquises par l'effort de tous.
La part de l'ouvrier doit lui permettre de se procurer ce don't lui et sa
famille ont besoin, non seulement pour leur subsistence, mais aussi pour jouir
d'un niveau de vie et de culture raisonnable, avec la possibility d'pargner pour
l'avenir.
Enfin la rmunration doit tre total, c'est--dire comprendre le salaire de
base et les assurances sociales.
L'Eglise demand que le travail s'effectue dans des conditions morales et
matrielles conformes la dignit humaine et permettent l'accomplissement
des devoirs religieux. C'est ainsi que l'ouvrier a droit au repos dominical, une
vie familiale dcente, des loisirs convenables.
Tout en rendant hommage aux efforts mritoires dploys dans diverse
rgions par les employers pour amliorer le sort de leurs travailleurs, il est
ncessaire de mettre en garde contre les outrances d'un paternalisme qui, la
longue, risque de rduire dangereusement les liberts de l'ouvrier et de sa
famille.
Il n'y a pas de droits sans devoirs correspondents. Le salari a le devoir
de fournir son travail avec toute la conscience professionnelle requise, avec
rgularit et dans le respect des clauses de son contract.
3. LE PROBLEM DES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES
Le droit de s'associer est nature l'homme. Il doit tre respect par tous.
L'association assure la defense et la promotion des intrts communs. Elle
contribute efficacement la formation technique, morale, intellectuelle et mme
religieuse de ses membres. Elle constitute un puissant facteur d'ducation popu-
laire. Ses buts doivent tre honntes et conformes l'ordre public.
Parmi les associations conomico-sociales particulirement utiles, il faut
mentionner les mutualits, les syndicats patronaux et ouvriers. Leur libre
dveloppement ne peut que contribuer la paix social.
Les catholiques ne peuvent s'affilier des associations bases sur des doc-
trines condamnes par l'Eglise.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
4. LE PROBLEM DES RELATIONS HUMAINES
Tous les hommes sont foncirement gaux entire eux parce qu'ils ont tous la
mme nature et la mme destine, parce qu'ils ont tous t rachets par le Christ.
Certaines ingalits d'ordre secondaire sont cependant invitables. Elles pro-
viennent de diverse causes don't les unes dependent de la libre volont des
hommes, comme l'nergie au travail, et les autres de circonstances don't les
hommes ne sont pas les matres, comme la naissance dans un milieu et une
poque donns, l'ducation, la culture, etc...
Dans nos rgions, les differences sont considrables, surtout cause du
mlange des races et des cultures. Seules la justice et la charit chrtiennes
peuvent assurer une communaut de vie saine et un dveloppement harmonieux
de la socit. La legislation, l'exercice de l'autorit, les relations quotidiennes
seront toujours domins par un respect dlicat de la personnel humaine.
Le racism est condamnable, quelle que soit son origine.
L'cart entire le niveau de vie des diverse classes doit tre rduit. L'ordre
social s'accommode mal du grand luxe et du confort raffin qui ctoient rgu-
lirement la mdiocrit et la pauvret quand ce n'est pas le dnuement.
5. LE PROBLEM DE L'EMANCIPATION POLITIQUE
Tous les habitants d'un pays ont le devoir de collaborer activement au bien
gnral. Ils ont donc le droit de prendre part la condutie des affaires publiques.
La nation tutrice a l'obligation de respecter ce droit et d'en favoriser
l'exercice par une education politique progressive.
Les autochtones ont l'obligation de prendre conscience de la complexity de
leurs responsabilits et de se rendre aptes les assurer.
L'Eglise n'a pas se prononcer sur les modalits de l'mancipation d'un
people. Elle la considre comme lgitime du moment qu'elle s'accomplit dans
le respect des droits mutuels de la charit.
CONCLUSION. ROLE DU LAICAT
Les catholiques ont le devoir de participer la vie politique et social.
Ils veillront ce que, dans les institutions qu'on cre, soient respects les
droits de la conscience chrtienne.
Ils tudieront soigneusement tous les problmes qui se posent de manire
leur apporter les solutions de bien commun que propose la doctrine social
chrtienne. Ils s'uniront dans de fortes associations qui pourront faire accepter
les exigences de leur foi. Ils demanderont avec ferveur Dieu de les guider
dans l'accomplissement de leurs devoirs envers la socit et de bnir leur pays.
II.
Le Manifeste du Parti Social Chrtien sur le Congo
Le 26 fvrier 1956, le Comit National du P.S.C. a prcis dans un manifeste
ses positions l'gard des problmes du Congo et a propos des solutions. Voici
le texte intgral de ce Manifeste :
OBJECTIFS ESSENTIELS
Le Parti Social Chrtien entend raffirmer aujourd'hui, face la politique
partisan et incohrente du gouvernement actuel qui sme la division au Congo
Belge et au Ruanda-Urundi, les objectifs essentiels qu'il assigned la politique
belge en Afrique et les ralisations immdiates qu'il prconise.
630
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Le Parti Social Chrtien
- proclame la ncessit d'une communaut belgo-congolaise fonde sur la
libre collaboration des populations noire et blanche d'Afrique et d'Europe,
l'exclusion de tout privilege ou discrimination rsultant de la race ou des
conceptions philosophiques et religieuses;
- s'assigne pour but l'instauration, dans toutes les parties de cette communaut,
d'un rgime dmocratique, respectueux des conceptions et aspirations propres
des populations;
- entend poursuivre et intensifier l'effort de dveloppement conomique et
social, dans l'intrt premier des populations indignes et en vue d'accrotre
leur niveau de vie;
- affirme sa volont inbranlable de dvelopper au maximum, en function des
besoins essentiels des territoires d'Afrique et en dehors des querelles par-
tisanes de la Mtropole, l'oeuvre d'instruction et d'ducation des populations
africaines;
- dclare que les modalits juridiques de la communaut belgo-congolaise
seront adaptes au rythme de l'volution dmocratique et avec le libre
concours des populations congolaises;
- entend voir l'action civilisatrice de la Belgique au Ruanda-Urundi s'panouir
en une solidarity de culture et d'intrts ce point intime qu'elle ilaintiendra
chez les populations intresses, arrives leur maturity, la volont de par-
tager dans la libert et l'galit le destin de la communaut belgo-congolaise.
OBJECTIFS IMMEDIATE
Le Parti Social Chrtien affirme que la poursuite de ces objectifs requiert
dans l'immdiat :
1. Sur le plan politique :
- une dcentralisation administrative relle qui ne soit pas limite l'chelon
provincial;
- l'instauration de conseils locaux et rgionaux (chefferies, secteurs, cits...)
reprsentatifs et progressivement lectifs, exerant des pouvoirss rels et
ayant des responsabilits notamment budgtaires;
- une competence des divers conseils consultatifs mieux prcise;
- la separation des pouvoirs administratifs et judiciaires;
- un accs progressif des indignes aux fonctions administrative et judiciaires
au fur et measure de l'acquisition par eux des titres et qualits profession-
nels requis;
- une meilleure information du Parlement belge par des contacts plus directs
avec les institutions representatives africaines.
2. Sur le plan de l'ducation:
- une politique familiale hardie, la famille tant la cellule premiere de l'action
ducative. La promotion de la femme noire doit tre un objectif primordial;
- une grande politique d'enseignement. Grce au dvouement des missionnaires,
le Congo Belge et le Ruanda-Urundi jouissent de l'enseignement de base
le plus gnralis d'Afrique. L'enseignement secondaire et professionnel est
en constant dveloppement, quoique encore insuffisant; deux universits ont
ouvert leurs portes.
Cette action sera largie par le recours toutes les collaborations, hors
de toute politique partisan, dans le respect d'une relle galit de droit entire
tous les enseignements et compete tenu des vux des populations locales;
631
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
- l'enseignement de toutes initiatives para- et post-scolaires favorables la
promotion de la jeunesse;
- une initiative civique et dmocratique visant rendre tous les habitants
pleinement aptes exercer leurs droits et assumer leurs devoirs de citoyens
dans un Etat dmocratique.
3. Sur le plan conomique et social:
- la poursuite d'un plan d'quipement audacieux et raliste visant doter les
territoires d'Afrique de structures conomiques compltes et quilibres. Les
plans dcennaux conus et mis en ouvre par les ministres Wigny et Dequae
doivent notamment tre mens bonne fin sans dsemparer; le programme
social du plan sera activ et dvelopp, notamment en matire de logement,
dans la ligne des initiatives royales;
- l'lvation systmatique et rsolue des salaires et des revenues, condition
indispensable de l'amlioration du niveau de vie, du dveloppement cono-
mique interne et donc aussi de l'expansion de la classes moyenne;
- l'harmonisation des intrts conomiques essentiels des blancs et des noirs
de toute profession, dans le respect des droits rciproques;
- la promotion social par l'accs la proprit foncire individuelle, la
creation d'un systme de credit, la formation professionnelle et l'accs
toutes les professions;
- l'amlioration continue d'une legislation social don't l'tat actuel place dj
le Congo Belge au premier rang des territoires d'Afrique central.
III.
Le Manifeste
de la Confdration des Syndicats Chrtiens du Congo
A l'occasion de son dixime anniversaire, la Confdration des Syndicats
Chrtiens du Congo a tenu en mai dernier, Lopoldville, son premier Congrs.
Lors de sa sance plnire de clture, le Congrs adopt un manifeste fixant
le programme de la C.S.C.C. pour les annes venir. Ce programme fut com-
muniqu, sous forme de mmorandum, M. Buisseret, Ministre des Colonies,
le 28 juin dernier, par une dlgation de la Confdration des Syndicats Chr-
tiens. Voici le texte de ce manifeste :
Le Congrs de la Confdration des Syndicats Chrtiens du Congo, runi
Lopoldville les 2 et 3 mai 1956 l'occasion du dixime anniversaire de la
C.S.C.C. et compos de dlgus de toutes les rgions, salue fraternellement
le monde du travail du Congo Belge et du Ruanda-Urundi.
Ayant examin les rsultats encourageants de l'action ouvrire durant les
dix dernires annes,
Ayant conscience de la situation social et des possibilits conomiques
du pays,
Devant l'volution marque des ides dans le domaine des relations humaines,
Pour garantir, dans la justice social et le respect de l'homme, une paix
social, durable et un dveloppement harmonieux des intrts de toute la
communaut,
Le Congrs a fix dans les lignes ci-aprs le programme d'action de la
C.S.C.C., pour la ralisation duquel il fait appel la solidarity et au concours
de tous les salaries et appoints, tant du secteur priv que public.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
LIBERTE SYNDICALE
La conception paternaliste est dpasse par les ides et par les faits. Les
relations industrielles normales doivent tre bases sur l'action libre des orga-
nisations professionnelles.
Ceci implique une libert syndicale relle pour tous les travailleurs, blancs
et noirs, tant du secteur public que du secteur priv, dans le cadre des organisa-
tions representatives qui, par le pass, aussi bien au Congo qu'en Belgique,
ont donn la preuve formelle de leur maturity et de leur sens des responsabilits.
STRUCTURE SYNDICALE
En vue de la ralisation de la libert syndicale, tant donn que les intrts
des salaries et appoints, blancs et noirs, sont fondamentalement communs,
le Congrs dcide:
- d'adapter, au fur et measure des ncessits de l'volution, la structure
interne de la C.S.C.C. aux conditions nouvelles;
- de raliser progressivement une communaut syndicale de tous les travail-
leurs, sans distinction de race ou de couleur, au sein de notre organisation;
- de crer un bureau national et des comits provinciaux; d'intensifier les
contacts au sein de cercles eurafricains d'tudes sociales;
- de raliser une coordination plus efficace entire le movement syndical
mtropolitain et congolais, afin de hter la ralisation des objectifs fixs, en
obtenant notamment du patronat une attitude identique en Afrique celle
qu'il adopted en Belgique vis--vis du fait syndical.
STRUCTURE DES RELATIONS INDUSTRIELLES
Le dveloppement harmonieux des relations industrielles exige un ensemble
d'organisations dans lesquelles les employers et les travailleurs se rencontrent
comme partenaires pour rsoudre entire eux les problmes sociaux et conomi-
ques dans un esprit de collaboration et de respect mutuel.
Le Congrs revendique ds lors:
- la creation d'un Conseil national social-conomique, compos paritairement
et sigeant au Congo;
- l'institution de commissions paritaires rgionales ou professionnelles;
- la creation de vritables conseils d'entreprise, constitus paritairement, et
don't les dlgus travailleurs soient dsigns par les organizations syndicales.
Ces organismes doivent avoir competence pour traiter les problmes du
travail sans distinction racial et une protection lgale doit tre accorde aux
dlgus syndicaux.
OBJECTIFS DE LA C.S.C.C.
La C.S.C.C. vise par son action une rpartition plus quitable du revenue
national, tenant compete des besoins du travailleur, de ses charges familiales et
de sa qualification professionnelle. Elle veut raliser une scurit social plus
parfaite et des conditions de travail plus humaines.
Dans ce cadre, le Congrs revendique:
1) la libert du travail par l'octroi de droits gaux aux parties contractantes
et par la suppression de toute sanction pnale en matire de contract de
louage de services;
2) un salaire minimum correspondent aux besoins d'un mnage sans enfant;
3) la classification des travailleurs suivant leur qualification professionnelle
tablie en collaboration avec les organismes paritaires, et la fixation du
salaire en function de la classification et de l'anciennet;
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
4) un rgime d'allocations familiales tenant compete des besoins rels de chaque
enfant charge, et l'instauration d'un rgime obligatoire de compensation;
5) une stability d'emploi plus efficace pour les travailleurs, tant blancs que
.noirs, notamment par:
l'augmentation des garanties lgales en matire de pravis et de fin de
contract;
l'instauration de jurisdictions spcialises;
l'toffement des cadres administratifs charges de veiller au respect des
lois sociales;
6) un rgime de scurit social progressiste :
- En matire de pensions :
La collectivit des employs europens est et doit rester propritaire des
capitaux qu'elle a confis la Caisse des Pensions.
Le Congrs revendique une modification du rgime actuel, qui ne tient
pas suffisamment compete de la dure de vie moyenne relle de l'employ.
Cette modification doit tre base sur une tude approfondie des tables
de mortality des Europens au Congo.
Le rgime des pensions pour les travailleurs congolais doit leur garantir
une retraite dcente et des rentes de survive suffisantes aux veuves et
orphelins. Ce rgime doit tenir compete de leur standing de vie et donner
la possibility pour les volus et les travailleurs qualifis d'adhrer au
mme rgime de pensions que les employs europens.
- En matire d'assurance maladie, invalidit, accidents du travail et maladies
professionnelles: de large amliorations doivent tre apportes par la coor-
dination des lgislations, par la prquation des rentes en vigueur et par
l'largissement des normes de rparation.
- En matire de chmage involontaire : la scurit social doit tre assure
par la creation de bureaux de placement et d'un rgime d'indemnisation.
7) Promotion du travail:
La promotion du monde du travail, condition indispensable pour la paix
social, doit se raliser:
par l'intensiifcation des efforts en matire d'enseignement professionnel
et technique, sous toutes ses formes;
par une politique d'habitation visant procurer chaque travailleur des
conditions dcentes de logement et lui donner de plus en plus la pos-
sibilit d'accder la proprit individuelle;
par l'amlioration du rgime de scurit, salubrit et hygine du milieu
du travail et le contrle efficace des dispositions lgales en la matire;
par la limitation lgale de la dure du travail, la fixation des jours fris
lgaux et l'octroi du repos dominical;
par une politique conomique et financire au service de la communaut
plutt qu'au service de certain intrts privs;
par une gestion industrielle visant adapter constamment l'quipement
des entreprises et des services publics au progrs de la technique moderne.
Le Congrs exige pour chaque travailleur le respect total de la personnalit
humaine et de son intgrit morale et physique aussi bien dans la legislation
que dans les rapports du milieu du travail et de la vie quotidienne.
Chaque travailleur, sans distinction de race ou de couleur, a droit un
revenue dcent, la scurit social et une stability d'emploi garantie.
Ces principles de base, une fois raliss dans la legislation social, assureront
chaque salari l'galit des conditions de travail dans des circonstances
identiques.
Le Congrs proclame sa ferme decision de raliser les objectifs fixs.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Le but qu'il pursuit est avant tout le bien-tre du monde du travail au
Congo.
Il a la ferme conviction que la ralisation de ce but est la condition indis-
pensable pour la creation de la justice et de la paix social.
Le Congrs fait appel tous les travailleurs, blancs et noirs, pour qu'ils
collaborent, au sein de la Confdration des Syndicats Chrtiens du Congo,
dans l'unit et la fraternity, la ralisation de ce programme tabli.
IV.
Declaration du Parti Socialiste Belge
Dans son Congrs Extraordinaire, tenu Bruxelles au dbut de juillet 1956,
le P.S.B. adopta une srie de resolutions qui constituent la declaration ci-aprs:
1. La presence belge au Congo et dans le Ruanda-Urundi ne peut avoir
d'autre but que d'aider les habitants tablir un rgime de dmocratie, de
libert, de justice social et de progrs, en vu de les amener la gestion
autonome de leurs intrts.
Un tel rgime exclut toute discrimination de race, de couleur, de sexe, de
conviction philosophique ou religieuse.
Il est incompatible avec toute forme d'exploitation de l'homme par l'homme.
Il implique la separation des pouvoirs.
Seul ce rgime nouveau assurera dans la paix l'association confiante de ses
habitants avec ceux de la Belgique.
2. Cette ouvre de grande envergure sera ncessairement graduelle; elle doit
tre entreprise sans dlai et poursuivie systmatiqument.
La premiere tche est d'lever le niveau de vie des habitants. La deuxime
est de les aider faire leur apprentissage de la dmocratie, dans tous les domai-
nes de la vie collective.
3. Le movement socialist belge, sous toutes ses formes, contribuera, par
sa solidarity agissante, tant en Belgique qu'au. Congo et au Ruanda-Urundi,
cette grande ouvre d'mancipation humaine et de consolidation de la paix.
A cet effet, le Congrs offre l'adhsion de tous les hommes de bonne
volont le programme d'action ci-aprs.
I. LIBERATION DE L'HOMME
Dmocratisation des institutions
1. Plein exercise des liberts d'association, de runion et de press.
2. Instauration, d'abord dans les agglomrations urbaines, d'assembles locales
lues au suffrage universal.
3. Instauration d'assembles provinciales lues au suffrage universal dans
un stade ultrieur.
4. Augmentation du nombre des provinces en vue de constituer des units
de gestion plus logiques.
5. Extension graduelle de la competence des pouvoirs locaux et provinciaux.
6. Rforme profonde des conseils consultatifs par le enforcement de la
representation du monde du travail et des communauts indignes.
7. Adaptation progressive de l'organisation judiciaire au double principle de
la separation des pouvoirs et de la suppression de toute discrimination racial.
*
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Contrle mtropolitain
1. Revision des rgles de rpartition des pouvoirs d'excution entire les admi-
nistrations mtropolitaine et africaine.
2. Transformation du Conseil colonial en un Conseil du Congo et du Ruanda-
Urundi, compos sur le modle des commissions parlementaires, avec mandate de
mme dure, ayant droit d'initiative en matire de dcrets et charge d'mettre
un avis sur les projects de budgets et les rapports annuels soumettre au
Parlement.
II. PROGRESS DE L'ECONOMIE INDIGENE
Principe gnral
Dveloppement systmatique d'une agriculture, d'un artisanat, d'une industries
et d'un commerce indignes, pour amliorer les conditions de vie des autoch-
tones et les amener la gestion autonome de leurs intrts.
1. Renversement de la prsomption de domanialit des terres en revision du
rgime des concessions, avec creation d'un cadastre valuable, en vue de l'expan-
sion de l'conomie rurale aux mains des autochtones.
2. Installation, sur des terres amnages et fertiles, de groups d'autochtones
aujourd'hui confins sur des terres pauvres ou dans des rgions surpeuples.
3. Dveloppement et modernisation guids de l'exploitation du sol, sur une
base cooperative, tant auprs des grands centres que dans les milieux coutumiers.
III. LE COLONAT
Agriculture
Rserver la sollicitude des pouvoirs publics au seul colonat d'encadrement.
Dans la measure o les entreprises ou les services des colons contribuent, tant
l'mancipation des autochtones qu'au dveloppement harmonieux de la vie
communautaire, ils ont droit tous les encouragements.
IV. ORGANISATION DU SECTEUR PUBLIC DE L'ECONOMIE
1. Rexamen des privileges consentis aux companies charte.
2. a) Organisation plus efficace du contrle des exploitations minires.
b) Nationalisation de l'exploitation des products miniers prsentant un carac-
tre stratgique, notamment pour les matires fissiles et le ptrole.
3. Rforme profonde et nationalisation du secteur de l'lectricit, permettant
l'Etat d'exercer dans l'intrt public une influence qui soit la measure de ses
investissements normes.
4. Gestion du portefeuille du Congo par un corps de technicians hautement
qualifis, agissant pour la sauvegarde de l'intrt public sous la responsabilit
directed du ministry.
5. Reprise par l'Etat de l'exploitation des rseaux de transports.
6. Contrle efficace des banques dans la measure ncessaire la protection
de l'pargne.
7. Politique d'urbanisation des agglomrations.
8. Intensification des changes commerciaux avec la Belgique.
9. Planification d'ensemble de l'conomie congolaise dans une conception
progressiste.
10. Institution d'un Conseil conomique pour le Congo et le Ruanda-Urundi,
reprsentant paritairement le capital et le travail.
636
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
V. SANTE PUBLIQUE ET LOGEMENT
1. Creation urgente d'un Conseil suprieur de la Sant, habilit pour donner
les directives ncessaires aux diffrents services mdicaux, d'hygine ou sociaux,
tant privs que publics.
2. Organisation d'un Service national de Sant, incluant l'tablissement d'une
mdecine individuelle de soins de haute quality.
3. Formation d'un personnel medical et paramdical africain conservant du
personnel europen d'encadrement et d'organisation.
4. Amnagement ou creation des services sociaux ncessaires depuis les
consultations prnatales jusqu'aux tablissements pour vieillards.
5. Logements dcents pour tous.
VI. DEVELOPPEMENT SCOLAIRE
1. Dveloppement continue de l'enseignement des divers degrs.
2. Amlioration de l'instruction et de l'ducation des jeunes filles indignes.
3. Creation de bourses scolaires.
4. Enforcement de l'inspection scolaire, avec mission de veiller surtout
la quality de l'enseignement.
5. Dveloppement considerable de l'enseignement official lac afin de rendre
effective la libert du choix de l'cole.
6. Creation rapide d'orphelinats, de centres de radaptation pour jeunes
chmeurs, d'coles sociales, d'un service de jeunesse, aide effective aux groupe-
ments culturels, aux organizations de loisirs, aux bibliothques publiques,
l'ducation physique et aux sports.
VII. PROGRESS SOCIAL
1. Libert d'association, sans discrimination de race ou de profession.
2. Droit absolu des travailleurs l'amlioration lgitime et raisonnable
de leurs conditions de travail et de leur niveau de vie, commencer par la
fixation d'un minimum vital dcent pour les plus dshrits.
3. Politique salariale sans discrimination de race, pouvant comporter une
prime distinct pour le personnel d'encadrement, mais dterminant les salaires
en function de critres de qualification, de rendement, d'anciennet et de respon-
sabilit, sans que les avantages en nature puissent tre valus au dtriment des
travailleurs. Revalorisation de la rmunration de l'ouvrier qualifi par rapport
celle du clerc ou de l'employ.
4. Instauration de bureaux officials de placement, supprimant le recrutement
pour compete de tiers et contribuant, avec les moyens de la politique conomique,
une lutte efficace contre le chmage.
5. Remplacement des corvs, des cultures obligatoires et du travail la tche
par un systme d'obligations civiques accomplies titre personnel et assures
d'une rmunration et d'une scurit social quivalentes celles des travail-
leurs volontaires.
6. Rforme profonde et gnreuse du rgime de scurit social en ce qui
concern les allocations familiales, les accidents du travail et les maladies
professionnelles.
7. Instauration de rgimes suffisants : d'assurance-invalidit, de pensions de
vieillesse, de survive et d'orphelins, d'assistance aux estropis et mutils con-
gnitaux, d'hospitalisation des vieux et d'assistance publique aux indigents.
8. Refonte de la rglementation du travail en ce qui concern la dure du
travail, les jours de repos, les jours fris pays, les congs pays, l'interdiction
des travaux lourds ou du travail de nuit pour les femmes et les enfants, l'assu-
rance et la scurit des marines autochtones. Enforcement de l'inspection du
travail confier des mdecins et des hommes de mtier.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
9. Creation de mutualits, pour assurer la defense des travailleurs par
l'assurance, compete tenu du service national de sant.
10. Creation de coopratives, notamment de coopratives de consommation,
en vue de contribuer l'lvation du niveau de vie des travailleurs.
11. Institution d'un Conseil social reprsentant paritairement le capital et
le travail.
V.
Le Manifeste de Conscience Africaine
L'quipe de rdaction de Conscience Africaine , dans son numro special
de juillet-aot 1956, a public un Manifeste concernant les sentiments et les
aspirations des Congolais. Voici le texte intgral de ce Manifeste :
L'quipe de rdaction de Conscience Africaine a consacr de nombreuses
runions l'tude des difficiles problmes de l'avenir du Congo.
Nous ne sommes qu'un petit group, mais nous pensions pouvoir parler au
nom d'un grand nombre; parce que nous nous sommes volontairement limits
dgager et formuler les aspirations et les sentiments de la majority des
Congolais qui rflchissent.
Nous l'avons fait dans un esprit de sincrit et avec le dsir de faire du
travail constructif. Nous ne prtendons d'ailleurs aucun monopole, ni de
l'amour de notre pays, ni de la clairvoyance sur son avenir.
Le present manifeste n'est qu'un point de dpart. Nous le prciserons et
le complterons, ensemble avec ceux qui viendront nous rejoindre.
NOTRE VOCATION NATIONAL
Dans l'histoire du Congo, les 80 dernires annes ont t plus importantes
que les millnaires qui ont prcd. Les 30 annes qui viennent seront dcisives
pour notre avenir. Il serait vain de vouloir baser notre sentiment national sur
l'attachement un pass rvolu. C'est vers l'avenir que se tournent nos regards.
Nous croyons que le Congo est appel devenir, au centre du continent
africain, une grande nation.
Notre vocation national: travailler difier, au coeur de l'Afrique, une
socit nouvelle, prospre et heureuse, sur les fondements d'une socit ancienne
- la socit clanique fortement branle par une volution trop rapide, et
qui cherche son nouvel quilibre.
Cet quilibre nouveau, nous ne pouvons le trouver que dans la synthse
de notre caractre et de notre temperament africains avec les richesses foncires
de la civilisation occidentale.
Cette synthse, personnel ne peut la raliser en lieu et place des Congolais,
avec l'aide fraternelle des Occidentaux qui vivent au Congo.
Pour que l'on puisse parler d'une nation congolaise, compose d'Africains et
d'Europens, il faut que tous soient anims du dsir de servir le Congo. Nous
avons le droit de demander aux Europens qui partagent notre vie national,
d'tre avant tout des citoyens congolais; c'est--dire de ne pas poursuivre
uniquement le bien de la communaut belge au Congo et leurs nitrts per-
sonnels; mais de rechercher, ensemble avec nous, le bien de la grande com-
munaut congolaise.
UNITE DANS LA DIVERSITY
Un principle est pour nous essential: la couleur de la peau ne confre aucun
privilege. En dehors de ce principle, l'union est impossible.
Mais, galit foncire ne signifie pas identity. Nous voulons tre des Con-
golais civiliss, non des Europens peau noire >... Nous comprenons galement
que les Europens dsirent garder leur propre manire de vivre.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Maintenir des privileges l'un des deux groups serait source de conflicts.
Ne pas reconnatre leurs caractres propres et vouloir les uniformiser, crerait
galement des tensions dangereuses. Il faut admettre, dans un esprit de com-
prhension, qu'une difference n'est pas ncessairement une infriorit ou une
supriorit.
Nous rejetons avec vhmence le principle: Egaux, mais spars ... Il nous
blesse profondment... Les milieux europens et africains doivent se compntrer.
Des contacts humans sur pied d'galit doivent s'tablir; non seulement sur le
plan individual; non seulement dans des associations cres spcialement pour
favoriser ces contacts, mais galement dans toutes les relations : familiales,
professionnelles et sociales.
UNE TACHE EXALTANTE A POURSUIVRE
A partir de l'action civilisatrice de la Belgique au Congo, se dveloppe une
civilisation nouvelle qui sera la ntre. Dj les lments principaux de la civi-
lisation occidentale pntrent de plus en plus profondment au Congo. L'enseigne-
ment primaire atteint les masses, tandis qu'une lite intellectuelle fait des
tudes universitaires. Les progrs incessants de la science et de la technique
luttent contre la maladie et la misre et jettent les bases d'une prosprit
croissante. La religion chrtienne nous enseigne le sens profound de la vie,
la dignit minente de la personnalit humaine et la fraternity de tous les
hommes.
Mais nous ne sommes encore qu' mi-chemin... Nous voulons une civilisation
complete. Un nombre croissant de Congolais ont le dsir de prendre plus de
responsabilit et plus d'initiative dans l'avenir de leur pays. Ils veulent assimiler
dans leur vie national d'autres valeurs foncires de la civilisation occidentale
qui sont encore absentes ou insuffisamment dveloppes : le respect de la per-
sonne humaine et de ses liberts fondamentales, sans distinction de races; la
recherche pousse de la justice social; le droit des peuples, arrivs la
maturity, de se gouverner eux-mmes; la vritable dmocratie, base sur l'galit
de tous les hommes et la participation du people au gouvernement du pays...
Ceci est un programme longue chance, qui peut se raliser dans l'union
des Africains et des Europens qui vivent au Congo.
COMMUNAUTE BELGO-CONGOLAISE ?
Nous constatons que l'opinion congolaise ragit avec une certain mfiance
lorsqu'on parle de communaut belgo-congolaise . Ces mots peuvent couvrir,
en effet, des ralits fort diffrentes.
Pour parler clairement, les Congolais qui rflchissent ces problmes,
craignent que certain ne dforment l'ide de la communaut belgo-congolaise,
pour en faire un frein l'mancipation total du people congolais; un moyen
aussi pour perptuer indfiniment la domination ou tout au moins l'influence
prpondrante d'Europens, formant une caste de privilgis.
Dans le sens que nous lui donnons, une telle communaut, loin d'tre un
empchement, doit tre le moyen de raliser notre mancipation total.
Pour nous, la vision voque par Monsieur le Gouverneur Gnral Ptillon
n'est autre que l'idal don't nous rvons pour la nation congolaise de demain:
une fraternity humaine base sur l'galit foncire des hommes, sans distinction
de races.
EMANCIPATION PROGRESSIVE MAIS TOTAL
La Belgique ne doit pas voir dans notre dsir d'mancipation un sentiment
d'hostilit. Bien au contraire. La Belgique doit tre fire que l'inverse de
presque tous les peuples coloniss notre dsir s'exprime sans haine et sans
ressentiment. C'est l une preuve indniable que l'oeuvre des Belges dans ce
pays n'est pas un chec.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Si la Belgique parvient mener bien l'mancipation total du Congo, dans
la comprehension et dans la paix, ce sera le premier example dans l'histoire,
d'une entreprise colonial aboutissant une russite complete.
Mais il faut pour cela que les Belges comprennent ds maintenant que leur
domination sur le Congo ne sera pas ternelle. Nous protestons nergiquement
contre une certain opinion, parfois exprime dans la press, et qui ne fait pas
de difference essentielle entire la presence des Belges au Congo et leur domi-
nation sur le Congo.
A ceux qui posent la question: dans combien de temps les Belges devront-ils
quitter le- Congo ?... nous rpondons: pourquoi certain Belges posent-ils le
dilemne: ou bien dominer... ou bien tout abandonner ?...
A ceux qui posent ce dilemne, nous avons envie de proposer, pour le bien
du Congo et de la presence belge au Congo, qu'ils fassent leur valise sans
plus attendre.
Il est temps que l'lite europenne ragisse avec vigueur, ici au Congo et
peut-tre plus encore en Belgique, contre une mentality aussi dangereuse.
A qui la faute, si dj trop de Congolais sont persuads que les Europens
seront incapables d'abandonner leur esprit de domination politique, d'exploita-
tion conomique et de supriorit racial ?...
EMANCIPATION POLITIQUE
Nous avons lu qu'il tait question d'un plan de 30 ans pour l'mancipation
politique du Congo. Sans nous prononcer sur l'ensemble de ses lments, nous
croyons qu'un tel plan est devenu une ncessit, si l'on veut que cette man-
cipation se ralise dans la paix et la concorde.
Ce plan devrait exprimer la volont sincre de la Belgique de mener le
Congo l'mancipation politique complete dans un dlai de 30 ans. Une
declaration sans quivoque sur ce point est le seul moyen de conserver la
confiance des Congolais l'gard de la Belgique.
Ce plan, qui serait un compromise entire l'impatience des uns et le conser-
vatisme des autres, doit fixer nettement les tapes intermdiaires raliser dans
des dlais prcis. C'est la seule faon d'viter que chaque project de rforme
ne donne lieu priodiquement des discussions, des marchandages et des
preuves de force entire deux blocs antagonistes qui finalement deviendraient
irrconciliables.
Pour l'mancipation politique, nous pensions qu'il y a moyen de partir des
institutions existantes en les faisant voluer progressivement dans un double
sens. D'une part, elles doivent devenir de plus en plus representatives, en rem-
plaant progressivement le systme de nominations par un systme o la
population dsigne elle-mme ses reprsentants. D'autre part, les conseils qui
sont actuellement purement consultatifs, doivent recevoir, en des matires de
plus en plus tendues, un vritable pouvoir de decision et de contrle, pour
arriver finalement un gouvernement responsible devant la nation.
Ne pas donner de vritables responsabilits aux reprsentants du people,
ne pourrait que multiplier les difficults et prparer trs mal l'avenir. Ceux qui
ne doivent jamais prendre de decisions sous leur responsabilit propre, ont
toujours tendance faire valoir des revendications exagres et irralisables.
Cela mnerait invitablement la dmagogie.
Nous ne demandons pas seulement un plan d'mancipation politique, mais
un plan global d'mancipation total.
A chaque tape de l'mancipation politique doit correspondre une tape
d'mancipation conomique, d'mancipation social, et aussi de progrs dans
l'ducation et la culture. La ralisation parallle de ces progrs est d'une nces-
sit absolue pour que l'mancipation politique soit sincre et efficace.
Nous ne voulons pas que les, apparences extrieures de l'indpendance
politique ne soient en ralit qu'un moyen de nous asservir et de nous exploiter.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
EMANCIPATION ECONOMIQUE ET SOCIAL
Qui oserait parler d'mancipation vritable si la direction de toute la vie
conomique, la proprit des entreprises industrielles, agricoles et commercials
devaient indfiniment rester, d'une manire exclusive, entire les mains
d'Europens ?
Nous n'acceptons pas le maintien d'une politique de bas salaires qui permet
aux socits de rinvestir une grande parties de leurs normes bnfices. Il
serait galement inadmissible de confisquer une parties du just salaire des
travailleurs au profit d'une conomie tatise.
Certains prconisent la nationalisation des grandes entreprises. Nous
n'avons aucune confiance dans ce capitalism d'Etat. D'ailleurs, en Europe, les
travailleurs sont-ils beaucoup mieux pays et mieux traits dans les entreprises
nationalises que dans les firmes prives ?
Les salaires et les revenues agricoles doivent augmenter de manire per-
mettre une pargne de plus en plus important. Les Congolais auront ainsi
progressivement le moyen de former, eux aussi, des capitaux; d'en avoir les
profits et d'en partager l'influence.
Il faut que les artisans, commerants et agriculteurs congolais soient encou-
rags et aids. Les classes moyennes sont un lment important dans la vie
conomique et social du Congo.
Pour la masse de la population qui reste dans les villages, il faut valoriser
l'conomie agricole et y rendre la vie plus agrable en commenant par sup-
primer le systme odieux des cultures imposes.
Pour la masse des travailleurs, il faut augmenter rapidement le salaire
minimum lgal qui ne permet pas une vie dcente, surtout dans les centres
o la vie est chre. Ces salaires minima doivent tre bass non sur le budget
d'un clibataire, mais sur celui d'une famille. Il doit en tre ainsi, mme pour
les clibataires adults, afin qu'ils puissent rassembler l'argent ncessaire pour
se marier, sans devoir se priver pour autant de manger leur faim.
Les possibilits de formation et de perfectionnement doivent tre consid-
rablement amplifis; non seulement par l'enseignement professionnel tous les
degrs, mais par une meilleure organisation de l'apprentissage dans les
entreprises.
Au del du minimum vital, le salaire doit tre rellement en rapport avec la
qualification et le rendement. Pour ceux qui rejoignent la qualification des Euro-
pens, il faut combler l'abme qui spare les deux barmes de rmunration.
La famille congolaise, qui a tant de peine se dgager des servitudes du
pass, est soumise dans les centres des conditions d'existence qui rendent
impossible son panouissement. Dans le domaine de l'habitation, notamment,
l'Etat a fait de gros efforts; mais le problme reste trs grave et nous avons
de nombreux griefs concernant les solutions adoptes.
Dans le pass, le paternalisme a t une chose ncessaire. Les Congolais
commencent prendre conscience des responsabilits sociales qu'ils peuvent
.*t doivent prendre eux-mmes. Nous demandons, non seulement que l'on
:1'entrave pas cette tendance qui marque une volution social favorable, mais
que les organizations libres que les Congolais prennent l'initiative de crer,
:;oient encourages. Nous demandons en particulier la libert syndicale.
NOTRE ATTITUDE A L'EGARD DE LA BELGIQUE
Nous sommes reconnaissants envers la Belgique; mais qu'on ne nous demand
pas un patriotism factice.
A la question si nous dsirons plus tard rester unis la Belgique, nous
rpondons: nous ne dsirons d'aucune manire que le Congo soit intgr dans
l'Etat belge unitaire. Nous n'admettrons mme jamais qu'une fdration belgo-
congolaise nous soit impose sans notre libre consentement, ou que l'on en fasse
la condition de notre mancipation politique.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Nous souhaitons qu'une telle communaut soit un jour le fruit d'une libre
collaboration entire deux nations indpendantes, lies par une amiti durable.
Cette amiti de la Belgique, nous ne la mesurerons pas au montant des
capitaux investis, mais l'attitude des Belges du Congo l'gard des Congolais,
et la sincrit avec laquelle la Belgique nous aidera raliser notre autonomie
politique total.
Il y a un an, le Congo rservait un accueil triomphal au Roi Baudouin. Tous
les Congolais ont compris que notre Roi aimait son people. Nos acclamations
n'exprimaient pas seulement notre reconnaissance, mais aussi notre espoir que
l'attitude du Souverain servirait d'exemple tous les Belges, au Congo et
la Mtropole.
ORDRE ET RESPECT DE L'AUTORITE
Notre volont est que l'mancipation du Congo se ralise dans l'ordre et
la tranquillit. Et nous croyons que c'est possible.
Nous sommes dcids ne pas nous laisser entraner la violence, parce
que la violence rend les problmes insolubles. Nous n'avons qu'un seul but:
le bien de la nation congolaise. Ce but nous le ferons triompher dans la lgalit
et par des moyens pacifiques. Ceux qui usent de la violence, montrent' qu'ils
ne sont pas mrs pour la vraie dmocratie.
Nous voulons continue respecter l'autorit; mais nous dsirons que, plus
que par le pass, on nous demand notre avis et qu'on en tienne compete. Et si
l'on estime ne pas pouvoir nous suivre, qu'on nous dise pourquoi.
Nous demandons notamment, de la manire la plus formelle, tre directe-
ment intresss l'laboration du plan de 30 ans don't il est question. Sans
cette participation, un tel plan ne pourrait avoir notre assentiment.
APPEL AUX EUROPEENS
Les Europens doivent bien comprendre que notre dsir lgitime d'manci-
pation n'est pas dirig contre eux. Notre movement national n'est pas inspir
par la haine, mais par la fraternity et la justice.
Nous savons que la ralisation de nos aspirations dpendra de nos propres
efforts et nous ne manquerons pas de rappeler souvent aux Congolais la dure
vrit que nous ne pouvons revendiquer nos droits que si nous prenons pleine-
ment conscience de nos devoirs et de nos responsabilits.
Mais la communaut congolaise de demain, compose de blancs et de noirs,
n'est ralisable que dans une ambiance de respect et d'estime mutuels, ainsi
que de franche amiti.
Il faut pour cela que beaucoup d'Europens modifient leur attitude vis--vis
des Congolais. Nous pensions que c'est possible. Nous nous plaisons d'ailleurs
reconnatre qu'il y a eu de sensibles progrs ces dernires annes; mais ils sont
encore le fait d'un trop petit nombre pour crer vraiment l'ambiance ncessaire
une vraie communaut.
Nous demandons aux Europens d'abandonner leur attitude de mpris et de
sgrgation racial; d'viter les vexations continuelles don't nous sommes l'objet.
Nous leur demandons aussi d'abandonner leur attitude de condescendance qui
blesse notre amour propre. Nous n'aimons pas tre toujours traits comme des
enfants. Comprenez que nous sommes diffrents de vous et que, tout en assimi-
lant les valeurs de votre civilisation, nous dsirons rester nous-mmes. Nous
vous demandons aussi un effort pour comprendre nos aspirations lgitimes et
pour nous aider les raliser.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
La main tendue trop tard risque d'tre refuse , proclamait le Gouverneur
Gnral Jungers, dans un solennel avertissement. Nous croyons que, pour un
rapprochement sincre entire Europens et Congolais, il n'est pas trop tard...
mais il est temps...
Nous voyons avec satisfaction qu'un nombre croissant d'Europens sont
disposs cder progressivement aux Congolais toutes les responsabilits qu'ils
se montreront capable de tenir. Bien des Europens aussi, anims d'un sincre
esprit de justice, acceptent de partager plus largement avec les Congolais les
richesses que ceux-ci aideront augmenter par un travail plus qualifi et plus
productif. Ces Europens se heurtent malheureusement trop souvent l'incom-
prhension de leurs compatriotes.
Ensemble, Congolais et Europens de bonne volont, nous convaincrons par
notre effort constructif ceux qui restent indiffrents l'avenir de notre com-
munaut. Quant ceux qui s'obstinent dans une attitude d'goisme et d'orgueil
mprisant, nous les contraindrons au besoin par l'usage just et digne de la force
invincible de notre union.
NECESSITE DE L'UNION NATIONAL
Nous n'avons qu'une chance de faire triompher notre cause: c'est d'tre
et de rester unis.
Unis nous serons forts, diviss nous serons faibles. C'est l'avenir de la
nation qui est en jeu.
L'union national est ncessaire parce que toute la population du Congo
doit prendre avant tout conscience de son caractre national et de son unit.
Comment serait-ce possible si le people est sollicit par plusieurs parties qui
se combattent ?
Ceci nous amne prendre position l'gard de l'introduction au Congo
des parties politiques de Belgique. Notre position est nette : ces parties sont un
mal et ils sont inutiles.
Les parties politiques ne rpondent aucune ncessit dans la structure
politique et administrative actuelle du Congo, puisque nous n'avons ni Parle-
ment, ni lections. De plus, les divisions politiques belges n'ont pas de sens
au Congo; elles sont nes de circonstances historiques propres la Belgique.
Mais surtout, nous ne voulons pas actuellement de parties, parce que ce ilui
caractrise les parties, c'est la lutte; tandis que ce que nous voulons, c'est l'union.
Si nous nous laissons diviser, nous ne raliserons jamais l'idal d'une grande
nation congolaise. Mme si certain parties marquent l'mancipation politique
leur programme, l'existence mme de ces parties est un obstacle radical cette
mancipation.
Les Congolais qui seraient tents de se-laisser entraner dans cette politique
de parties ne connaissent-ils pas le vieil adage appliqu par tous les domina-
teurs : Divide et impera , diviser pour mieux dominer ?
Qu'on nous comprenne bien. Nous ne voulons tre ni un parti contre les
parties , ni un parti unique .
Nous sommes convaincus qu'il est fort bien possible des paens, des
catholiques, des protestants, des salutistes, des musulmans... de s'entendre
sur un programme de bien commun qui respect les principles de la morale
naturelle qui sont gravs au coeur de tout homme digne de ce nom. Ce pro-
gramme, les Congolais peuvent le raliser le plus srement dans l'union et dans
le respect sincre des convictions de chacun.
Plus tard, lorsque les structures politiques du Congo le rendront ncessaire,
nous pourrons nous grouper selon nos affinits, nos intrts et nos conceptions
politiques. Il est fort probable qu' ce moment-l les parties spcifiquement
congolais ne se calqueront pas sur les parties de Belgique.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
COMMENT REALISER CETTE UNION DE TOUS ?
Pour commencer, nous souhaitons que le present manifeste suscite parmi
les Congolais et aussi parmi les Europens un vaste movement d'opinion qui
se cristallise autour de notre modest journal. Nous avons dj dcid d'largir
notre quipe de rdaction pour qu'elle soit plus representative de toutes les
opinions compatibles avec les principles qui sont ici rsums.
Toutefois, nous sommes persuads que, dans un avenir plus ou moins rap-
proch, il sera ncessaire de donner une forme plus prcise au movement
d'ides que nous voulons promouvoir et qu'il faudra une organisation. Celle-ci
pourra crer des sections, affilier des membres, tenir des runions, raliser le
travail considerable d'ducation qui s'impose auprs de l'lite et de la masse
de notre people.
L'organisation que nous prvoyons se ferait au grand jour, en pleine lgalit
et en se conformant aux lois et rglements en vigueur.
En attendant, nous invitons nos lecteurs, Africains et Europens, nous
crire pour entamer le dialogue. Nous serions heureux notamment d'apprendre
leur point de vue sur l'opportunit du movement national populaire que nous
proposons.
Que ceux qui partagent notre idal, mme s'ils ne partagent pas toutes nos
positions, s'abonnent immdiatement Conscience Africaine et se fassent les
propagandistes de notre journal.
APPEL AUX CONGOLAIS
Notre appel s'adresse d'abord cette large lite qui existe dj au Congo
et que nous croyons vraiment capable d'tre le levain dans la masse.
Nous comptons sur ceux qui ont eu la faveur de faire des tudes et qui sont
dans l'enseignement, les bureaux et l'administration. Nous comptons spciale-
ment sur nos universitaires congolais qui tudient aux universits du Congo
et de Belgique.
Mais nous voulons aussi les travailleurs des mines, des chantiers, des usines,
de l'agriculture; les artisans et les commerants. Parmi eux aussi monte une
lite vritable don't le pays a un absolu besoin.
Que personnel parmi nous ne cherche, dans le movement que nous voulons
crer, ni son intrt personnel, ni la satisfaction de ses ambitions.
Nous devons accepter d'tre, avec gnrosit et dsintressement, au service
de notre people. Celui-ci n'est pas une ralit abstraite et vague, mais une
masse d'hommes, de femmes, de jeunes, d'enfants qui vivent autour de nous,
que nous devons aimer profondment et que nous devons aider de toutes nos
forces monter et grandir.
Nous ne devons pas nous payer de mots. Il ne suffit pas de l'crire et de
le crier pour que notre idal se ralise. Il faudra de longs efforts, sems de
difficults, entravs par des checs. Il faudra de la tnacit, de la persvrance,
de la patience aussi.
Nous voulons, par notre attitude digne, intelligence et courageuse, par notre
respect de l'autorit et des hommes qui la reprsentent, mriter l'estime et la
confiance pour que celles-ci rejaillissent sur la cause que nous voulons
promouvoir.
Nous avons une total confiance dans l'avenir de notre pays. Confiance aussi
dans les hommes qui doivent y vivre dans la concorde et dans la joie.
Avec toute la sincrit et tout l'enthousiasme de nos cours, nous clamons:
Vive le Congo Vive la Belgique! Vive le Roi!
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
VI.
Le dernier discours de M. L. Ptillon,
Gouverneur Gnral du Congo Belge
au Conseil du Gouvernement 1956
MESSIEURS,
Ce discours sera le dernier de mon mandate.
Mon premier movement fut d'en faire un bilan.
Lorsqu'un homme aux affaires est sur le point d'achever son travail, il est
de bonne mthode qu'il expose ce qui fut ralis sous son impulsion et que
surtout il indique ce qui reste faire.
Cependant, en prparant cet expos, je me suis dit qu'il serait sans doute
assez artificial, dans notr cas, vous et moi, de faire concider une sorte
d'inventaire avec l'achvement d'un mandate. En l'occurrence, la grande affaire
mener, sous l'gide actuelle et future de la Belgique, est une, dans sa con-
ception comme dans son orientation: ce qui s'accomplit aujourd'hui est la
poursuite de ce qui se fit hier, l'amorce de ce qui se fera demain.
Aussi me suis-je dcid essayer de faire plutt qu'un bilan une
synthse.
D'abord, parce qu'une synthse n'implique pas qu'on dcoupe dans le temps
une tranche de quelques annes et qu'on la considre comme un tout sans
pass ni avenir. Ensuite, parce qu'il est bon que celui qui s'en va aprs avoir
chaque anne expos une politique et trac un programme redise sa pense,
en la ramassant, et rpte ses projects, en les compltant.
N'tes-vous pas, d'ailleurs, Messieurs, vous qui reprsentez, en ce Conseil de
Gouvernement, l'ensemble des populations du Congo, les censeurs et les dpo-
sitaires en Afrique de cette politique, les grants et les continuateurs de l'oEuvre ?
Dans la ligne de nos proccupations habituelles et de notre souci de toujours,
j'aimerais dbuter par quelques considerations la fois de principle et
d'actualit sur les relations humaines.
Dans les pays pleinement forms, l'action de l'Etat s'exerce cet gard de
manire discrte. Comme la socit y est stabilise, l'Etat n'a point s'adresser
directement aux consciences; c'est en ordre premier la tche de la famille, des
ducateurs, des autorits spirituelles; lui, n'intervient que de manire incident,
en favorisant ce qui peut contribuer la bonne entente entire les citoyens et
spcialement entire les classes sociales.
Sa mission est plus tendue et plus ingrate en pays neuf. Son devoir sacr
est d'y introduire une civilisation plus haute et d'en rpandre les prceptes.
Devoir d'autant plus dlicat que les deux groups qui composent la socit n'ont
rien de commun au dpart: ils sont de races diffrentes, vivent spars par
une barrire de conceptions, occupent dans la vie des situations qui les mettent
les uns vis--vis des autres, pratiquement toujours et toujours dans le mme
sens, dans des rapports de subordination. Il est donc lgitime qu'en de tels pays
l'Etat s'intresse, avec l'appui et la collaboration de toutes les forces morales,
aux relations humaines; lgitime aussi et mme ncessaire qu'il ait en la
matire une doctrine, qu'il l'affirme et qu'il prenne les measures qui relvent
de lui pour en assurer la pntration et en promouvoir l'application.
Mais ses moyens d'action, pour large qu'ils soient, comportent malgr tout
une limited: sous peine de commettre l'erreur que nous dnonons dans certain
systmes d'hier et d'aujourd'hui, l'Etat ne peut, s'rigeant en censeur d'inten-
tions, prvoir dans ses lois une sorte de dlit de lse relations humaines.
C'est pourquoi, quels que soient la chaleur qu'il mette dans ses exhortations
et le soin qu'il apporte adapter les institutions aux impratifs qu'il proclame,
l'harmonisation des rapports entire les hommes dpend en definitive de leurs
propres efforts.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Bien sr, nous ne pouvons attendre que chacun des individus de la com-
munaut ralise de manire consciente ce qui lui est demand. A l'gard de
beaucoup, c'est l'ambiance dominant qui agit uniquement, conditionnant
presqu' leur insu leurs manires d'tre et de faire.
Aussi bien l'influence des lites a-t-elle toujours t prpondrante dans
la formation des socits humaines; au Congo comme ailleurs, c'est sur elles
- blanches et noires que pse le lourd fardeau.
L'an dernier s'coula sous le signe de ces proccupations.
Le Souverain, qui venait de prendre avec Ses sujets d'Afrique des contacts
bouleversants, formula, ds Son retour en Belgique, le message qui avait mri
en Lui pendant Son voyage. Il dit, dans les terms de la plus grande clart,
que les relations humaines entire les blancs et les noirs constituent la question
essentielle qui se pose maintenant au Congo.
De mon ct, je m'appliquai, dans la ligne de la pense royale, examiner
devant vous ce que chacun, dans le concrete, doit faire ou viter pour progresser
rsolument dans cette voie.
Certaines measures furent prises qui vinrent s'ajouter celles qu'en function
de notre politique nous appliquons depuis plusieurs annes pour faire que les
habitants de ce pays apprennent vivre ensemble. L'une d'elles, vous le savez,
apportait la legislation qui rgit la vente et le dbit des boissons des modifi-
cations permettant aux blancs et aux noirs qui le dsirent de se runir plus
commodment dans les mmes tablissements publics.
Et c'est ici que nous avons rencontr nos premires difficults.
Un peu partout travers le Congo, quoiqu'avec une intensity diffrente
selon les lieux, la mise en application de ces measures suscita des incidents.
Il en rsulta, en divers endroits, un indniable malaise, fait de dception et
d'amertume chez certain, de mcontentement l'gard de l'autorit chez
d'autres.
L'vnement ne nous surprit gure; nous avions prvu que la succession, en
un court laps de temps, de crmonies patriotiques et d'actes publics propres
mouvoir les consciences, soulverait des remous psychologiques.
Car, comment faire comprendre, sans les branler, des hommes trs dif-
frents que le pays o ils vivent en est arriv au point d'volution o son
destin dpend avant tout de leur comportement human ?
De tels chocs sont en definitive bnfiques si les esprits et les cours remus
retrouvent ensuite, dans une tranquillit reconquise, les dispositions et les
impulsions ncessaires pour aller de l'avant.
C'est chose faite aujourd'hui et c'est pourquoi je puis vous en reparler
brivement ce soir en toute srnit.
Il ne fait pas de doute que, du ct des autochtones, ce qui fut dit et dcid
en 1955 souleva un immense et lgitime espoir que doublrent toutefois trop
d'illusions. Beaucoup crurent que l'volution des esprits et des cours, que
nous prchons depuis tant d'annes, allait soudain se prcipiter et ne connatre
plus d'entraves.
Et cependant, n'avons-nous pas toujours prdit que la communaut laquelle
nous aspirons n'clorait pas en un jour; que, comme toute uvre qui doit
s'laborer dans les mes, elle demanderait du temps et, de la part de tous,
de laborieux efforts ?
Je ne fais pas aux masses le reproche de ne l'avoir point compris ni la
sensibility populaire de s'tre enfivre et exalte.
Mais, je rpterai ce soir aux lites noires ce que je me suis efforc de leur
inculquer au course de mes rencontres avec elles.
Il est de votre devoir de prendre une conscience plus exacte des difficults
de notre tche commune et avec une inbranlable patience de faire preuve,
dans tous vos actes, d'une intelligence bonne volont et de l'imposer ceux qui
vous entourent.
Je sais que je vous demand par l de tmoigner d'une exceptionnelle
sagesse. Mais je sais aussi que vous avez en vous les resources ncessaires pour
la pratiquer. La philosophie sculaire de votre race ne vous a-t-elle pas appris
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
que les rapports entire les hommes sont commands par des rgles qu'on
n'abroge pas, comme cela, simplement en le voulant ? Dans vos chefferies,
n'avez-vous pas toujours vu les anciens mettre d'infinies precautions modifier
tel ou tel lment de l'quilibre clanique ? Et sur le plan de votre vie intime,
vous qui aspirez tant avoir des pouses qui partageraient votre nouveau mode
d'existence, qui comprendraient les tourments nagure inconnus qui vous
habitent aujourd'hui, n'avez-vous pas l'exprience du doigt qu'il faut pour en
faire progressivement de vraies compagnes en supportant quand mme, dans
l'entretemps, la vie commune ?
L'occasion vous est aujourd'hui donne de faire bnficier la lente for-
mation de la communaut belgo-congolaise ce principle nouveau de vie -
des richesses de votre fonds traditionnel. Ce pourrait tre l, Messieurs, votre
contribution la plus dterminante l'avenir du pays.
Plus dterminant encore est le rle des lites blanches qui je demand
formellement de ne rien ngliger pour donner ceux qui les entourent et qui
en ont besoin une exacte comprehension de nos grands problmes.
Je ne puis assez rpter combien, dans ce domaine, l'action de la press
est primordiale et grave et combien j'apprcie les efforts qu'elle fait pour
repenser sa mission et pour l'exercer dans un sens toujours plus lev.
Certes, le problme est dlicat pour elle.
D'une part, en effet, il ne peut tre question qu'elle se fasse le pangyriste
de la politique gouvernementale; sa function naturelle est d'informer et de
commenter, avec le souci de faire sur les vnements la lumire de la vrit,
ce qui implique incontestablement qu'elle use, lorsqu'elle l'estime ncessaire,
de sa libert critique.
Mais, par ailleurs, elle exerce sur l'opinion un vritable pouvoir et n'chappe
donc pas la rgle morale selon laquelle il n'est pas de pouvoir sans devoir.
Celui-ci lui command, dans un pays en formation, de s'abstenir de tout ce qui
peut aboutir diviser ou, ce qui serait plus grave encore, dresser les uns
contre les autres ceux qui ont choisi de vivre ensemble.
La difficult majeure j'y appelle aussi l'attention de la press mtropoli-
taine qu'on lit ici de plus en plus est de faire la synthse crucial de ces
deux impratifs.
Les choses d'ailleurs cet gard s'amliorent. Ngligeant le plus souvent
les menus faits ou incidents sans porte gnrale, les journaux se sont pris
commenter, au jour le jour, les vnements rellement dignes d'intrt, dga-
geant la leon qu'ils comportent au regard du but commun atteindre. De plus
en plus, dans des articles suffisamment rflchis et sereinement crits bien
que souvent fort pessimistes ils publient des tudeg profitable au lecteur
et formulent des critiques salutaires au pouvoir.
Je forme le vou qu'ils se convainquent sans cesse davantage que d'eux
dpend, dans une measure redoutable, l'heureuse volution de ce pays.
J'ai dit et rpt que nous n'arriverions rien si les hommes tous les
hommes qui vivent ici ignoraient ou mprisaient notre politique en matire
de relations humaines et s'ils n'taient aids par les meilleurs d'entre eux
la mettre en pratique.
Ici les guette toutefois, les uns et les autres, l'cueil de l'impatience et du
dcouragement. Car il est certain que, si bien informs qu'ils soient de la ligne
selon laquelle il faut marcher, les difficults de la route ne leur seront pas
pargnes. C'est beaucoup, pour un homme qui se met en chemin, de savoir
o il va et les obstacles qu'il rencontrera; mais ceux-ci n'en sont point pour
autant supprims.
Aussi, je n'hsite pas leur prdire qu'il leur arrivera souvent peut-
tre d'prouver l'impression que, quoi qu'ils fassent, il sera bien difficile
aux uns et aux autres de se comprendre et de s'estimer, naturellement et sans
arrire-pense. Mais de telles tentations de lassitude ne sont-elles pas le lot
de tous ceux qui s'attachent une entreprise delicate et sans rcompense
immediate ?
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Au demeurant, nous avons d'ores et dj marqu des points dans notre
combat pour une meilleure comprehension. Des noirs et des blancs qui depuis
si longtemps dj travaillaient ensemble, progressaient ensemble, sigeaient
dans des conseils divers, se frquentent maintenant sur le plan plus intime de
la vie prive. Au sein de nombreux cercles et foyers, des noirs et des blancs
se rencontrent pour de loyaux et fructueux changes d'ides et de proccupa-
tions. Dans un nombre de plus en plus grand de nos coles, des enfants noirs
et blancs peinent sur les mmes devoirs et, la rcration venue, partagent les
mmes jeux. Des mres de famille europennes accueillent en leur maison de
jeunes femmes indignes ou se rendent chez elles, leur apprenant les mille
petites habilets qui font une matresse de maison accomplie et aussi ces pures
et dures vertus qui sont l'honneur d'un foyer.
De sorte que, Messieurs devant tout cela, devant les bonnes volonts qui
de toutes parts surgissent, devant l'esprit qui s'amliore et s'amplifie je pense
que, sans les mconnatre, il ne faut pas, tous comptes faits, s'exagrer les
difficults de la tche.
Toutefois, il ne suffira pas de psychologiquement favoriser les relations
humaines entire indignes et non indignes.
Il faudra measure qu'elles s'intensifieront les rgler et les consacrer
organiquement.
C'est le souci que je vous ai expos, ds mon entre en charge, en vous
disant la ncessit de prudentes et progressives adaptations dmocratiques dans
l'ordre politique.
Vous avez admis, l'poque, que nous avions en ce domaine un assez long
retard combler. Par l'ensemble des rformes que, grce aux Conseils mixtes
de Territoire, nous clturerons au course de la prsente session, nous l'aurons
rattrap sans excessive lenteur ni precipitation.
Car nous vivons sur ce plan un nouveau romantisme.
On s'apitoie, au sein surtout des instances internationales, sur les peuples
attards qui, a-t-on os dire, sont privs par des tuteurs indignes des bien-
faits de la dmocratie . Celle-ci est prsente, de bonne ou de mauvaise foi,
comme un bien en soi, un idal atteindre dans les plus brefs dlais. Et l'on
formule comme de hautes vrits des ides qui, transposes dans les faits,
conduiraient de dangereuses aberrations.
Nous nous sommes remarquablement abstraits jusqu' present du climate
qu'engendrent ces vues utopiques ou intresses: non pas aveugles et sourds,
mais nous l'avons toujours proclam fermement dcids ne mener notre
entreprise que selon les prceptes prouvs de la sagesse et de l'exprience.
C'est ainsi qu' l'encontre de ce qui s'est dit et crit en des terms moins
nets peut-tre mais non quivoques nous nous refusons considrer que
des institutions idalement dmocratiques portent en soi la vertu de faire clore
la dmocratie ou que l'autonomie est, par elle-mme, gnratrice de maturity
politique.
En vrit, la dmocratie doit fleurir au cour des hommes. Le people doit
la dsirer et la mriter. Les dirigeants doivent la pratiquer par temperament
ou par volont. Et l'on peut parfaitement concevoir qu'elle inspire des formes
autoritaires de gouvernement tant que ne se trouvent pas runies les conditions
pralables son plein exercise.
Il n'est pas, en effet, de relle dmocratie sans deux lments fondamentaux :
1) une population susceptible de savoir avec sagesse ce qu'elle veut et, le
sachant, organise de manire qu'elle puisse contrler si ses dirigeants
excutent correctement ses volonts;
2) des lites capable de gouverner, c'est--dire d'clairer cette population sur
les intrts suprieurs du pays et de mettre en ouvre la politique choisie
par elle.
C'est de l qu'il faut partir dans les pays neufs.
Il apparat aussitt que la march au progrs, don't la responsabilit income
au civilisateur, doit tre d'une prudent hardiesse. Pas d'immobilisme, mais pas
de hte inconsidre non plus. Former, pleinement, en profondeur et avec
mthode. Mettre l'preuve et non lancer dans l'aventure. Consacrer temps
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
l'volution qu'on a soi-mme favorise, et non la tenir pour acquise ds
l'instant qu'on la souhaite. Bref, faire cuvre humaine, avec patience, tnacit,
intelligence.
L'un des facteurs principaux du problme est qu'il ne s'agit pas de faire
l'ducation politique d'un people homogne, mais bien de populations trs
diffrentes par leurs origins, leur milieu, leur degr de civilisation.
Cela implique videmment que nous nous rsignions ne progresser qu'
un rythme tel que personnel ne reste en retard.
Mais, dans le mme temps je n'ai cess de le rpter ceux qui nous
reprochaient d'aller trop vite la mthode vite que, par la scission entire
de rares lites trop ambitieuses et la masse, nous fussions entrans, pour le
gouvernement du pays, des rformes prmatures.
Or, ds le dbut, nous avions constat qu'alors que nous introduisions des
autochtones dans nos assembles suprieures et nous prparions faire par-
ticiper les plus aptes d'entre eux nos comits urbains, rien de prcis n'tait
envisag pour promouvoir l'ducation politique des masses, spcialement dans
les milieux coutumiers.
C'est pourquoi nous avons rform les circonscriptions indignes.
D'autre part, measure que, sous notre impulsion, les autochtones en arrive-
raient pouvoir s'intresser avec fruit l'administration du pays, measure
aussi que les intrts des blancs et des noirs se rejoignaient un mme niveau,
il fallait donner aux uns et aux autres l'occasion de se rencontrer et de dbattre
ensemble de la chose publique.
C'est pourquoi nous organiserons des villes et que demain nous crerons
des conseils mixtes de territoire au sein desquels auront faire face, en
commun, de communes responsabilits, ceux que doit unir jamais une
troite solidarity.
Mon intention n'est pas de dfendre l'ensemble des projects que nous avons
conus. Mais je ne crois pas inutile, dans le cadre de cet expos de synthse,
d'en rappeler brivement la philosophie et de prciser la place que chacun d'eux
occupe dans l'difice.
Tout d'abord et par le bas bien qu'elle fut la dernire dans l'ordre chro-
nologique, alors qu'elle tait la premiere dans l'ordre logique la rorgani-
sation des circonscriptions.
Dans notre pense, les structures et les rgles nouvelles que nous proposons
doivent atteindre un double et fundamental objectif:
1) promouvoir, sur le plan local, l'ducation politique des masses;
2) faire de la circonscription, prfiguration de la commune de demain, l'chelon
de base de l'organisation administrative et politique du pays.
En faisant dpendre dsormais tous les autochtones d'une chefferie, d'un
secteur ou d'un centre; en rformant leurs conseils pour y adjoindre aux
notables, gardens de l'ordre traditionnel, des lments reprsentatifs d'intrts
nouveaux et plus diversifis : conomiques, sociaux ou professionnels; en plaant,
ct du chef et de son conseil, un college restreint charge d'assurer l'admi-
nistration courante de la communaut; en dotant celle-ci d'un domaine et de
finances appropries ses charges; en largissant les pouvoirs et devoirs des
autorits, et surtout en formulant clairement dans quelles limits et selon
quelles modalits s'exercera sur leurs actes la tutelle du pouvoir central nous
sommes en droit d'esprer que les populations deviendront de moins en moins
indiffrentes, de plus en plus cooprantes l'administration de leurs affaires
locales. Nous pouvons ambitionner aussi de former, parmi ceux qui participeront
cette administration, des lments capable de collaborer sur un plan
plus lev la gestion des affaires publiques.
Il s'agit donc bien d'un effort entrepris sur les lments les plus humbles
et les moins volus de la socit, en vue de constituer la base ces deux
facteurs essentiels de dmocratie que je rappelais il y a un instant: une opinion
publique consciente et des lites capable, dvoues au bien commun.
Un fait significatif de notre mthode est que nous n'accomplissons dans
ce domaine comme en aucun autre rien de rvolutionnaire. L'organisation
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
laquelle les populations autochtones taient. habitues depuis notre arrive
demeure en ses piliers: le chef, le conseil. Mais nous revivifions ces organes
de la communaut, nous les compltons et nous faisons fonctionner l'ensemble
selon des rgles rnoves, afin d'imprimer, la population tout entire, le
movement volutif que nous souhaitons.
De sorte que la vritable hardiesse de la rforme consiste en ceci: jusqu'
present, les circonscriptions constituaient pour l'autorit central le moyen
d'administrer, par l'intermdiaire de ceux qui taient le mieux mme de les
comprendre et de les diriger, des populations peu volues mais possdant
leurs conceptions et leurs rgles de vie propres; tandis qu'aujourd'hui, nous
entendons transcender cette notion d'administration indirecte, en tendre la
porte jusqu' faire de la circonscription une pice matresse de notre future
difice politique.
Faut-il mettre en lumire, Messieurs, combien cette orientation de nos penses
et de nos actes tmoigne de notre determination de promouvoir l'organisation
fondamentale du pays ?
Provisoirement et pour longtemps sans doute, ces circonscriptions auxquelles
nous confrons de plus large pouvoirs sous la strict reserve des prroga-
tives de tutelle que les rgles classiques du droit public reconnaissent
l'autorit central demeureront des entits exclusivement autochtones. Il ne
pourrait, au present stade, en tre autrement: il n'existe pas encore, en effet,
dans le cadre de la circonscription, une socit europenne exerant des acti-
vits diversifies et possdant en commun avec les autochtones des intrts
susceptibles de trouver leur satisfaction sur le plan communal. Mais il est ais
de voir qu'en nous servant de la circonscription pour donner ses habitants
le sens du bien commun, le got des responsabilits et la formation ncessaire
pour les assumer correctement, nous prparons le jour o l'intgration des
blancs et des noirs devenant ralit ce niveau, il nous sera permis de
l'organiser sans heurt, sur le pied d'une parfaite galit.
Cette dernire phrase n'exprime pas une vue de l'esprit ou une vaine
promesse.
Depuis quelques annes, nous assistons la constitution d'agglomrations
importantes, dans lesquelles il apparat de plus en plus manifestement que les
blancs et les noirs ont des intrts qui se compntrent troitement, des
problmes qui les concernent tous.
Tous y sont tributaires d'une gestion qui doit leur procurer, dans de satis-
faisantes conditions de rgularit et de scurit, les services et l'quipement
publics sans lesquels l'existence quotidienne serait pnible, l'exercice d'un
mtier ou d'une profession impossible. Il y faut pourvoir l'approvisionnement
rgulier des habitants, permettre l'essor du commerce, de l'artisanat et de
l'industrie. Il y faut organiser l'assistance social, susciter la vie culturelle,
favoriser les contacts humans, dvelopper et embellir la cit. Tout cela, et les
mille autres aspects qu'implique la vie d'un grand centre, fera et a dj fait
clore une mentality urbaine qui se confond pour les citadins blancs et noirs
avec le sentiment d'appartenir une mme communaut.
Suivant la mthode d'adaptation pragmatique don't je viens de faire mention,
nous avons rsolu d'organiser nos villes selon un plan qui tout la fois tienne
compete et tire profit de cet tat de choses.
Nous avons regrett, tout en approuvant la sagesse qui les dictait, les longs
dlais d'tudes et de rflexion qu'il a fallu. Car, aujourd'hui toutes choses
tant sur le point d'tre dfinitivement peses, le moment est venu de se
dcider, sous peine de compromettre une volution que tout le monde s'accorde
trouver hautement souhaitable.
Cependant, du point de vue qui nous retient particulirement ce soir, une
chose essentielle est acquise : quelles que soient dans le concrete les rgles qui
seront en definitive arrtes, nous avons l'assurance que leur application con-
courra faire de la ville une entit mixte, au sein de laquelle autochtones et
non-autochtones trouveront l'occasion de rsoudre ensemble les problmes don't
dependent, sur le plan local, leur bien-tre et leur panouissement.
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
L'intrt suprieur di pays y trouvera deux satisfactions prcieuses: celle,
tout d'abord, de voir la masse comme dans les circonscriptions rurales -
entreprendre et parfaire sa formation politique; celle, ensuite, de donner aux
citadins blancs et noirs le sentiment quotidien, non plus seulement, comme je
viens de le dire, d'appartenir une mme communaut, mais d'en tre dsormais
les associs actifs et responsables.
C'est ce dernier souci dcoulant de notre doctrine et partag d'initiative
par tant d'entre vous qui nous a incits rechercher, pour les milieux
ruraux galement, un chelon d'intgration immdiatement au-dessus des cir-
conscriptions. Si nous voulons animer les assembles suprieures d'un vritable
esprit de solidarity entire blancs et noirs, il faut que ceux-ci, qu'ils habitent
la ville ou la champagne, s'en pntrent au pralable et le pratiquent sur le plan
plus humble, plus quotidien, des intrts locaux.
La circonscription, nous l'avons dit, se rvle impropre aujourd'hui pareil
dessein.
En revanche, nous pensions qu' l'chelon du territoire, ds present, se
posent des problmes d'ordre local qui auraient tout intrt tre rsolus avec
la participation des habitants, autochtones et non-autochtones. Le territoire
n'est-il pas dj devenu l'entit rgionale au sein de laquelle surgissent quan-
tit de difficults qui proccupent les uns et les autres ? N'est-ce pas son
niveau que se rsolvent actuellement les problmes vivriers, de main-d'oeuvre,
de salubrit, de police ? N'est-ce pas dans son resort que dj, en diverse
rgions, Europens et Africains se sont d'initiative runis en conseil pour se
concerter et s'entendre sur des questions principalement conomiques ? A tous
gards, le territoire apparat, en milieu rural, comme la communaut mixte
de base, et c'est elle qu'il faut organiser en consequence.
Vous aurez, Messieurs, le temps tant maintenant venu de relier par ce
chanon les organes locaux aux assembles suprieures vous en occuper
au course de la prsente session.
Les assembles suprieures ne sont plus crer; elles existent depuis de
nombreuses annes et elles ont dj pour elles l'avantage de ce qui bientt
sera une tradition.
Mais, lorsque nos projects en course auront about, les Conseils de Province
et de Gouvernement occuperont c'est l l'aspect essential de l'volution
accomplie le sommet d'une structure d'institutions quoi ensemble nous
travaillons depuis longtemps par lesquelles circulera, du plus humble village
jusqu'aux plus hautes autorits, la vie politique du pays.
A ce moment, le Congo sera dot d'un appareil consultatif complete; tant sur
le plan local que sur celui des intrts les plus gnraux, la population par-
ticipera, selon des rgles que nous croyons appropries, la gestion des affaires
publiques.
Cependant, il va de soi, l'oeuvre ne sera pas pour autant termine. Car, je ne
saurais assez le rpter: notre ambition d'aujourd'hui n'est pas de consacrer
la dmocratie dans ce pays, mais de l'y introduire et de le lui donner corps
peu peu, la faveur d'institutions qui devront tre amendes measure que
les temps le rendront possible et opportun.
Les projects de rorganisation interne des conseils suprieurs, tels que nous
les avons de commun accord mis au point l'an dernier, ne poursuivaient pas
d'autre objectif.
Au point de vue de la composition, ils visent obtenir une representation
plus complete, plus rationnelle et mieux quilibre des divers intrts des
habitants du pays; la proposition la plus important cet gard est celle qui
tend grouper les autochtones dans les mmes categories que les Europens,
partout o les ralits l'exigent ou le permettent.
Sur le plan de la designation, les projects tablissent un lien plus troit entire
les Conseils de Province et le Conseil de Gouvernement.
En ce qui concern les mthodes de travail, une analyse plus pousse, et
par l mme plus correct, du caractre consultatif des assembles aboutit
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
prciser l'exacte porte des votes et rgir ceux-ci par des rgles de procedure
accordant une importance qualitative identique tous les avis formuls, qu'ils
soient minoritaires ou majoritaires.
Pour ce qui est de la competence enfin, les conseils se voient reconnatre un
pouvoir nouveau, particulirement grave : celui d'arrter, par des votes formels,
les propositions faire au Ministre des Colonies en matire de dpenses
budgtaires.
Par ailleurs, je dois porter en mention spciale le voeu formul au course de
votre dernire session de voir consacrer, par le lgislateur supreme, l'existence
de votre Conseil et ses prrogatives (de mme que celles de sa Dputation
Permanente et des Conseils de Province); et avec plus de precision, son droit
d'tre consult, en dernier resort avec le Conseil Colonial, sur tous les projects
de dcrets important.
Que votre Conseil ait mis dans ce vu une certain solennit et qu'il l'ait
accompagn d'une adjuration aux parties politiques mtropolitains de ne pas
sacrifier le Congo leurs diffrends, ne peut tre interprt que comme la
manifestation de la volont formelle des habitants de ce pays de poursuivre,
sous l'gide de la Belgique, dans l'ordre et avec les meilleures garanties de
succs, leur march vers le destin qui les unira organiquement au sein
de la communaut belgo-congolaise.
Bien sr, Messieurs, nous serons, ds lors, loin encore d'institutions
dfinitives.
Qui d'ailleurs pourrait dsirer qu'il en ft autrement ? De telles institutions ne
se conoivent que pour une socit don't les traits seraient immuablement fixs.
Or, si nous analysons sereinement les choses, nous en sommes arrivs exac-
tement ceci. Deux groups ethniques de civilisation diffrente sont anims
d'une mme volont: constituer ensemble un seul people. Pour y parvenir, ils
ont devant eux de multiples problmes rsoudre, sur tous les plans: cono-
mique, social, politique, human. Ils ont dcid de les rsoudre par la seule
voie qu'ils ont choisie: en s'associant. Ils ont fix leur but et arrt leur
mthode. Il leur reste maintenant longuement vivre ensemble pour laborer,
au jour le jour, les normes de leur avenir.
Car, ne confondons pas, comme on le fait si souvent, ce que nous pourrions
appeler l'union belgo-congolaise avec la communaut belgo-congolaise don't
nous parlons.
L'union belgo-congolaise vise les relations de droit public qui, dans l'avenir,
devront s'tablir entire la Belgique et le Congo.
C'est ce que j'voquais dans mon discours de 1952 en disant: En premier
lieu, il y a la question constitutionnelle, celle des liens juridiques entire la
mtropole et la colonie. Ces liens se transformeront-ils ? Quand ? Dans quel
sens ? Quels seront, dans un avenir non dfini, les rapports entire la com-
munaut Belgique et la communaut Congo ?
A ces interrogations, je rpondais: Je l'ignore tout le monde l'ignore -
et n'ai point m'en proccuper comme d'un problme actuel. Mais je dis que si,
ds le present, toute notre politique tend au rapprochement des cultures et des
intrts, si sans flchir nous poursuivons un but d'association, d'union, nous
aurons runi le maximum de chances pour un aboutissement heureux. Il est
impossible de suggrer, maintenant, une formule d'association dtermine, mais
il faut songer un bien-tre commun vers lequel il faut tendre, un bien-tre
commun ciment par d'indestructibles liens spirituels, sociaux, conomiques.
Sur ce plan comme sur tous les autres, il faut assurment measure que
le Congo se forme rflchir son avenir et faire ce qui est ncessaire pour
orienter, sans la contraindre, son volution.
Mais le problme capital d'aujourd'hui n'est pas celui-l. Il est pralable
celui-l.
Il est, en vrit, celui don't nous vous entretenons depuis toujours : celui de
la communaut belgo-congolaise interne que nous devons difier en pratiquant
- nous vous l'avons rappel chaque anne et plus particulirement encore l'an
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
dernier une politique d'association, don't nous vous disions qu' elle ne peut
s'laborer qu'avec prudence, selon un plan qui tienne compete la fois de
l'ensemble et des parties, des principles et des contingencies, des convergences
et des divergences et qu'il faudra sans cesse radapter. Elle est la plus difficile
et pourtant nous l'avons choisie parce qu'elle nous parat la meilleure. Nous
devons maintenant la mettre en ouvre. En vrit, l'avons-nous choisie ? Pour
ma part, je ne le crois point. Elle s'est plutt impose nous, comme s'imposent
des gens pratiques et de bon sens, les voies les plus sres et les plus efficaces.
Car nous sommes peu thoriciens. L'histoire a voulu que nous fussions placs,
au course des temps, en position favorable pour observer les experiences des
autres et en tirer des enseignements. C'est l simplement ce que nous avons fait.
Ce qui, de prime abord, retient certain de donner leur entire adhsion
ces concepts, c'est qu'ils hsitent croire qu'on puisse former une commu-
naut entire, d'une part, plusieurs millions d'indignes et, d'autre part, quelques
dizaines de milliers d'Europens.
Ils auraient raison sous un rgime de juxtaposition ou d'assimilation.
Mais nous avons prcisment rejet: 1) la politique de juxtaposition parce
qu'elle serait au Congo incapable de susciter des liens organiques et une socit
nouvelle; 2) la politique d'assimilation parce que, outre qu'elle ne serait pas
ralisable sur une assez grande chelle, elle aboutirait la substitution simpliste
de la civilisation occidentale aux coutumes bantoues.
Tandis que la politique d'association n'a pas, elle, tenir compete des nom-
bres: elle tend une communaut d'intrts, d'aspirations et d'heureuses
relations humaines entire le group important des autochtones de ce pays et
celui moins important des Belges tablis au Congo, mais que prolonge et com-
plte la masse des neuf millions de Belges de la Mtropole.
C'est pour que cette association progressivement prenne forme que nous
chafaudons je le rpte l'ensemble des institutions don't j'ai fait la
synthse.
Nous croyons que, pour le moment, il n'y en a point d'autres prvoir.
Certaines le future statut des villes avec ses 98 articles et le project de dcret
sur les circonscriptions avec ses 122 articles ne sont-elles pas d'ailleurs
pousses aussi loin qu'il est actuellement possible ?
Qui ne voit ainsi combien il serait artificial de donner ds present notre
communaut, comme d'aucuns en ont exprim le souci, une prfiguration
institutionnelle plus complete ? Quelle entreprise contre nature ce serait de
contraindre la matire vivante d'un people en formation se plier, dans un
avenir don't personnel ne peut dfinir la dure, aux formes constitutionnelles
que dessineraient, ds maintenant, des thoriciens ?
En vrit il faut qu'on s'en convainque si l'on veut qu'elle vive la
communaut belgo-congolaise est aujourd'hui et demeurera jusqu' nouvel ordre
uniquement une ide-force, un principle d'action. Elle se dgagera lentement,
Messieurs, de vos aspirations, de vos cheminements et de vos efforts comme la
statue progressivement s'anime sous le ciseau inspir du sculpteur.
Mais, me demanderez-vous, pour quand sera-ce ?
Je rpondrai: Cela dpendra de l'avenir qui est Dieu et aussi, pour une
large part, de vous 'et de votre sagesse.
Messieurs,
Je viens d'voquer l'avenir et c'est d'avenir encore que je parlerai plus
avant. Car nos travaux, nos peines et nos efforts, nos succs et nos joies auraient
moins de sens s'ils restaient confins dans l'actuel et privs de lendemain.
La vie, dans son inlassable et incessant movement, enchane les actes aux
actes et les difficults aux difficults. Au Congo comme ailleurs, les problmes
d'aujourd'hui en susciteront d'autres don't certain dj se prcisent qu'il
faudra ncessairement border. Ceux-l aussi, nous saurons les rsoudres.
Ne connaissons-nous pas, au demeurant, la route que nous suivons et ses
passes difficiles ?
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
Certains, depuis quelques mois, semblent en douter.
Ils se trompent. Car, contrairement ce qu'ils disent ou crivent, nous
avons une doctrine. Une doctrine la fois idaliste et raliste, nette et nuance,
prudent et hardie. Une doctrine qui date des dbuts, qui se dveloppe et se
prcise, dans la ligne immuable de quelques grands principles, suivant le temps
et les contingencies. Une doctrine inspire des enseignements que nous procu-
rent les experiences des autres. Une doctrine, enfin, rgulirement et publique-
ment expose au Parlement et devant votre Conseil.
De bonne foi et par une sorte de processus classique, ceux don't je parle
voyant l'oeuvre hlas loin encore de son achvement n'en relvent que les
imperfections,. les carences et les fatales erreurs.
Il n'y a l rien que de natural: ils veulent, non pas constater et louanger,
mais, pour faire oeuvre utile, dpister les problmes et les rsoudre.
Mais, en vrit, trop souvent, chacun croit tre le premier les dcouvrir;
chacun a sa solution qu'il tient pour exhaustive et unique. Et il arrive ainsi
qu'on prconise, comme indispensables et urgentes, des experiences qui ont
reu, ailleurs, la douloureuse conscration de l'chec le plus retentissant.
Parce qu'on ignore notre doctrine, on ne peut videmment savoir que ces
experiences, nous avons depuis longtemps dcid de ne pas les suivre, et dit
pourquoi.
On reproche cette doctrine de n'tre celle que de quelques-uns. Je rponds
qu'il est heureux qu'un certain nombre de nos compatriotes, sous l'gide des
Ministres des Colonies, se soient soucis depuis un demi-sicle de l'laborer
et de la mettre en oeuvre; et que d'ailleurs cette doctrine qui se concrtise
dans l'action et l'oeuvre belges en Afrique que toutes les instances de la
Nation ont toujours approuves est vraiment la doctrine de la Belgique.
Qu'elle doive voluer et s'adapter aux ncessits d'aujourd'hui est chose
vidente; qu'elle exprime de plus en plus et de mieux en mieux la pense et
les aspirations de tous les Belges est chose souhaitable et mme ncessaire.
Mais je dis que cela doit se faire srieusement, dans l'ordre et dans le calme.
La colonisation, dans le sens lev du mot, est une science et une technique.
Trop d'instances internationales ont tendance, aveugles par l'esprit anticolonia-
liste, en rejeter les prceptes, pour que nous nous mettions nous-mmes, en
raison de motifs strictement contingents, les enfreindre.
D'aucuns nous font grief d'aller trop vite .
Ce sont ceux qui, inconsciemment, croient que tant qu'il n'est pas trop tard,
il est toujours trop tt.
Sait-on cependant que, dans l'ordre conomique et social, nos programmes
reviss par souci de prudence financire s'excutent un rythme trop lent pour
rpondre aux besoins du pays et que dj, presss de toutes parts par sa
vitalit, nous nous voyons contraints de songer d'autres programmes et un
nouveau Plan Dcennal ? Car, quelqu'un oserait-il prtendre qu'il faut freiner
l'expansion des territoires sous-dvelopps don't nous avons la charge ?
Dans l'ordre politique, a-t-on not que les rformes qu'il y a cinq ans, nous
avons en commun proposes, sont toujours l'tude ? Pourtant, il s'agit l
d'objectifs concrets intressant des populations, noires et blanches, lgitimement
dsireuses de prendre une part plus large au gouvernement du pays et que
dpassent dj de loin les suggestions utopiques de certain.
D'autres, au contraire, considrent que notre action est timore.
Ceux-l sont partiellemnet injustes. La measure, la prudence, les moyens
limits, les difficults qui foisonnent et le temps qu'il faut pour tout, imposent
de suffisantes contrarits ceux que leur temperament et leur enthousiasme
poussent raliser toujours plus, plus vite et mieux, pour qu'ils ne ressentent
pas, comme une cruaut, le reproche qu'on leur ferait d'tre lents et hsitants.
'Hsitation en quoi, alors que tout progress et que rien ne rgresse ?
Progrs dans l'ordre matriel, par le nombre sans cesse grandissant de
ralisations qui frappent d'tonnement les plus sceptiques; progrs par une
prosprit et continuelle expansion et, malgr les surprenantes predictions de
certain pessimistes, par une situation financire brillante; progrs dans l'ordre
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
spiritual par l'vanglisation et l'instruction de dizaines de milliers d'indignes
nouveaux chaque anne; progrs par l'lvation progressive et rapide de tout
un people une existence meilleure, plus largement intelligence, plus effica-
cement laborieuse, plus moralement honnte; progrs par le maintien et par
la consolidation il faut le proclamer d'un ordre et d'une tranquillit publics
don't les populations comprennent l'excellence et la ncessit; progrs enfin dans
l'organisation, tous les niveaux, d'un pays et d'une communaut humaine de
jour en jour plus complexes, don't nous essayons de conduire les destines vers
les accomplissements que nous ne cessons de dfinir et de prciser.
Que cette uvre, que l'tranger admire et que surtout des Belges critiquent,
soit incomplete, qu'elle soit entache d'erreurs peu nombreuses croyons-
nous et d'abus parfois flagrants nous le savons. Nous le savons mieux
que quiconque et nous en souffrons plus que n'importe qui. Mais qui peut se
vanter de vaincre tous les gosmes et qui se croit capable de redresser, d'un
coup, toutes les injustices ?
Il faut, dans les pays neufs, plus qu'ailleurs, au service d'une haute pense
qui soit le ferment vivace de l'action une inlassable et tenace patience.
Il y faut aussi de la srnit. D'autant plus qu'elle manque affreusement partout.
On a dit du Congo qu'il est une oasis de paix et de prosprit dans le monde.
Il l'est toujours et il le demeurera je vous renvoie un peu par lassitude
mon discours de l'an dernier la condition de ne pas remplacer des
mthodes qui ont fait leurs preuves par des innovations que je dclare
dangereuses.
Car si, maintenant ici l'unit et la fermet de commandement, nous restons
fidles nous-mmes, nos mthodes, notre gnie nous russirons. Et
ne serait-ce pas vis--vis de notre propre pays une lchet que de prvoir et
de prdire que, malgr le recul don't il bnficie, il chouera, lui aussi, l o des
puissances amies l'ont fait, mais on l'oublie en d'autres circonstances ?...
La seule chose certain en tous cas, c'est que jusqu'ici l'oeuvre belge au
Congo est une russite clatante.
Mais et n'est-ce pas l le paradoxe ? alors que nous sommes au plus
haut niveau, jamais atteint dans tous les domaines, certain tombent dans le
-masochisme. Tous les prtextes sont bons: une baisse d'une fraction par rap-
port au course le plus lev du cuivre, une provision plus modre concernant
l'industrie automobile ou des machines agricoles aux Etats-Unis, une recru-
descence du terrorism en Algrie don't nous sommes spars comme la Belgique
l'est du Caucase, quelques articles et parlottes de nophytes sur le vieux
Kitawala de toujours et ils s'enfoncent dans un pessimisme voisin du dfaitisme !
Ils ont exactement l'exasprante attitude de ces trop nombreux hommes
d'affaires qui se dclarent en perte ds qu'ils entrevoient que leur bnfice
pourrait ne plus tre que de 90 pour-cent du profit le plus astronomique qu'ils
aient jamais fait !
Dans l'entretemps, les exportations de 1955 dpassent en valeur de prs de
3 milliards de francs celles de 1954, cependant que les importations restent au
mme niveau, ce qui, une nouvelle fois, amliore les terms d'change, qui
montent de l'indice 130 l'indice 136; l'excdent favorable de la balance com-
merciale atteint 8.800 millions contre 6.200 millions.
Sur le plan intrieur et pour cette mme anne, la population europenne
s'accrot de plus de 8.000 units. Les investissements publics se poursuivent, les
liquidations du plan dcennal atteignant pratiquement 6 milliards comme en
1954. Les socits ralisent des missions nettes pour 1.300 millions. Il est dlivr
des autorisations de btir pour 2 milliards contre 1.500 millions en 1954. L'en
course des prts consentis par la Socit de Crdit au Colonat augmente de
113 millions. Les dpts d'pargne s'accroissent de 300 millions, malgr un
emprunt local pour plus de 2 milliards.
Au point de vue financier, le boni budgtaire de 1954 qui, selon les
premiers rsultats que je vous ai communiqus l'an pass, tait valu 1.600
millions atteint en fait 2.300 millions; pour 1955, les estimations provisoires
sont de 1.500 millions. En 1955 toujours, les reserves de change s'accroissent de
600 millions, le coefficient de couverture augmentant de 3,5 points (66,1 %
DOSSIER CONCERNANT L'VOLUTION DU CONGO BELGE
contre 62,6 %). Les socits ralisent 7.800 millions de bnfices contre 7.100
millions en 1954, les dividends distribus atteignent 4.900 millions contre 4.300
millions. L'indice boursier des valeurs coloniales, qui traduit le jugement de la
masse sur les affaire et la situation du Congo, passe de 687 en dcembre 1954
780 au 16 dcembre 1955 et 860 au.3 avril 1956, aprs une pointe exception-
nelle de 931 au 3 janvier 1956. Dans le mme ordre d'ides, le recent emprunt
plac en Suisse est couvert, ds l'ouverture et sans la moindre difficult; il en
est pratiquement de mme du dernier emprunt plac en Belgique.
Enfin, les rsultats des trois premiers mois de 1956, compares ceux de
la priode correspondante de 1955, comportent de nouveaux chiffres records:
aux importations, 410.000 tonnes contre 375.000, pour une valeur de 5 milliards
contre 4.300 millions; aux exportations, 350.000 tonnes contre 317.000, pour une
valeur de 6.600 millions contre 4.900 millions.
Et l'on parle de vaches maigres!
Qu'il y ait parfois quelque part un certain talement ou tassement, bien sr!
depuis le temps que la prosprit dure... C'est ainsi qu'on se plaint de la
tendance la normalisation des loyers; mais allez donc voir, rien que dans les
profondeurs de Limete, et vous vous direz peut-tre, pensant aux huit cents
appartements nouveaux projets pour Lopoldville, qu'aprs tout le problme
n'est pas de construire au plus vite des rues entires ou des quarters de
buildings, mais simplement de loger, des conditions raisonnables, ceux et rien
que ceux qui demandent un logement. Et si vous songez quelques dconfi-
tures dans d'autres domaines, dites-vous aussi que la prosprit ne doit pas
ncessairement avoir pour effet de rendre bonnes toutes les mauvaises affaires...
Les vaches maigres ? C'est moi qui les ai voques ici en 1947 dj et surtout
en 1952, lorsque vous tiez tous dans l'euphorie. Mais aujourd'hui tant il est
vrai qu'il faut souvent prendre le contrepied de la tendance gnrale c'est
moi qui vous dis que, si nous continuous travailler avec sagesse et dyna-
misme, et moins d'vnements internationaux contre lesquels nous ne pouvons
rien. tout va et ira bien.
Quant ce qui relve des progrs spirituels, humans et politiques, je ne
rpterai pas, une fois de plus, ce que nous faisons et ce que nous voulons.
Nous voulons des rformes prudentes et raisonnables qui s'ajustent strictement
l'volution actuelle et la vie relle du pays et non des systmes qui
s'laborent dans l'abstrait et se dveloppent dans la mathmatique. Nous
n'allons pas trop vite; je serais tent de dire : au contraire. Et si, en fin de
compete, nos efforts aboutissent des volutions qui tonnent ceux qui n'y
participent point au jour le jour, je note que c'est la preuve de la fcondit
de notre action.
Je vous ai dit, en commenant ce discours, qu'il ne s'agirait pas d'un bilan
mais d'une synthse, un moment, peut-tre crucial, de l'histoire du Congo.
La synthse est simple et claire comme toutes les bones synthses :
- Nou avons fait, matriellement, par un travail intense et obstin, d'immenses
progrs, solides et ininterrompus; ces progrs font du Congo l'un des terri-
toires les mieux organiss de l'Afrique Centrale;
- Spirituellement, poursuivant l'effort de nos grands devanciers, nous avons
mis en uvre une experience humaine qui tend, sans hte et sans systme
prconu, faire vivre et progresser ensemble des hommes fort dissemblables
entire eux qui, si vraiment ils le veulent, formeront la communaut belgo-
congolaise;
- Cette prodigieuse entreprise don't la Belgique a hrit, il y aura sous peu
cinquante ans, il est urgent qu'elle s'y voue, plus et mieux que par le pass,
en y consacrant ses lites et en y dlguant les meilleurs de ses fils.
Pour ma part, attentif aux impulsions du pass et du Gouvernement de mon
pays, j'ai donn cette oeuvre le meilleur de moi.
J'ai surtout contraint son service les talents de ceux du plus modest
au plus minent que j'eus l'honneur de commander.
C'est dans un sentiment d'humilit et d'affection que'je les remercie et que
je prie le Ciel de protger le Congo et le Ruanda-Urundi.
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