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SCIENCES
POLITIQUES
14
Juin 1939
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RECUEIL SIREY
PARIS
La revue Sciences Politiques est la continuation de la Revue des
Sciences Politiques, publi6e de 1911 A 1936, et qui avait elle-meme
succedd aux Annales des Sciences Politiques, fondues en 1886.
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91
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ANGEL MARVAUD : La fin de la II" Republique Espa-
gnole. L'6volution du gouvernement r6publicain
an course de la guerre civile..................... p. 233
*** La fin de la TehCeo-Slovaquie .............. p. 255
JACQUES BERTHOUD, Conseiller Rfeirendaire d la Cour des
Comptes; Maitre de Confirences ~ l'Ecole des Sciences Poli-
tiques : Les probl6mes pos6s par le ravitaillement
de la France en combustibles liquides........... p. 273
CHRONIQUES
I. La vie politique et international, par BERNARD
SERAMPUY ........ ........... ........ .......... ... p. 288
II. La vie &conomique et financiere, par JACQUES
CHASSERON ................... ..................... p. 294
COMPTES RENDUS CRITIQUES ........................... p. 298
CHRONIQUES DE L'ECOLE ETDELA SOCIETY DES ANCIENS ELEVES
ET ELEVES DE L'ECOLE LIBRE DES SCIENCES POLITIQUES. p. 326
SCIENCES POLITIQUES. 15
SUR L'IDEE D'EMPIRE
Au lendemain des ve6nements de septembre dernier qui
marquerent pour l'amour-propre frangais un moment doulou-
reux et pour notre politique continental un cr6puscule, le
grand public demeur6 jusque-la assez indifferent aux choses
coloniales s'est spontanement et passionnement tourn6 vers
notre domaine d'outre-mer. Et ceci sous la pouss6e d'un 6lan
instinctif issu de la sensibility national meurtrie.
Ce fut sur le plan de la psychologie collective de tout un
people une reaction semblable A celle qu'6prouva Prevost-
Paradol aprbs Sadowa, lorsque, sentant venir le declin du
Second Empire et l'effacement de la France, il portait ses
regards de l'autre c6at de la MWditerran6e et trouvait dans
le spectacle des energies qu'y d6ployait la race nouvelle des
colons alg6riens ides raisons de croire en la r6generation' du
Pays.
A un people humili6 dans sa fierte et frustre des fruits de
ses sacrifices et de sa victoire, A un people conscient des dan-
gers pressants et graves qui menagaient desormais son existence
et son patrimoine, son domaine d'outre-mer apparut comme une
force de sauvegarde, comme une attestation du g6nie de la
race digne d'inspirer l'orgueil et la confiance, et comme un
reservoir de puissance matirielle et morale assez riche pour
que le pays fit, s'il savait en exploiter les resources, sur de
son destin.
Cet elan, cette aspiration, ce pressentiment plus inconscients
que raisonnes se concretiserent dans une expression : 'Empire,.
et dans une formule : le recours a l'Empire. Formes de language
r6serv6es jusque-lh aux seuls milieux sp6cialis6s et don't
1'adoption par l'opinion marquait qu'elle en discernait la
SUR L'IDEE D'EMPIRE
signification profonde et qu'A ses yeux le vocable Empire 6tait
synonyme de concentration des forces, de cette concentration
des forces que tous les Francais sentaient devoir etre, dans
l'implacable lutte engage entire les nations, la condition
indispensable du salut du pays.
En la circonstance, comme aux grandes heures de son
histoire, le people francais a montr6 qu'il avait le sens de
ses int6rets essentiels. Pour les d6fendre et les assurer, il a
senti qu'il devait renforcer son potential human, intellectual,
moral et materiel de tout l'appoint encore insuffisamment
exploit qui se trouvait en puissance dans ses possessions.
II a senti que l'organisation de ses resources devait etre
transferee du plan national au plan imperial. Et de ce fait
il a pose le problbme de la constitution efficace de 1'Empire,
probleme don't on voudrait essayer de d6finir les 6elments
et auquel on voudrait proposer une solution.
A l'expression Empire doit correspondre un concept qu'il
imported de preciser.
Le terme d'Empire, on tient a le souligner, exclut une
discrimination entire la France et son domaine d'au delay des
mers. L'Empire c'est la totality de la Communaute frangaise
repandue sur l'Europe et les autres parties du monde, com-
munaut6 qui est regie par la France, metropole directrice
d'ofi 6mane l'action souveraine et qui g&re les int6r6ts imp6-
riaux. Si cette donn6e fondamentale n'est pas admise, il n'y
a pas d'Empire; il y a seulement une M6tropole et un assem-
blage de possessions. Et s'il n'y a pas d'Empire, il n'y a qu'un
grand corps invertebre don't les membres ne sont pas mus
par un esprit commun, des int6rets communs, une economic
commune. I1 n'y a pas d'attributs imperiaux, de solidarity
imp6riale. II n'y a pas de potential imperial parce que les
forces fragmentaires des parties ne convergent pas vers l'en-
semble. I1 n'y a pas non plus d'avenir imperial, de destined
imp6riale. Au lieu de fusionnement, il n'y a que dispersion.
I1 y a deperdition et non accroissement de puissance.
Ce concept theorique de l'Empire a pour trait dominant,
non la centralisation, mais la concentration des forces mat6-
rielles et morales de la communaut6, au profit et sous l'im-
228 SCIENCES POLITIQUES
pulsion de son 616ment majeur et directeur, la M6tropole.
L'organisation imperiale qui en drive postule la convergence.
Or, il ne doit pas ktre dissimul6 qu'h ce besoin organique de
convergence, des forces centrifuges nombreuses et puissantes
s'opposent, qui sont la rangon et la consequence logiques
de la composition interne de l'Empire. Elles travaillent a
l'encontre des deux l66ments qui doivent servir d'ossature
a 1'Empire, a I'encontre de la formation d'une communaute
d'idees et d'une communaut6 d'int6rets.
Pour faire obstacle a I'Nlaboration et au d6veloppement
d'un esprit commun il y a, en sus des distances souvent
consid6rables qui s6parent les parties de la communaute
imp6riale, en sus de leur dispersion, la diversity des races, des
religions et des moeurs, celle des civilisations, celle des degres
diff6rents que les civilisations ont atteints, celle des regimes
administratifs et politiques. I1 y a parfois les repugnances,
les aspirations et les susceptibilites du sentiment national. II
y a les difficulties qu'engendrent les contacts et les conflicts
d'idees ou d'interets entire europeens et autochtones.
VoilA pour le plan moral. Sur celui des interets, on rencontre,
pour contrarier la mise en oeuvre d'une economie imp6riale,
les servitudes auxquelles dans le domaine de la production
et des changes les possessions sont soumises du fait de leur
climate, de leur pass et de leur situation geographique. I1 en
est qui sont solidaires du continent auxquelles elles appartien-
nent et don't la vie est li6e a des courants 6conomiques qui
les 6loignent de la M6tropole et de l'Empire. II en est qui sont
clients obliges de l'Ftranger et qui ont a concilier cette
suj6tion avec le devoir d'utiliser une monnaie impose par
1'Empire.
A ces obstacles a une convergence des courants econo-
miques, que l'on peut dire cong6nitaux aux possessions, la
Metropole en ajoute d'autres. Il lui arrive en effect pour defendre
certaines de ses productions agricoles et sa production indus-
trielle d'opposer des barrieres A la libre importation de pro-
duits coloniaux similaires. Elle fait de mime pour assurer
l'ex6cution de certaines clauses de ses traits de commerce
avec les pays strangers. Enfin il se rencontre que tandis qu'elle
SUR L'IDtE D'EMPIRE
limited ainsi et contingent les importations sur son territoire
venues de ses possessions, elle exige de celles-ci d'absorber
une part excessive de sa propre production. I1 n'y a plus, par
suite, compensation des changes; les economies coloniales
souffrent; l'economie d'Empire ne s'6tablit pas. Le lien d'inte-
rets ne se cr6e pas et cette absence de solidarity mat6rielle
retentit non sans aigreur parfois sur les facteurs de soli-
darit6 morale.
A confronter cet 6nonc6 de forces antagonistes a l'organi-
sation imperiale avec les exigences du principle de concentration
sur lequel repose cette organisation, on peut etre tent6 de
se demander si le probleme de l'Empire est soluble, si la
communaute morale, si la communaute d'int6rets peuvent
etre realistes en d6pit de ]'action de tous les facteurs centri-
fuges. A cette question on croit pouvoir r6pondre que la
conciliation est possible.
Elle est possible si la metropole s'attache par une politique
progressive, permanent et risolue a jouer a l'Bgard de ses
possessions et de leurs populations autochtones, des deux
leviers qui gouvernent l'esprit des groupements humans,
le levier qui agit sur le sentiment, celui qui agit sur les int6r&ts.
Une pareille politique doit etre exempte de preoccupations
6goistes et doit comporter d'indispensables sacrifices. Elle
exige dans l'exercice de la souverainete un permanent esprit
de liberalisme politique en faveur des peuples coloniaux. Et sur
le plan des int6rets elle r6clame que la m6tropole, renongant
A tirer de ses possessions des gains unilat6raux, place ses rap-
ports de production et d'echanges avec elles sous le signe de
la compensation et de la r6ciprocit6. En d'autres terms, cette
politique vise a donner une Ame commune a l'Empire en y
ralliant les cceurs et en y rattachant les int6r&ts. Sur les deux
fondements qui la supportent, le fondement psychologique et
human et le fondement 6conomique, il convient de s'arrfter
un moment.
Les collectivites humaines il est A peine n6cessaire de
le rappeler so constituent autour d'un patrimoine d'id6es
morales, religieuses et politiques, ainsi que d'interets materiels
qui trouvent leur support dans la langue, la race et la region
230 SCIENCES POLITIQUES
d'habitat. Elles s'individualisent sous ces influences et prennent
conscience d'elles-memes au course des siecles. Nos communaut6s
coloniales avaient pour la plupart et A des degres divers subi
cette loi loisque nous sommes venus a leur contact. Et nous
avons dii ds lors fixer notre attitude h l'6gard de ces impor-
tantes realites politiques et sociales.
Fallait-il d6truire et reconstruire ensuite suivant des
concepts imports d'Occident? Fallait-il au contraire respecter
l'ordre 6tabli, le d6velopper et l'am6liorer en proc6dant sans
heurts ni transformations radicales? Entre ces deux voies et
apres des tatonnements et des erreurs de d6but don't notre
Alg6rie eut A souffrir, la France a d6finitivement opts. Son
genie human et son sens psychologique lui ont conseill6,
pour mieux se faire accepter, de se garder de bouleverser,
de ne point cr6er de rupture avec le passe, les moeurs et les
institutions, de respecter les fondements de la vie des autochto-
nes, d'en conserve les cadres et de collaborer avec eux. De
cette doctrine le plus haut repr6sentant a ft6, on le salt, le
Marechal Lyautey. II a r6nov6 le Maroc sans toucher A sa
structure traditionnelle, il l'a modernist sans revolter la
conscience ombrageuse d'un Islam conservateur, il a sans
effort militaire considerable fond6 la paix et I'activit6 dans
le pays traditionnel de l'anarchie, il a mobilis6 ses richesses.
II a fait plus, il a maintenu la fid6lit6 du Maroc, encore en
parties insoumis, au course d'une guerre pleine de vicissitudes.
Et le secret de cette 6tonnante reussite reside en ce qu'il avait
su d'abord saisir qu'il ne pourrait r6aliser son oeuvre sans
l'aveu et sans le concours des Marocains. C'est avec un cadre
restreint de collaborateurs francais guidant la masse des
fonctionnaires indigenes qu'il a fait le Maroc francais.
II faut retenir ce fait, car il en d6coule une directive obligee
de notre politique en pays colonial : il imported que, comme le
pratiqua Lyautey, les autochtones soient associes aux affaires.
Et il imported qu'ils le soient de plus en plus a measure que s'6lve
leur niveau de formation technique et de maturity politique.
Sans quoi il serait vain, il serait dangereux de les instruire
comme nous le faisons; sans quoi il serait illusoire de computer
sur leur adhesion a notre cause, a nos int6rkts, A nos destinies.
SUB L'IDIE D'EMPIRE
Sur ces themes de la collaboration necessaire des peuples
coloniaux on voudrait pouvoir s'attarder. On soulignera du
moins que ces peuples aspirent a la realiser, a sortir de leur
6tat de minority et qu'il imported A la force et au salut de l'Em-
pire qu'il ne soit pas fait systematiquement obstacle A un vceu
qui n'est que l'aboutissement logique de la transformation
du monde moderne et de l'Nvolution que nous imprimons aux
esprits des populations qui nous sont confines.
C'est aussi h la lumiere et A la demand des interets imp6-
riaux qu'il faut d6finir les directives de notre politique 6cono-
mique a l'egard de nos possessions. Celles-ci doivent s'enrichir
pour qu'elles sentent non pas seulement les charges mais aussi
le prix de leur subordination a 1'Empire. Elles doivent con-
sentir a produire cc que leur demand la m6tropole aussi bien
pour animer son economic que pour satisfaire aux besoins de la
Defense imperiale. Elles doivent aussi absorber une part de la
production de la M6tropole. Mais ces obligations doivent etre
accompagnees d'une contre-partie et le m6canisme des changes
doit etre rggl6 sur la base de la reciprocit6. C'est dans cet esprit
que doivent etre levies les barrieres dressees devant les products
de nos possessions a l'entr6e dans la M6tropole par les concur-
rences nationals ou ftrangBres don't il a 6et fait mention plus
haut.
Sans doute ces problemes sont-ils ddlicats et complexes A
r6soudre en raison des int6rAts multiples et divergents qui s'y
affrontent. Sans doute, ne conteste-t-on point qu'ils sont poses
devant les pouvoirs publics qui s'efforcent de les regler par
des compromise. Il semble pourtant que puisqu'il s'agit de faire
de l'Empire une r6alit6 vivante et productive, priority doit
etre accordee aux int6rets d'une economic qui en constituera
l'armature. Et ceci s'il est nicessaire en sacrifiant d'autres
interets. Sans aller certes jusqu'A concevoir que l'Empire puisse
etre organism en systeme economique ferme et en r6pudiant
toute tendance a un impossible isolement, on a le droit, semble-
t-il, de former le veu que le crit-re des interets economiques
imp6riaux soit substitute a celvi des int6rets economiques
nationaux dans la determination de la politique 6conomique
de la France.
SCIENCES POLITIQUES
Faut-il ajouter que l'indispensable complement d'une
economie d'Empire est 1'organisation et l'Nquipement d'un
reseau de communications imp6riales, terrestres, maritimes,
aeriennes qui soient aptes A la circulation des changes?
Certaines d'entre elles existent; il en est qui doivent ktre am6-
liorees; il en est de nouvelles et d'urgentes h ouvrir. Et parmi
ces dernieres vient en tout premier rang le chemin de fer
transsaharien, instrument d'Empire par excellence qui mat&-
'rialisera l'unit6 de l'Afrique frangaise, prolongement de la
France m6tropolitaine.
Transsaharien, communications imperiales, il y a, dans
1'6nonc6 de ces entreprises, l'Nvocation d'importants problkmes
touchant l'Empire et sa defense qu'on n'a pas le loisir d'6lu-
cider ici et qui demanderaient a eux seuls un expos. Aussi
bien n'a-t-on pas cherch6 dans ces lignes avider toutle problbme
de 1'Empire. On n'a point pr6tendu en formuler la th6orie
complete et encore moins A d6finir le micanisme de son orga-
nisation. On a voulu seulement projeter quelque lumiere sur
I'idWe de 1'Empire, en proposer une definition et un concept,
mentionner les facteurs capable de favoriser sa r6alisation et
les confronter avec les facteurs antagonistes, puis tirer de
cette confrontation les 616ments d'une politique paraissant
capable de procurer, malgr6 les facteurs centrifuges, la concen-
tration des forces des possessions en favour de l'Empire.
Cette politique, on y insisted, a pour objet de susciter chez
nos peuples d'outre-mer le sentiment de la solidarity d'Empire
en provoquant 1'adh6sion des coeurs et la fusion des int6rhts.
Elle tend a creer la cohesion g6neratrice de fid6lit6, de cette
fidelity qui en periode de crise, assurerait la s6curit6 interieure
de l'Empire et 1'exploitation total de ses forces, et serait
au m&me titre que les armes la garantic de sa victoire.
GUNkRAL CATROTX.
LA FIN DE LA IIe RIPUBLIQUE ESPAGNOLE
L'6volution du gouvernement republican
an course de la guerre civil.
Un certain recul sera necessaire pour juger exactement les
tragiques 6v6nements qui se sont d6roulks, ces trois dernieres
ann6es, au Sud des Pyrendes. Sans computer que bien des
pieces essentielles manquent encore au d6bat, il est av6r6 que
le violent conflict d'ideologies, suscit6 en dehors meme de la
PNninsule par cette effroyable guerre et entretenu, de part et
d'autre, par une propaganda extremement active, a fauss6 le
plus souvent l'interpretation objective des faits. Enfin, il
est non moins evident que les interventions 6trangeres, don't le
r6le a 6t6 si grand, et peut-etre meme pr6pond6rant dans le
drame espagnol, out contribu6 a obscurcir davantage encore
une question, don't les donnees initiales 6taient d6jh suffisam-
ment complexes 1
A n'envisager cette guerre que sous son aspect interne, il
apparait tout de suite qu'il entrait, dans chacun des deux camps
en presence, des el1ments tres dissemblables, et qu'en cons6-
quence le premier souci des dirigeants, d'un c6te comme de
l'autre, devait 6tre de les coordonner, dans toute la measure du
possible, en cherchant sinon a amalgamer, du moins A concilier
pour un temps des tendances aussi disparates.
Mais on comprend sans peine qu'une pareille tAche 6tait
beaucoup plus aisle chez les ( nationalists ,, of fonctionnait
une dictature militaire, que chez leurs adversaires oi l'action
I. Voir notre etude La guerre civile en Espagne: ses causes et ses antdcedents dans
la Revue des Sciences Politiques (octobre-decembre 1936).
234 SCIENCES POLITIQUES
gouvernementale, dej~ bien affaiblie par l'emiettement des
parties et l'impuissance de leurs chefs, se trouvait aux prises,
d6s le debut, avec les exigences des organizations ouvrieres,
auxquelles les circonstances conferaient une importance excep-
tionnelle, bien qu'elles fussent elles-memes profondiment divi-
sees.
En d6clanchant leur soulhvement, les chefs militaires ont
declare qu'ils ne faisaient que devancer la revolution ( bolch6-
vique ), qui Btait, A les entendre, a la veille d'eclater. Sans
entrer dans une discussion, qui sortirait du cadre de cet
article, on peut dire, en tout cas, qu'une fois la lutte engagee,
les extremistes y virent l'occasion attendue de recommencer
la revolution social, qui avait echou6 en 1917, et de nouveau
en 1934.
Le movement, qui se produisit cette derniere annee en
Catalogne et, avec plus de virulence encore dans les Asturies,
etait, parait-il, la suite d'une tentative d'union entire les
principaux groupements existants. Mais 1' (( Alliance OuvriBre ),
comme on la d6signa, n'avait gurre de ramifications en dehors
de ces deux provinces, ofi elle 6tait loin, au surplus, de rallier
tous les prol6taires : et c'est ce qui expliquerait son check 1.
Toujours est-il que, malgr6 une experience qui, de l'aveu
des r6volutionnaires, leur avait appris la n6cessit6 de l'unit6
d'action, ce resultat 6tait loin d'etre acquis en juillet 1936.
En particulier, la rivalite qui opposait anarchistes ou
( bakounistes )) et (( marxistes ) d&s le temps de la Premiere
R6publique, n'avait rien perdu en 1936 de son acuit6.
De ces freres ennemis, ce sont toujours les ( anti-autoritaires )
qui l'emportent par le nombre et le rayonnement, du fait que
leur doctrine repond le mieux au temperament du people
espagnol, a son individualism outrancier, qui, sous son influence,
aboutit h une deformation de la liberty 2. Longtemps rebelles
a toute organisation, les libertaires ne se sont orients qu'il
y a une trentaine d'ann6es dans la voie du syndicalisme
revolutionnaire, conformement aux idees propag6es en France
I. Joaquin Maurin, Rdvolution et contre-rivolution en Espagne, traduction fran-
aise de Victor-Serge editionss Rieder, 1937).
2. Voir notre ouvrage : la Question social en Espagne (Alcan, 1910).
LA FIN DE LA Ile Rt9PUBLIQUE ESPAGNOLE 235
par Pelloutier et Georges Sorel et introduites en Espagne par
Malatesta. Leur organisation syndicale, la Confeddration Natio-
nale du Travail (C. N. T.), tire ses origins de l'insurrection de
Barcelone, en juillet 1909, mais elle n'a 6t6 constitute que deux
ans plus tard au course d'un Congrbs tenu dans cette ville,
avec des cadres et une direction fournis par les acratas de la
Feddration Anarchique Ibirique (F. A. I). Celle-ci est, si 1'on
veut, I'organisme politique des anarchistes, alors meme qu'ils
se declarent r6solument ( apolitiques ). Apres une eclipse force
sous la dictature de Primo de Rivera, les anarcho-syndicalistes
sont rentres en scene avec l'6tablissement de la Republique,
non seulement en Catalogne et dans les regions agricoles du
Levant et d'Andalousie oi ils ont toujours recrut6 le gros
de leurs troupes mais aussidans d'autres centres, commencer
par Madrid. Leur influence a augment encore A la suite des
elections de fevrier 1936, oi, soitant pour la premiere fois de
leur abstention traditionnelle, ils coopererent par leurs suf-
frages au triomphe du Frente popular 1
Les socialists, au contraire, ont toujours montr6 une pr6di-
lection particuliere pour le parlementaiisme. Des la naissance
de leur parti le part socialist ouvrier (P. S. O.) ils ont
port la lutte sur le terrain electoral, mais c'est seulement
en 190o qu'ils sont parvenus A faire entrer un des leurs aux
Cortes, en la personnel du fondateur du part, Pablo Iglesias.
Sous l'impulsion de ce dernier, ils restBrent confines, de longues
annees, dans une sorte de (( reformisme ) pacifique : ce qui
permet d'expliquer que le general Primo de Rivera, alors qu'il
frappait d'ostracisme tous les autres parties, meme dynas-
tiques, ait r6serv6 toutes ses faveurs aux seuls socialists,
jusqu'A lever leur principal chef, M. Largo Caballero, au rang
de conseiller d'EItat! Profitant de ces bonnes dispositions,
1'Union Gendrale des Travailleurs (U. G. T.), qui est l'organe
syndical des socialists, intensifia librement sa propaganda :
le nombre de ses adherents s'1leva ainsi, en peu de temps,
I. Pour la premiere fois dans des elections 16gislatives et g6n6rales : car, deja
aux elections municipales, les anarchistes catalans avaient apport6 leurs voix aux
candidates de la Esquerra (gauche catalane), contribuant ainsi, pour une large part,
a 1'av6nement de la R4publique.
236 SCIENCES POLITIQUES
a 250.000. L'6lan 6tait donn6 et, d&s la premiere ann6e de la
Republique, ce chiffre d6passait le million. Le fait qu'il avait
pu conserver ses cadres permit aussi au parti socialist de
jouer un rl6e de premier plan aux Cortes Constituantes de
1931, tout en montrant un certain esprit de transaction vis-a-
vis des r6publicains, avec lesquels les socialists avaient form
une (( coalition ,. Grace A quoi ils purent participer au gou-
vernement. Mais les socialists au pouvoir ne furent pas les
moins acharn6s h r6primer les movements r6volutionnaires
provoques alors par les anarcho-syndicalistes ou les commu-
nistes.
Une telle attitude ne pouvait cependant manquer d'indis-
poser leur clientele ouvriere, qui se rejeta vers les groupements
concurrents. C'est ainsi que la C. N. T. et la F. A. I. notamment
arriverent A computer ensemble pros de deux millions de (( coti-
sants ). II fallut la d6faite 6prouv6e aux elections de novembie
1933 et l'arriv6e au pouvoir d'un gouvernement de droite
pour rejeter les socialists dans l'opposition et les decider
meme, 1'ann6e suivante, a la r6volte ouverte. Le movement
- auquel les anarchistes s'abstinrent de collaborer 6choua,
comme on sait, et les principaux chefs socialists furent
incarc6res ou contraints !'exil. Ils devaient prendre leur
revanche en fevrier 1936. Toutefois, si aux nouvelles Coites
du ( Front populaire ils formaient le group parlementaire
le plus important, les socialists 6taient notablement affaiblis
par leurs dissensions intestines. A la veille de l'insurrection
militaire, une scission paraissait imminent au sein de l'U. G. T.,
sans que l'on pit pr6dire de facon certain laquelle des deux ten-
dances l'emporterait, de celle de M. Indalecio Prieto, qui
repr6sentait l'616ment ( centriste ), ou bien de M. Largo
Caballero, qui inclinait de plus en plus vers l'extr6misme.
Quant au parti communist, don't la naissance tras los
montes ne remote pas au delh de 1920, ses progres ont ete tres
lents, pour la raison que son ideologie r6pond assez mal A la
mentality ordinaire des proletaires espagnols. II ne s'est d6ve-
lopp6 et avec beaucoup de peine apres l'implantation
de la Republique que grace a des subsides ext6rieurs, sous le
convert surtout du ( Secours rouge international ). Aux
LA FIN DE LA IIe BRPUBLIQUE ESPAGNOLE 237
Cortes constituantes, il ne comptait qu'un seul d6put6, 6lu
a Malaga avec 1'appoint des voix socialists et radicales. En
1936, a la faveur du Front Populaire, il r6ussit a fair 6lire
quinze repr6sentants, mais il n'est pas douteux que ce r6sultat
6tait di, pour une bonne part, au jeu arbitraire d'une loi
6lectorale assez singuliere.
En Catalogne, il existait aussi un groupement communist
dissident, le Bloc ouvrier et paysan, fond6 par Joaquin Maurin
et qui, apres fusion avec d'autres petits parties locaux, est
devenu, fin 1935, le Parti ouvrier d'unification marxiste (P. O.
U. M.).
Sans 6tre a proprement parler (( trotzkyste come on
l'a dit a tort ce group 6tait plut6t < antistalinien . Tout en
entendant profiter des lemons de la revolution bolcheviste, il se
proposait, avant tout, d'6tablir un communism national, c'est-
A-dire adapt aux contingencies particulieres de la P6ninsule.
Pour s'opposer a ce parti, qui avait obtenu deux d6put6s
aux Cortes de 1936, 1'Internationale Communiste, aussit6t
apres l'insurrection militaire, avec le concours de divers
616ments pris 6galement sur place, constitua un autre grou-
pement, d6nomm6 le Parti Socialiste Unifie de Catalogne
(P. S. U. C.), qui devait naturellement profiter comme tous
les communists dependant du Komintern du prestige de
I'U. R. S. S., quand celle-ci se d6cida, apres deux mois de
tergiversations, A fournir des armes A l'Espagne r6publicaine.
Chacune de ces organizations, chacun de ces parties avait
naturellement son programme, repondant A son ideologie
particuliere. Et cette divergence fondamentale de principles
fut d&s le d6but, nous l'avons dit, une cause de faiblesse
quasi mortelle pour le gouvernement. Qu'on songe seulement a
l'abime qui s6parait les communists, pr6conisant la dictature
du proletariat, ou les socialists, partisans de l'6tatisation a
outrance, d'avec les anarcho-syndicalistes, ennemis de toute
autorit6 et de toute discipline. Le seul point, sur lequel tous
ces groupements 6taient plus ou moins d'accord, visit exclu-
sivement la destruction de l'Ntat de choses actuel, mais cela
ne suffisait pas, on l'avouera, pour r6aliser ensuite l'euvre
de construction nicessaire.
238 SCIENCES POLITIQUES
Ce qui compliquait encore la situation, c'6tait que le
gouvernement etait lie, au moins theoriquement, par la
Constitution de 1931 laquelle n'a 6te ni abrog6e ni modifi6e
par voie 16gale sur aucun point et qu'il avait lui-meme son
programme : celui du Frente popular, r6dig6 par un juriste de
renom, M. Sanchez Roman, et public le 16 janvier 1936. Pro-
gramme qui, malgre certaines concessions faites aux extr6-
mistes, n'en 6tait pas moins, dans 1'ensemble, assez mod6r6 :
c'est ainsi que la nationalisationn ) des terres, celle des banques,
le contrl6e ouvrier dans les usines et meme le principle des
indemnites de ch6mage en avaient 6te exclus. Et pourtant, ce
programme portait, a c6te des signatures de tous les parties
affili6s au Front populaire, celles de toutes les organizations
prolftariennes (en dehors des anarchistes). Mais il etait evident
qu'il ne s'agissait lh, dans l'esprit des extremistes, que d'un
arrangement circonstanciel qui devait ktre rapidement d6pass6
a la faveur des 6v6nements.
Sans parler des particularismes regionaux, principalement
en Catalogne, qui furent une autre cause de difficulties pour le
gouvernement r6publicain, on s'explique que l'action de ce
dernier ait Wte, en grande parties, paralys6e par le heurt de
tant d'id6aux si dissemblables, qui s'opposaient A la constitu-
tion d'un ( front unique ) en face de 1'ennemi.
A cet 6gard, on peut distinguer quatre p6riodes : la pre-
miere, qui va du 18 juillet au 5 septembre 1936, est caract6-
ris6e par l'absence de toute autorit6 chez ceux qui out la
responsabilit6 du pouvoir. Toute la force effective appartient
aux organizations syndicales qui cherchent elles-memes A
prendre le pas les unes sur les autres.
Le leader socialist de gauche, M. Largo Caballero, cherche
alors A mettre un peu d'ordre dans ce chaos. I1 espere y par-
venir en laissant A I'icart les syndicats, mais l'experience
6choue et, au bout de deux mois, il doit se decider A les faire
entrer au gouvernement.
Cette second m6thode ne r6ussit pas davantage et force
est a M. Largo Caballero, le 5 novembre 1937, de passer la
main a un autre socialist, mais celui-la de tendance ( mod6ree ),
le Dr N6grin, qui pratique successivement, A son tour, vis-a-vis
LA FIN DE LA Ile REPUBLIQUE ESPAGNOLE 239
des organizations syndicales, les deux systemes de son pr6d6-
cesseur, et don't les efforts ont seulement pour r6sultat de
retarder la debAcle finale.
*
Le cabinet au pouvoir, le 18 juillet 1936, 6tait pr6sid6 par
M. Casares Quiroga, ami personnel de M. Azafia, a qui il avait
succede, le 12 mai, lorsque ce dernier avait 6t- elu president de
la R1publique. Assez semblable au precedent, ce minister
comprenait uniquement des repr6sentants des deux grands
parts r6publicains de gauche Gauche R1publicaine et
Union R1publicaine a l'exclusion de toute participation
socialist ou communist et avec la seule adjonction d'un
membre de la gauche catalane (Esquerra).
D&s le 19 juillet, M. Casares Quiroga, auquel on reprochait
d'avoir Wt6 surprise par les evenements, donnait sa d6mission
et le chef de l'Etat faisait appel a M. Martinez Barrio, leader de
l'Union Republicaine et Pr6sident des Cortes, dans l'espoir
qu'il pourrait arrkter l'insurrection dans l'oeuf par un accord
avec les g6neraux r6volt6s. Mais il 6tait trop tard. Les insurges
etaient d6jA maitres d'une grande parties de la P6ninsule et
ils s'appretaient a s'emparer de la capital par une action
concentrique menee du Nord et du Sud. Par ailleurs, tandis
qu'A Barcelone la population ouvriere, arm6e A la hAte -
et oi dominaient les anarcho-syndicalistes parvenait A
maitriser la garnison, A Madrid, oi les troupes 6taient assiegees
dans leurs casernes, les socialists et les communists, a qui on
avait commence egalement A distribuer des armes, s'opposerent
violemment a la constitution d'un gouvernement de conci-
liation. Le president Azafia, sous la pression, dit-on, des chefs
socialists, MM. Largo Caballero et Indalecio Prieto, se vit
contraint de ceder. Avant mime que Martinez Barrio ait pu
reunir ses collaborateurs, un autre membre de la Gauche
republicaine, M. Giral, ministry de la Marine dans le cabinet
Casares Quiroga, constituait un gouvernement, comprenant
i peu pros les m&mes l66ments que le precedent.
Des son entree en functions, le ministry de l'Int'rieur, le
SCIENCES POLITIQUES
g6n6ral S6bastian Pozas, fit radiodiffuser une note d6clarant
que la formation du nouveau cabinet signifiait (( 'accentuation
de la lutte contre le fascisme . C'est, en effet, sous ce signed qu'A
d6faut d'un programme positif, les gouvernements (( rouges )
chercherent desormais a grouper leurs troupes, tandis que,
dans le camp adverse, on usait d'un (( slogan )) analogue, en
declarant mener la lutte contre le ( bolch6visme .
Le gn6eral Pozas faisait savoir, en mime temps, qu'il ( serait
procedM imm6diatement a l'armement du people ), ajoutant
que (( les parties socialist et communist, ainsi que la F6d6ra-
tion des Jeunesses socialists et l'U. G. T., avaient renouvel6
leur promesse de soutenir sans conditions le Gouvernement,
pour l'aider a combattre les traitres jusqu'a la victoire .
La v6rit6 est que les diverse organizations ouvrieres de
gauche avaient, longtemps avant l'insurrection militaire, sous
le regard d'un gouvernement complaisant ou impuissant,
constitu6 des ( milices armies ) (on les avait vu d6filer, le
ier mai, dans les rues de la capitale, alors que les extremistes
de droite, les (( phalangistes ), en faisaient autant de leur c6te.
En depouillant les arsenaux de l'Etat au profit de ces
( miliciens ), M. Casares Quiroga, puis M. Giral, sur une plus
large 6chelle, pouvaient invoquer l'excuse de la necessit6.
Ne disposant que d'un nombre tres r6duit de soldats reguliers,
auxquels 6taient venus se joindre des contingents de police -
gardes d'assaut et gardes civils (encore se m6fiait-on de ces
derniers) le gouvernement r6publicain, pour rSsister au
soulevement militaire, n'avait pas d'autre resource que de
faire appel aux masses ouvrieres.
Mais par 1A mime il se mettait entire les mains d'organisa-
tions revolutionnaires et indisciplin6es, don't la valeur comba-
tive 6tait des plus mediocres, et qui representaient, par contre,
un dangereux 616ment de troubles A l'arrimre.
Ainsi s'expliquent les effroyables exactions, don't la capi-
tale, ainsi que tous les grands centres rests au pouvoir des
r6publicains, furent le th6Atre durant les premiers mois de la
guerre.
Les autorit6s responsables se virent contraintes un peu
partout et plus specialement a Barcelone de prendre
LA FIN DE LA Ile REPUBLIQUE ESPAGNOLE
les measures les plus r6volutionnaires et les plus d6sordonnees,
sous la pression des divers comites socialists, communists,
anarchistes -- don't la pr6pond6rance variait selon les localit6s
et d'apres les circonstances du moment : saisie des journaux,
collectivisation des industries, repartition des terres aux paysans,
expropriation des chemins de fer, expulsion des religieux,
confiscation des biens des particuliers, etc. Et tout cela s'accom-
pagnait d'une infinite de crimes et d'atrocites, auxquels la
creation d'une soi-disant justice populaire ne suit pas a
mettre un terme. Le seul r6sultat fut d'affaiblir encore la
resistance gouvernementale et de jeter le discredit sur les
institutions elles-memes, en amenant nombre de republicains,
mime affili6s aux parties du Front populaire, a s'6carter d'un
regime qui perdait, A leurs yeux, son caractere de 16gitimit6
et de l6galitL.
Comme l'a 6crit une r6publicaine sincere, Mme Clara Campoa-
mor, ancien d6put6 aux Cortes : ( Les terrorists ont travaill6
en faveur des insurg6s avec plus de succs que leurs propres
partisans 1 .
Pour peu que se fit prolong un tel 6tat de choses, on eit
assist, du c6te (( rouge ), A un rapide effondrement. Si l'on
voulait contenir efficacement 1'avance, ininterrompue jusque-lh,
des forces nationalists, il fallait, d'abord, cofite que coite,
r6tablir l'autorit6 gouvernementale. Mais de quelle manibre?
Faire appel a tous les parties, socialists et communists com-
pris, pour qu'ils prissent leur part de responsabilit6s, en
collaborant directement au pouvoir? Ou bien devait-on aller
plus loin encore, en ouvrant l'acc6s du pouvoir aux organisa-
tions syndicales elles-memes? En fait nous l'avons dit -
celles-ci 6taient les v6ritables maitresses de la situation.
Mais n'y avait-il pas a craindre qu'en transplantant leurs
luttes intestines sur le terrain gouvernemental, elles fissent
somber la RWpublique dans l'anarchie la plus complete?
I. Clara Campcamor, la Rdvolution espagnole mue par une rdpublicaine (Paris,
Plon, 1937).
SCIENCES POLITIQUES. 16
SCIENCES POLITIQUES
C'est pourquoi on essaya tout d'abord la premiere solution.
Le 4 septembre, aprBs la chute d'Irun, le cabinet Giral
dimissionnait : il 6tait aussit6t remplac6 par un ministbre
pr6side par M. Largo Caballero et comprenant, avec trois
republicans, six socialists, deux communists, un membre
de la gauche catalane et un nationalist basque.
L'Union Sovietique intervint-elle, comme on l'a pr6tendu,
pour imposerer a au president de la Republique ce gouvernement
ou, tout au moins, le choix de son chef? Les m6moires de
M. Azajia, don't on announce la prochaine publication, nous
renseigneront peut-etre l-dessus, ainsi que sur beaucoup de
points, encore obscurs, de cette tragique histoire. Pour l'instant,
on doit se borner a noter que c'est seulement le 9 juin 1936 que
le cabinet Casares Quiroga s'6tait d6cid6 a reprendre les relations
diplomatiques avec la Russie, et le 28 aout suivant, en pleine
guerre civil, que le premier ambassadeur sovi6tique en
Espagne, M. Rosenberg, arriva a Madrid.
Par ailleurs, il n'est pas douteux que M. Largo Caballero
6tait l'homme qui jouissait dans les masses r6volutionnaires 4
cette 6poque de la plus grande popularity et qu'on le jugeait
aussi le seul capable, au Ministere de la Guerre, de convertir
les milices en v6ritables corps militaires.
Effectivement, le nouveau president du conseil s'efforga
sans tarder Ai tablir une discipline de fer sur le front et A
l'arriere.
Un decret du 16 octobre cr6a un ( commissariat general
de la guerre ), qui fut confi6 A M. Alvarez del Vayo, socialist,
et don't la mission devait ftre d' ( exercer un contr6le politico-
social (sic) sur les soldats, les commandants et toute la grande
masse des combatants, afin d'obtenir les meilleurs resultats ).
En m6me temps, le gouvernement se montrait preoccup6
de satisfaire, au moins par des processes, aux revendications
du proletariat. Le ministry de l'Agriculture, M. Uribe, commu-
niste, annongait qu'il entendait poursuivre la realisation de la
r6forme agraire ( sur un rythme acc6lr6 ), et a la stance des
Cortes le Ier octobre (A laquelle assistaient 13o deputes, au
lieu de 461, que comprenait originairement cette assemblee),
M. Largo Caballero d6clarait qu' ( apris la victoire, la structure
LA FIN DE LA IIe R1~PUBLIQUE ESPAGNOLE
du pays devra changer compl6tement dans l'ordre 6conomique
ct social... Tout le proletariat qui lutte ajoutait-il aura
la recompense qu'il merite...
Le mime jour, les Basques obtenaient de la Chambre, en
recompense de leur participation h la guerre aux co6ts des
r6publicains, un statute regional, analogue, dans ses grandes
lignes, a celui don't jouissaient deji les Catalans tandis que
le president Azafia se rendait h Barcelone, pour y riveiller,
semble-t-il, le zele de la Gcneralit6 en faveur de la cause com-
mune.
II s'en fallait, pourtant, que les r6sultats correspondissent
aux efforts du gouvernement.
Sur le front, les troupes franquistes, poursuivant leur pro-
gression sans coup firir, arrivent jusqu'aux faubourgs de la
capital. La situation devient extremement critique. Le
general Asensio, nomm6 sous-secrtaire d'Etat A la guerre, est
remplac6, comme commandant en chef de Madrid, par le
g6n6ral Pozas, et un decret mobilise tous les homes de
vingt a quarante-cinq ans, tandis qu'A Barcelone, la G6nralit6
ordonne l'incorporation des classes 1932 h 1935.
A l'arriere, les appeals a l'union se heurtent surtout a
la resistance des anarchistes. La C. N. T., tout en n'6tant pas
repr6sentie au gouvernement, a bien promise de I'appuyer et
de collaborer A la defense commune, en participant au moins
aux organizations ( de caractere technique ,, tels que le Comit6
d'approvisionnement. Mais, en raalit6, les libertaires persistent
dans l'id6e de faire ( leur revolution, afin de se degager de
toute espece d'autorit6. Ils font sentir, par tous les ,n,,yi,-ns,
leur non-conformit6 avec les socialo-communistes. Le Frente
popular risque d'etre complktement dissoci6.
C'est en vain que M. Largo Caballero les menace de ses
fondres. Finalement, il doit composer avec eux et leur faire
place dans son cabinet.
( Convaincu, declarait une note officielle, que le moment
actuel ne doit laisser au dehors aucune des forces qui luttent
centre le fascisme, le chef du gouvernement a conseillE au
I. Voir notre article les Basques dans la guerre civil espagnole (Revue Politique
et Parlementaire du to juin 1937).
SCIENCES POLITIQUES
President de la Republique 1'6largissement du cabinet, en y
donnant entree A la representation de la C. N. T.
Le minister Largo Caballero, remani6 le 4 novembre 1936,
comprenait, en plus des membres du gouvernement precedent,
quatre repr6sentants de la C. N. T. : MM. Julio Just (travaux
publics), Juan Peyro industries) Juan Lopez Sanchez (com-
merce) et Mme Federica Montseny (sante publique).
Comme l'Ncrivait la Vanguardia de Barcelone, ce remanie-
ment repondait a la necessit6 de mettre fin A une ( duality de
pouvoirs, A tous points de vue pr6judiciable n, et le president
du conseil alfirmait, pour sa part, que orientation politique
et le programme du gouvernement n'etaient aucunement
modifies.
Quant a la C. N. T., dans un manifeste public dans la
press, elle expliquait l'infraction ainsi apport6e A son ( apoli-
tisme ) dogmatique par ( la situation delicate de certaines
parties du front, particulierement du front du centre .
( En ces moments de grave responsabilit6 historique,
conscients des espoirs que le pays en general place dans notre
participation au gouvernement et sfrs que cette participation
doit etre la meilleure garantie que la lutte centre le fascisme
sera menee jusqu' la victoire, nous n'avons pas h6sit6 A faire
ce sacrifice (sic) pour le people des travailleurs, A la cause du-
quel nous nous sommes attaches...
Mais la trove entire les organizations syndicales devait
etre de court dur6e.
Le 6 novembre, le gouvernement quite Madrid assi6eg
pour s'installer a Valence. La defense de la capital est laiss6e
A un comit6 pr6sid6 par le general Miaja. Le ii, apres la recon-
naissance du general Franco par l'Allemagne et l'Italie,
M. Largo Caballero lance un nouvel appel au pays: une seule
volont6, une seule discipline et par elles nous sommes assures
de la victoire!
En fait, une lutte sourde se poursuivait entire socialo-com-
LA FIN DE LA Ile REPUBLIQUE ESPAGNOLE
munistes et anarcho-syndicalistes. Elle 6tait particulierement
aigui en Catalogne, ofi, depuis le debut de la guerre civil,
le president de la Gnd6ralite, M. Company, avait bien du mal
Sse d6fendre centre Ics anarchists de la C. N. T. et du F. A. T.,
allies aux communists dissidents du P. O. U. M. Sous leur
pression, il est oblige d'6dicter les measures les plus extremes,
tendant a la (( collectivisation ) de toute la vie de la Catalogne.
A plusieurs reprises, le gouvernement de Madrid-Valence doit
intervenir, pour d6cider M. Company A la resistance. Mais lui-
meme so declare impuissant A s6vir centre (( les incontrolables ).
La Solidaridad Obrera, organe des anarcho-syndicalistes, va
jusqu'a proclamer que (( la R6publique n'existe plus et qu'on
est en pleine revolution ).
Enfin, le 4 mai 1937, le drame 6clate. M. Company, ayant
d6cid6 sur la suggestion, semble-t-il, de M. Largo Caballero
- de disarmer les civils sur tout le territoire catalan, la
F. A. I., se jugeant menace par cette measure, prend les
devants et procede dans les rues de Barcelone au desarmement
individual, non seulement des ouvriers, mais aussi des gardes
d'assaut. En mime temps, les anarcho-syndicalistes s'emparent
du central t6l6phonique et engagent ouvertement la lutte
contre les agents de l'autorit6. De violent combats se d6roulent
a Barcelone. La G6n6ralite d6bord6e doit demander l'aide
du gouvernement de Valence, qui d6lgue en Catalogne le
general Pozas, avec mission de prendre en main toutes les forces
armies de la region et de disarmer les populations de l'arriere.
Cela ne va pas sans peine, alors surtout que ces measures,
quoique conformes l'article 9 du statut d'autonomie, se
heurtent a la resistance de tous les parties catalans. Le mouve-
ment n'cst r6prim6 qu'au bout de plusieurs jours, et c'est le
P.O.U.M, accuse d'espionnage et de trahison au profit de
Franco 1, qui doit supporter les frais de la repression.
I. Max Rieger, Espionnage en Espagne, preface de Jos6 Benjamin (Editions
Denoel, 1938). Par contre, les a poumistes e, d6fendus en la circonstance par les anar-
cho-syndicalistes, ont toujours protest 6nergiquement contre une pareille accusa-
tion (voir les notes de M. Victor-Serge dans J. Maurin, op. cit., p. 144 et suiv.).
M. Henri Rabasseire 6crit, de son cote, que les communists a staliniens s, decides
a organiser la RBpublique en nation belligerante, s'employ6rent a 6vincer de la
direction de la guerre les porte-paroles revolutionnaires 1 et, les anarchistes 6tant
246 SCIENCES POLITIQUES
Ces graves incidents ne pouvaient manquer d'avoir leur
repercussion a Valence. A ce moment, les operations sur le
front basque faisaient l'objet des plus s6rieuses preoccupations
et, d'autre part, le repr6sentant espagnol a la S. D. N., M. del
Vayo, ne ccssait de signaler la deplorable impression cause
a l'6tranger, en particulier dans les pays d6mocratiques, par
ce qui pouvait apparaitre come ( l'anarchisation > progres-
sive de 1'Espagne rdpublicaine.
La d6mission, dans des circonstances encore mal expliquees,
des deux ministres communists, suivie de celle de leurs
collogues socialists, provoque une crise, que M. Largo Caballero
cherche a resoudre par 1'6limination de toutes les organizations
syndicales. Mais son prestige a 6t6 notablement atteint par
la perte de Malaga; sa tentative se heurte au veto des com-
munistes, appuyes, dit-on, par Moscou, et, en fin de compete,
c'est le Dr Negrin, ministry des finances, qui constitute, sur
ces mcmes bases, le nouveau gouvernement (17 mai I937).
Alors s'ouvre une troisieme p6riode, la derniere, mais aussi
la plus longue de la guerre.
Le cabinet Negrin comprenait uniquement des represen-
tants de tous les parties du Front populaire : trois socialists,
deux communists, un membre de l'Union r6publicaine, un
de la gauche republicaine, un Catalan de la Esquerra et un
nationalist basque.
M. Prieto, pr6cedemmcnt ministry de la marine et de l'air,
devenait ministry de la defense national, au lieu de M. Largo
Caballero, et, aux affaires ftrangeres, M. del Vayo, socialist,
6tait remplac6 par M. Jose Giral, r6publicain de gauche.
Les anarchists ct les syndicalistes 6taient, nous l'avons
dit, exclus de la nouvelle combinaison.
Le president du conseil appartenait a la fraction mod6r6e
encore trop forts, on attaqua d'abord le P.O.U.M ) (Espagne, creuset politique, editions
Fustier, 1938, p. 142 et 57). Voir aussi les curieuses r6v6lations du colonel Kri
vitsky, qui 6tait, parait-il, le chef de la Gu6peou en Espagne, dans The Saturday
Evening Post du 15 avril 1-1 ,.
LA FIN DE LA Ile REPUBLIQUE ESPAGNOLE 247
du parti socialist, dirigee par M. Indalecio Prieto, et on etait
assez porter a ne voir en lui qu'un ( prate-nom a de ce dernier.
Docteur en m6decine, professeur de biologic a l'Universit6
de Madrid, d6put6 de la capital, M. Negrin s'etait acquis
aux Cortes une grande reputation comme specialist des
questions economiques. Mais nul n'avait suppose jusqu'alors
qu'il plt y avoir en lui l'6toffe d'un chef de gouvernement. A
cet 6gard, les 6venements apporterent une veritable revelation.
Si son r6le a 6et, comme de just, tres diversement appr6-
cie, on ne saurait, en tout cas, lui refuser d'avoir montr6
au pouvoir une remarquable energie, doublee, en general,
d'une reelle habilet6. Dans des circonstances particulierement
tragiques, il parvint, au prix des pires difficult6s, a restaurer
l'ordre (au moins dans une certain measure a reorganiser
l'armee et A prolonged durant vingt-deux mois la resistance,
tout en defendant, devant l'6tranger, en particulier h Geneve,
souvent avec succs le point de vue de son gouvernement.
Sa tAche la plus urgente a l'arriere 6tait de r6tablir une
situation normal en Catalogne et de regulariser les relations
du pouvoir central avec la Gkneralit6. La chute de Bilbao
(19 juin) donnait, en effet, l'occasion aux anarcho-syndicalistes
de reprendre leur activity, en invoquant, cette fois, (( la necessity
de defendre I'autonomie catalane ). Et M. Company, apres
s'etre appuy6 un moment contre eux sur Valence, paraissait
de nouveau assez enclin a subir leur ascendant et a entrer
dans leurs vues.
11 y avait 1a une menace de separatisme, qui ne fut d6fini-
tivement conjure que le 28 octobre 1937, lorsque le gouverne-
ment decida de se transf6rer a Barcelone, oui s'etait djah
install, depuis onze mois, le president de la Republique. Le
conseil des ministries justifiait cette decision par des raisons
economiques et strategiques, mais il n'est pas douteux qu'il
s'y ajoutait la necessity de maintenir un contact plus 6troit
avec la Catalogne, qui constituait, selon les declarations du
ministry de l'inthrieur, M. Zuzagagoitia, ( la base essentielle
de la vie de la Rdpublique .
M. Negrin prenait, du reste, bien soin de r6affirmer sa
volont (( de respecter les conditions particulieres d'autonomie
SCIENCES POLITIQUES
de la Catalogne ) : ce a quoi M. Company repondait, sur le
mnme ton, en proclamant, a l'occasion de la prorogation de
son mandate pr6sidentiel, (( la solidarity cordiale des deux gou-
vernements ). En outre, pour prvvenir tout conflict 6ventuel,
on charge une (( commission mixte )) de l'application du statut
catalan.
L'entente entire des diverse organizations syndicales, tant
en Catalogne que dans le rest de la zone r6publicaine, reduite,
d&s cette 6poque, au tiers du territoire, fut plus difficile a obtenir
et, au surplus, elle rest toujours imparfaite.
Au sein meme de 1'U. G. T., de profondes divergences
subsistaient entire la gauche (L. Caballero) et le centre (Prieto).
Pour y mettre fin, il ne fallut rien moins que l'intervention
de la F6d6ration syndicale international. Le CongrBs r6uni
a Valence, le 2 janvier 1938, et auquel M. Largo Caballero
s'abstint, d'ailleurs, d'assister aboutit au triomphe de
l'orientation centrist ou moderee. Pour la premiere fois aussi,
la pr6sidence de l'U. G. T. et celle du part socialist furent
reunies entire les mains d'un seul homme, M. Ramon Gonzalez
Pefia, ancien anarchiste, devenu socialist gouvernemental.
En outre, une formule que le Congrbs adopta, sur la
proposition, dit-on, de M. Jouhaux, amorgait une entente
avec la C. N. T., mais c'est seulement le i3 mars suivant
que les deux grandes organizations syndicales r6ussirent a se
mettre d'accord sur un programme d'action commune, (( en
vue d'une aide efficace au gouvernement ).
En ce qui concern les rapports entire socialists et commu-
nistes, sans aller jusqu'a une fusion complete comme celle
que reclamait, des le 22 aoit 1937, M. Alvarez del Vayo, qui y
voyait le seul moyen de gagner la guerre ils restbrent
d'ordinaire assez satisfaisants.
Mais il ne pouvait en aller de meme entire communists
et anarcho-syndicalistes, don't le rapprochement, en raison de
l'opposition fondamentale de leurs ideologies respective,
apparaissait comme proprement chimerique.
LA FIN DE LA lie REPUBLIQUE ESPAGNOLE
Le president Negrin profit, cependant, de l'accalmie
relative survenue dans ces dissensions intestines pour s'efforcer
de regrouper, une fois de plus, toutes les forces combattant
ensemble sous le signe de 1' ( antifascisme ).
Le cabinet, tel qu'il le reconstitua le 6 avril 1938, compre-
nait: trois socialists, un communist, un U. G. T., un C. N. T.,
trois membres de la gauche republicaine, un de l'Union r6pu-
blicaine, un de la Esquerra et un nationalist basque.
Deux faits A noter : M. Alvarez del Vayo, socialist par-
ticulierement bien vu, dit-on, A Moscou reprenait le porte-
feuille des affaires 6trangeres, et, d'autre part, M. Prieto,
que M. Negrin en personnel remplagait au ministere de la
defense national, 6tait exclu de la nouvelle combinaison,
tout en lui donnant, d'apres ses declarations, ( sa pleine adh6-
sion et sa complete collaboration ).
La situation militaire extremement critique (les troupes
franquistes venaient d'atteindre le littoral m6diterraneen,
coupant en deux trongons l'Espagne r6publicaine) suffisait A
justifier ce supreme appel A l'union, aussi bien que la decision
prise par le president du conseil de prendre lui-meme en
main la direction de la guerre.
Tout devait etre d6sormais subordonn6 a cette derniere
consideration. Face A l'adversaire, que soutenaient ouverte-
ment certaines puissances etrang&res, il convenait de substituer
dans tous les esprits y comprise chez les extr6mistes les
plus intransigeants aux reves de revolution social la reality
de la guerre (( national ).
En meme temps, le chef du gouvernement faisait savoir
qu'il restait fiddle ce qui paraissait avoir 6te un peu oubli6
jusque-lh A la conception de l'Etat r6publicain et d6mocra-
tique, tel que l'a 6tabli la Constitution de i931, don't il enten-
dait respecter scrupuleusement toutes les dispositions.
C'est ce qu'il exposa plus longuement dans un discours-
programme adresse, le 18 juin, a 1'Espagne ( loyale ), ainsi
SCIENCES POLITIQUES
qu'aux combatants des deux fronts, oi il aflirmait que les
republicains ne poursuivaient d'autre objectif que d'assurer
( le respect de la volont6 national et l'ind6pendance absolue
du pays )).
(( Ind6pendance d6clarait M. Negrin signifie que nous
voulons nous liberer des envahisseurs, renoncer aux tutelles
6trangbres, faire b6neficier les travailleurs des terres qu'ils
cultivent et les d6livrer de la spoliation 6trangere...
(( Nous luttons pour une R6publique populaire, fond6c
sur la democratic... Nous luttons pour un gouvernement
d'autorit6, avec un pouvoir ex6cutif fort, d6pendant de la
volont6 national exprim6e par le suffrage populaire : un gou-
vernement qui place l'Etat au-dessus des partis...
( Nous luttons pour que la volont6 national, exprim6e
au moyen d'un plebiscite, sit6t que la guerre aura pris fin,
d6finisse la vie politique et social de la R6publique...
(( Nous luttons pour que, sans porter atteinte a l'unit6
espagnole, on respect la personnalit6 des regions qui consti-
tuent l'Espagne : unite vis-a-vis de l'Ftranger, diversity A
1'int6rieur du pays...
Le president du conseil ajoutait qu'il 6tait resolu A assurer
le respect des croyances ct la liberty des cultes, a garantir
la propri6t6 16galement et l6gitimement acquise, (( dans les
limits que tracent le supreme intiret national et la protection
due aux l66ments producteurs ), a opvrer une profonde
r6forme agraire, a garantir les droits du travailleur (( par
une 16gislation social avanc6e, adapt6e aux necessitis speci-
fiques de la vie et de l'6conomie espagnoles )). Enfin, le
Dr Negrin proclamait son intention d'accorder, apres la
guerre, une large amnistie don't beneficieraient tous les
Espagnols, ( qui voudraient collaborer a la tache commune de
reconstruction et de relvvement de l'Espagne .
La moderation qu'aflichait ce programme les treize
points des buts de guerre du Dr Negrin ), comme on les a
appel6s 6tait-elle destine uniquement A faire illusion a 1'6-
tranger, en particulier au regard des puissances d6mocratiques?
C'est ce que ne manquerent pas d'affirmer les (( nationalists ),
selon lesquels M. Negrin n'avait fait, en la circonstance, que
LA FIN DE LA IIe REPUBLIQUE ESPAGNOLE 251
suivre les conseils de Moscou et restait, plus que jamais,
sous l'6troite d6pendance du Komintern.
Mais, faute de donnees certaines, il est encore impossible
de se prononcer sur ce point. Sans mettre en cause la sincerity
de M. Negrin, on peut croire que l'application tres strict
- quoi qu'on en ait dit du principle de non-intervention
par la France et l'Angleterre I'ait plac6, bon gr6 mal gre,
dans la dependance, plus ou moins imperative, de l'U. R. S. S.,
don't il recevait la presque totality de ses secours exterieurs .
Par ailleurs, les enormes difficulties, auxquelles il lui fallait
constamment faire face, expliquent, dans une certain measure,
la sorte de dictature qu'on lui a reproch6e, en recourant par-
fois a des procedes, oi d'aucuns ont voulu voir l'inspiration
bolchevique, avec l'aide d'une police, recrutee parmi les
douaniers (carabineros), qui ne relevait quc de lui, et d'un
service d'investigation militaire (S. I. M.) sur lequel il avait
6galement la haute main.
Il lui fallait, en effet, se d6fendre non seulement sur le front,
centre des forces mieux armies et plus disciplinees, mais aussi
A l'arribre contre ceux de plus en plus nombreux -- qui
entretenaient secretement des intelligence avec 1'ennemi et
que l'on designait communement sous le nom de ( cinquieme
colonne )).
L'unite, qu'il avait cherchee a imposer dans son propre
camp par ce regime de force, n'aurait pu ftre consolid6e que
par le succs militaire. Or, en d6pit de la constitution d'une
( armee populaire ), encore embryonnaire, mais qui avait
permis, par une audacieuse offensive dans la bouche de I'Ebre,
d'arreter, durant treize mois, l'avance des nationalists en
direction de Valence, la superiority de l'adversaire, avec le
concours surtout de 1'Italie et de l'Allemagne, devenait chaque
jour plus 6crasante.
A measure que pilissait l'astre du gouvernement repu-
blicain, les sympathies au moins morales, don't celui-ci avait
profit aupres des Etats d6mocratiques, tendaient egalement A
s'estomper... A Geneve, en particulier, malgr6 toute l'activit6
I. Voir B. Souvarine, Choses d'Espagne, dans les Nou eaux Cahiers, 15 octobre
1937.
252 SCIENCES POLITIQUES
d6ploy6e par M. del Vayo, il venait de subir de s6rieux 6checs.
On n'espirait plus que dans une mediation, qui eft r6pondu
sans doute au desir de l'immense majority des Espagnols,
6puis6s par cette interminable lutte. Mais si le principle en
fut admis, sur le tard, par M. Negrin, on salt que toutes les
tentatives dans ce sens furent constamment rejetees par le
general Franco.
Pour la meme raison, les dissensions intestines, auxquelles
M. Negrin avait espere mettre fin, renaissaient de plus belle.
C'est ainsi que l'absorption progressive par le gouverne-
ment central, sous le coup des necessit6s de la guerre, des
facultes autonomes de la G6neralit6 amena la d6mission du
ministry catalan, M. Jaime Aguado, que son colligue basque,
M. Manuel de Irujo, accompagna dans sa retraite par esprit
de solidarity.
Bien plus grave encore 6tait la lutte que continuaient A
mener dans l'ombre les anarcho-syndicalistes, qui accusaient
le gouvernement, trop docile, selon eux, aux suggestions des
communists, de ( vouloir tuer la revolution ).
Le 7 d6cembre, a la veille de l'offensive du general Franco,
le president du conseil adjurait, une fois de plus, a Barcelone,
les divers repr6sentants du < Front populaire de renoncer a
leurs querelles pour resister au choc de l'ennemi : c'6tait
bien l'aveu que la cohesion des parties 6tait loin d'etre r6a-
lisle!
II suffit d'une vigoureuse attaque des forces nationalists,
appuyees par une puissante aviation, pour que le front r6pu-
blicain s'6croulat presque brusquement. Tarragone tombe le
14 janvier. Quinze jours apres, c'est le tour de Barcelone,
don't la population, litteralement affamee, n'oppose aucune
resistance.
Le gouvernement a tout just le temps de quitter la capi-
tale catalane pour se r6fugier a Figueras. LA, dans la vieille
forteresse, d6jh bombard6e par l'ennemi, devant un petit
group de d6put6s, r6unis sous la pr6sidence de M. Martinez
Barrio, M. Negrin affirme sa volont6 de poursuivre la lutte.
Approuv6 par les chefs des diffrrentes minorities : MM. Fer-
nandez Clerigo (gauche r6publicaine), Mige communistte,
LA FIN DE LA Ile REPUBLIQUE ESPAGNOLE 253
Lamoneda socialistte, Zulueta (Esquerra) et Irujo (basque),
le president du conseil declare que l'Espagne lutte non seule-
ment pour son independence, mais aussi pour ( l'existence
meme du regime d6mocratique ). Puis il 6numbre les trois
points essentiels, don't il fait d6pendre une suspension d'armes :
0o garantie de l'independance et de l'integrit6 du territoire
national; 20 garantie pour le people espagnol do choisir libre-
ment son regime politique; 30 garantie de la suppression des
persecutions et des repressions apres la guerre, pour permettre
la reconstitution et la reconciliation nationals.
Cependant, l'arm6e r6publicaine de Catalogne, en pleine
deroute, reflue vers la frontier francaise, qu'elle franchit
avec des milliers de pauvres gens, cherchant asile dans notre
pays. Le president de la R6publique, M. Azafia, s'est, lui aussi,
refugi6 en France; le 28 f6vrier, au lendemain de la recon-
naissance du general Franco par les gouvernements de Paris
et de Londres, il adresse sa admission A M. Martinez Barrio,
president des Cortes.
Mais a Madrid, redevenu le siege nominal du pouvoir
r6publicain, les chefs militaires s'insurgent contre le gouver-
nement Negrin. Is constituent, avec le colonel Casado qui
parait avoir 6t6 l'instigateur du movement et M. Julian
Besteiro, ancien president des Cortes, socialist (( de droite ,
un Conseil dit de la defense national, don't le g6enral Miaja
assume la pr6sidence.
Leur objectif est de n6gocier la paix, mais une (( paix
digne et honorable ) qui evite de nouvelles effusions de sang.
L'U. G. T. socialistse) et la C. N. T. (anarcho-syndicalistes)
donnent leur pleine adhesion a la nouvelle junte, ofi ils ont
mime des repr6sentants. Par contre, les communists demeu-
rent hostiles et, dans la nuit du 6 au 7 mars, ils d6clenchent
un soulbvement A Madrid.
Enfin, aprbs une semaine de combats acharn6s, l'insurrec-
tion est completement r6prim6e. La Junte envoie des de61gu6s
auprbs du g6enral Franco, mais celui-ci exige la reddition
sans conditions. Les pourparlers sont rompus et l'arm6e
nationalist reprend l'offensive. Elle n'a pas, du reste, a com-
battre, car toute resistance est devenue impossible. Aprbs un
254 SCIENCES POLITIQUES
siege, qui a dur6 plus de deux ans, Madrid, oh la situation de la
population est encore pire qu'h Barcelone, capitule et tous
les autres grands centres, encore au pouvoir des r6publicains,
en font autant.
La guerre civil 6tait terminde et c'6tait aussi la fin de
la Deuxibme R1publique espagnole. Cruelle ironies! Au dire
des t6moins qui ont assisted l'entr6e des troupes franquistes
dans la capital, jamais la population n'avait manifesto un
pareil enthousiasme depuis le 14 avril i93i, lorsqu'elle fetait
l'avenement de la Republique!
Tout en faisant la part des interventions exterieures, qui
ont manifestement pes6 sur le course des 6v6nements, il n'en est
pas moins certain que ce regime nous l'avons montr6 ici
dans de precedents articles portait en lui-meme les germes
de sa fin rapid 1.
Comme la Premibre Republique, comme la monarchic,
la Deuxieme Republique a Wte la victim de cet individualism
outrancier, de ce personnalisme f6roce, qui fait qu'un parti,
A peine constitu6, se morcelle auwIit,'t en une multitude de
groups, obeissant chacun a un chef diff6eent, et qui explique
aussi que, faute d'une classes moyenne assez forte pour fair
prevaloir une opinion moderie, les masses, in&duquees et
laissees trop longtemps dans un total abandon, se rejettent
finalement vers les tendances extremes, qu'elles soient de
gauche ou de droite.
Et c'est pourquoi l'Espagne, don't le sol a dijA 6t6 ensan-
glant6 par tant de guerres civiles, n'a jamais eu de ( revolution )
a proprement parler. Tous les problemes, qui s'imposent a
son attention, sont rests jusqu'ici sans solution. I1 en sera
ainsi et le pays ne pourra trouver son &quilibre que du
jour oh ses dirigeants auront r6ussi A identifier I'Etat avec
la nation, ou, pour mieux dire, A modeler ses institutions sur
les conditions naturelles et sociales du pays, si particulieres
et si complexes soient-elles.
Angel MARVAUD.
i. Revue des Sciences Politiques, t. LIV, p. 459; t. LV, p. 358 et janvier-mars
1934.
LA FIN DE LA TCHECO-SLOVAQUIE
L'ecroulement de la Tchecoslovaquie au mois de mars
dernier, apres sa mutilation de septembre 1938, a plong6 le
monde dans la stupeur par sa soudainet6 et son caractere
total.
II a &te si souvent repet6 que la Tch6coslovaquie, fondue
en 1918, 6tait un Etat mal fait et artificial, que la conviction
est entree dans beaucoup d'esprits que l'Etat tchecoslovaque
n'etait pas viable et que son d6membrement etait fatal. En
r6alit6, aucune fatality n'est entree dans les deux catastrophes
de septembre et de mars dernier.
La Tchecoslovaquie n'etait pas plus artificielle ni plus mal
faite que ne l'a Wte l'ancien royaume de Boheme A d'autres
p6riodes de son histoire; elle aurait pu vivre parfaitement
dans les frontibres qui lui avaient Wte tracees en 1918, si cer-
taines erreurs graves n'avaient W6t commises qui ont facility
la destruction de l'6quilibre instaur6 par les traits de 1919.
On a reproch6 h la Tchecoslovaquie d'avoir reproduit en
plus petit la composition ethnique de l'Autriche-Hongrie et
de n'avoir pu 6chapper aux memes difficulties que celles qui
ont marqu6 les derniBres annees de I'ancien empire et precipit6
sa chute. Le reproche n'est fond qu'A demi. Ce n'est pas tant
la nature composite de l'Etat tchecoslovaque qui doit ktre
mise en cause que l'impr6voyance des homes politiques qui
n'ont pas compris, d&s 1918, que la presence d'une Autriche
forte et independante en Europe central 6tait aussi la condi-
tion de la force et de l'ind6pendance d'autres Etats en face
d'une Allemagne qui aurait reeouvr6 toute sa puissance.
Hitler, qui a poursuivi l'Autriche de sa haine persev6rante,
ne s'y est pas trompS. II n'est done pas superflu d'insister sur
les incompr6hensions et sur les prejuges qui ont travaill6 A
l'envi pour faire A Vienne le lit du pangermanisme et sur les
256 SCIENCES POLITIQUES
aberrations d'une politique qui a abandonn6 successivement
toutes les garanties que le trait de Versailles avait donnees
aux vainqueurs de 1918 pour tenir en 6chec la force militaire
allemande. Le mois de mars 1939 a vu se produire un 6crou-
lement qui 6tait deja en germe avec l'evacuation anticip6e
de la rive gauche du Rhin par la France en 1930, avec
I'abandon des reparations en 1932, avec la restauration du
service militaire obligatoire en Allemagne en mars 1935, avec
la remilitarisation de la rive gauche du Rhin le 7 mars 1936, et
que rendait inevitable l'occupation de l'Autriche par les troupes
allemandes le 12 mars 1938, favoris6e par un accord de l'Italie
avec l'Allemagne qui n'aurait jamais du ktre possible sur ce
point.
Ne consider que l'aspect interne de la question tcheco-
slovaque dans la tempfte qui a assailli et emport6 a Prague un
regime politique d6ja vieux de vingt ans, serait avoir une vue
fort incomplete du drame qui vient de se passer. Le travail de
d6sagr6gation int6rieure foment par l'adversaire avec une
habilet6 consomme, a Wte singulierement facility par les
fautes d'une diplomatic qui n'a pas appricid a sa valeur la
modification du rapport de forces survenu en Europe depuis
1935. Sans anticiper sur les jugements de l'histoire, on peut
affirmer que la fin brusque du regime instaur6 en 1918 en
Europe central est plus encore la faillite d'un systrme de
politique 6trangere, fond6 sur les illusions g6nevoises, que la
consequence d'une politique interieure qui n'a pas su 6voluer
a temps.
La Tch6coslovaquie, nee en octobre 1918, a la suite de
1'effondrement de l'Empire des Habsbourg, comprenait, avec
les provinces historiques de Boheme, de Moravie et de Silesie,
(78.831 km2) la Slovaquie (48.933 km2), et la Russie sub-
carpathique ou Ruthenie (12.644 km2), d6tach6es de la Hongrie.
Le tout format un Etat de 140.4o8 kilometres carr6s, peupl1
de i3.663.ooo habitants (recensement de 1921) qui se r6par-
tissaient ainsi : Tch6coslovaques : 8.760.937, 65 % du total;
Allemands : 3.123.448, 23,4 %; Magyars 747.096, 5,6 %;
RuthBnes 461.849, 3,4 %; Polonais 75.852, 0,6 %. Les Juifs
LA FIN DE LA TCHICO-SLOVAQUIE 257
se consid6rant comme tels, 6taient au nombre de 180.855,
soit 1,3 %.
L'6lment tcheque people principalement le cceur de la
Boheme, de la Moravie et de la Silesie, alors que 1'l66ment
allemand s'6tale en bordure des frontieres des pays historiques
avec quelques pilots dans I'int6ricur du pays. Les Magyars, de
mime, occupent les frontieres m6ridionales de la Slovaquie et de
la Russie subcarpathique oi les juifs sont particulierement
nombreux.
Malgr6 sa configuration en longueur qui lui valait des
frontieres tres 6tendues (2.800 kin.), et tres difficiles a d6fendre,
la Tchecoslovaquie 6tait, a l'ouest et au nord, s6par6e de
l'Allemagne et, au sud-ouest, de l'Autriche, par les limits
naturelles des months des Sudetes et des months de Boheme, et
offrait un tout homoghne au point de vue economique.
A cet 6gard, elle beneficiait d'une situation heureuse qui
lui valut des annies de brillante prosperity. Le noid et le nord-
ouest de la Boheme sont le siege d'une industries fort active de
la ceramique, du verre, du textile; au centre, les riches planes
de Boheme et de Moravie pr6sentent une forte production
agricole, aux rendements 6lev6s, ou la betterave a sucre tient
une grande place. Des gisements de houille et de fer impor-
tants alimentent une puissante industries sid6rurgique. La
Boheme et la Slovaquie possedent des stations thermales
anciennes et renommies auxquelles s'ajoute l'attrait de pitto-
resques regions touristiques.
Economiquement, la Tchecoslovaquie, h6ritiere de la plus
grande parties de I'industrie de l'ancien empire, etait viable
et, au course de sa court histoire, elle a fait la preuve de sa
vitality : en vingt ans, en effet, toutes les industries tcheco-
slovaques, l'industrie m6tallurgique dans la region de Prague
et de Pilsen, I'industrie textile dans le nord-est, I'industrie
de la verrerie et les industries alimentaires, dans toute la
Boheme, ont pris un essor remarquable et les noms de Bata
et de Skoda sont devenus celebres dans le monde enterr.
I. Voir La Tchecoslovaquie eiconomique, FinanciBre et Touristique de septem-
bre-octobre 1938 : ( Le potential economique de la Tchecoslovaquie de 1918 A 1938 ).
L'6tat de prosp6rite de la Tch6coslovaquie a la veille des 6venements de septem
SCIENCES POLITIQUES. 17
SCIENCES POLITIQUES
La Tchecoslovaquie, n6e d'une guerre que les forces d6mo-
cratiques dans le monde ont menee pour la defense du droit
et de la liberty des peuples, et formee au lendemain d'une
revolution interieure qui a bris le pouvoir seculaire de 1'une
des plus anciennes dynasties de l'Europe, s'6tait constitute
sous le signe de la d6mocratie.
La Charte constitutionnelle du 20 f6vrier 1920 s'inspirait
des principles que consacrent les institutions politiques anglaises,
am6ricaines et frangaises; elle pr6voyait deux Chambres, un
President de la R6publique Blu pour sept ans par l'Assembl6e
National, reunion des deux Chambres, le Gouvernement de
cabinet; elle contenait des prescriptions detaillees sur les droits
et les libert6s, ainsi que sur les devoirs du citoyen.
Une constitution vaut autant, et meme plus, par l'esprit
qui l'anime et la maniere don't elle est pratiquee que par les
textes qu'elle renferme. Avec des institutions singuliBrement
semblables A celles de la Republique frangaise, la Constitution
tch6coslovaque de 1920 avait 6volu6 dans un sens fort different
des lois constitutionnelles frangaises de 1875. Le regime
electoral qui consacrait l'egalit6 des sexes devant l'electorat
et 1'eligibilit6 avec la representation proportionnelle; le
caractere national des parties de gouvernement et leur forte
organisation; la breve duree des sessions legislatives et le
oaractere tres peu th6Atral des discussions parlementaires
suffisaient dejh a diff6rencier profond6ment la r6publique
tchecoslovaque des regimes pr6tendus analogues que l'on voit
fonctionner ailleurs. II faut y ajouter l'influence, pendant
seize ans, d'une personnalit6 aussi respectee que le President
Masaryk qui avait fond6 la tradition d'un Chef d'Etat exer-
cant toutes les prerogatives que la constitution lui attribue
sans en laisser tomber aucune. Il en est r6sult6 qu'un pouvoir
bre dernier est attest par toutes les statistiques. La population total avait passe
de 13.527.ooo en 1919 A 15.i86.9ii en 1936. Apres avoir durement ressenti les effects
de la crise 6conomique mondiale, la production tchecoslovaque, en 1937, 6tait
presque remont6e au niveau des ann6es les plus prosperes (voir I'Annuaire de
statistique de TchBcoslovaquie 1938, en frangais).
LA FIN DE LA TCHgCO-SLOVAQUIE 259
executif solide a pu gouverner fortement au moven d'une
coalition national, repr6sent6e par des chefs de parties avec
lesquels il avait seulement a computer.
Ce regime s'accompagnait d'une large decentralisation
administrative, mais cette decentralisation qu'avait consolidee
la grande r6forme administrative de 1927 reposait sur le
principle de la fusion des services de l'Etat et de l'administra-
tion locale entire les mains des autorites de province et de
district oh les repr6sentants du gouvernement siegeaient A
c6t6 des membres Blus : elle ne contrebalangait nullement le
caract6re unitaire de la constitution et la toute-puissance du
gouvernement central.
La representation des minorities au Parlement r6pondait
avec une exactitude presque absolue au pourcentage des
minorities vis-a-vis de la majority tchecoslovaque (34,5 % de
la population totale. Aprbs les elections legislatives de 1935,
pour ne prendre que les dernieres, sur 3oo membres dans la
Chambre des d6putes et i5o membres au S6nat, les parties
proprement allemands d6tenaient 70 sieges de d6put6s et
36 sieges de s6nateurs; les Magyars comptaient i deputies et
7 s6nateurs; les Ruthenes 9 d6put6s et s6nateurs, les Polonais
et les Juifs 2 d6put6s. Les fondateurs de la R6publique avaient
accept sans embarras, lors de la Conference de la Paix, les
engagements internationaux relatifs A la protection des mino-
rites et leur avaient donn6 la consecration de la loi constitu-
tionnelle.
La Constitution tchecoslovaque de 1920 reproduit presque
mot pour mot les dispositions du trait de Saint-Germain
concernant les minorit6s nationals; la loi sur I'emploi des
langues les avait consacr6es, et le people tchecoslovaque est en
droit d'affirmer que ces dispositions ont Wte respect6es avec
plus de conscience et de liberalisme que dans aucun des autres
pays voisins qui possedent aussi des minorit6s nationals
importantes.
Et cependant, c'est sur la question des minorit6s ethniques
que la Tchecoslovaquie de 1918 a tr6buch6 et qu'elle s'est
bris6e. Que s'est-il done passe?
260 SCIENCES POLITIQUES
Bien que la participation des minorit6s ethniques A la vie
national tch6coslovaque ait pu s'6tendre jusqu'A leur entr6e
dans les conseils du gouvernement, la question des minorities
ethniques s'est tout d'abord compliqu6e de la formation en
Slovaquie d'un part autonomiste qui a r6clam6, des le debut
de la R6publique, l'ex6cution d'un < accord de Pittsburg ,
passe par M. Masaryk en 1918 avec les Slovaques d'Am6rique,
aux terms duquel la Slovaquie devait recevoir un statute
special, et qui n'a cess6 de protester centre la constitution
unitaire donnee au pays. Les autonomistes slovaques qui ont
eu longtemps A leur tkte le fameux abbe Hlinka, ont fait
parfois parties de la majority gouvernementale; mais ils n'ont
jamais fait que se prkter sans se donner et ils ont entretenu
en Slovaquie un 6tat d'irritation qui a proc6d6 A la faon
d'une de ces substances acides qui avivent les places.
Du c6t6 allemand, on se trouvait dans une situation tout
autre : les soixante-dix deputes allemands repr6sentaient un
pays riche, occupant une grande place dans l'industiie de la
Republique et don't le people avait (( tenu le haut du pav6 )
dans l'ancien empire. Les luttes entire Tch6ques et Allemands
avaient rempli les trente dernibres annees du xIxe siecle et les
vingt premieres du xxe. Maintenant, les Tcheques 6taient les
plus forts : il fallait obeir a la loi de Prague. Les Allemands qui
cohabitent, en some, avec les Tchbques dans le royaume
de Boheme, depuis des siecles, ont paru s'y resigner tant que
les difficulties politiques, 6conomiques et financieres du Reich
les ont convaincus des avantages que leur offrait une commu-
naut6 exempte de ces soucis. Les choses ont change avec la
cruise 6conomique mondiale qui a durement frappe, A partir de
i930, l'industrie des provinces du nord de la Boheme, et avec
1'avenement d'Hitler, en 1933, don't la propaganda a fait en
Boheme la m&me besogne qu'en Autriche. Une jeunesse brutale
et fanatisee a 6t- embrigad6e pour d6montrer aux ld6ments
paisibles du pays des Sudetes, avec tous les arguments que
l'on connait, qu'ils 6taient malheureux et que le bonheur 6tait
desormais pour eux dans l'union avec la grande Allemagne
lib6r6e par Hitler des entraves de Versailles.
Le rapport de Lord Runciman h M. Chamberlain, en
LA FIN DE LA TCHECO-SLOVAQUIE
septembre 1938, qui a cruellement froiss6 les Tcheques sans les
convaincre, a jou6 un r61e d6cisif dans les evenements de
l'automne dernier. II a paru mettre en cause < l'incompr6hen-
sion don't les Teheques auraient fait preuve vis-h-vis de leurs
minorit6s nationals. Mais alors que le noble lord a dt recon
naitre lui-meme qu'il n'est pas possible de parler d'une (oppres-
sion a quelconque du gouvernement de Prague dans ses rapports
avec les minorit6s ethniques, il n'est pas sir qu'en employant
des m6thodcs qui leur auraient valu les compliments de l'obser-
vateur britannique les Tcheques eussent r6ussi entierement h
se concilier des elements don't certain etaient irr6conciliables.
Tout au plus peut-on pr6tendre que la propaganda hitl6-
rienne aurait rencontre plus de resistance aupres de populations
que le regime de 1918 eft pleinement satisfaites. Sans anticiper
une second fois sur les jugements de l'histoire, on peut
affirmer que le grand malheur du gouvernement de Prague est
surtout de n'avoir pas vu A temps le danger, tant exterieur
qu'interieur, de n'y avoir pas cru, de s'Utre empetr6 dans des
considerations parlementaires et de part, de s'etre laiss6
devancer par les 6v6nements. Posee telle qu'elle 6tait depuis
quelque temps, la question des minorit6s ethniques aurait du
ktre envisage a Prague avec moins de confiance dans la force
que mettait h la disposition des Tcheques une armee qui jouait
le r6le de police et dans la valeur d'une organisation don't ils
6taient naturellement les chefs et les agents. Le succes de leur
administration leur cachait les perils d'une situation qui, apres
1930 et surtout A partir de 1935, n'a plus ete, ni chez eux, ni
en Europe, celle de 1918.
Lorsqu'une grave question politique se pose a l'interieur
d'un Etat, il est de l'interft et du devoir du gouvernement
de cet Etat de la r6soudre lui-meme, sinon il risque qu'elle soit
resolue sans lui et centre lui. AprBs l'Autriche des Habsbourg,
la Tchecoslovaquie vient de faire la plus dure experience de
cette v6rit6 politique.
Il est possible qu'une constitution unitaire ait Wte n6cessaire
au debut de l'existence de l'Etat tchicoslovaque pour contenir
les Allemands en Boheme et en Moravie et leur d6montrer
clairement qu'ils n'etaient plus les maitres; il avait fallu
262 SCIENCES POLITIQUES
aussi pourvoir de cadres solides une Slovaquie qui manquait
d'~16ments instruits et capable, non seulement dans les
spheres sup6rieures de administration, mais mnme dans les
regions plus basses of s'exercent les pouvoirs subalternes.
Quant a la Russie subcarpathique, le pays le plus arrier6 de
l'Europe, auquel avait 6te aussi promise un gouvernement par-
ticulier et une diete legislative, elle ne pouvait ktre qu'un
( protectorat ), aux mains des Tcheques d6cid6s A sortir cette
contr6e de l'orniere o4 ses maitres magyars l'avaient laissee
pendant des siecles.
Mais le cas de ce dernier pays mis h part, 1'6volution rapide
de la situation en Europe central a partir de 1'avenement
d'Hitler en 1933 ne laissait pas d'autre issue au gouvernement
de Prague qu'une prompted transformation de son Etat uni-
taire en un Etat dualiste et dans de large concessions aux
minorities ethniques qui auraient, en apaisant les griefs des
uns et les ambitions des autres, oppose A la propaganda hitl6-
rienne en Boheme et Moravie, autonomiste en Slovaquie, les
satisfactions de l'int6rAt et de l'amour-propre contents. Alors
qu'il eit 6t6 de bonne politique d'agir vite; alors qu'il n'y avait
plus une minute a perdre depuis la publication du programme
de Carlsbad', les atermoiements et les discussions vaines dans
lesquelles le gouvernement de M. Hodza s'est enlist, au
printemps dernier, moins par sa faute propre peut-htre que
par celle des institutions, montrent que l'esprit politique
est encore plus la quality 6minente de 1'homme d'Etat que
le savoir et le caractere.
Les retards apport6s A la transformation n6cessaire de
l'Etat tch6coslovaque ne l'auraient peut-etre pas conduit
A sa perte s'ils n'avaient ete accompagn6s d'erreurs graves
commises dans le domaine de la politique 6trangere. Nous
avons d6ja indiqu6 que la plus grande de ces erreurs a Wt6
i. Fin avril 1938. Ce programme 6tabli par M. Henlein, fihrer du parti allemand
des SudBtes, et M. Kundt, chef du group parlementaire du parti, comportait une
autonomie qui visit A 6tablir en territoire tch6coslovaque une sorte d'ltat nazi,
veritable prolongement du IIIe Reich.
LA FIN DE LA TCHNCO-SLOVAQUIE 263
tout d'abord celle des vainqueurs qui n'ont pas su organiser
l'Europe central en 1919 alors que l'on pouvait faire tout
ce que l'on voulait. L'erreur second a 6te celle de la (( Petite
Entente ) qui n'a pas su ou voulu supplier A cette lacune.
Ainsi que l'a fort bien dit le Ministre de Tchecoslovaquie A
Paris, M. Osusky, A la reunion de ses compatriotes A la Maison
de la Chimie, le 3o avril dernier :
<( Ce qui a compliqu6 gravement les choses en Europe central, dans notre
siecle, c'est que la liberation des nationalities a coincide avec un prodigieux
d6veloppement technique et economique, d6veloppement qui, pour donner
tous ses fruits aux nations, n6cessitait une organisation et une collaboration
economique et technique de ces nations.
(( Malheureuseinent, apres la Grande Guerre, le jeune nationalism des
peuples de l'Europe central n'6tait ni conscient, ni meme sensible A ces
necessitis modernes, indluctables au devoir de solidarity. Ce jeune nationa-
lisme n'avait, comme la jeunesse elle-m&me, qu'un seul souci, celui de vivre
et de se laisser vivre. Les homes politiques se souciaient plus de leurs
succes 6lectoraux et de ceux de leur part que de 1'existence, de l'avenir et
du bien-Atre de leurs peuples et de la necessit6 de discipliner le nationalism
de ces jeunes nations d'Europe central.
Au morcellement politique et 6conomique de l'ancien
Empire entire des Etats qui s'6taient heriss6s de barrirres
douanirres, la (( Petite Entente ) n'a oppose qu'un faible essai
d'organisation. Dirigee principalement contre le r6visionisme
hongrois, hostile A Budapest, et continuant comme par habi-
tude a regarder Vienne avec m6fiance, consid6rant toute idWe
de retour des HIabsbourg dans leurs anciennes capitals comme
un de ces pech6s contre l'esprit qui ne peuvent ktre pardonnis,
la politique dirigeante de la (( Petite Entente ) a commis la
faute de laisser syst6matiquement la Pologne en dehors d'elle,
et n'a pas vu A temps le p6ril grandissant que faisaient naitre
I'affaiblissement de la position frangaise en Europe, depuis
l'Nvacuation anticipate de la rive gauche du Rhin en 1930, et la
restauration de la puissance militaire allemande. Lorsque la
France renonga, le 7 mars 1936, a faire respecter par Hitler la
zone demilitarisee de la rive droite du Rhin, et la rive gauche
qu'elle avait evacuee, il 6tait clair qu'elle ne conservait plus
d6sormais qu'une position militaire defensive qui lui interdisait,
outre les repugnances inveteres de la Grandc-Bretagne a
SCIENCES POLITIQUES
intervenir sur le continent et mnme a la laisser agir seule, toute
offensive armie en Europe.
Presque en meme temps, la logique de la politique genevoise,
avec tout le cortege d'illusions qui l'accompagnait, avait
entrain6 l'opinion publique anglaise a d6savouer la diplomatic
de Sir Samuel Hoare a l'6gard de l'Italie. Ce d6saveu conduisait
A la chute de M. Laval en 1936 et pr6parait les voices a ce rappro-
chement intime d'Hitler et de Mussolini don't est sorti l'Ans-
chluss, le 12 mars 1938.
Au mois de mai 1936, enfin, la France confiait ses destinies
au ( front populaire ) qui d6jh, en Espagne, donnait sa pleine
measure. Le drame de Munich, en septembre 1938, et celui de
Prague, le i5 mars 1939, sont issues directement des erreurs
insensees, aceumules dans les pays d6mocratiques au course
de cette funeste annee 1936, qui restera marque dans l'his-
toire come la date fatal ou une partic qui pouvait encore
etre gagn6e par eux a 6t6 perdue, et of le sort de la Tch6co-
slovaquie a Wte regl6.
L'Annexe II de l'Accord de Munich prevoyait qu'au cas
ofi le problmme des minorities polonaises et hongroises ne pour-
rait etre r6solu par entente directed, il devrait fair l'objet d'une
autre reunion des quatre puissances, mais il n'cn fut rien.
Il n'y a plus d'Europe. Les temps sont passes of les six puis-
sances pr6pond6rantes reglaient, en tenant compete de toutes
les donn6es de l'6quilibre, les affaires de l'Europe et du monde.
I1 n'y a plus que deux groups de puissances rivals, prttes a
se jeter les unes sur les autres. I1 n'y a plus de principles poli-
tiques ni mime de droit international : la loi du plus fort
regne temporairement.
AprBs I'accord de Munich (29 septembre), I'accord polono-
tchecoslovaque (ier novembre), la sentence de Vienne (2 no-
vembre) rendue par l'Allemagne et 1'Italie seules, laTchecoslo-
vaquie avait perdu 41.593 kilombtres carris (3o % de son
territoire), 4.799-497 citoyens, (31,6 % de sa population);
elle ne comptait plus que 98.913 kilometres carr6s sur 40o.4o8,
et 10.387.447 Ames, sur i5.186.944. Elle avait su passer sous
la domination 6trangere 855.ooo tcheques et 306.573 slovaques.
LA FIN DE LA TCHJECO-SLOVAQUIE 265
Sur la carte, elle gardait a peu pros la mime configuration
qu'auparavant, mais ellc appaiaissait amoindrie et comme
amaigrie dans ses nouvelles limits. Tout autour de la Boheme
et de la Moravie, les nouvelles frontiBres, don't le trace avait
6t6 impose par l'Allemagne pour des raisons d'ordre purement
strategique ou economique, au m6pris des considerations d'ordre
ethnique qui en 6taient le pr6texte, pr6sentaient l'aspect
d'une dent de scie qui mordait cruellement et profond6ment
dans sa chair et lui enlevait environ 29.000 kilometres carries.
A la Hongrie avait kt6 remise toute la bordure m6ridionale de
la Slovaquie et une parties de la Ruth6nie, soit environ 12.ooo ki-
lometres carr6s avec les villes les plus importantes de la Slo-
vaquie orientale et la petite capitate de la Ruthenie, Munkacevo.
La Pologne recevait la ville et le territoire de Teschen.
Au point de vue 6conomique, la Tch6coslovaquie 6tait
non moins frappee : les parties les plus industrielles de l'ancien
royaume de Boheme lui 6taient arrachees. Ses pertes etaient
surtout sensibles dans les industries de la c6ramique, de la
verrerie, des products chimiques, des textiles; ses principals
usines de houille et de lignite passaient a l'Allemagne; la
Slovaquie perdait une grande parties des planes a blW qui
6taient la principal richesse de ce pays ou dominant les mon-
tagnes, les pAturages, les forts.
Les voices de communication, chemins de fer et grandes
routes qui relient la Moravie et la Slovaquie etaient couples
en plusieurs endroits par les territoires devenus allemands.
L'6quilibre harmonieux que pr6sentait la Tchecoslovaquie
se trouvait singulibrement compromise : la vie financi;re d'un
pays, priv6 d'une grande parties des resources que lui valait
une important industries, 6tait tout aussi menace que sa vie
economique.
Cependant, avec un courage admirable, le people tchecoslo-
vaque s'6tait ressaisi au lendemain de ce d6sastre. II avait
fait froidement le compete de ses pertes; il etait r6solu, sur le
territoire qui lui restait, et oi il pensait ktre bien entire soi
et d6sormais a l'abri de toute intrusion de 1'Ntranger a
refaire sa vie 6conomique et politique. II en avait gard6 les
moyens et il se remettait immediatement au travail.
266 SCIENCES POLITIQUES
On csp6rait transf6rer en territoire ind6pendant certaines
des industries perdues et donner A celles qui 6taient conserves
un plus grand d6veloppement.
Une Tchecoslovaquie nouvelle qui conservait une grande
parties des facultes d'exportation de l'ancienne pouvait,
malgr6 l'amputatidn de 35 % de son potential 6conomique,
vivre et se refaire une prosp6rit6. En fait, la situation 6cono-
mique du pays, si fortement 6branl6e apres la secousse et les
pertes en territoire, en productions et en homes, subies en
octobre 1938, se r6tablit assez rapidement : les chiffres du
commerce exterieur, dans les derniers mois de 1938 et ses
deux premiers mois de 1939, t6moignent de ce raffermisse-
ment de l'6conomie tchecoslovaque.
Au point de vue politique, la Tchecoslovaquie avait fait
peau neuve.
On avait assist A un coup de theatre qui, en un moment,
avait balay6 avec les homes qui avaient tenu le devant de
la scene pendant vingt ans, tout un regime politique don't le
president demissionnaire, M. Bends, 6tait 1'incarnation.
Et tout d'abord la forme meme de l'Etat 6tait change.
L']tat unitaire tchecoslovaque avait fait place A un system
tripartite : Boheme et Moravie; Slovaquie; Ukraine subcar-
pathique. La Slovaquie et l'Ukraine subcarpathique recevaient
des gouvernements autonomes repr6sent6s dans le gouverne-
ment central : trois ministeres communs, affaires 6trangbres,
defense national, finances, Btaient pr6vus. On y ajoutait
un ministere unique des communications groupant les exploi-
tations ferroviaires et postales. Les autres administrations
restaient particulibres aux trois grandes divisions politiques.
Le nouveau gouvernement, constitu6 au lendemain de
1'Mlection A la Presidence de la Republique, le 30 novembre,
de M. Hacha, President du Tribunal administratif supreme,
6tait pr6sid6 par M. Beran, chef du parti agrarien, et avait
inaugur6 un regime politique qui tranchait nettement sur le
precedent dans son esprit come dans ses institutions. La
d6mocratie tch6coslovaque de la fin de 1938 n'6tait dejA plus
LA FIN DE LA TCHgCO-SLOVAQUIE
le gouvernement pailementaire que l'on avait vu fonctionner
d'une maniere un peu speciale pendant dix-huit ans. La
Tchecoslovaquie avait 6prouv6 avec amertume l'inconvenient
des luttes de parti, des competitions, des int6rets antagonistes
qu'il faut apaiser ou concilier. Elle conservait un Parlement
reduit, quant au nombre de ses membres, par les cessions
territoriales et oh les groups parlementaires 6taient ramen6s
de 14 A 5 : le part de l'unite national, le part national du
travail, le parti populaire slovaque, le part national socialist
allemand, le parti social d6mocrate-allemand.
Les parties nationaux tcheques Btaient : le parti de l' Union
national, compose des anciens membres du parti r6publicain
agraire, du parti national social et du part des artisans, et le
parti national du travail compose des membres de precedents
( parties de gauche ). Mais il faut constater que les sociaux-
democrates avaient abandonn6 la deuxieme Internationale
ainsi que la doctrine marxiste et la lutte des classes. Dans son
programme de gouvernement expose au Parlement le 13 decem-
bre, M. Beran annongait une politique qui chercherait a
op6rer une renovation national et une regeneration de l'Etat
par une action scolaire et culturelle bas6 sur l'esprit chretien,
en vue de poursuivre la reconstruction economique du pays,
la reorganisation des voies de communication, la simplifica-
tion des rouages d'une administration tiop vaste desormais
et don't les cadres 6taient pleins a craquer. Le gouvernement
annongait un plan de grands travaux publics destin6s A
soutenir l'activit6 economique du pays et a donner du travail
aux ch6meurs, repr6sentant une d6pense global d'une quin-
zaine de milliards.
La Tchecoslovaquie devenue la Tcheco-Slovaquie, ayant
pris la forme d'un Etat federatif qui ne renfermait plus que
des populations de meme race slave et I'aspect, dans le pro-
gramme et dans les m6thodes de son gouvernement, d'une
( d6mocratie autoritaire ), pouvait-elle se flatter de vivre une
existence normal, pleinement independante, telle qu'avait
Wte son sort pendant vingt ans? C'6tait beaucoup demander.
Elle avait perdu ses frontieres naturelles du c6te allemand.
L'Allemagne la penetrait de tous c6tes, s'interposant entire
268 SCIENCES POLITIQUES
les diff6rentes parties du pays, manifestant son intention d'en;
faire un ( pont ) qui lui permettrait d'enjamber l'Europe
central pour avoir un aces facile et direct dans les pays
d'Orient, objets de sa convoitise.
II 6tait clair que I'Allemagne ne tol6rerait ni politique
6conomique, ni politique 6trangBre pleinement ind6pendantes
de la part du nouveau gouvernement tch6co-slovaque :
deja l'emprise allemande s'affirmait des les derniers mois de
l'ann6e 1938 par l'utilisation des Allemands rests dans les
territoires tcheques, au nombre de 200.000 a 250.ooo, auxquels
on reconnaissait le privilege d'appartenir aux organizations
nationals sociales du Reich; par le maintien a Prague de
l'Universit6 allemande a laquelle ktaient rattach6s obliga-
toirement les Allemands d6tach6s en septembre des territoires
tcheques. L'Allemagne reclamait une part de l'encaisse or
de la Banque national correspondent A I'importance 6cono-
mique et financi6re des territoires annex6s, sans consentir
ha prendre en charge une part correspondante de la dette .
Si elle remettait a un peu plus tard: 1'6tablissement d'une
union douaniere et peut-etre monetaire, I'Allemagne s'effor-
gait de mettre la main sur les entreprises bancaires et indus-
trielles tch6coslovaques qu'elle entendait se subordonner;
elle mettait obstacle au transfer et meme a la reconstitution
en territoire tchBque des industries des pays annex6s, et elle
imposait a la Tch6co-Slovaquie la construction d'une auto-
strade Vienne-Breslau, a travers la Moravie, pourvue de tous
les privileges de l'exterritorialit6 et qui couperait en deux
les pays tcheques (accord du 18 novembre).
*
La vassalisation progressive de la Tch6coslovaquie par
l'Allemagne, meme avec un gouvernement moins dispose
prendre son mot d'ordre A Berlin que celui de M. Beran, parais-
sait malheureusement inevitable, mais elle allait 6tre brusquee
I. On comprend, dans ces conditions, la prudent reserve de la Grande-Bretagne et
de la France dans l'octroi du credit de 3o millions de livres sterling promise en septem-
bre 1938 au Gouvernement Tch6coslovaque et qui, finalement, fut reduit a 16 millions
de livres r6serv6s en principle au soulagement des 6migrBs et r6fugi6s tch6coslo-
vaques.
LA FIN DE LA TCHEkCO-SLOVAQUIE 269
par un de ces coups de force et de surprise auxquels excelle
la politique allemande et qui ont trouv6 jusqu'a ces derniers
jours l'Europe d6sempar6e1.
Le premier d6membrement de 1'I~tat tchecoslovaque en
septembre 1938 avait 6tL engendr6 par la question de la
minority allemande en Boheme; le second, qui mit fin A
l'existence mime de la Tch6coslovaquie, fut cause par l'rvo-
lution de la reaction anti-tcheque en Slovaquie 2.
La Slovaquie avait obtenu l'autonomie revie par feu
Hlinka : elle poss6dait un gouvernement complete pr6sid6 par
un pr6lat, M6r Tiso, de tendance relativement mod6ree, qui
fut tout de suite depass6 et pouss6 en avant par des person-
nalites remuantes et intrigantes, de sympathies nettement
magyares ou hitleriennes, telles que Tuka, condamn= sous
l'ancien regime a quinze ans d'emprisonnement pour conspi-
ration centre l'Eltat tchecoslovaque, et Sano Mach.
Le gouvernement Tiso fut rapidement entrain6 a des
measures anti-tcheques, comme le cong6diement brutal de tous
les fonctionnaires tcheques en Slovaquie (mais les fonction-
naires slovaques pr6tendaient garder leurs postes en pays
tcheques), et anti-juives, alors que les Allemands de Slovaquie
recevaient toutes les faveurs. I1 etait visible, et les dirigeants
slovaques ne s'en cachaient pas, que 1'autonomie obtenue
n'6tait qu'une premiere tape vers une separation plus complete
de Prague.
Mais tout en tendant a un relAchement de ses liens avec le
gouvernement central, le gouvernement de Mg" Tiso n'enten-
dait pas moins conserver tous les avantages de l'union tch6co-
slovaque, notamment ceux d'ordre financier. Le budget du
gouvernement slovaque, peniblement 6tabli a la fin du mois
de f6vrier, revelait un deficit global superieur a 5oo millions
I. Sur les 6v6nements de mars 1939 on peut se reporter avec int6ret a 1'6tude
de M. Sidobre: ((Antecedents et significations de l'annexion de la Tchecoslovaquie ,
dans la Vie intellectuelle du 25 mars, et a I'article de M. Beuve-Mery : e De 'accord
de Munich a la fin de l'Etat tchecoslovaque e, dans Politique ttrangere d'avril
dernier.
2. La question slovaque et le rBle de la Slovaquie dans 1'6croulement de 1'tat
Tchecoslovaque ont Wte parfaitement exposes, et en detail, dans le numbro de Sciences
politiques d'avril 1939, par L.-P. Perdrieux. Nous n'y revenons ici que brievement et
pour memoire.
SCIENCES POLITIQUES
de couronnes, auquel s'ajouteraient vraisemblablement les
d6penses des travaux d'interUt g6n6ral (645 millions de cou-
ronnes) deficit et depenses auxquels ce gouvernement eft 6t6
bien embarrass de faire face lui-meme et pour lesquels il
comptait sur le gouvernement central, sous forme de e r6pa-
ration des ben6fices a que la suprimatie de Prague aurait
procures aux seuls Tcheques pendant vingt ans 1. Le gouver-
nement tchBque ne se refusait pas absolument A 6quilibrer le
budget slovaque, a la condition que le gouvernement slovaque
fit preuve de loyalisme envers l'Etat tch6co-slovaque et que
la propaganda separatiste de Tuka et de Mach fut arrte6e.
II obtenait que Mach fut destitu6, mais devant les repu-
gnances de Mgr Tiso a s'engager plus avant, le Gouvernement
de Prague n'h6sitait pas, le 9 mars, a faire arreter Mach et
Tuka et a destituer Mar Tiso qu'il remplagait d'abord par
M. Sivak, et, devant le refus de celui-ci, par M. Sidor (12 mars).
Cette solte de coup d'Etat engendrait une situation des
plus confuses don't l'Allemagne profitait aussit6t avec une
habilet6 et une promptitude qui indiquent combien le coup
6tait pr6pare soigneusement et depuis longtemps.
Le 13 mars, Mar Tiso partait en avion pour Berlin, accom-
pagn6 du ( Fuihrer a des Allemands de Slovaquie, M. Karmasin,
et il y 6tait recu comme le chef du gouvernement slovaque
regulier. D'accord avec M. Hitler et de retour a Bratislava
par la mime voie, il convoquait le lendemain meme la Diete
slovaque qui proclamait l'ind6pendance total de la Slovaquie,
(une ind6pendance 6troitement contr61le par l'Allemagne),
qui mettait fin A la Tch6co-Slovaquie 2.
I. En fait de s b6n6fices a realis6s par les Tch6ques, la Slovaquie et la Ruth6nie
portent surtout le t6moignage des d6penses faites par eux pour donner A des pays
d6nues de voies de communication, d'6coles, d'h6pitaux tout 1'quipement moderne
et par les travaux execut6s dans des villes qui n'6taient avant eux que de grands
villages.
2. Quant a la Russie subcarpathique, devenue 1'Ukraine carpathique et pourvue
d'un gouvernement autonome pr6sid6 aussi par un prelat, Mgr Volosin, elle a jou6
6galement son r6le dans le drame de mars. Elle 6tait imm6diatement envahie par les
troupes hongroises et se retrouvait, apres un vague essai de resistance, sous la domi-
nation de l'Etat qui 1'avait laiss6e pendant des si6cles croupir dans la misere et la
routine don't 1'activit6 tcheque l'avait tiree.
LA FIN DE LA TCHECO-SLOVAQUIE
11 se passa alors A Prague et A Berlin des 6v6nements don't
les raisons restent encore myst6rieuses et qui susciteront long-
temps des commentaires passionnes. Le Pr6sident de la R6pu-
blique tch6co-slovaque partait le soir du meme jour (14 mars)
pour Berlin, avec son ministry des Affaires Etrang6res,
M. Chwalchovsky. AprEs une entrevue avec le Fiihrer, don't les
details ne sont pas encore bien connus, il signait une d6clara-
tion dans laquelle il remettait a en pleine confiance le sort
du people et du territoire tcheque entire les mains du Fuhrer-
Chancelier Hitler >. Comment le President de la R6publique
tcheco-slovaque a-t-il pu ftre amene A prendre la responsa-
bilit6 de faire pareille d6marche et de signer un tel renonce-
ment pour sa nation A l'ind6pendance souveraine? Les raisons
et les circonstances de cet acte inconceivable, qui apporte
un semblant de consentement et de justification A I'action
de l'Allemagne, restent une 6nigme tragique et douloureuse.
Le coup 6tait si bien prepar6 que, dans la nuit meme du
14 au 15 mars, et avant que 1'acte de renoncement ne fiAt sign,
les troupes allemandes recevaient l'ordre d'avancer en Boh~me
et en Moravie. Le 15, A midi, elles entraient dans Prague oi
le Fihrer-Chancelier venait occuper le Hradshin et faire flotter
le drapeau A la croix gammee au-dessus du vieux Palais des
rois de BohAme, veritable acropole de Prague. Le a protectorat ,
de l'Allemagne sur la Boheme et la Moravie 6tait proclam6 :
le dernier acte du drame 6tait joue.
En d6truisant l'independance de la Tchecoslovaquie, l'Alle-
magne a poursuivi un triple but 6conomique, politique et
militaire que le Fahrer a pr6tendu justifier dans son discours
du 28 avril dernier. II a enumre6 complaisamment le butin
sur lequel il a mis la main, sans computer le potential de fabri-
cations de guerre que representent les grandes usines m6tallur-
giques de Boheme et de Moravie et auquel s'ajoutent toutes
les productions industrielles et agricoles d'un pays riche et
hautement civilis6 Mais il serait vain, pour l'Allemagne
I. M. Hitler a annonc6 la saisie de 1582 avions, de 8oi canons de D. C. A.; de
2.175 canons de champagne et d'artillerie lourde, de 9.785 lance-mines, de 468 chars
SCIENCES POLITIQUE
d'Hitler, de croire qu'elle pourra jouir tranquillement des
fruits d'une operation de conquete en pleine paix qui se com-
plique, depuis 1'entr6e de ses troupes en Boheme et en Moravie,
de l'asservissement et du pillage m6thodique d'un people
libre qui n'a pas kt6 consult sur son sort et que son gouverne-
ment n'avait aucunement le droit de livrer h une puissance
ktrangire.
La mauvaise foi avec laquelle cette operation a W6t conduit,
I'Aprete avec laquelle la situation est exploitee par l'envahisseur
(et qui est dans la meilleure tradition de l'Nternelle Allemagne),
la violation manifeste de l'esprit et de la lettre de l'accord de
Munich, qui n'6tait accept par la France et la Grande-Bre-
tagne que sous la garantie international des frontibres de
1'Etat tchecoslovaque, n'ont pas seulement scelle l'accord
complete des grandes d6mocraties et rendu desormais indbran-
lable leur resolution de s'opposer a toute nouvelle entreprise de
conquete et de domination du bloc germano-italien en Europe :
elles risquent de turner contre l'Allemagne hitlerienne les
apparent succes d'une politique de violence et de rapine.
L'Allemagne peut submerger l'Europe central et y faire
la loi momentanement, mais elle a affaire A un people qui,
aprbs avoir subi les pires malheurs, au course d'une histoire
tourmentee, a conserve son Ame intacte, et qui n'a pas connu
vingt ans d'une independance, don't il s'est montr6 parfaite-
ment digne, pour rester sous le joug de l'6tranger. La nation
tcheque ressuscitera comme en 1918 et la date du 15 mars
1939, qui restera dans ses annales aussi douloureuse que celle
du 8 novembre 1620, ne sera peut-ftre pas, longtemps, pour
l'Allemagne hitl6rienne, aussi heureuse que le Fiihrer a cherch6
A le faire croire le 28 avril A son people et au monde.
d'assaut, de 46.876 mitrailleuses, de 114.ooo revolvers, de I.o9o.ooo fusils, de plus
de un milliard de munitions d'infanterie, de plus de trois millions de munitions
d'artillerie.
La France peut mesurer 1'6tendue de la perte que lui inflige la disparition d'un
alli6 don't tout le potential militaire va se retourner contre elle. Elle peut y ajouter
la perte de vingt annues de travail consacr6 a resserrer les liens culturels avec la
Tch6coslovaquie (lyc6e frangais de Prague, institute Ernest Denis, sections de l'Al-
liance francaise, etc...).
LES PROBLEMS POSES
PAR LE RAVITAILLEMENT DE LA FRANCE
EN COMBUSTIBLES LIQUIDS
Cette etude a pour objet de preciser les donnees essentielles
du probleme que pose a la France la n6cessit6 de satisfaire,
dans l'6vcntualit6 d'un conflict, les besoins en carburants de
ses armies, de sa flotte, de son aviation, de ses zones arrieres.
De remarquables rapports, de tres nombreux articles ont 6t6
6crits A ce sujet. Mais la plupart d'entre eux mettent I'accent
sur l'aspect technique du probleme : ils n'apportent d&s lors
qu'une contribution partielle a sa solution. II a paru int6ressant
a un non-spkcialiste d'essayer d'envisager la question dans son
ensemble.
Le problkme est en effet capital. Djhi, au course de la der-
nitre guerre, il s'6tait pos6 avec acuit6. Jusqu'en 1917, un
consortium d'importateurs, le < cartel des dix n, avait r6ussi A
assurer tant bien que mal le ravitaillement des armies fran-
caises. Mais au debut de la troisibme annee des hostilit6s
l'intensification de la guerre sous-marine compromit nos impor-
tations a tel point que Clemenceau, reclamant la mise en service
dans l'Atlantique d'une nouvelle flotte de bateaux-citernes,
dut lancer au President Wilson son c6lhbre appel : ( Si les
Allies ne veulent pas perdre la guerre, il faut que la France
combattante, a l'heure du supreme choc germanique, possede
l'essence aussi necessaire que le sang dans les batailles de
remain ) (note du 25 dicembre 1917). En 1918, un Commis-
sariat general aux essences et combustibles 6tait cr66, groupant
tous les importateurs frangais ou strangers.
Si telle 6tait la situation il y a plus de vingt ans, a combien
SCIENCES POLITIQUES. 18
SCIENCES POLITIQUES
plus forte raison un conflict future veirait-il l'irr6mediable
d6faite des nations priv6es des stocks d'essence correspondent
a la totality de leurs besoins militaires. Or le ravitaillement en
combustibles liquides constitute une servitude v6ritablement
tyrannique, imposee aux armies modernes par la motorisation
croissante des armes et des services et le developpement des
engines mecaniques et de l'aviation, sans oublier, pour la
marine, 1'6quipement au mazout de tous les navires de guerre
de type recent.
Notre consommation actuelle du temps de paix s'61eve a
6 ou 7 millions de tonnes par an. Certains specialistes militaires
6valuent a un minimum de 12 a I5 millions de tonnes notre
consommation pour un an de guerre. Il est impossible d'appr6-
cier ce chiffre, qui offre un caractere purement conjectural.
Mais on peut se faire une idee de ce que seraient les besoins
des seules armies de terre -- l'exclusion de l'aviation et de la
marine en sachant que l'unite d'essence (c'est-a-dire la
quantity de carburants necessaire a un convoi de v6hicules pour
effectuer un parcours de 100 kilometres) s'eleve a 48.000 litres
pour une division motoris6e1 et pour une division le6gre
m6canique, grande unit de cavalerie mecanisie, a 70.000 litres!
En contre-partie de ces besoins consid6rables, la production
franaaise apparait absolument insuffisante, puisqu'elle s'e16ve
annuellement A moins de 4oo.ooo tonnes de carburants de toute
nature, don't 200.000 tonnes d'alcool, qui en temps de guerre
serait r6serv6 a la fabrication des explosifs. La production
du p6trole natural ne d6passe guere 80.000 tonnes, provenant
presque exclusivement des gisements de Pechelbronn, au
Nord-Ouest de Strasbourg. La France se trouve done contrainte
d'importer la quasi-totalit6 de ses combustibles liquides.
Cette situation tributaire pose une s6rie de problemes
complexes, qui paraissent s'appliquer a des domaines 6ton-
namment disperses : la France doit-elle importer son p6trole de
Roumanic, de Mesopotamic, du Venezuela? Comment, en cas
I. On sait que dans les armies modernes on distingue les unites micaniques, a
base d'engins blinds, des unites motorisdes, simplement dot6es de moyens de trans-
port automobiles a roues ou a chenilles tous terrains camionss, autos, motocyclettes,
side-cars).
LE RAVITAILLEMENT EN COMBUSTIBLES L1QUIDES 275
de guerre, la s6curit* des transports petroliers sera-t-elle
assure? Comment stocker les combustibles liquids et en
r6partir les d6p6ts sur le territoire? Dans quelle measure peut-
on substituer les carburants de replacement a l'essence
naturelle? etc. Ces problmmes pourtant sont solidaires : les
uns, qui int6ressent le ravitaillement proprement dit, sont
d'ordre diplomatique, commercial, naval; les autres relbvent
davantage de notre politique militaire et de notre politique
6conomique et financiere; tous constituent les donn6es d'un
probleme general, celui du maintien de la s6curitA et de l'ind6-
pendance memes de la nation.
La France, importatrice de p6trole brut et raffine, s'ali-
mente de temps de paix soit aupres des producteurs strangers,
soit aux puits de la region de Mossoul, exploit par l'Irak
Petroleum Company: on sait qu'apres la guerre, le Pacte de
San Remo (24 avril 1920), modifi& par divers avenants ult6-
rieurs, attribua a l'Etat francais les actions d6tenues par la
Deutsche Bank dans la Turkish Petroleum Cy; l'Etat frangais
d6l6gua sa participation a une society d'6conomie mixte cre6e
en 1924, sur I'initiative de M. Poincar6, la Compagnie frangaise
des P6troles, qui se trouve ftre ainsi co-actionnaire, jusqu'h
concurrence de 23,75 % du capital, de l'Irak Petroleum
Company, en association avec les grands trusts anglais,
hollandais et americains. La part de la France dans la pro-
duction des puits de l'Irak, proportionnelle a sa participation
dans le capital de la Societe, est 6valuee a un million de tonnes
au maximum de petrole brut. Il s'agit d'un p6trole h haute
teneur de soufre, don't le raffinage est relativement coi-
teux.
Puisque les importations de Mesopotamie sont insuffi-
santes, l'empire frangais peut-il nous fournir un appoint?
On ne saurait y computer, car les travaux de prospection
effectu6s depuis plusieurs ann6es au Maroc, en Tunisie, au
Gabon, A Madagascar, par des syndicats de recherches tri-
276 SCIENCES POLITIQUES
parties constitutes entire l'Office national des Combustibles
liquides, la Compagnie francaise des P6troles et les gouver-
nements locaux n'ont pas encore donned de r6sultats substan-
tiels. On en arrive done a cette constatation que meme en temps
de paix notre ravitaillement en p6trole repose avant tout sur
une politique d'accords commerciaux avec les Etats pro-
ducteurs et les grands trusts.
Mais en temps de guerre, on doit admettre que nos commu-
nications avec Tripoli-de-Syrie, point d'aboutissement du
pipe-line amenant le p6trole de la region de Mossoul a la
MWditerran6e (un second pipe-line aboutit en Palestine anglaise,
A Haiffa), seraient rendues fort aleatoires, pour ne pas dire
impossible. Il en serait vraisemblablement de meme pour tout
le p6trole provenant de Russie, de Roumanie, de la Perse,
voire des Indes N6erlandaises.
En provision de cet arrht presque ineluctable, en cas de
conflict, d'une parties important de nos importations, tout
l'accent doit etre mis sur les conventions concludes avec les
producteurs don't la situation g6ographique, sur des ( mers
libres ), facility l'accbs, pour permettre d'6carter I'hypothbse
d'un blocus. En d'autres terms, ce n'est qu'aux Etats-Unis et
en Amerique latine (V6nezuela, Colombie, Mexique, etc.) que
la France pourrait s'approvisionner en temps de guerre. Ceci
suppose deux conditions : que la France puisse computer avec
certitude sur la furniture du p6trole; qu'elle soit en measure
d'assurer, avec une security au moins relative, le transport
des combustibles jusqu'A ses d6p6ts m6tropolitains.
La premiere de ces conditions ressortit A notre diplomatic,
la second A notre marine : dans les deux cas, on se trouve au
point peut-6tre le plus important de nos relations avec les
pays anglo-saxons.
Le problkme de l'attitude am6ricaine en cas de conflict
europ6en ne peut qu'6tre 6voqu6 ici, car ses donnees 6voluent
constamment. II apparait que la politique de l'axe Rome-
Berlin a si profond6ment modifi6 les sentiments des Etats-
Unis a l'6gard de l'Europe qu'il est aujourd'hui possible de
parler d'une entente des d6mocraties anglaise, frangaise et
americaine. Sans meme s'attacher A l'hypothese d'une inter-
LE RAVITAILLEMENT EN COMBUSTIBLES LIQUIDES 277
vention plus complete des Etats-Unis dans une guerre 6ven-
tuelle, la France et ses allies, interpr6tant l'activit6 du Pr6-
sident Roosevelt et les manifestations apparentes de l'opinion
publique ambricaine, esp6rent pouvoir computer sur un mono-
pole de furniture du p6trole export vers l'Europe.
Si les Etats-Unis doivent demeurer nos principaux four-
nisseurs de p6trole, c'est l'Angleterre qui devra en rendre
possible le transport vers nos ports de la Manche et de l'Atlan-
tique : aussi le maintien de I'alliance franco-anglaise, qui nous
assure le concours de la marine britannique, constitue-t-il
indiscutablement la preoccupation primordiale de notre poli-
tiquc ext6rieure. Toutefois, dans ce cas particulier, le probl6me
diplomatique envelope et recouvre en quelque sorte le
probleme naval, qui lui-meme pr6sente deux aspects int6res-
sant le premier la marine marchande et le second la marine
militaire.
Le transport du p6trole n6cessaire a nos besoins est loin
d'etre assux6 par la flotte p6troliere frangaise: pour le transport
du p6trole, deuxieme merchandise mondiale de fret (apres le
carbonn, la France n'occupe que le sixieme rang, derriere la
Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Norvege, la Hollande et
l'Italie 1. C'est ainsi qu'au ier mai 1939 les soixante-six bateaux
de la flotte p6troliere franaise, jaugeant moins de 320.ooo ton-
neaux et transportant moins de 400.000 tonnes, ne permettent
d'importer sous pavilion national que 35 A 4o % du p6trole
necessaire A la consommation du temps de paix. Autant dire
i. Au ier avril 1938, la flotte p6troliere mondiale depassait 13 millions de tonnes.
Les pavilions se classaient dans l'ordre suivant :
Grande-Bretagne ................. 454 navires 2.880.o00 tonnes.
litats-Unis ....................... 394 2.570.00ooo -
Norv6ge ......................... 25o I.85o.ooo -
Hollande ........................ 93 44 .0 ooo -
Italie............................ 72 35o.ooo -
France .......................... 40 240.000 -
Allemagne........................ 27 16o.ooo -
U. R. S. S ...................... 2i 120.ooo -
Malgr6 1'effort r6cemment accompli, les positions respective ne se sont pas modi-
fiees au course de ces derniers mois.
(Chiffres cites par le g6nbral Serrigny dans son article de la Revue des Deux
Mondes (ler juin 1938) : ( Le p6trole et l'automobile dans une guerre mondiale o.)
278 SCIENCES POLITIQUES
qu'en temps de guerre nous serious tres largement tributaires
des navires-citernes anglais, am6ricains ou neutres. Et pour-
tant,il faut reconnaitre qu'un effort considerable a Wte accompli,
surtout depuis un an. Notre flotte p6trolibre n'a jamais vecu
que grace a l'appui des pouvoirs publics, qui lui distribuent en
subventions, conformement aux dispositions de la loi du
io janvier 1935, ( charte du petrole , la moiti6 du produit de
la taxe de io francs par tonne de p6trole brut import. Jusqu'A
ces derniers mois, ces subventions allaient aux constructeurs de
navires-citernes; mais les resultats 6taient d6cevants et les
programmes de construction difficiles a 6tablir, les ateliers
devant donner la priority aux commands de la marine mili-
taire. Aussi l'Office national des Combustibles liquides s'est-il,
en 1938, franchement orient vers une politique d'achats : les
resultats obtenus en un an, grace notamment a la creation
d'une soci6t6 d'economie mixte, la ( Societe franaise des
transports petroliers ), sont tout a faith remarquables. Mais
la marge d'insuffisance etait trop considerable pour pouvoir
etre comblkc en quinze mois : la France conserve encore sa
position tributaire.
En cas de conflict, nous nous rcposerions done en grande
parties sur les flottes marchandes des Etats-Unis et de l'Angle-
terre pour transporter le p6trole vers nos d6pots; dans quelle
measure les escadres anglaises assureraient-elles la security de
ces transports? 11 faut A ce sujet dissiper les 6quivoques : ce
que nous apportera l'alliance anglaise, au point de vue naval,
c'est la liberty des mers, c'est-A-dire le suppression du risque
de blocus maritime. Mais bien entendu la suppression de ce
risque ne sera jamais complete, car meme dans l'hypothese la
plus favorable la France et ses allies devront redouter 'action
particulierement dangereuse des sous-marins de haute-mer
et surtout des units de ligne 6quip6es pour la guerie de course.
Faut-il rappeler ici les r6sultats, v6ritablement dramatiques
pour les Allids, obtenus par la guerre sous-marine allemande,
notamment au course du premier semestre de l'ann6e 1917?
On connait d'autre part les exploits accomplish, au d6but de la
guerre, par les croiscurs de l'amiral von Spec, le Scharnhorst,
le Gneisenau, l'Emden ct, en 1916 et 1917, par la M ,we et le
LE RAVITAILLEMENT EN COMBUSTIBLES LIQUIDES 279
Wolf 1. Or les Allemands possedent aujourd'hui trois ( cuirass6s
de poche ) du type Deutschland, plus rapids que les cuirassks
de ligne, mieux arms que les croiseurs, qui joueraient un
r6le de corsaire particuliBrement redoutable. Les escadres bri-
tanniques, astreintes a des tAches multiples don't la principal
serait de conserver A tout moment la superiority strat6gique
en tous les points vitaux des oceans, ne pourraient 6videmment
pas assurer ( en detail ) la security de chaque convoi de
vivres, de materiel, de p6trole. C'est done A la marine frangaise
qu'incomberait la protection des transports A destination de
nos ports : celle-ci ne prendrait d'ailleurs pas la forme du
convoiement, qui exige de trop nombreuses units de guerre
et surtout pr6sente le grave inconvenient de disperser les
bateaux, mais de la constitution dans certaines zones d'es-
cadres de combat, articulees selon un plan strat6gique de pro-
tection.
Les routes maritime seraient d'ailleurs consid6r6es come
inegalement dangereuses, celle de l'Atlantique-Nord ktant
vraisemblablement la plus expose. L'importance de ces
considerations pourrait m~me etre assez grande pour d6termi-
ner 6ventuellement une orientation diff6rente dans la poli-
tique des achats de p6trole, en faisant preferer, par example, les
producteurs v6nezu6liens et colombiens a la Standard Oil ou
a la Texas Corporation. Ainsi, dans le probleme du ravitaille-
ment proprement dit, c'est-a-dire dans l'ensemble complex
des operations diplomatiques, commercials et navales desti-
nies h amener les combustibles liquides jusqu'A nos ports, le
facteur naval apparait primordial.
II semble qu'on ne puisse mieux r6sumer les donnies essen-
tielles de ce probleme qu'en reprenant les lignes suivantes,
I. ( Les exploits de la MAwe sont a peine moins c6l6bres (que ceux de lEmden).
Ce croiseur auxiliaire quite les eaux allemandes a la fin de 1915, pose en Atlantique
des mines sur lesquelles le vaisseau de ligne anglais King Edward VII devait sauter,
et fit au commerce anglais une guerre acharn6e. Revenue en Allemagne a travers
les lines anglaises le 4 mars 1916, la Mdwe repartit a la fin de I'ann6e pour rentrer
le 22 mars 1917. Son premier voyage avait cofitk aux Allies 58.ooo tonnes, le second
27 navires et 123.ooo tonnes.
(( Le Wolf, qui croisa pendant quinze mois dans l'Oc6an Indien et le Pacifique,
coula 35 navires, representant 210.000 tonnes et rentra a Kiel le 25 f6vrier 1918. 5
(Henry Bidou, Histoire de la Grande Guerre, p. 358.)
SCIENCES POLITIQUES
extraites d'un article de la Revue Militaire Gnd6rale : ( ...En
matiere d'approvisionnement le p6trole reste roi; et comme la
France ne dispose pas encore de sources ind6pendantes suffi-
santes de naphte, il faut bien se persuader de la n6cessit6 de
s'adresser a l'6tranger pour parfaire nos besoins, que ce soit en
temps de paix ou en temps de guerre. La politique frangaise
des carburants, envisage du point de vue de la defense natio-
nale, c'est done essentiellement une question de politique
6trangere et de politique navale, don't les efforts conjugu6s
nous permettront, le cas 6ch6ant, d'assurer le libre transit a
travers les mers du precieux liquid, en mxme temps d'ailleurs
que de bien d'autres matieres premieres. A ce sujet, il suffit
de se rappeler la nationality des soci6tes am6ricaines et britan-
niques don't nous sommes les clients, pour en d6duire l'inci-
dence de cette question sur l'attitude adopt6e en maintes
circonstances par la France en politique international, atti-
tude que seules des communaut6s de sentiments sur le plan
politique ne suffiraient pas A expliquer. >
Si le ravitaillement en p6trole est un probleme interna-
tionale, le raffinage, le stockage, la distribution de ce p6trole
constituent des problbmes d'ordre int6rieur, de m6me que le
probleme annexe de la production et de l'utilisation des divers
carburants de replacement.
Le raffinage du p6trole, c'est-A-dire la production de
l'essence en partant du p6trole brut, est une industries que
l'action des pouvoirs publics a entibrement reconstitute en
France depuis une dizaine d'ann6es. Avant la guerre, en effet,
les entreprises constituent le ( cartel des dix ), qui d6tenaient
le monopole de fait du ravitaillement de la France en com-
bustibles liquides, avaient cess6 depuis 1903 environ de
raffiner le p6trole pour n'6tre plus qu'importatrices : en 1914,
la France ne poss6dait plus aucune raffinerie digne de ce
nom. L'on se pr6occupa apres la guerre de cet 6tat de choses
I. Capitaine Grandcl6ment : a La politique mondiale du p6trole ) (Revue mili-
taire generale, mai 1938).
LE RAVITAILLEMENT EN COMBUSTIBLES LIQUIDES 281
et la constitution de la ( Compagnie frangaise de raffinage ),
soeur cadette de la (( Compagnie francaise des p6troles ), consti-
tua un premier palliatif. Mais la veritable renaissance de cette
industries est due A la protection que lui a accord6e la loi
douaniere du 16 mars 1928, stabilisant le taux diff6rentiel entire
le p6trole brut et l'essence.
Les resultats obtenus se marquent dans les chiffres de nos
importations : tandis que le total de celles-ci ne cesse d'aug-
menter, les quantities d'essence import6e sont en constant
diminution :
Ann6e Total des importations 1 P6trole brut Essence
(en tonnes)
1925 1.976.182 2.560 1.036.900
1928 2.623.576 14.o6o 1.424.964
1931 4.036.885 518.559 2.150.282
1934 6.145.229 4.321.869 i.039.73
1937 7.764.071 6.151.728 6i4.8i6
Premier semestre 1938 3.821.000 3.204.779 383.737
Aujourd'hui, de puissantes usines de raffinage fonctionnent
en France a proximity de chacun de nos ports importateurs de
petrole : vers la MWditerran6e, a Frontignan, Berre, Avera;
pres des estuaires de la Gironde et de la Loire, A Pauillac,
au Bec d'Ambez et a Donges; pres du Havre, a Port-J6rome,
au Petit-Couronne, a Gonfreville; dans le Nord, A Dunkerque,
A Courchelettes, etc. Pechelbronn enfin raffine ses p6troles A
Merkviller.
Le tres bel effort fait depuis dix ans pour doter la France
d'une industries de raffinage se fonde essentiellement sur la
n6cessit6 de posseder des usines susceptibles de diversifier la
production suivant les besoins du moment, en produisant tour
A tour des essences 16geres ou lourdes, des mazouts, des gaz oils,
etc. Si l'on ajoute que le fret du p6trole brut est sensiblement
le meme que celui de l'essence, puisqu'on peut en utiliser les
i. La difference entire le tonnage global des importations et les quantit6s do
petrole brut et d'essence entrant dans ce tonnage est constitute par le fuel oil, le
gas oil, les huiles de graissage, le lampant, etc.
Les chiffres du tableau ci-dessus sont extraits du rapport au Conseil National
lconomique de MM. Olivier de Sardan, Coquelin et Cadet sur La politique agricole
destine d rdduire le deficit de la balance commercial et d coordonner les productions
mdtropolitaines et coloniales. (Session des 3o et 31 janvier 1939.)
282 SCIENCES POLITIQUES
sous-produits, et que la conservation du brut est plus facile que
celle de l'essence, tr~s volatile et trbs inflammable, les sacri-
fices consentis pour crier les usines de raffinage se justifient
amplement.
Mais il ne suffit pas de raffiner le p6trole; il faut pouvoir
stocker l'essence, la transporter, la distribuer aux utilisateurs.
Des difficult6s d'un autre ordre vont devoir etre r6solues.
L'obligation de constituer des stocks de p6trole a 6t6 trbs
heureusement liCe, depuis la loi du 14 avril 1932, a l'octroi
des licences d'importation. La mise en oeuvre du systeme a
6te assez lente, mais on estime aujourd'hui que les d6p6ts
d'essence constitu6s en France permettraient de faire face
aux besoins des deux ou trois premiers mois de guerre.
La nature mime du produit a stocker complique singuli6-
rement les choses : l'essence placee dans un reservoir n'est pas
un product immuable, come le carbon sur le carreau de la
mine. Le char d'assaut, 1'avion, le navire de guerre 1'utilisent
sous des forces diff6rentes : dans le cadre general du plan de
la Defense Nationale, il appartient suivant les cas A la Guerre,
a la Marine, A 1'Air de faire construire les d6p6ts les plus
conformes a ses besoins particuliers et de les approvisionner en
consequence tout en veillant a cc que le renouvellement de
l'essence ou du mazout soit assure par une rotation 3 con-
tinue. Le problrne est donc qualitatif autant que quantitatif,
car il faut repartir judicieusement ces d6pots en tenant compete
des points d'importation, des lieux de raffinage, des moyens
de transport, des zones d'utilisation; il faut surtout assurer
la protection des stocks.
Sur cette derniere question, des theories opposees se sont
affrontees : convient-il de disperser a I'extreme les d6p6ts?
Faut-il au contraire les grouper dans certaines zones oi ils
pourront beneficier d'une protection tres efficace par la D. C.
A.? Doit-on construire des reservoirs souterrains? A ces
I. On peut signaler a ce sujet qu'un decret-loi du Ier avril 1939 oblige les titulaires
d'autorisations d'importation a construire des installations susceptibles de produire
au moins 12 % en essence-aviation des quantities d'essence qu'ils livrent a la consom-
mation. Le mmme texte institute un regime de firmes proportiennelles h la capacity
de production annuelle des usines en essence-aviation.
LE RAVITAILLEMENT EN COMBUSTIBLES LIQUIDES 283
questions, le programme mis en oeuvre depuis 1936 a repondu
par les directives suivantes : construire d'abord un assez
grand nombre de d6p6ts de faible capacity (12.000 tonnes en
moyenne) dans la region Est, pour subvenir aux besoins imid-
diats des armies en champagne; construire ensuite dans le Sud-
Ouest et le long des voies fluviales de tres grands reservoirs,
qui s'ajouteront aux stocks normalement entretenus par les
soci6tes de raffinage. La protection de ce reseau de d6epts et de
reservoirs relieve, bien entendu, de la Defense adrienne du
Territoire (D. A. T.); mais elle a fait l'objet en outre de pres-
criptions particulibres : c'est ainsi que plusieurs d6crets
recents (mars et avril 1939) obligent notamment les titulaires
d'autorisations d'importation des products d6riv6s du petrole
( a justifier qu'ils disposent des moyens aff6rents au stockage
de reserve des products imports, en reservoirs efficacement
prot6ges, par enfouissement ou autrement, centre les bombar-
dements a6riens, sur avis conforme de la Commission minis-
t6rielle des d6p6ts d'hydrocarbures a. Les memes regles
viennent d'etre 6tendues A 1'Afrique du Nord.
La distribution des carburants a l'interieur du pays appa-
rait en quelque sorte comme l'accessoire du stockage : des
wagons-citernes et des camions, voire des peniches, transpor-
teront l'essence des ports ou des usines de raffinage aux dep6ts
repartis sur le territoire. Mais ces wagons, ces camions, ces
chalands assureront-ils un debit suffisant? Cela n'est pas
certain, puisque, sur la demand express de l'ltat-Major,
le Comit6 des carburants, constitu6 par un d6cret du 5 juin 1938
et plac6 sous l'autorit6 directed du Pr6sident du Conseil, Minis-
tre de la D6fense national, a 6mis au course de 1'6t6 dernier
un avis de principle favorable a la construction d'un pipe-line
qui de Donges, A l'embouchure de la Loire, ambnerait directe-
ment le p6trole A Montargis, dans le Loiret. Ce project a suscit6
immddiatement d'assez vives reactions : sans prendre part
I. On lira notamment avec int6ret une brochure 6dit6e par le Courrier des
PNtroles (24 novembre 1938) : (( Pipe-line ou canal ). Cette brochure, critiquant la
solution du pipe-line, suggere la creation a sa place d'une voie d'eau consistent a
am6nager la Loire de 1'embouchure de la Maine au Bec-de-Cher, puis a moderniser
le Cher jusqu'A Noyers et le canal du Berry de Noyers A Marseille-les-Aubigny.
284 SCIENCES POLITIQUES
dans le d6bat, il est permis n6anmoins de souligner le coft 6lev6
du project et, d'un point de vue economique ge6nral, la concur-
rence que creerait le pipe-line aux chemins de fer et a la
batellerie. Quoi qu'il en soit, il est certain que les pouvoirs
publics se preoccupent de la question.
Au total, la politique frangaise en matiere de combustibles
liquides apparait coh6rente et r6aliste. La coherence de cette
politique a W6t assure pendant quatorze ans par I'action de
l'Office national des Combustibles liquides; le r6alisme de
ceux qui l'ont inspire a Wte de comprendre qu' ( une politique
basee sur les importations, avec un stockage convenable,
constitute le moyen le plus sur et le plus 6conomique de faire
face aux circonstances critiques et qu'on ne saurait s'en remet-
tre, pour approvisionner le pays en temps de guerre, au p6trole
deriv6 des resources nationals 6quip6es en ce but 1
Est-ce a dire qu'il faille negliger les possibilities qu'offrent
notre sous-sol et notre sol de produire, directement ou indi-
rectement, des carburants? Certainement pas : d'ailleurs les
measures prises en ce qui concern I'Office national des Combus-
tibles liquides transf6r6 en 1936 du Ministere du Commerce
aux Travaux Publics et, en mars 1939, completement r6incor-
pore dans les cadres de ce dernier d6partement prouvent
bien que le gouvernement entend coordonner l'utilisation de
la houille, de l'electricite et des carburants et appliquer aussi
une veritable ( politique de l'6nergie ), susceptible dans une cer-
taine measure de diminuer les besoins d'importation de la France
et de la soustraire aux servitudes des transports maritimes.
Mais ce n'est pas tant vers un encouragement aux recherches
de p6trole sur le sol national qu'il convient de s'orienter.
Ces recherches, constamment poursuivies depuis la guerre,
ont about A des sondages dans l'HMrault, les Basses-Pyr6nees,
les Landes, le Jura, en Auvergne, en Alsace, en Savoie, etc. :
elles ont coite relativement cher et n'ont donn6 que des r6sul-
tats d6cevants. La seule exploitation produisant du p6trole en
France demeure celle de P6chelbronn.
I. Citation extraite des conclusions de la Commission Falmouth dans son rap
port au Comit6 de la Defense Nationale britannique (Committee of imperial defence,
Sub-committee on oil from coal, report 1938).
LE RAVITAILLEMENT EN COMBUSTIBLES LIQUIDES 285
C'est done vers les essences synth6tiques et les carburants
de replacement qu'il a fallu se turner. En cette mati6re, les
possibilities industrielles de la France sont beaucoup plus
grandes : on peut remplacer l'essence de p6trole par l'essence
produite par hydrogenation de la houille ou par distillation des
schistes bitumineux, la melanger avec du benzol ou avec les
alcools obtenus par la distillation de la betterave, du blW,
des molasses, des pommes de terre, des pommes, des vins, etc.
Les r6sultats obtenus par I'Allemagne, qui a d6velopp6 la
production des carburants de substitution jusqu'a fournir a la
consommation interieure plus de la moiti6 de ses besoins du
temps de paix1, est souvent invoqu6. C'est, en ce qui concern
la France, mal poser le problkme.
Tous ces carburants ont un prix de revient sup6rieur a
celui de l'essence, taxes comprises. Si en Allemagne ils ont
pris cette extension, ce n'est pas seulement parce que le sous-sol
est plus riche que le n6tre en houille et en lignite; c'est essen-
tiellement parce que l'6conomie hitl6rienne fonctionne en
circuit ferm6 et que d6s lors, dans un systeme autarcique pauvre
en or et en devises, l'inconv6nient de fabriquer un produit
cofiteux apparait moindre que l'avantage qu'offre au Reich
une diminution correspondante de ses importations. Mais en
France, la notion de prix de revient n'a heureusement pas
perdu toute signification, bien que les comparisons soient
alter6es par la protection fiscal que I'Itat accord aux car-
burants de replacement. C'est notamment ce qui explique
qu'il n'existe jusqu'a present que deux ( usines-pilotes ) -
situdes l'une a Livvin, l'autre pros de B1thune pour l'hydro-
I. Le g6n6ral Serrigny, dans son article ( Le p6trole et l'automobile dans une
guerre mondiale ), donne les chiffres suivants, qui indiquent pour l'ann6e 1937 la
repartition par origine des carburants products en Allemagne :
en tonnes en % des besoins
Essence provenant du brut national....... 10o.ooo 4,3 %
Essence synth6tique ..................... 850.ooo 33,2 %
benzol .............................. 420.000 16,3 %
alcohol .............................. 210o.ooo 8,1 %
Essence par carbonisation ............... 40.000 1,5 %
i.63o.ooo 63,4 %
Importations d'essence .................. 930.000 36,6 %
2.56.ooo 00oo %
286 SCIENCES POLITIQUES
genation de la houille. De meme en ce qui concern les alcools
d'industrie, don't le regime Bconomique et fiscal 6tait d'ailleurs
bien davantage inspire par la preoccupation assez d6mago-
gique de favoriser les producteurs agricoles que par le souci
de diminuer les importations de petrole, un d6cret-loi recent
a pris des measures importantes pour reduire le deficit du Service
commercial des Alcools. Au total, la production frangaise en
carburants de substitution ne d6passe guere a l'heure actuelle
3oo.ooo tonnes; elle diminuerait encore en temps de guerre,
puisque l'alcool et le benzol seraient totalement absorbs par
la fabrication des explosifs.
Reste le probleme du ( gaz des forces ,, c'est-A-dire de
l'utilisation du bois comme carburant dans les vehicules a
gazogene. Une champagne tres active est actuellement menle
pour l'extension de ce procedM : on fait valoir que la fort
frangaise fournit 3o millions de stares de bois, don't i mil-
lions restent aujourd'hui sans emploi et correspondraient &
5oo.ooo tonnes d'essence; en cas de guerre, la production du
hois pourrait ktre triple par l'abaissement de l'Age d'exploi-
tation des taillis. D'autre part le gaz des forts represente une
economie de moiti6 par rapport a l'essence. Cc n'est done pas
A proprement parler un probleme de carburant, mais un pro-
blime de vehicule. Mais le camion a gazogene corite plus cher
que le camion a essence, il est encombrant, sa vitesse est
reduite, son rayon d'action relativement faible (en raison
des difficulties d'approvisionnement en dehors des centres
forestiers). Aussi, malgr6 la protection don't ils beneficient,
ne compte-t-on encore que 8.ooo v6hicules A gazogene en
France. Si l'on en croit la F6deration national du Bois, le
nombre de 35.ooo pourrait facilement etre atteint.
Il imported au total de souligner que la production des car-
burants de Iemplacement represente une charge assez lourde
pour les finances publiques et 1'6conomie national : doit-on
accroitre cette production? La r6ponse A cctte question
constituerait une application de la loi de substitution, base de
l'conomie politique. Comment peut-on, sans connaitre toutes
les donnies du problem, d6clarer qu'il faut mieux creer et
exploiter de nouvelles usines d'hydrogenation, ou au contraire
LE RAVITAILLEMENT EN COMBUSTIBLES LIQUIDES 287
utiliser la mime some a acheter une plus grande quantity
de petrole, A construire d'autres reservoirs A l'abri des bom-
bardements, a creuser un pipe-line? Seul le gouvernement
peut decider des utilities ldcroissantes...
L'insuffisance de notre production m6tropolitaine, qu'il
est illusoire d'esp6rer combler par des carburants de substitu-
tion, nous oblige done a acheter au dehors les quantit6s consi-
d6rables de p6trole et d'essence nbeessaires A notre consomma-
tion. Pour 1'annee 1937, le deficit de la balance commercial
caus6 par ces carburants s'est 6lev6 a plus de trois milliards,
pour le premier semestre 1938 A 1.972 millions : c'est done un
tres important problkme de change qui se pose. Pour le r6soudre
sans entamer les reserves d'or de la Banque d'6mission ni
affected la stability monetaire, il faut maintenir le budget en
6quilibrc, la tr6sorerie A l'aise, le credit public intact : le
financier doit done apporter sa collaboration au diplomat,
au militaire, A l'industriel.
La politique francaise du p6trole apparait en definitive
comme un ensemble don't toutes les parties sont solidaires : a
1'action diplomatique, constamment oriented vers l'entente
avec les pays anglo-saxons, et au enforcement de nos forces
navales et militaires doit s'associer une politique d'6quipement
industrial et d'assainissement financier. A ces conditions
seulement, la France peut envisager, en cas de conflict, une
solution au probleme complex du ravitaillement en combus-
tibles liquides de ses armies et de ses escadres. Et dans la
measure mime oii elle r6alise cette politique de pr6voyance, de
force et de s6curit6, s'attenuent les risques de guerre.
Jacques BERTHOUD,
Conseiller Referendaire a la Cour des Comptes,
Maitre de Conf6rences a l'Eoole des Sciences Politiques.
CHRONIQUES
1. La vie politique et international.
C'est sous le signe de la stability que se d6roule, depuis deux mois,
I'activit6 politique int6rieure. Le Parlement est rentr6 le 1 mai, apres
l'intersession de PAques. Le premier acte de la Chambre a 6t6 de
discuter une interpellation sur la politique g6nbrale, qui lui a donn6
l'occasion d'exprimer, par 375 voix contre 230, sa confiance dans
le gouvernement de M. Daladier.
Elle a repris ensuite la discussion de la r6forme 6lectorale. La
Commission du suffrage universal lui soumettait un project de repre-
sentation proportionnelle int6grale, avec listes bloquies et utilisation
des restes dans le cadre national. Mais la Chambre, a de fortes
majorit6s, a repouss6 successivement le syst-me de la liste bloquee, qui
attribue aux comit6s de parties un role d6cisif dans la designation des
d6put6s, puis celui du vote pr6f6rentiel, qu'elle a jug6 trop compliqu6.
D'aprBs ces indications, on peut penser qu'on s'oriente vers un
scrutiny de liste avec panachage, qui favoriserait tout autant que le
scrutiny d'arrondissement a deux tours les combinaisons les moins
avouables.
Le congres annuel de la S. F. I. 0. s'est r6uni h Nantes h la fin de
mai. Les vives pol6miques qui mettent aux prises depuis plusieurs
mois les chefs socialists les plus en vue, MM. Leon Blum et Paul Faure,
et surtout leurs amis respectifs, donnaient a ce congres une certain
importance. Une scission aurait pu en sortir. Elle a 6t6 evit6e, grace
b l'effort des deux fractions. Une motion de synthese a ralli6 la grande
majority des militants. Mais I'accord parait surtout verbal, et n'a
certainement pas mis fin aux profondes divergences de vues qui,
depuis qu'il a quitt6 le pouvoir, affaiblissent le parti socialist.
Le 4 juin, au contraire, une reunion plJniere du Comit6 Ex6cutif
du parti radical-socialiste a montr6 que M. Daladier continue d'etre
approuv6 par la quasi-unanimit6 des membres de son parti.
Il est possible que l'agitation politique connaisse une 16gBre recru-
descence dans les derniers jours de la session. L'extreme-gauche, a
l'occasion de l'amnistie, de la retraite des vieux, de la prorogation
6ventuelle par d6cret-loi du mandate lCgislatif, ou meme simplement
LA VIE POLITIQUE ET INTERNATIONAL 289
de la signature du d6cret de cloture, a tent6 et tentera de cr6er quel-
ques difficulties au cabinet. Il est peu probable que ces tentatives, si
elles persistent, aient d'autre consequence que la mise en vacances
du Parlement, qui est licite au point de vue constitutionnel, puisque la
session dure d6jh depuis cinq mois, et pratiquement possible puisque,
jusqu'au 3o novembre, le gouvernement dispose de pleins pouvoirs.
11 est certain que la cause essentielle de cette stabilitE int6rieure
reside dans les serieuses preoccupations que continue de provoquer la
situation international. Bien qu'aucun acte aussi grave que ceux qui
avaient marque la p6riode couverte par notre derniere chronique n'ait
Wt6 commis depuis deux mois, la tension subsiste. L'activit6 diplo-
matique trbs intense, et dans le detail de laquelle il serait impossible
d'entrer en quelques pages, qui s'est d6roul6e en Europe depuis la
conquete de l'Albanie par les troupes italiennes n'a guere eu d'autre
but que de renforcer les positions de chacun des deux camps en
presence, sans pouvoir se proposer encore un assainissement reel de
1'atmosphbre.
Six jours apres l'invasion de l'Albanie, le jeudi 13 avril, M. Neville
Chamberlain, a la Chambre des Communes, et M. Daladier, dans un
communique a la press, firent connaitre que la Grande-Bretagne et
la France avaient decide d'accorder a la Grace et a la Roumanie une
garantie analogue a celle don't b6neficie la Pologne. Le premier ministry
britannique ajouta que, malgre l'atteinte portte au statu quo m6diter-
raneen, l'accord anglo-italien d'avril 1938 restait en vigueur, le gou-
vernement de Rome ayant renouvel6 son engagement quant au retrait
d'Espagne de ses volontaires, apres le d6fil de la Victoire quiaurait
lieu a Madrid en mai.
Le 15 avril fut public un message adress6 par M. Roosevelt a
MM. Hitler et Mussolini; le President des Etats-Unis, attirant I'atten-
tion des dictateurs sur la gravity de l'atmosphere n6e de leurs r6centes
agressions, leur demandait de s'engager a n'attaquer pendant Io ou
25 ans aucun de leurs voisins et leur proposait l'ouverture de pourparlers
internationaux en vue: 10 du d6sarmement; 20 du reglement des
questions 6conomiques dans un esprit d'6galit6; 30 du reglement des
questions politiques que les gouvernements int6ress6s jugeraient n6ces-
saire de r6soudre.
Cette initiative de M. Roosevelt provoqua une vive motion. II
6tait cependant difficile de concevoir qu'elle pat aboutir, malgr6
l'accueil favorable qui lui fuit fait imm6diatement a Londres et a
Paris. Les dictatures, en effet, ne pouvaient, vis-a-vis de leurs peuples,
accepter la position d'accus6s dans laquelle les plagait ce message'
SCIENCES POLIrIIQUES. 19
SCIENCES POLITIQ UES
Son effet, et peut-Atre son but, essentiels auront Wt de marquer nette-
ment, vis-h-vis de. l'opinion des, Etats-Unis, les responsabilites r6ci-
proques des deux camps europeens pour le cas oui la tension inter-
nationale aboutirait h un conflict.
On apprit le 17 avril que le Reichstag 6tait eonvoqu6 'pourle 28
apres les fetes du cinquantibmeanniversaire; du Fiihrer-ohancelier -
pour entendre la r6ponse de M. Hitler i M. Roosevelt. Des le 20,
M. Mussolini exprima la mefiance de l'axe pour les conferences interna-
tionales, et son refus d'8tre consider comme le seul responsible de la ten-
sion europ6enne, n6e d'apres lui du refus des puissances ( repues d'ac-
cueillir pacifiquement les l6gitimes revendications des Etats pauvres.
Le 26, apres avoir decid6 de concert avec Paris le retour h Berlin
des ambassadeurs rappeles pour consultation apres le I5 mars, M. Cham-
berlain annonga aux Communes que le gouvernement britannique avait
resolu d'introduire en Grande-Bretagne la conscription : ainsi 6tait
marquee de la fagon la plus solennelle et la plus efficace la volont6
anglaise de s'opposer par tous les moyens, une tentative de domi-
nation en Europe.
Dans son discours du 28 avril M. Hitler repoussa comme inutiles
ou inop6rantes les propositions de M. Roosevelt. Mais surtout, il posa
officiellement le probl6me de Dantzig et du couloir polonais, en reven-
diquant 1'entree de la Ville Libre dans le Reich, moyennant l'octroi
d'un port franc a la Pologne, et la cession en pleine souverainet6 d'un
territoire assurant la liaison du Reich avec la Prusse orientale. En
mnme temps 6taient d6nonces, comme incompatible avec le recent
accord anglo-polonais, I'accord naval anglo-allemand de 1935 et lentente
germano-polonaise de I934.
En r6ponse a ce discours, M. Beck en prononga,,le 5 mai, devant
le Parlement de Varsovie, un autre qui constituait une fin de non-
recevoir mod6ree, mais ferme, aux revendications allemandes. Le
probleme de Dantzig restait done pose au premier plan des preoccu-
pations europ6ennes. Malgr6 des incidents locaux, mais graves, sur-
venus les 20 et 21 mai entire douaniers polonais et nationaux-socia-
listes, il ne s'est pas aggrav : mais ehacune des deux parties restant
sur ses positions, il est incontestable que la paix de l'Europe entire,
par le jeu des alliances, serait mise en jeu si le Reich se d6cidait a
y tenter un. coup de force, meme avec le consentement qui serait
hors de doute de la population,
Le bruit se r6pandit le 9 mai que le Vatican, preoccup6 de la
grave menace ainsi maintenue pour la paix, avait fait des sondages
aupres de divers gouvernements en vue de la convocation par le
Pape d'une conference a cinq Pologne, France, Angleterre, Italie
et Allemagne pour le r6glement des probl6mes europ6ens. Le
prompt d6menti qui suivit t6moigne en tout cas de l'accueil r6serv6
fait h cette initiative, jugee come, seulement capable de mener a,
LA VIE: POLITIOUE ET INTERNATIONAL 291
un nouveau Muinich, sans aucune garantie s6rieuse pour l'avenir.
Tel est le cadre general dans lequel se sont d6roul6s, de part et
d'autre, les efforts diplomatiques de l'Axe Rome-Berlin et de l'Entente
franco-anglaise pour s'assurer respectivement une sup6riorit6 de forces
marque, en Europe.
L'activit6 -germano-italienne a vise la Roumanie, la Hongrie, la
Yougoslavie, la Bulgarie, l'Espagne, et les. pays scandinaves et baltes.
SLa Roumanie, don't le ministry des Affaires Itrangeres, M. Gafenco,
s'est rendu A la fin d'avril et au debut de mai h Berlin, Bruxelles,
Londres, Paris et Rome, parait s'attacher surtout A maintenir, au
moins en apparence, de -bonnes relations avec les deux camps en
presence. Elle n'oppose guere de resistance aux demands 6conomiques
de l'Allemagne, mais affirme sa volont6 de d6fendre son int6grit6
territorial centre toute menace.
S'La Hongrie a quitt6 la S. D. N. le I1 avril. M. Telecki et le come
Czaky ont Wte successivement h Rome et h Berlin. A la fin de mai,
les elections g6nerales ont marque une forte advance du parti nazi,
don't le gouvernement semble rester cependant ind6pendant, au moins
sur le terrain parlementaire.
Les voyages de M. Markovitch et du Prince Paul de Yougoslavie
a Rome et h Berlin t6moignent d'une politiquc analogue a celle de
la Roumanie, avec cette nuance important que les relations de Bel-
grade avec 1'Entente franco-anglaise sont sensiblement moins cordiales
que celles de Bucarest.
La Bulgarie parait d6cidke a la fois a maintenir son ind6pendance
vis-h-vis de i'Axe plus 6nergiquement que ses voisins notamment
sur le terrain 6conomique et h profiter si possible de la tension
europ6enne pour poser le probl6me de ses revendications territoriales
a 1'6gard de la Roumanie.
Les volontaires germano-italiens ont quitt6 l'Espagne apres le
d6file de Madrid, du 19 mai, mais une grande parties de leur materiel
a 6te ced6 au general Franco. Celui-ci s'est plaint publiquement de
la fagon don't sont executes par la France les accords Berard-Jor-
dana de f6vrier; il a pr6tendu en outre que l'Espagne 6tait menace
d'encerclement; aucune alliance publique ne le lie cependant encore
h l'Axe Rome-Berlin.
L'Allemagne a obtenu du Danemark, de la Lettonie et de l'Esthonie
la signature de pactes de non-agression qu'elle leur a proposes apres
la publication du message Roosevelt, et auxquels ont refuse de
souscrire, de leur c6t6, la Suede, la Norvige et la Finlande.
C'est la forme nouvelle prise par la collaboration germano-ita-
lienne qui constitute le fait essential de cette activity diplomatique de
1'Axe : le 7 mai, apres une visit de M. von Ribbentrop au come
Ciano, la prochaine conclusion d'un pacte d'alliance politique et mili-
taire entire l'Allemagne et l'Italie a 6te annonc6e. Ce pacte a 6tW
292 SCIENCES POLITIQUES
sign a Berlin, pour dix ans, le 22 mai. Il institute entire les deux
Etats une solidarity complete et entire leurs armees une collaboration
qui se traduit en fait par un contrBle de plus en plus accentu6 de
I'Etat-Major et des technicians allemands non seulement sur les forces
militaires mais mrme sur l'appareil economique de 1'Italie. II semble
que Berlin ait voulu se pr6munir contre le risque, qui s'etait r6alis6
en septembre, d'une reticence italienne a ses entreprises : a cet 6gard,
le Pacte du 22 mai constitute plus qu'une simple consecration d'un
6tat de choses existant.
La France et l'Angleterre, de leur c6te, ne sont pas restees
inactives. Elles se sont attachees, d'une part au enforcement de leurs
moyens de defense national, d'autre part h l'&tablissement entire tous
les Etats decides A repousser une aggression d'une solidarity diploma-
tique clairement d6finie, propre h intimider les agresseurs 6ventuels,
et, en cas de conflict, a assurer une cooperation immediate et effective
des puissances y participant.
En France, en dehors des precautions militaires prises depuis le
15 mars et qui paraissent avoir ete maintenues a peu pres int6gra-
lement, l'effort de reorganisation de l'industrie aeronautique poursuivi
depuis plusieurs mois commence a produire ses effects, et il en r6sulte
un enforcement tres sensible de l'armee de I'air.
En Grande-Bretagne, l'effort industrial immense qui se pursuit
est accompagn6 maintenant d'un effort parallele en ce qui concern
les effectifs : la conscription, annoncee le 26 avril, votee au Parle-
ment, malgr6 l'opposition de principle des travaillistes, au debut de
mai, est entree en vigueur en juin. Elle augmente tres considera-
blement la capacity d'intervention sur le Continent de 1'arm6e britan-
nique.
L'effort diplomatique des gouvernements de Londres et de Paris
a tendu essentiellement a inclure la Turquie et l'U. R. S. S. dans le
systeme diplomatique de resistance a 1'agression. L'Angleterre a con-i
clu le 12 mai avec Ankara un accord d'assistance mutuelle qui doit
Utre suivi prochainement d'un pacte parallble franco-turc : c'est la
question du Sandjak d'Alexandrette qui parait avoir emp6ch6 que ce
dernier pacte soit conclu en m&me temps que le pr6c6dent. On sait
que la Turquie revendique le Sandjak, qui fait parties des territoires
sous mandate frangais, mais os reside une tres important population
turque. L'an dernier, un regime de condominium a et e6tabli. En
allant plus loin, la France risque de mecontenter non seulement les
Syriens, qui l'accuseront de d6membrer leur territoire, mais aussi toute
l'opinion arabe, fort sensible a la menace turque. L'Italie semble d'autre
part dispose A protester centre une cession 6ventuelle du Sandjak h la
Turquie, au nom de son accord avec 1'Angleterre sur le statu quo m6-
diterraneen. II semble cependant qu'une solution doive intervenir a
assez br6ve 6ch6ance.
LA VIE POLITIQUE ET INTERNATIONAL 293
Les negociations avec I'U. R. S. S. sont plus malais&es; d'une
part, en effet, elles ont soulev6, au moins l'origine, des inqui6tudes
difficiles h apaiser en Roumanie et en Pologne. D'autre part, le gou-
vernement de Moscou crainl que la volont6 de resistance de Londres
et de Paris ne soit qu'apparente, et il multiple ses demands de ga-
rantie, en ce qui concern notamment ses voisins baltes, qui, non
seulement ne demandent rien h la Grande-Bretagne et h la France,
mais ont conclu des pactes de non-agression avec 1'Allemagne. Le
3 mai, M. Litvinov a Wt5 remplac6 au commissariat des Affaires
Etrangbres par M. Molotov, beaucoup moins habitu6 que lui aux n6go-
ciations internationales. Le discours prononc6 le 31 mai par M. Mo-
lotov a Wte loin de r6pondre a l'attente du gouvernement anglais,
qui pensait avoir fait h Moscou des propositions acceptable. II a
formula en effet la demand, non seulement d'un pacte conclu sur la
base d'une reciprocite absolute, mais d'une garantie des Etats baltes.
Le Foreign Office doit prochainement envoyer a Moscou un expert,
M. William Strang, porteur de nouvelles propositions qu'il espere devoir
etre accept6es.
Malgr6 le retard apport6 h la conclusion du pacte anglo-russe, la
position des d6mocraties est incontestablement d'ores et d6ej tres
forte, et propre a faire r6flechir les agresseurs. C'est probablement
cette consideration qui a amen6 M. Daladier, dans son discours du
4 juin au Comit6 Ex6cutif Radical, et Lord Halifax et M. Chamberlain,
dans des discours a la Chambre des Lords et aux Communes le 8 juin,
a indiquer sans 6quivoque que si les d6mocraties 6taient d6cid6es h
repousser par la force toute tentative de domination militaire en
Europe, elles 6taient disposes h accueillir favorablement toute demand
16gitime d'avantages Bconomiques, en ce qui concern notamment
I'accs aux matires premieres et l'ouverture de d6bouch6s aux nations
industrielles.
Ces indications r6pondent exactement h la preoccupation que nous
exprimions il y a deux mois a la fin de notre chronique. II est impos-
sible cependant de pr6voir quelle suite leur sera donnee, le Reich pa-
raissant attacher au probl6me de Dantzig et du Couloir pomeranien
- problem qui n'est en rien 6conomique, mais uniquement strat6-
gique et politique une importance primordiale. On peut cependant
garder I'espoir que I'Axe se rendra compete du risque qu'il courrait en
d6clanchant un conflict, et qu'il finira par r6pondre affirmativement aux
offres franco-anglaises de n6gociation Bconomique. Mais il ne faut pas
se dissimuler que cet espoir est des plus al6atoires, et que les risques de
conflagration europ6enne restent presque aussi grands qu'il y a deux
mois.
io juin 1939.
Bernard SERAMPUY.
SCIENCES POLITIQUES
II. La vie 6conomique et financidre.
Le mois de mai 1939 a marqu6 l'aboutissement de la premiere phase
du programme de redressement financier entrepris en noyembre 1938 :
a la veille de l'6mission de 1'emprunt 5 %, le Ministre des Finances a
publiC, sous forme d'un rapport au Pr6sident de la Republique, le bilan
des cinq premiers mois de son plan de trois ans.
Ce rapport souligne les r6sultats obtenus dans tous les domaines :
en matiere rmoptaire, il constate le reflux des capitaux vers la France,
l'accroissement des reserves d'or du fonds d'6galisation des changes, le,
enforcement de la position technique du franc qui selon l'expres-
sion meme d'un grand journal financier de New-York fait prime
sur les marches europeens ). Dans le domaine de la tr6sorerie ct du cre-
dit, le rapport note 1'evglution favorable des d6p6ts dans les caisses
d'6pargne, malgr6 Jes inqui6tudes provoqu6es par la situation ext6-
rieure, l'aisance de la- tresorerie, la detente du loyer de l'argent et
l'am6lioration du credit public. En matiere 6conomique, la production
a augment, le ch6mage a d6cru (il est vrai que ces r6sultats provien-
nent essentiellement de l'ex6cution par l'ttat d'un programme d'arme-
ment considerable), tandis que l'indice du prix de la vie n'accuse
qu'une hausse tres mod6ree. Le rapport enfin fait 6tat des rentrees
fiscales encourageantes et des premieres r6formes accomplies a l'ins-
tigation du cqmit6 de R6organisation administrative.
Ce bilan s'arrete ahla date du 3i mars 1939; depuis cette 6poque,
une nouvelle tape a Wte franchise dans la voie du redressement. Elle
a coincide avec l'extreme tension international qui a suivi le coup de
force italien en Albania et la pression allemande sur la Pologne. Aussi
bien est-ce (. a la faveur,) du danger exterieur que le President du
Conseil et M. Paul Reynaud ont pu faire adopter par leurs collbgues du
gouvernement, dans. un conseil des Ministres du 2 avril, une s6rie de
d6crets-lois d'une importance particuliere. Ces decrets-lois r6sultaient
les uns des pleins pouvoirs accords au gouvernement par la loi du
19 mars 1939 (au lendemain de l'occupation de Prague par les Alle-
mands) pour renforcer la defense national, les autres des propositions
formuldes par le (( Comit6 de la Hache ).
En contre-partie des, credits suppl6mentaires ouverts jusqu'h con-
currence de 5. milliards environ aux ministbres de la Guerre, de la
Marine et .de. 1'Air, le gouvernement a pris dans ces d&crets-lois trois
series de measures : il a modifi6 les conditions de la production ; ii a
cr66 des resources fiscales nouvelles; il a diminu6 les charges de l'tat.
LA VIE ECONOMIQUE ET FINANCI'RE 295
ConsidBrant que le rel6vement de la production ne saurait continue
a s'accommoder des entraves precedemment apport6es h la dur6e du
travail, le government a 6fabli'ld principle de la semairin de 45 heures
dans I'industrie priv6e, en exemptant de majoration, sous certaines
reserves, les heures suppl6mentaires entire 40 et 45 heures. Dans les
industries travaillant pour la defense national, la dur6e du travail
avait d6ja et6 fix6e a 6o heures par semaine.
Cet effort demand la1 classes ouvribre trouve sa contre-partie dans
un accroissement et un enforcement de la fiscalite. Les industries
travaillant pour la defense national voient leurs ben6fices limits a
10% des marches passes avec les administrations publiques. D'autre
part, le' rendement de l'imp6t g6enral sur le revenue est accru par
une r6organisation profonde des services des Contributions directed,
mieux arrids pour d6pister la fraude, et par l'institution d'un mini-
mum imposable calcul6 d'apres certain indices emprunt6s au train
de vie du contribuable : loyer, domestiques, automobiles, etc. Le total
donn6 par l'addition des sommes correspondent a ces indices former
le minimum imposable : le proc6d6 normal d'assiette de F'imp6t
general demeure done toujours la declaration contr616e des revenues;
mais cette declaration est ( corrig6e ), dans tous les cas ofi le revenue
declare est inferieur au minimum imposable, par une taxation indi-
ciaire contre laquelle les contribuables ne sont pas admis 'fournir
la preuve coritraire.
Enfin le gouvernement a cr6e une taxe d'armement de i %, qui
constitute en r6alit 6une resurrection de la taxe sur le chiffre d'affaires,
cr6ee en 1920 et remplac6e depuis 1937 par une taxe unique a la pro-
duction : c'est dire qu'il existe aujourd'hui deux imp6ts generaux sur
la d6pense. La grande productivity attendue de cette taxe d'arme-
ment ne saurait en faire oublier les inconv6nients : l'un des principaux
est la charge trbs lourde qu'elle impose aux petits et aux moyens
commergants. C'est en leur faveur que le gouvernement a relev6, en
matiere d'imp6t sur les b6nefices industries et commerciaux, de 4oo.ooo
A 5oo.ooo francs le. maximum du chiffre d'affaires annuel pour Atre
admis a ben6ficier du forfait, tandis que par ailleurs la contribution
des patentes faisait l'objet d'un d6grevement de ro % pour 1'exercice
en course et de o2 % pour les exercices suivants. La dernibre measure
fiscal constitute une exoneration en faveur des successions agricoles.
La derni~re parties des d6crets-lois du 21 avril 1939 concern la
r6formne de l'Etat. Si les reductions de depenses intervenues en la:
matibre n'apparaissent pas immediatement tres importantes, les reor-
ganisations faites (( en profondeur) n'en seront pas moins gne6ratrices
dans l'avenir de meilleure administration et d'economies substan-
tielles. Le gouvernement a amorc6 la r6forme du regime du blW et du
regime des alcools d'industrie. 11 a, pour mettre fin a la d6magogie
qui s'dtait institu6 dans 'aide apport~e par l'Etat aux collectivit6s
296 SCIENCES POLITIQUES
locales, revise les baremes des subventions et transf6r6 la Caisse de
credit aux d6partements et aux communes a la Caisse des d6p6ts et
consignations. II a pose les principles g6n6raux pour la resorption des
personnel en surnombre dans les administrations publiques, de mani6re
a (( r6duire le train de vie de l'itat o. II a limited pour le passe et pour
l'avenir les interventions 6conomiques de 1'ttat sous forme de cr6a-
tions de soci6t6s mixtes, de souscriptions de valeurs mobili6res par les
personnel publiques, d'avances et de garanties d'interet du Tr6sor. II
a enfin continue 1'ceuvre entreprise en mars, lors de la nomination
d'un administrateur extraordinaire h Marseille, en r6organisant le
regime administratif de la Ville de Paris et du D6partement de la Seine.
L'ensemble est coherent et r6aliste. Mais les resources fiscales
nouvellement cr66es ou d6gag6es par la r6forme des services publics ne
permettent pas h elles seules de finance les charges 6normes de la
defense national. Aussi, dans le courant de mai, le Ministre des
Finances a-t-il di r6aliser une trbs large operation de credit.
Dans son Rapport au Pr6sident de la R6publique M. Paul Rey-
naud avait soulign6 la bonne tenue des rentes, malgr6 les 6v6nements
ext6rieurs. Mais c'est a l'expiration du d1lai de six mois pendant lequel
le Ministre des Finances s'6tait engage, en novembre dernier, a ne pas
6mettre d'emprunt, qu'on put r6ellement mesurer le relhvement du
credit de I'l~tat : dans le courant du mois de mai, trois operations
de credit ont 6td men6es a bien ensemble.
La premiere a consist en la substitution par la caisse autonome
d'amortissement aux bons de la defense national a deux ans de bons 4 %
a trois ans. La deuxieme a It6 la consolidation en obligations sexen-
nales 3,875 % a garantie de change, 6mises a 97,5 en Hollande et en
Suisse, de l'emprunt 4 % 6mis en 1937 par les grands r6seaux de che-
rains de fer frangais sous forme de bons a deux ans. La troisieme
operation eclipse les deux autres : il s'agit du grand emprunt 5 %, 6mis
a 98 et amortissable en 4o ans, qui a rapport au Tr6sor 6 mil-
liards d'argent frais, souscrits d6s la premiere journ6e, et consolid6
4.6oo millions de bons a ech6ance variant de six mois h deux ans.
La parfaite r6ussite de cet emprunt s'explique par le fait que la
suspension pendant six mois des appeals au credit a long terme avait
permis a une reserve d'6pargne de se reconstituer. Sans qu'une d6cla-
ration officielle ait 6t6 faite h ce sujet, on prate au Ministre des
Finances l'intention de clore ses guichets pendant une nouvelle
p6riode de plusieurs mois.
II conviendrait que ce r6pit f it mis a profit pour provoquer une res-
tauration du credit priv6. II est inqui6tant, en effet, de constater que
LA VIE ECONOMIQUE ET FINANCIERE 297
depuis six mois la circulation des billets de banque n'a cess6 de croltre
(elle oscille actuellement entire 120 et 125 milliards), tandis que le
portefeuille commercial de la Banque de France a consid6rablement
diminu6. Dans la measure meme oi le Tr6sor consolide ses emprunts a
court terme, il devrait rendre au march mon6taire une plus grande
possibility de s'int6resser aux entreprises priv6es :mais la th6saurisation
des billets prouve que le march est loin d'avoir l'l6asticit6 n6cessaire
h une reprise de la production. La politique du credit command done
la reprise 6conomique.
o1 juin 1939.
Jacques CHASSERON.
COMPTES RENDUS CRITIQUES
L. PETIT et R. DE VEYRAC. Le credit et l'organisation bancaire.
Tome VII du Traite d'Economie Politque public sous la direction
de M. Truchy. Paris, Sirey, 1938. Un vol. in-80 de xvi-744 pages.
MAX CLUSEAU. La r6glementation des banques. Pconomie lib&-
rale ou 6c onomie dirig6e? etude critique de quelques experiences
ftrangBres. Pr6face de M. Bye, Professeur a la Facult6 de Droit de
Toulouse. Paris, Sirey. Un vol. in-80 de xiv-556 pages.
ROGER NATHAN. Le rble international des grands marches finan-
ciers. Publication de 1'Institut universitaire des hautes etudes inter-
nationales (Geneve). Paris, Sirey, 1938. Un vol. in-80 de 179 pages.
Les ouvrages de MM. Petit et de Veyrac, Max Cliseau et Roger
Nathan, quoique d'importance et de caracteres tres diff6rents, apportent
tous trois des contributions pr6cieuses a l'6tude des probl6mes du credit
et de l'organisation bancaire.
Le premier est un trait d'ensemble sur ces probl6mes, don't 11 fait
un examen complete dans un but didactique autant que scientifique.
C'est, envisage sous cet angle, un ouvrage de tous points remarquable.
Apres un rappel des notions essentielles sur l'histoire et le r6le du credit
dans la vie 'cononiique et sur les instruments de credit effectss de com-
merce, valeurs mobilieres, billet de banque, cheque), MM. Petit et de
Veyrac 6tudient les different aspects des operations de banque, d6p8ts,
operations de credit tendant A fournir aux entreprises des fonds de
roulement par l'escompte, les avances a court terme, parfois a moyen
ou long terme -, operations financi6res des banques d'affaires inter-
venant dans la constitution des societes et le placement des valeurs
mobilieres, operations de change, operations d'6mission et autres
activities des banques centrales. Cette 6tude, bien qu'essentiellement
descriptive, ne n6glige pas cependant les probl6mes doctrinaux : un
chapitre d'un particulier int6ret est ainsi consacr6 aux theories les plus
recentes concernant influence du credit h court terme sur les fluctua-
tions de la vie Bconomique. Mais les auteurs, qui sont des praticiens,
portent surtout leur effort sur I'analyse 6conomique des diff6rentes
operations, des multiples aspects du mecanisme de credit.
COMPTES RENDUS CRITIQUES 299
C'est dans le mAme esprit qu'est concue la troisibme parties du livre,
portant sur l'organisation des banques en France. Le fonctionnement
et le rble de la Banque de France, des banques de d6p6ts, des banques
d'affaires, des 6tablissements de credit sp6cialises (Credit Foncier, Cr6dit
agricole, Cr6dit National, banques populaires, credit au commerce ext6-
rieur, caisses d'6pargnes, Caisse des d6p6ts et consignations) font l'objet
d'un examen, n6cessairement rapide, mais qui suffit h en d6gager les
traits essential's. I1 ne s'agrit pd la d'.une 6tu'de de r~glementations admi-
nistratives, puisque la France est, avec l'Angleterre et la Hollande, le
seul pays, parmi ceux don't le march monetaire pr6sente une certain
ampleur, qui. n'ait pas encore impose aux etablissements de credit
une r6glementation special. MM. Petit et de Veyrac d6crivent l'activit6
de chaque 6tablisserent ou cat6gorie d'6tablissements en function de
son r6le sur les marches mon6taires ou financiers frangais, et ainsi leurs
d6veloppements, conaus au premier abord suivant une m6thode essen-
tiellement 'analytique,, pr6sentent cependant en definitive une synth6se
excellent de 'organisation et de l'orientation de ces marches. Parmi
les conclusions qui se d6gagent de cette etude, il en est une particuli6-
rement frappante : c'est la place qu'occupent en France les organismes
publics ou semi-publics de credit, tels que la Caisse des d6p6ts et consi-
gnations, les caisses de credit agricole, les banques populaires, etc. Au
total les engagements a vue de ces organismes d6passent ceux des ban-
ques purement privies.,La nationalisation du credit est done chez nous
fort avanc6e.
La derniere parties de l'ouvrage est consacree h l'organisation des
banques et du march financier en Angleterre, aux Etats-Unis et en
Allemagne, et A la:'Banque des RBglements Internationaux. Elle est,
elle ausi, riche d'enseignements, par la confrontation qu'elle opere des
methodes.et des systemes, des politiques et de leurs resultats.
Au total, par F'ampleur des questions traitees, par la richesse de
la documentation, comme par la clart6 de sa presentation et la rigueur
scientifique de ses deyeloppements, l'ouvrage de MM. Petit et de Veyrac,
s'il n'apporte pas des vues trbs originales ou des theories nouvelles,
demeurera un trait essential des probl6mes bancaires.
Le livre de M. Cluseau, beaucoup plus limit dans son objet, pr6sente
cependant un particulier int6ert, du fait qu'il traite de l'aspect le plus
actuel des questions bancaires : la riglementation des banques. II content
d'abord une description, tres precise des legislation intervenues en la
matibre en Suisse, en Belgique, en Allemagne, aux Etats-Unis et en
Italie. Puis il d6gage du.rapprochement de ces 16gislations un ensemble
de conclusions g6nbrales. L'exp6rience montre que la r6glementation
de la banque peut ktre, concue de deux manieres diff6rentes : elle
peut tendre simplement a une protection des d6posants, par des measures
assurant tant la sepurit6 que la liquidity des actifs, et M. Cluseau analyse
300 SCIENCES POLITIQUES
les diff6rents proc6d6s employes pour atteindre ce r6sultat; mais les
16gislations recentes, toutes n6es de la crise, ont eu aussi et surtout pour
but de parer non a des d6faillances individuelles mais a une situation
g6nerale, i un ph6nomene exc6dant le cas particulier de tel ou tel 6ta-
blissement de credit : c'est pourquoi elles ont marque un effort de l'Etat
pour assurer, par delh la protection des 6pargnants, un contr6le du
credit, pour d6finir et appliquer une politique du credit. Politique du
credit, qui pose tout le probleme des rapports entire le credit et les
fluctuations economiques, qui pose aussi le probl6me g6n6ral de 'in-
tervention de l'Etat dans le domaine 6conomique, du choix entire unalib6-
ralisme police et l'6tatisation de l'6conomie. M. Cluseau ne pretend
pas imposer une solution, qui est n6cessairemment liee a l1'volution et
aux tendances propres de chaque regime politique; montrant les avan-
tages et les inconv6nients de chaque mnthode, il fournit cependant les
6elments d'un choix. N'est-ce pas 1 le r61e meme de 1'economiste,
lorsqu'il fait de la science et non de la politique?
M. Roger Nathan, dans son livre sur le rdle international des grands
marches financiers, rassemble le texte de cinq lemons qu'il a professees
en 1937 I l'Institut universitaire des Hautes Etudes Internationales
de Geneve. Si les dimensions de ce volume sont reduites, la matiere en
est dense, et c'est une veritable synth6se des problemes financiers inter-
nationaux qu'apporte M. Roger Nathan. Un marched financier est, nous
dit-il, un ensemble d'institutions grace auxquelles prtteurs et emprun-
teurs trouvent les uns des fonds, les autres des emplois i leurs fonds
disponibles. Lorsque au centre oil se trouvent rassemblees ces institu-
tions, h ce march, viennent des emprunteurs et des prAteurs de plu-
sieurs pays, le march devient international. Sur le plan international
comme sur le plan national, tout march financier comporte en
r6alite deux compartments qui, malgr6 leurs liens 6troits, doivent
etre distingu6s : le march mon6taire ou marched de credit 4 tres court
terme, et le marched des capitaux h long terme, le march des place-
ments, des investissements. M. Roger Nathan 6tudie, dans ce cadre,
l'organisation et le r6le des principaux marches financiers internatio-
naux : du march de Londres d'abord et surtout, qui a tenu presque
constamment une place pr6pond6rante h la fois comme march mon6-
taire et comme marched des capitaux, en raison de la richesse de 1'An-
gleterre, de sa puissance, et aussi de la technique particulierement
achev6e du personnel des banquiers, des (( brokers ) et des (( merchants
bankers ); du marched des capitaux de Paris, don't I'orientation parait
avoir toujours plus ou moins Wt6 domin6e par des considerations politi-
ques; du march de New-York, qui prend brusquement et sans pr6pa-
ration un rBle international en 1914, et don't l'organisation et les
m6thodes, insuffisamment miries, contribueront au krach de 1929.
Les derniires ann6es sont caracterisees par un ralentissement con-
COMPTES REND US CRITIQUES 301
sid6rable de l'activit6 international des marches financiers : le marched
mon6taire de Londres, s'il a gard6 un role international, est de plus en
plus envahi par le ( paper ) britannique; le march des capitaux h long
terme de Londres est presque exclusivement imperial; le marched de
Paris est reduit h ne jouer qu'un role n6gligeable; celui de New-York
se consacre au financement de la vie economique des Etats-Unis. Les
causes en sont multiples : elles tiennent a ce que les industries de cr6a-
tion recente travaillent surtout pour le march int6rieur, et aussi, en
raison de I'6volution rapide des gouts et des techniques, sont obliges
d'amortir les capitaux qui leur sont confi6s dans un d6lai tres court;
elles tiennent h l'instabilit6 mon6taire, et plus encore au fait que la
monnaie se trouve de plus en plus place au service de la politique;
elles tiennent enfin eL surtout au nationalism economique, qui est une
des caracteristiques essentielles de notre 6poque, au d6clin de la croyance
en 1'existence de fait d'une communaut6 humaine, d'oi naissait la
s6curit6 qui est I'Ame meme des transactions internationales. Et ainsi
M. Roger Nathan, a travers l'6tude des marches financiers, est amene
A poser le probl6me mime de 1'volution des relations internationales,
voire de l'evolution de 1'humanit6.
PIERRE LAROQUE.
CLAUDE GALLIMARD. Le Change: evolution et technique. Paris.
Gallimard. 1938. Un vol. in-80 de 247 pages.
En fermant le livre de M. Gallimard, l'on 6prouve l'agr6able certitude
d'avoir enfin p6n6tr6 dans les arcanes d'une question don't la com-
plexit6 devin&e avait, jusqu'alors, rendu 1'6tude impraticable.
Comme c'est simple pourtant : chaque aspect du probl6me, chaque
operation distinct ou life, chaque detail d'ex&cution nous sont si clai-
rement exposes et avec une telle precision, que ce qui pour nous 6tait
myst6rieux nous apparait maintenant comme familiar et guere plus
compliqu6 que le m6canisme du cheque et de l'effet de commerce. II
n'6tait que d'aller au fond de chaque chose et M. Gallimard le fait pour
nous avec une conscience et un souci de la terminologie exacte, auxquels
les technicians en la matiere rendront hommage et don't les profanes
s'empresseront de beneficier.
Selon la tradition la plus classique, l'auteur part du troc des anciens
Ages, puis faith apparaitre la monnaie (( instrument cr66 spontanement
pour faciliter les relations qui n'ont pas manqu6 de s'6tablir entire les
hommes qui d6veloppaient sans cesse leur activity )).
Monnaie, devises, change, et ses modalites, nous voici dans le vif
du sujet.
La premiere parties sera consacr6e a l'tude historique du change,
depuis l'antiquit6 : les peuples d'Orient, la Grace et surtout Rome,
jusqu'aux temps modernes en passant par le moyen age ofi nous trou-
SCIENCES POLITIQ UES
vons les precurseurs : juifs, lombards, templiers, banquiers italiens.
Enfin, les perfectionnements successifs de la technique du change sus-
citent cet instrument sp6cifique de l'6conomie capitalist : le changeur
qui a ced6 la place au banquier.
M. Gallimard,. qui connait son sujet comme seul peut le faire un
praticien longuement 6prouv6, d6crit alors et analyse dans sa second
parties la technique meme des operations de change. Operations de change
au comptant; operations, plus complexes, de change a terme; operations
d'arbitrage sur devises au comptant et A terme; arbitrage dans l'espace
(( qui consist a profiter des differences de valeurs d'echange que peut
presenter une monnaie h terme 9u au comptant h un mme instant, sur
les diverse places fiiancires du monde s; arbitrage dans le temps
( qui consiste a profiter des differences de valeurs d'4change que peut
presenter une monnaie, a terme ou. au comptant 4 des instants suc-
cessifs ).
Nous avons ainsi fait le tour sans en omettre aucune et en nous
attardant h chacune aussi longtemps qu'il est nicessaire pour en com-
prendre les moindres subtilit6s de toutes les situations que peuvent
faire naitre les relations de change entire pays. M. Gallimard se sert
volontiers des mimes mots, d'une construction grammaticale identique,
pour definir des situations diam6tralement opposes; leur difference
saute ainsi aux yeux precisement dans ce membre de phrase qui rompt
1'Nquilibre et qui, enchass6 de cette fa.on, fixe l'attention et s'imprime
solidement dans la m6moire. C'est lh un proc6d6 p6dagogique classique
mais qui, employ avec cette fr6quence et avec cette science du mot
just, d6mele, en quelque sorte, pour le lecteur, 1'&cheveau des relations
de change internationals.
Une troisieme parties envisage les operations de change au point de
vue juridique, en th6orie quant au caractere g6n6ral des contracts de
change, et en pratique quant h la responsabilit6 qui income aux inter-
midiaires et h I'aspect contentieux de la question.
Nous regrettons qu'abhrdant dans la quatrieme parties 1'6conomie
des operations de change, M. Gallimard n'ait pas cru devoir nous donner
une 6tude du change.tout court, sous l'angle 6conomique, sujet, dit-il,
(( maintes fois traits par de nombreux 6conomistes ) et d'ailleurs (( d'une
complexity sans cesse plus grande avec l'6volution de la structure meme
de 1'Bconomie des diff6rents pays ). C'est justement en raison de cette
complexity que nous aurions voulu que M. Gallimard, apres s'etre attache
a la (notion plus limitee d'opbration de change ), 6levAt le d6bat jusqu'au
probleme g6enral de change et a ses repercussions 6conomiques et sociales
avec I'autorit6 que lui conf6rait sa parfaite connaissance de la technique
cambiste.
L'auteur se borne a analyser la nature et les consequences 6conomiques
de l'operation de change, puis sa permeabilit6 aux influences du regime
mon6taire, sujets fort int6ressants en eux-memes et fort bien 6tudi6s,
COMPETES REND US CRITIQUES 303
mais qui tournent court, nous laissant en haleine, avec une sensation
d'inacheve.
Mais peut-tre M. Gallimard, volontairement didactique d'un bout
A l'autre de son excellent travail, nous r6sumera-t-il une synth6se de
ses thSories et des conclusions pratiques dans un ouvrage a venir don't
il nous reste a souhaiter la tres prochaine publication.
S. TOURNIER.
INSTITUTE SCIENTIFIQUE DE RECHERCHES ECONOMIQUES ET SOCIALES. En-
qukte sur le ch6mage. T. Ier : le Ch6mage en France de 1930 A
1936, par Gabrielle Letellier,JeanPerret, H. E. Zuber, A. Dauphin-
Meunier~ avant-propos de Charles Rist; Paris, Librairie du Recueil
Sirey, un vol. in-80 de'33o pages:
L'Institut scientifiques de recherches dconomiques et sociales, que dirige
le Professeur Rist, commence h publier les resultats de sa premiere
enqukte (( social s, consacr6e au probleme du ch6mage. Cette enquete
a port sur trois centres principaux : Paris et la Seine qui fournissent,
on le salt, la moiti6 de l'effectif total des ch6meurs en France -, Lyon
et Mulhouse. Elle a Wt, confiBe dans chacun des trois d6partements a
des personnalites particulierement qualifies par leurs functions et par
leurs 6tudes : a Paris, Mme Letellier, inspectrice honoraire du tra-
vail; a Lyon, M. Perret, ancient chef de l'Office regional de la main-
d'ceuvre; a Mulhouse, M. Zuber, ing6nieur aux mines domaniales de
potasse.
Ces enqueteurs donnent d6ja un apergu de leurs itudes dans le pre-
mier volume paru, intitul6 Le chdmage en France de 1930 ta 1936; les
renseignements d6taill6s sur les ch6meurs, leurs families et leurs bud-
gets front l'objet de deux autres volumes. II n'y a dans celui-ci qu'une
vue d'ensemble sur 1'Nvolution du ch6mage dans les trois d6partements
int6ress6s (p. 147-202), mais elle permet d6jh des constatations des plus
int6ressantes, notamment au point de vue de la r6partition profession-
nelle des ch6meurs. Dans la Seine, < on voit le ch6mage se ramifiant
comme un cancer d'une industries h l'autre, passant des industries de
luxe aux industries d'objets courants, de la crise de l'habitation aux
industries du bois s et on suit la march inegale du ch6mage dans les
diff6rentes industries; a Mulhouse, on note une veritable (( fuite devant
I'industrie textile ), mal payee, et une grande force d'attraction de
l'industrie du batiment ou du terrassement a raison de l'institution
des travaux publics.
Ces trois 6tudes s'inserent entire deux parties d'ordre plus general :
la premiere, due aux enqueteurs et a MM. Rist et Marjolin, 6tudie la
crise de ch6mage dans son ensemble. Apres avoir montr6 les difficulties
qu'il y a A 6tablir les chiffres de ch6mage rel, les auteurs 6tudient suc-
304 SCIENCES POLITIQUES
cessivement les variations du ch6mage entire 1930 et 1936 (y compris
le ch6mage partiel), la diminution des revenues ouvriers due au ch6mage,
diminution tres in6gale, surtout pendant la periode 1930-36, la r6par-
tition des ch6meurs -par Age, par sexe, par profession, par region, par
nationality. On note ainsi une certain stability du ch6mage f6minin,
relativement moindre que le ch6mage masculin, la proportion assez
forte et sans cesse croissante des vieux ch8meurs, la place pr6pond6rante
des manceuvres et des ouvriers non qualifies, la gravity de la crises dans
les industries du batiment et de la metallurgie, etc...
Enfin, dans une derniere parties, M. Dauphin-Meunier, charge de
course h la Facult6 de Droit de Toulouse, passe en revue les diff6rents
moyens employes pour lutter centre le ch6mage et secourir les ch6meurs :
assurance facultative don't l'importance est minime, assistance grace
aux fonds publics de ch6mage (environ deux milliards de francs de
secours annuels don't I.2oo.ooo.ooo la charge de l'Etat), placement, tra-
vaux publics, reclassement des ch6meurs, conditions et contr6le de
l'admission aux secours, etc.
Ce volume, de tout premier ordre, admirablement documents, con-
tenant de nombreux graphiques et pr6sent6 avec beaucoup de clart6,
sera d6sormais l'ouvrage fundamental pour toute etude de la cruise du
ch6mage en France. Il faut esp6rer que les deux autres volumes annonc6s
ne tarderont pas a venir le compl6ter.
JACQUES CHAPSAL.
ANDRE PIETTRE. La politique du pouvoir d'achat devant les faits.
Experience ambricaine et experience frangaise. Paris, Librairie
de M6dicis, 1938. Un vol. in-80 de 256 pages.
C'est un livre remarquable que vient de publier M. Andr6 Piettre;
remarquable par la rigueur de la methode et l'objectivit6 de la pens6e;
remarquable aussi par l'ampleur des problkmes poses et des conclusions
d6gag6es.
Le titre meme de l'ouvrage en indique exactement le caractere :
M. Piettre laisse delib6erment de c6te les theories multiples par les-
quelles les 6conomistes ont essay d'expliquer la cruise et de lui proposer
des remedes; il prend pour point de depart un fait, la politique suivie
aux Etats-Unis et en France pour letter contre la crise, il en recherche
les r6sultats dans les donnees de l'exp6rience, et il s'efforce ensuite
d'expliquer ces resultats.
A la difference tant des pays dictatoriaux que de la Grande-Bre-
tagne, les Etats-Unis et la France ont cherch6 a lutter centre la cruise
en augmentant le pouvoir d'achat des consommateurs, en d6veloppant
la consommation. A vrai dire la politique suivie dans ces deux pays,
a comport6 des differences. Si les measures de deflation prises d'abord
par le President Roosevelt lors de son arrive au pouvoir sont compa-
COMPTES RENDUS CRITIQUES 305
rables a celles auxquelles s'attacha le gouvernement Laval, elles furent
suivies aux Etats-Unis d'une devaluation mon6taire h laquelle on ne
voulut pas se r6soudre en France au moment ou elle eit 6t6 utile. Les
rMformes Bconomiques et sociales ulttrieures en ont Wte profond6ment
affectees. Mais, en d6pit de cette difference essentielle qui explique dans
une large measure les resultats in6gaux des experiences entreprises, la
politique du pouvoir d'achat pratica6e dans les deux pays a proc6d6
des mimes preoccupations et aussi de m6thodes analogues.
L'on a tendu d'abord a accroitre le pouvoir d'achat individual des
salaries par la hausse des salaires. Cet accroissement a Wte effectif aux
Etats-Unis; il a 6te h peu pres entibrement compens6 en France par
1'6l ovation du coft de la vie. Dans l'un comme dans l'autre pays, les
chiffres montrent de la maniere la plus evidente que I'augmentation
des salaires n'a pas ete une cause de reprise economique : aux Etats-
Unis, il y a eu discordance complete entire les p6riodes de hausse des
salaires et les p6riodes de reprise; en France la reprise qui s'6tait
manifest6e de septembre 1936 h avril 1937 a fait place ensuite a une
depression nouvelle, l'augmentation des salaires a maintenu et aggrave
la crise. Cela ne prouve nullement, M. Piettre le souligne, que la baisse
des salaires entraine la prosp6rit6; cela signifie simplement que la hausse
des salaires, a elle seule, n, rem6die pas a la crise. Et l'explication s'en
trouve en ce que cctte hausse ne peut cr6er du pouvoir d'achat, elle
peut tout au plus modifier la repartition des revenues, et, a cet 6gard
encore, elle s'avere inefficace en p6riode de cruise, car alors, contraire-
ment a ce que l'on dit souvent, les profits diminuent plus que les salaires.
En v6rite la hausse des salaires est non seulement un bien social, mais
aussi un bien economique, a la condition qu'elle soit liee h l'accroissement
de la production. L'augmentation du pouvoir d'achat des salaries
implique que l'on produise davantage a meilleur march, pour les
salaires les plus 6leves possible; elle suppose I'accroissement du rende-
ment. C'est dans la meconnaissance de cette loi que se trouve l'ex-
plication de 1'echec des experiences amnricaine et frangaise.
Et ce qui est vrai de I'augmentation des salaires individuals l'est
aussi de celle du pouvoir d'achat collectif des salaries par la reduction
de la duree du travail sans diminution des salaires. Si la limitation de
la duroe du travail individual peut dans certain cas contribuer a r6sorber
le ch6mage en permettant l'emploi d'un plus grand nombre de travail-
leurs, et avoir ainsi des r6sultats economiquement heureux, cela n'est
vrai que si l'on est en presence d'une measure limitee, adaptee a chaque
entreprise, si par example elle s'applique seulement aux entreprises souf-
frant d'un exces de machinisme. Comme measure g6n6rale et rigide, elle n'a
pu ktre ni aux Etats-Unis ni en France un remade a la crise, ni meme
au chomage. Chez nous, l'introduction de la semaine de quarante heure
a mme eu la consequence particulibrement grave de transformer une
( crise externe de prix ) en une ( crise interne de rendement ), une cruise qui
SCIENCES POLITIQUES. 20
306 SCIENCES POLITIQUES
tenait a la chert6 excessive de nos prix par rapport aux prix de l'6tran-
ger, en une cruise ayant sa source dans l'insuffisance de la production.
I1 est done 16gitime, si douloureux et difficile que cela puisse etre, de
revenir sur les measures ainsi prises; il faudrait en meme temps proc6der
A une rationalisation du travail, de la production et des changes.
De ces constatations, M. Piettre ne veut pas tirer de conclusions
imprudentes. L'6chec de la politique du pouvoir d'achat ouvrier, telle
qu'elle a Wte mise en oeuvre, depuis la crise, en France et aux Etats-
Unis, ne saurait impliquer, M. Piettre le souligne, un jugement qui
d6passe ces deux experiences. Non seulement une politique de hauts
salaires doit etre 6conomiquement bienfaisante si elle s'accompagne
d'une augmentation du rendement, mais encore l'on peut dans certain
cas attendre d'heureux r6sultats d'une politique d'accroissement du
pouvoir d'achat national, du pouvoir d'achat de la nation tout entire.
M. Piettre constate ainsi que la ( revalorisation du pouvoir d'achat
agricole a contribu6 aux Etats-Unis au redressement de l'ensemble de
1'6conomie, parce que, semble-t-il, cette revalorisation n'a fait que r6ta-
blir un 6quilibre entire prix agricoles et prix industries qui avait Wte
rompu au detriment des premiers. D'autre part l'exp6rience parait
6galement montrer qu'une politique de travaux publics peut avoir des
repercussions favorables sur la conjoncture 6conomique, si les travaux
entrepris sont productifs. Sur ces derniers points cependant les expli-
cations de M. Piettre, un peu succinctes, n'ont pas la meme vigueur
que le rest du livre.
Au total celui-ci n'en demeure pas moins un ouvrage excellent qui
force l'adh6sion et emporte la conviction par la rigoureuse objectivity
des constatations et du raisonnement, excluant toute polemique, par
l'impartialit6 absolue de l'auteur qui affirme et manifeste son souci
du progres social mais en s'efforgant de mettre la science economique au
service de ce progrbs.
PIERRE LAROQUE.
JEAN GIRONE. Quinze hommes dans une lie. Paris, Denoel,
1938. Un vol. in-16 de 208 pp.
Empruntant sa forme A la fois aux paraboles et aux dialogues socra-
tiques, la premiere parties du volume de M. Jean Girone est une d6mons-
tration economique saisissante et pleine de saveur. Un original, propri6-
taire d'une ile fertile, au doux climate, voulant un jour prouver que le
system capitalist pourrait fonctionner meme en circuit fermB, s'em-
barque pour son ile avec quatorze compagnons: un ing6nieur, qui repr6-
sentera le patronat industrial, un contremaltre et dix ouvriers des divers
corps de m6tiers, qui correspondront au proletariat, enfin un can-
tonnier et un infirmier, qui incarneront les (( services publics s;
le propriftaire de I'le, fournissant l'outillage ct le capital initial en or,
COMPTES RENDUS CRITIQUES 307
repr6sentera le (( capitalist ,. L'auteur nous declare que tous ses hommes
sont honnates, travailleurs, de bonne foi et ajoute plaisamment que,
S( si l'absence de femmes retire h la mise en scene une part de vraisem-
blance, elle permet par centre de consid6rer les personnages comme
des hommes raisonnables n.
Ces quinze hommes vont decouvrir et devoir r6soudre successive-
ment. chacun des problems classiques de l'economie politique : en
premier lieu le probl6me do la production et de la consommation,
d'abord en economic formre, puis, a measure que l'accumulation des
stocks invendus necessite de nouveaux d6bouch6s, avec un volant
d'exportation, grace au yacht du capitalist. D'autres problemes nais-
sent bient6t : celui de la r6partition des products du travail entire le
d6tenteur du capital, les producteurs eux-memes (dirigeants et ouvriers)
et les ( fonctionnaires ); celui de l'investissement des valeurs d'6pargne;
celui du credit, puisque le capitalist faith circuler des billets gags a
l'origine par son stock d'or, etc. Tous les chapilres qui traitent ces ques-
tions sont cxtremement attrayants. Les id6es sont si claires et l'expres-
sion si heureuse que le <( grand public ) lui-meme, r6fractaire pourtant
h l'economie politique, trouvera dans ces pages non seulement son pro-
fit, mais son plaisir.
Apres les r6cits concrets du d6but, la deuxieme parties apparait plus
abstraite et moins original. Mais les cinquante dernibres pages, ou
M. Jean Girone expose ses vues personnelles de r6forme, sont riches
d'id6es profondes et de formules justes : ses r6flexions I'ont conduit a
preconiser l'int6gration dans I'Etat du capitalism et de la proprietW,
( function social >. Peut-etre se fera-t-il, comme il le pr6voit lui-meme,
des ennemis du c6te des conservateurs et du c6t6 des marxistes : mais
personnel ne contestera que M. Girone a beaucoup de talent.
JACQUES CHASSERON.
CHRISTIAN SCHEFER. La grande pens6e de Napoleon III, les ori-
gines de 1'exp6dition du Mexique (1858-1862). Paris, Riviere
1939; un vol. in-80 de 275 pages.
M. Christian Schefer 6tait predestine pour ftre l'historien de Napo-
leon III. Et voici cependant le premier volume qu'il lui consacre. Il
est vrai qu'h l'Ecole des Sciences Politiques il se reserve depuis bien
des ann6es de nombreuses lemons pour 6voquer la politique exterieure
du second Empereur des Francais et il le fait avec cet humour charmant
et cette douce indulgence qu'on retrouve dans toutes ses oeuvres.
Or il y a-t-il en France une politique qui ait plus besoin de critiques
indulgents :
( L'Empereur, citoyen du pays d'Utopie s s'est laiss6 s6duire en x858
par Jose Maria Gutierrez de Estrada, (( v6nBrable personnage, atten-
308 SCIENCES POLITIQUES
drissant et pittoresque )) et Jose Manuel Hidalgo y Esnaurrizar qui,
tous deux Mexicains, I'ont convaincu qu'il avait une grande oeuvre
h accomplir au Mexique, ofi r6gnait, depuis la proclamation de l'ind6-
pendance, la plus complete anarchic.
Napoleon III, qui avait toujours souhait6 associer 1'Espagne a sa
politique, qui avait tent cette association lors de la Guerre de Crimbe
et l'avait r6ussie pour quelques semaines en Indo-Chine, etait persuade,
avec raison, que nul terrain d'association n'6tait meilleur qu'une ancienne
possession espagnole.
Or cette association ne fut, on le sait, qu'eph6emre.
Par ailleurs, Napoleon III qui, depuis dix ans, combattait I'Autriche,
par sa diplomatic, puis par ses armes, veut maintenant consoler les
Habsbourg de leurs d6faites, et pour cela jette les yeux sur le frere de
Francois-Joseph, l'archiduc Maximilien, pour cette oeuvre de r6g6ne-
ration mexicaine qui lui tient a cceur. II est trbs r6solu i n'entreprendre
pour cela aucune expedition militaire, ses conseillers mexicains lui ayant
affirm que les monarchistes du pays auraient vite raison de Juarez et
de ses partisans sit6t qu'ils seraient encourages par l'arriv6e d'une flotte
europ6enne a Vera Cruz.
On sait ce qui advint : ( Des que Napoleon entire en scene, l'evidence
n'est plus n6cessairement la v6rit6e 6crit finement M. Schefer; (( il
pense lentement)); ses id6es se contredisent volontiers, ce qui explique
que (( la precision ne soit jamais chez Napol6on III qu'un accident ).
Ici, comme en plusieurs autres circonstances graves, l'Empereur
se trouve entrain6 h une politique tres diff6rente de celle qu'il avait
primitivement ( rev6e . ( La grande pens6e du rggne ), c'est la r6g6n6-
ration du Mexique par un monarque liberal, sans que la France soit
melee a cette ceuvre autrement que par une sorte de protection morale.
II en advint tout autrement.
(( La chimere du plan imperial ) elle 6mane peut-htre moins de Napo-
leon III que de Michel Chevalier par example; mais c'est Napol6on III
qui, une fois l'erreur initial reconnue, pers6evre dans une voie qu'il
n'avait pas voulu prendre : ( une repugnance quasi maladive a ne jamais
contrister personnel, une indolence qui empkchait de jamais rien appro-
fondir, un entetement infatu6 qui se conciliait avec une sorte d'aboulie
toutes ces faiblesses 6taient les traits fonciers de 1'Empereur .
C'est sur une anecdote symbolique que l'historien termine son livre
si captivant.
Modestement, l'empereur faisait remarquer h I'ambassadrice d'Au-
triche que les surtouts de table des Tuileries, comes les couverts
6taient en ( simple ruolz , car il avait recul6, lors de son avenement
devant le prix d'une argenterie veritable. < Vu du dehors le gouvernement
imperial pouvait donner l'impression d'une autorit6 forte, guide par
une volont6 toujours ferme et r6flechie. MWme la seule affaire du Mexique
suffit h montrer que ce n'6tait l1 qu'un mirage. La force du regime et
COMPTES RENDUS CRITIQUES 309
I'autorite de l'empereur 6taient simples apparences, tout comme aux
Tuileries fourchettes et cuill6res n'avaient que l'apparence de l'argent ".
PIERRE RAIN.
Lettres du duc de Richelieu au Marquis d'Osmond (i8r6-i818)
publiees par S. CHARLETY. Paris, Gallimard 1939, un vol. in-80
de 2/to pages.
La famille du due de Richelieu ayant faith don h l'Universit6 de Paris
des archives de l'ancien ministry de Louis XVIII, le recteur honoraire
de l'Universit6, M. Charlety qui, prec6demment nous avait donn6
une edition du captivant < journal de la marquise de Montcalm ),
public aujourd'hui les lettres du President du Conseil, ministry des
Affaires ktrangbres, son ambassadeur h Londres, le Marquis d'Osmond.
Dans une preface extr~mement precise, M. Charlety dresse le por-
trait du chef du gouvernement royal, ( honnete, devou6 au bien public,
d6nu6 d'ambition personnelle, douloureusemert surprise de d6couvrir
chez ses collogues et dans le Parlement des opinions, des passions qui
sont d'autre sorte >.
Richelieu n'est aucunement pr6par6 au regime parlementaire;
il n'est ni orateur, ni homme de couloir, et la correspondence qu'il
change avec son ami d'Osmond achieve de le montrer amer et d6courag6;
maintes fois il announce sa d6mission que son entourage retient; il
donne aussi sur la vie politique des apergus curieux; on le voit preoc-
cup6 de la conduite du due d'Orl6ans don't I'attitude franchement
lib6rale est en opposition avec celle de Monsieur et est une cause de
difficult pour le ministry, h tel point que celui-ci pr6f6re voir le cousin
du roi, en certaines circonstances, rester en Angleterre plut6t que
revenir au Palais Royal. On voit aussi Richelieu prboccup6 de ce qui
se passe i Sainte-HWlene : la crainte d'un retour de l'ex-empereur, si
extraordinaire qu'elle paraisse aujourd'hui, le hante h plusieurs reprises;
il accuse presque l'Angleterre de ne pas assez 6troitement surveiller
son prisonnier!
L'agitation des milieux politiques lui fait craindre souvent de
nouvelles catastrophes, qu'il ne se croit pas de force a conjurer; il plaint
(( cette pauvre France que la folie de ses enfants rend plus malade que
tous ses ennemis r6unis ). Trois ans aprbs la restauration, alors que
le came devrait ktre r6tabli, que l'Europe attend d'etre pleinement
rassur6e pour 6vacuer le territoire, il constate avec peine un renouveau
d'agitations : < quelle violence de passions, quel tr6sor de haine! Quelle
inextinguible soif de vengeance! croyez-vous qu'il ne faisait pas mille
fois meilleur sur les bords de la Mer Noire! (On salt que pendant 1'6mi-
gration Richelieu etait gouverneur d'Odessa.)
Son indignation est au comble quand il apprend que des royalis es,
310 SCIENCES POLITIQUES
trop pen confiants en la solidity du tr6ne, intriguent auprbs des allies
pour retarder le depart de leurs troupes : < je ferais livrer a la justice
et tomber, si je le pouvais, la tkte des homes qui se permettent des
manoeuvres aussi criminelles >. Aussi, quand h l'automne de 1818 il
a obtenu la liberation du territoire, saisit-il le premier pr6texte pour
abandonner le pouvoir.
Remercions M. Charlety de nous avoir permis par la publication de
cette correspondence si soigneusement annot~e, de complete le portrait
d'une des plus belles figures du monde politique de la monarchies res-
tauree.
PIERRE RAIN.
Politique ext6rieure de 1'Allemagne (1870-1914). Documents offi-
ciels publi6s par le ministere allemand des Affaires 6trangBres. Tra-
duction frangaise. Tomes XXX, XXXI. Paris, A. Costes, 1938-39,
deux volumes grand in-80.
La traduction des documents allemands se pursuit parallelement
a la publication des documents frangais a un rythme qui n'est pas
beaucoup plus rapide. (Les quarante volumes allemands ont au contraire
paru de 1922 h 1927.) Cette oeuvre essentielle a la connaissance appro-
fondie de I'histoire diplomatique d'avant-guerre continue a etre trait~e
avec une grande conscience par les traducteurs et les editeurs : la
SociWt6 de l'histoire de la guerre, sous les auspices de qui est faite la
publication, doit en etre, encore une fois, gralidement felicitee.
On salt que les editeurs ont r6tabli l'ordre chronologique, alors que
la publication allemande est congue sur un plan m6thodique discutable.
Les derniers volumes publi6s sont relatifs h des 6v6nements que la
publication des documents frangais n'a pas encore abord6s; ils remplis-
sent 1'ann6e 1907: Jules Cambon vient d'etre appel6 i I'ambassade de
Berlin, quoique Guillaume II I'ait vu arriver avec inquietude ((( notre
plus grand ennemi apres son frere )). La mise en oeuvre de l'acte d'Al-
gesiras ne se faith pas sans difficult; on voit cependant d6jh poindre en
Allemagne l'id6e d'une collaboration Bconomique avec la France sur
le terrain marocain, quoique les incidents de Casablanca du mois d'aofit
aient Wt6 repr6sent6s par les agents locaux comme une catastrophe pour
I'Allemagne (Casablanca, ville de << 3o.ooo ames, orgueil du commerce
allemand au Maroc ) (p. 355).
La question du chemin de fer de Bagdad soulbve 6galement des
preoccupations plus 6conomiques que politiques. Par contre, celle de la
conference de La Haye provoquee par Nicolas II touche a un des plus
graves problemes : celui du d6sarmement : la correspondence de Berlin
est a ce sujet fort curieuse a lire et a mediter;elle peut servir de legon.
Tandis que les rapports austro-russes se tendent par suite de la
politique plus active du baron d'Aerenthal, les relations anglo-russes
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