~vis; des; 1kditcuir~iy.
Les soussignes, en livrant.an public l'ouvrage : De ]a Rehabilitation
de la Race noire par la Republique d'Haiti, n'ont fait que se coifor-
mer A la volont6 de l'auteur, Monsieur HANNIBAL PRICE qui, ava-t
sa mort, avait express6ment &mis le voeu que son livre soit public
le plus t6t possible. MalheureusemLnt les moyens p&cuniaires
n6cessaires A cela', avaient toujours mianqu&, Moi sieur HANNIBAL
PRICE, comme tout le monde le sait, etant mort apres avoir servi
honnetement. sa Patrie pendant plus de 25 ans, ne aissanit a sa fa-
mille pour tout heritage qu'une reputation intacte et un nom ho-
nor& de tous. Les soussign6s attendaient donc que ameliorationon
de la situation financiere du pays leur permit de solliciter, avec
quelque chance de succes, du Corps LUgislatif, la v.wlur nkces aire
a la publication de cet -ouvrage d'intret national. Mais -aucppe
amelioration ne se pr6sentant depuis plusieurs annees. ils ont cru
devoir s'adresser directement au public, qui par des souscriptions,
il est vrai insuffisantes..ont permis pourtant de mettre l'ouvrage
sous: press. A ce propos, les soussign6s ne sauraieint trop ri-
mercier Son Excellence le Pr6sident T. A. S. SAM, M-ssieurs les.
Secretaires d'Etat et -toutes les autres personnel tant de Port-au-
Prince que,des autres. villes. de la R6publique qui ont bien voulu
se faire iv-rire sur les Hstes de souscription, aussi bien que les amis
qui.se son,tcharg6s..si.giacieusement de fair circuler ces listes.
C'est durant. son sejour aux Etats-Unis d'Am6rique en quality
d'Envoyd Extraordinaire' et Ministre Plnipotentiaire d'Haid, pros
le Gouvernement de cette.R6publiqueque Monsieur.HANNIBAL PRICE
6crivit son liire;,et:quand.il sentit.les premieres atteintes du. rmal
qui deviait 1.'emporter.si rapidement,. au lieu de se reposer, il re-
-doubla d'ardeur alu travail, &crivant jusqu'A des heures avain es
de. la nuit, souvent jusqu'ati matin, malgre les conseils de son nm'-
decin et les exhortatiers de si. famille, -dans la crainte 'de hourir,
disait-il, avant d'avoir achev6 son ouvrage; tant il y attachait !
d'importance et pensait fire du.bien a son pays en le publiant. 4-
S1'ouvrage a &t6 6crit avec une certain pr6cipitation'vers la fin; "
^ 'ft-.
AVIS DES EDITEURS
il se pourrait donc qu'il pr6sentat quelques irr6gularites quant A la
forme; car Monsieur PRICE, malheureusement, n'a pas eu le temps
de r--voir et de parfaire son oeuvre, la mort l'ayant surprise, le
I" janvier 1893 A Brooklyn 6crivant encore les dernieres pages
resties inachev6es.
Cette declaration a son importance, car les soussign6s n'ont cru
devoir apporter aucun changement au texte pour ne pas etre sus-
pect6s d'avoir voulu pallier ou changer, de quelque facon que ce
soit, la pensde de l'auteur. Ils ont di aussi mettre en appendice
un chapitre inachev6 qu'ils n'ont pu placer autre part dans le livre;
mnme le classement de certain chapitres n'a pu etre fait par Mon-
sieur PRICE; et les soussign6s, s'inspirant de la lecture des chapitres
d6ji ciass6s,ont faitde leur mieux pour placer les derniers manuscrits
retrouv6s.
La corre-tion des 6preuves a 6t6 l'objet de soins m6ticuleux de
la part de Monsieur CHARLES M. DUPUY A qui revient aussi l'hon-
neur "ivoir traduit les passages et citations en langue anglaise
figurant d.ank I'ouvrage. Quoique Monsieui':DupuY ait tenu-- en
inage d.- sa sincere amiti6 et de sa vive ad.mirationi.pour
MN- MiiIcur PFciE A travailler A la publication du livre, les sous-,
sign6s n6anmoins ont pour devoir de lui adresser publiquement
1 expression de leur fratcrnelle gratitude pour toutes les peines 'qu'il
s'est donnecs pendant les mois qu'a dure l'impression de l'ouvrage.
Le public appr6ciera le r6sultat des grands efforts de l'Imprimerie
de Monsieur VERROLLOT pour arriver a produire 'avec tout le soin
et tout [art d6sirables, un travail typographique de Fimportance
de celui-ci; les soussign6s remercient particuli'rement Monsieur'
VERROLLOT du d6vouement constant qu'il a mis pour imener le
travail A bonne fin.
D'un autre c6t&, les soussign6s croient devoir annoncer au public,
que Monsieur PRICE a laiss6 d'autres'manuscrits inedits qu'ils esperent
publier, des que cela sera possible, avec le concours;de leurs c mpa-,
triotes. -
H. Price, Thomas Price,
Avocat.
Ingenieur.
DE LA
REHABILITATION
DE LA
RACE NOIRE
PAR
LA REPUBLIQUE D'HAITI
PAR
Hannibal PRICE
Ancien Chef de Division an Ministere du Commerce
Ancien Doyen du Tribunal de Commerce du Cap-Haitien
Ancien Conseiller du Gouvernement Provisoire de 1875, charge de la
Direction des Departements des Finances, du Commerce
et des Relations Exterieures
President de la Chambre des Representants a la 16e. Legislature
Ancien Envoye Extraordinaire et Ministre P16nipotentiaire
de la Republique d'H'alti pres du Gouvernement des Etats-Unis a A mnerlque
et Delegue a la Conference Internationale americaine en 1 3z-. I
.-i-
Tous droits de traduction et de reproduction reserves.
PORT-AU-PRINCE
Imprimerie J. VERROLLOT, 96, Rue Bonne-Foi, 96.
S1900.
AVANT-PROPOS
En depit des puissants moyens de communication, de
rapprochement, que la conquete de la vapeur et de 1'61ec-
tricit6 met A la disposition des peuples contemporains, Haiti
reste encore peu ou mal connue,dan6 les paysd'outre-mer.
Les personnel qui, dans ces pays, s'interessent au sort de
la Republique Noire, ne connaissent gu6re son histoireetses
moeurs, que par les publications des voyageurs strangers.
Malheureusement ces 6crivains, il faut bien le dire, se sont
toujours montres plus preoccup6s de prendre rang darn la
litterature, de s'attirer de la notorietW, de battre monnaie
enfin, en rendant leurs ouvrages interessants par des recits
a sensation, que de rechercher et d'exposer des v6ritLs
historiques ou ethnologiques. La plupart d'entre eux se
sont crns dispenses de v6rifier les anecdotes qu'ils out
recueillies pour ainsi dire en courant, et se sont fourvoyes
de bonne foi quand ils n'ont pas Wte coupablesd'une exces-
sive lg6rete; d'autres, heureusement moins nombreux,
n'ont pu s'empecher de laisser percer dans leurs 6crits des
preoccupations malveillantes, un parti-prisde d6nigrement,
d'hostilit6 tantht contre le pays tout entier don't ils pre-
tendent se faire les historians, tant6t centre un group,
une section quelconque de la population de ce pays.
Ainsi je trouve aux Etats-Unis des millions d'hommes"
de ma race, luttant Lnergiquement pour s'61ever par leur
intelligence et leur morality A la hauteur de la puissante
civilisation qui les entoure; des 'negres qui se hatent de
prendre rang dans la mndecine, dans la jurisprudence, dans
-tes sciences, les lettres, les arts, dans toutes les plus hautes
branches des connaissances humaines et s'efforcent ainsi
de conquerir le bien-6tre et la dignity. Eh! bien, je vois
chbaque jour venir a moi quelques-uns des plus distingu6s
c.'de ces hommes, en qnute de la v6rit6 sur Haiti, sur cet tat
de honteuse sauvagerie ofi 'on veut leur faire croire que
serait tombee la Republique Noire.
Des ecrivains passionnes semblent avoir presque reussi
a faire naitre le doute dans leurs coeurs A force de leur jeter
le norm d'Haiti a la face come un .iti.,--, a force de leur
repkter a 1'unisson ces phrases de convention:
descend rapidement a I'6tat de tribu africaine > Les
haitiens s'en vont a travers leurs forts vierges, vOtu.s d'un
rayon de soleil, se nourrissant de la chair de leurs 'propres
enfants ) etc.
Je sens done le besoin de prendre la parole pour defen-
dre 'mion pays cruelletient calomnie, pour montrer, pour
prouver aux autres peoples que le l.I.-..,-, qu'on leur a
tenu sur Haiti est'celui de la haineetnon celui de.l'histoire,
bien moins encore de la philanthropic.
J'avais pens6 tout d'abord que, sans rechercher pour les
refuter un A un, tous les fails mensongers, tous les juge-
ments exag6res, errones ou malveillants, don't pullulent
ces ouvrages, il suffirait de les rIfuter en bloc et sans les
nommer, en montrant la Republique haitienne telle qu'elle
est reellement, en la mettant en pleine lumiere, telle que
l'ont faite ses traditions.et ses tendances, sans rienexagerer
de ce qui peut lui. faire honneur, sans rien deguiser de ce
qui peut lui Otre d6favorable. C'est dans ce but que cet
ouvrage a Wte entrepris, c'est dans cet esprit qu'il est 6crit.
Un -ailtien digne de ce titre, le plus beau, le plus nQble,
certes, don't puisse s'enorgueillir quiconque a une goutte
de sang africain dans les veines, un haitien ne saurait
redouter de parler avec franchise d'Hait4 et des affairs
haitiennes, car si son coeur de< patriote saigne parfois
IV
AVANT-PROPOS
AVANT-PROPOS
devanL le spectacle de nos souffrances, de nos malheurs.
il sait du moins qu'ils sont produits par des causes iden-
tiques A celles qui ont eu pour resultat les souffrances et
les malheurs don't les nations les plus puissantes, les plus
civilis6es de notre temps, ont faitladouloureuse experience
A Ieur debut.
Des te'nbres d la lurnire d travers le sang n'est pas la
devise particuliere d'une nation ou d'une race, e'est la loi
universelle, fatale, A laquelle est assujettie 1'humanit6
entiLre. Malheureux le people, malheureuse la race qui
recule devant le flot de sang qu'il faut franchir parfois pour
accomplir ses destinies: qui manque d'6nergie en ce
nmonde doit s'attendre a l'asservissement.
Cependant il a Wti public et rApandu A profusion un
ouvrage qui a present la Republique d'Haiti sous un jour
tellement odieux, que je ne saurais, en parlant de mon
pays, me dispenser d'examiner ce redquisitoire, sous pine
de passer pour n'avoir pas os6 en contredire lesassertions.
Je veux parler du livre de Sir SPENSER St-JOHN intitule:
Haiti ou la Republique noire.
Le lecteur trouivera A la fin du present ouvrage (Note A)
un rapide examen de cette curiense production du diplomat
anglais. Je voudrais border A cela mes commentaires sur
ce livre; mais cela ne m'est malheureusement pas possible.
II n'est en effet, rion d'avantageux pour le caractere de
mes compatriotes que je puisse exposer dans le present
ouvrage et qui n'ait Wte contredit d'avance par quelque
anecdote, par quelque l1gende, par quelque potin, rapport
on fabriqu6 par I'auteur de Hayti or.the black Republic.
J'aurai done a le r6futer dans tout lecours demon travail. J'ose
promeltre A ceux de mes lecteurs qui auront la patience,
la bienveillance ou plut6t l'impartialit6 de me suivre jus-.
qu'au bout, je leur promets qu'il ne sera procede A
cette refutation rnpar un wholesale denial (un d6ni en bloc)'
meme des assertions bashes sur un fond de v6rit ni par
VI AVANT-PROPOS
des injures, lI of l]a contradiction exige des arguments ou
des preuves.
Avant d'aller plus loin, je sens moi aussi, le besoin de
faire quelques declarations pr6alables, quelques reserves
personnelles, en vue des prejug6s que l'on pourrait m'inm-
puter A moi-meme. Le nomquejeporteest un nom angfais,
mais il est bien A moi: il a 6t6 donn6 par un honorable
soldat de la marine britannique a un honorable fonction-
naire haitien qui me I'a transmis.
J'honore et respect ce nom, autant quej'honore, respect
et v6nere -famamoiredel'honn6tehoinme dequiil me vient.
Je ne suis done pas atteint par l'imputation de ceux qui
disent: le muldlre hait son pore. Je pourrais peut-ktre hair
profond6ment tout ap6tre de l'eselavage, tout ennemi de
ma race, quiconque enfin se montre hant6 du desir de
maintenir moi, mes enfants, mes compatriotes, mes con-
generes de toute couleur, de tout pays, dans un 6tat perpetuel
d'abaissement. Ma haine en ce cas serait personnelle A
l'insulteur et ne commeneerait qu'avec 1'oflense. Je n'ai
pas de pr6jug6 contre la rache blanche; je ne hais pas le
blanc. Ce serait de ma part une sorte d'ingratitude envers
des homes don't le nom m'est sacr6: ingralitude envers
mon grand-perequi n'apas renie come d'autres,son sang
coulant dans mes veines: ingratitude envers des homes
de coeur qui, dans mon pays et A l'i'tranger, ont remarque,
soutenu, encourage .nes efforts, quand j'ktais jeune et
"'commencnais la grande lutte pour la vie; et plus tard quand
l'exil et la ruine vinrent m'imposer leurs douloureuses
Apreuves, qui in'ont g6nereusementaidW, soutenu dans ma
carriere, sants s'enquerir de la coeuleur de ma peau. Ce.
serait enlin ingratitude envers WILBERFOICE, GRIGOIRE,
SUMNER, JOHN BROWN, toule celle phalange de grands
coeurs qui ont donned leurs labeurs de tous les instants et
jusqu'a leur sang, pour obterir justice, en faveur de la
race noire.
-7
DE L'IDENTITE DE L'HOMME
DANS
i 4 DIVERSITY DES RACES.
I
)e 1'identitO de l'homme dans la diversity des races.
Introduction
Dans un ouvrage ofu l'on traite de I'hommne, des races
huinaines et de leur identity, l'6crivain doit a ses lecteurs,
il se doit a lui-mOme, de fair la preuve de la sincerity des
conclusions auxquelles il parvientetqu'il presenteaupublic
coimne l'expression de ce qu'il croit vrai.
Que ces conclusions soient jug6es correctes ou non par
les maitres de la science, a la double luminre d'une raison
plus forte et d'une justice plus pure, elles ne seront peut-
Otre pas perdues pour I'humanite, si, A caused leurevidenle
sincerity, elles exigent une rifulation base surdenouvelles
.investigations egalement sinceres-dans le vaste champ de
la grande question de l'homme, car en ce cas, il peut en
sortir un pas de plus vers la solution finale.
C'est -en vue de mettre le lecteur en measure d'apprcier
la sincerity de ces conclusions que l'auteur demand la
permission de dire ici, une fois pour touted, ce qu'il croit
necessaire que l'on sache, non de sa personnel, mais de
F'ktat de son Ame, de la tournure de son esprit.
Dans ces questions oft souvent la dispute s'acharne sur
de simples inots, en rel6guant plus ou moinscomplhtement
dans l'omnbre, les faits a Mlucider, un tel expos nest pas
non plus sans quelque utility pratique pour le lecteur.
C'est une sorte de fil conducleurqui lui permetde retrouver
la pensde de 1'auteur, quiempeche son jugemen(ides'egarer,
surtout dans un ouvrage de nullevaleur litteraire, semblable
PREMIERE PARTIES
INTRODUCTION
i une sorte de labyrinthe oft I'on revient souvent sur ses
pas et oft abondent les points obscurs.
Je n'ai certes point la prktention d'offrir au public une
th6orie, un syst6me philosophique nouveau. Depuis la plus
haute antiquity, la pensee humaine n'a cess6 de se cher-
cher, de s'expliquer A elle-meme son 6tre etsaraison d'etre.
Dans cette recherche, de nombreuses theories ont L6t tour-
a-tour avanc6es puis abandonn6es en tout ou en parties.
Les systemes fondes sur ces diff6rentes theories ont subi
]e meme sort.
Le syst6me est la consequence de la tendance de 1'esprit
a g6n6raliser ses sensations et ses impressions. L'id6e
fondamentale d'une th6orie peut Otre just, bien que la
thdorie soit fausse. On ne s'en apergoit qu'en 6chafaudant
un systeme sur cette th6orie. L'idee fondamentale peut
etre fausse elle-mame. On ne s'en apercoit de meme que
par les incoh6rences du syst[me 6lev6 conform6ment a la
theorie base sur cette idWe.
Dans ce conflict des theories et des syst6mes, il me parait
inevitable que chaque etre pensant se fasse, sinon un
syst6me individual, mais une sorte d'idiosyncrasie, une
synth6se de ses impressions diverse. soit qu'elles resultent
de ses observation's directed, soit qu'elles proviennent des
suggestions du dehors.
J'arrive ainsi A conelure que la pensee dans chaque etre
human est inde'pendante, et qu'elle est en meme temps
sollicitee, par une tendance naturelle A association avec
la pensee de ses semblables, mais n'entrainantpoint noces-
sairement une subordination absolute.
S'il en 6tait autrement, le progr6s efit kt6-absalument
impossible, a moins que 1'esprit human, libre de toute
possibility d'erreur, ne pfit jamais sortir de la verite. En ce
cas, le progres serait pour I'homme le passage successif et
regulier, d'une premiere v6til, 6galemernt en possession
de tous les homes, don't chacun en relevant la vie trou-
verait la notion dans son esprit, et don't nous partirions
tous pour parvenir graduellement A des verites de plus en
plus vastes, de plus en plus Mlevees. En ce cas encore, ce
INTRO(.D ACTION
qupe nous appelons le Genie, serait, I'ii,.:. des hotnpmes
predestin6s, auxquels serait dtvolu le privi:.'-.-, de porter
ie flai,beau, d'elairer les gradios supi rieurs. EtI'humanite
no'aurait plus qu'a marcher docile, a la suite du genie, sans
popvoir jamais s',;-..t.
II n'en est malhelureusement pasainsi: l>ONAPARTE,Ie gOie
de la premiere RepublitpeFrancaise, a ktrangle la R6publi-
que en France WASHINGTON, le genie de la liberal dans le
N0ouveau-Monde, a ele propriktaired,'esclaves. Si BONAPARTE
ne s'etait pas pose une couroiine sur la 10le, il esI probable
q.ue la preinire. R[epublique Frangaise se serait consolidee,
et qu'il n'y aurait jamais en en France ni NAPOLRON Ill,
ni 2 DEcembre, ni Sedan. Si WASHINGTON, apres l'inld-
pendance de I'Amnerijque du 'Noi:d, avait fail ce. qu'a tail
BOLIVAR apres I'independaiice de I'Am nriquie du Stud; s'll
avai;t seulement proleste contre l'i--I;:\._. el qu'il en euti
deianda I'abolilion de son vivanit il est permits de croilre
que le prestige de son nom, I'autorite de ses iuiiieises
services a son pays, Ie respect de sa meluoire, s'associant
Ala question de 1-, ,'\..,,., la solution serai! venue i ,p -
dement, paisiblemenl, come elle est venue au Venezuela,
et'qu'il n'aurait pas Wle necessaire, moins d'un siecle aprbs
son independence, que le people amiricaiin se groupat
autour de LINCOLN, pour reformer 1'Union An ericaine dans
la plus epouvantable guerre civil qu'ait eu a enregistrer-
l'histoire du genre huinain.
Le genie lui-mniOe petit done errer. L'erreur est dans la
nature de 1lhorn me, parce qu'il part de lignorance er cherche
la v6rite en latonnant dans les t[nebres. H! porte en lui le
flambeau. mais quand il arrive a la vie, ce flambeau n'est
pas allui)n, t[moin les enfanis. Combien de temps pent
durer 1'enfapce'? Nul ne saurait le dire. On a observe de
tout lemps dans lIs sociktes en progres, I'6tonnement
inspire aux vieillards, a la gnerJalion qui s'en va, par le
jirecoce d6veloppenenit, en bien commune en mal, desfacul.tt6 s
intellectuelles dans Fes entrants, dans la generation qui-
arrive. Qui marche dans la lumniere pent hater le pas.
L'etat sauvage ime parait lui-mOme une prolongation de
INTRODUCTION
l'enfance, de 1'ignorance primitive, pendant toute la dur6e
de la vie et se perp6tuant, generation apres generation,
jusqu'd l'accident qui fera jaillir une premiere ktincelle.
Encore faut-il qu'elle ne s'kteigne p9f9 avec le cerveau oft
elle a 6clat6, qu'elle ait produit une lumi6re assez vive
pour 6tre apercue, et pour constituer un foyer oft d'autres
flambeaux s'allument de proche en proche et assurent la
perp6tuit6 de la lumiere.
II faut done allumer son flambeau a.la lumiere du voisin.
La science est trop vaste pour que chacun parvienne a
poss6der toutes les connaissances djit acquises, en cher-
chant seul; association de I'homme A l'homme est neces-
.aire; c'est la loi d'assimilation, c'est la loi du progres.
Mais le flambleau allume, plus n'est besoin de marcher
comme l'aveugle en tenantlesbasques de l'habitd'un guide.
11 peut se tromper et se perdreavecnous, car il est homme:
il est sujet a 1'erreur. II peut encore nous tromper et nous
perdre avec ou sans lui, car il est homme: it est sujet a la
passion. Qui tient un flambeau doit 6clairer sa propre voie
et marcher a ses risques et perils, sous sa responsabilit6.
Pour suivre un guide, pas n'est besoin de lumiire; mais
quand celle du guide s'kteint, c'est la nuit pour tous, car
oft la rallumera-t-on? L'ind6pendance de la pens6e, c'est
la liberty, c'est la responsabilit6; c'est encore la loi du
progr6s, car plus sont nombreux les flambeaux allumns,
plus la voie devient lumineuse et.plus viteet plussuirement
y march l'humanit6. Rien ne me parait plus condamnable
que l'homme qui soutient une opinion simpleinent parce
que MONTESQUIEU avail dit cela. J'admire un grand home,
mais ma pens6e ne peut s'atteler A la pense d'autrui et me
faire emboiter docilement le pas A la suite d'un leader. Ce
que je dis, ce que je fais, je le dis et le fais librement; car
je ne dis que ce que je crois vrai. je ne tais que .ce que je
crois bien.(i) Si je me trompe, je ne iu'ei prends qLu'a la
(I II y a des personnel avec lesquelles la precision du language doit atteindre
et meme d6passer la puerilitL. Pour cette classe de lecteurs, je me hate de
d6clarer que je n'entends rien affirmer de supiirieurauxpossibilitdsdel'humaine
nature dans un home plac6 daris les conditions ordinaires de la lutte pour
INTRODUCTION
faiblesse de mon jugement. Mon ind6pendance d'opihidon
a pour corollaire oblige, un sentiment profound de ma res-
ponsabilit6 envers moi-nm.me. Aussi, des malheurs per-
sonnels qu'ont pu m'attirer mes actes on lines paroles, je
n'ai jamais pens6 un instant qu'rnt autre que moi-mmne
pfit etre responsible. J'ai connu dans ma carri're d6jA
longue et souvent .gi-.,', beaucoup d'hommes qui min'ont
tour-a-tour attire on repousse, que j'ai tour-A-tour appuyes
ou combatlus.
Chacune deces contradictions apparenles a Wte chez moi
le r6sultat d'nn jugement came et r6fl6chi. Autant que cela
d6pende de moi, je march avec qui marche vers ce que
je crois le bien; quand mes compagnons changent de di-
rection, aucun effort, memede ma propre volont6, ne sadrait
.m'entrainera lenr suite. Je crois tout6trehumain capable de
bons sentiments; mais la puissance humaine a des bornes
et se henrte A de grands obstacles. C'est ponrquoi je juge
beaucoup moins les hominmes par leurs actions que par le
mobile de ces actions. L'homme riche qui secourt la veuve
ou l'orpbelinefaita mon avis une action digne d'.loge; mais
s'il attend ou accepted que la reconnaissance jette dans ses
bras cette veuve ou cette orpheline, son crime me parait
plus odieux que l'offre brutale di honteux march.
Qu'on ne s'ktonne done point, a l'oev.asion, de trouver
dans ce travail des pens6es, des opinions non orthodoxes,
non conformes ;a ce qu'enseignent les 6coles ou les lives
des autorite's. Je ne suis point un 6rudit et ne me donne
point pour tel; j'ai beaucoup lu cependant; mais j'ai encore
plus medit6. Je n'ai jamais pu 6tudier classiquement. MInme
pour les oeuvres historiques, je ne puis s6parer dans ma
la vie. On me comprendrait mal, par example, si l'on s'imaginait.que je veuille
me donner pour exempt des faiblesses de la chair, des surprises des sens, de
l'erreur on de la passion. Comprendre les lois de la morale et s'efforcer de
s'approcher du vrai, du beau, du just, du bien, cela me parait possible A tous
les hommes: Mais ne jamais pecher, c'est wtre un ange. Chaque home peut
done come ROUSSEAU, offrir A ses semblables des confessions plus ou moins
6coeurantes don't le cynisme rAvolte, sans rien ajouter A la some des connais-
sances positives que peut acquerir chacun sur les faiblesses de la nature
humaine, en faisant 1'e'xamen de sa propre conscience.
INTRODUCTION
pensee le livre et 1'auteur, je cherche toujours celui-ci dans
celui-la et quoique dou6 d'une excellence memoire,j'oublie
rapidement Fun etl'autre quand ils n'ont suparler ni A mon
coeur, ni r ma raison.
Est-ce a dire que mon jugement, quoique l'on en puisse
penser,se soitform6 exclusivement par mes seules r6flexions
ou par une assimilation inconsciente. des idees qui me sont
venues du dehors par la lecture ou la conversation? Non,
assurement. Je contr6le les impressions que je recois, mais
je n'en meconnais l'existence ni aux yeux des autres, ni h
ceux de ma conscience. Je 1'ai dit tant6t, tout homme qui
m'aborde est pour moi un sujet d'etude, et, come le cy-
nique de la Grace antique, j'ai souvent reconnu ( qu'un
philosophy peut recevoir d'un enfant une lecon de modestie ).
Un homme, surtout a exerc6 une grande influence sur
la direction de ma pensee et la formation de mon jugement :
c'6tait un mulAtre de File Maurice, Mr VENANCE BERBEYER
un philosophy double d'un homme de coeur que j'eus le
bonheur de rencontrer dans mon enfance.
Mr BERBEYER avait embrass6 et poursuivi, non sans
succ6s, la carriere de marin. II 6tait devenu capitaine au
lo.. i-g co urs- 1 l at maIlt le I-t.,[ ii e Apres une longue
it de mal1'r,- 'I s. mission wesleyenne
idr. les, 4j % i 1-laiti) comnme insLi-
'-p nml.,.---La ).-, ~~- fise, coliers. [l crut de-
couvrir en moi quelque intelligence et m'accorda une at-
tention toute particuliere, une sollicitude v6ritablement
paternelle. La verit6 est que j'avais l'entendement facile,
une m6moire remarquable et beaucoup d'orgueil. 1Mr BER-
BEYER s'appliqua, non h combattre cet orgueil, mais a
l'Fpurer, a ['empicher de dkgcnerer en vanity puerile, a le
transformer en un sentiment protond de dignity.
II prenait plaisir 'a me pousser et il me fallait peu d'ef-
forts pour devancer ses esperances. Aussi arrivai-je rapi-
dement a l'epuisement de son programme scolaire. En
Decembre 1854, apres un dernier examen, il fut reconnu
que I'on n'avait plus rien A m'enseigner dans I'ecole, je la
quittai pourentrerdans lavie. J'FtaisAge6'de 13 ans A peine.
INTRODUCTION
Le lendemain, j'allai diner avec mon ancien maltre qui
me parla pour [a premiere fois de lui-mime et me raconta
les malheurs de sa vie.
Ces 6panchements du vieillard produisirent une impres-
sion profonde sur I'esprit de I'enfant.
Me parlant ensuite de moi-mmne, it me, dit : ( L'instruc-
tion est une parties essentielle de la dignity.
(< Je vous ai enseign6 tout ce que je sais, mais en r6alit6
( vous ne savez encore rien. II vous reste a savoir surtout
a ce qu'est cette dignity qui seule fait l'homme; elle vent
K que nous sachions mourir pour ce que nous croyons la
(( verit6. Mais encore faut-il quelque degr6 de certitude
e dans notre foi. Cherchez donclaverit6, mon fils, nevous
en 6loignez jamais volontairement. )
C'est avec ces paroles toujours presentes dans mon es-
prit, toujours vibrantes dans mon coeur que je commengai
ma veritable education, par l'observation et la reflexion.
/
XVII
/DE LA REHABILITATION
DE LA
+V RACE NOIRE
PAR LA
REPUBLIQUE D'HAITI
PREMIERE PARTIES
De 1'identitW de 1'homnmedans la diversity des races.
CHAPITRE PREMIER
<(L'Homme et Dieum
D'ofi venons-nous ? Que sommes-nous ?
Que suis-je ?
. Telle est, de l'avis de la plupart des philosophes, la pre-
inmiere question quti doive interesser an 6tre pensant.
| Danscette recherche, le malheur est, non.dans 1'absence,
n mais dans la trop grande abondance des guides, dans la
inultiplicit6 desvoies divergentesentre lesquelles doit d'a-
bord choisir chacun. sous sa responsabilit6, a moins de
s'abandonner au hasard, de tenir pour infaillibleet de sui-
vre aveugl6ment le premier esprit que l'on rencontre et
qui propose de montrer la voie aux autres. Le choix est
d'antant plus perilleux, qu'on a depuis longtemps observe
combien estdifficile l'accord des esprits mi1ine sur l'adop-
tion d'un vocabulaire idenitique des termes employs dans
ia discussion de toute matiere sortani du domaine des
sciences positive..
Un motsuffiten effet pour designer toutobjet qui tombe
sous les seris. La definition n'est pas indispensable pour
L'HOMME ET DIEU
que nous nous entendions sur l'objet que nous appelons
par example, un arbre. CLt. objet se compose d'un nombre
plus on moins considerable d'autres objets qui ne se pr6-
sentent pas tous en mime temps, a notre consideration,
tels que le tronc, l'6corce, les branches, les feuilles, les
boutons,les fleurs, lesfruits, les racines, etc. Quelques-uns.
de ces objets peuvent meme echapper a an observateur
inattentif. Mais ils forment ensemble un tout don't l'image
est saisissable par les sens et qui pr6vient tout malen-
tendu sur l'objet que nous d6signons par le mot arbre.
Mais lorsque I'esprit s'engage dans la contemplation ou
dans l'Ntude de ses propres facultis, I'accord devient plus
difficile, car il doit sefaire sur la nature essentielle de l'objet
A nommer, lequel ne tombant pas sous les sens, ne peut
nous offrir une image de son ensemble. Ici, pour recon-
naitre l'arbre, s'il m'est permis d'employer cette figure, il
fautretrouver les racines, le tronc, les feuilles, la s6ve, etc.
Prenons par example le mot sens.lui-mnme. C'est la fa-
culte de sentir nous disent les dictionnaires ; c'est-A-dire la
faculty par laquelle, <( A la suite de l'impression faite par
< les corpssurles organes, I'homme et les animahux6prou-
< vent certaines modifications qui'elles-m6mes sont appe-
Sle16es sensations. D
Dans les 6coles primaires, on apprenait aux- petits en-
fants, de mon temps, qu'il y a.cinq sens et que ce sont des
organes don't I'Ame se sertpour serendre compete des cho-
ses exterieures; si bien que nous ne savions pas trop
pourquoi on donnait deux noms a la mime chose, comme.
!'ouTe et l'oreille ou bien le toucher et la main. L'explica-
tionscientifique nous permet de distinguer entire la facalle
et 1'organe par lequel elle s'exerce.
Maisvraimnent,il lui rest encore a nous x pliquerqu'est-ce
que le sens common que 1'on nons relprochait de manquer,
et que le maitre d'ecole s'efforcait de nous inculquer par
quelque chatimentchaquefois que nousabimions nos lives,
ou nos v6tements en renversant I'encrier.
';On a essays de sortir de la difficult en admettant seien-
tifiquement deux categories de sens : les seas externes (vue,
D'OU VENONS-NOUS? QUE SOMMES-NOUS?
oui, odorat, goait, tact) et les sen.s internes comprenant la
faculty de sentir ce qui se passe en nous ( sens intime ou
conscience ), celle de percevoir les rapports ( sentiment oi
perception des rapports, jugetnent ) et celle d'apprecier le
bien et le beau (sens moral, sens esthetique on gofut ).
Maisladispute commence aussit6t: Les uns nientlessens
internes et s'ecrient avec ARISTOTE, EPICURE, DIDEROT,
CONDILLAC, etc; : Nihil est in intellect quin prius fuerit in
sensuz: ce sont les sensualistes. Les autres, au contraire,
subordonnent les sens externes aux sens internes et d6-
clarent avec PLATON, LEIBNITZ et KANT que nihil est in intel-
lectu quin prius fuerit in sensu, nisi ipse intellects. Ce sont
les ide'alistes ou rationnalistes.
Viendra une troisieme cole, celle de Locke et des Ecos-
sais, qui admetira l'independance des sens externes et in-
ternes et maintiendra que routes nos iddes viennent des
sens ainsi entendus.
Cette cole aura pour contre-partie celle des sceptiques
qui declarent toutes nos idWes fausses en demontrant que
les sens exterres ou internes sont susceptibles d'erreur.
Ainsi, des le point de depart, les esprits se separent sur
la nature meme de l'objet d6sign6 par le mhot et Babel re-
nalt par la neologie.
Surcette basesi pen ferme de toute theorie sur la nature
essentielle etle mode de formation de nos idees, s'l66vent les
systemes entass6s par la philosophie a travers les si6cles,
du sensualisme d'ARISTOTE au positivisme de Mr LITTRE,
de l'idealismede PLATON auspiritualisme de MrJULES SIMON,
et que ne parvient gu6re a concilier i'dclectisme de VICTOR
COUSIN.
Quand nous abordons le prbbl 'Wm autremient decisif et
bien plus comp'ljque du pourquoi de notre existence elle-
minme, il devient necessairement bien plus difficile de
s'en tendre.
La vie, nous enseigne-t-on est l'Ftat des ktres animds
a tant qu'ils ont en eux le principle des sensations et du
. movement: cet 6tat est oppose a la mort. )
11 faut convenir que cette definition n'avance guere un
L'HOMME ET DIEU
esprit ordinaire, non encore familiaris6 avec les subtilites
de la m6taphysique.
La vie est l'etat des tf.res animus; 1'etre anim6 est l'ktre
qui a vie.
On bien encore: ktre en vie, c'est etre en possession du
principedes sensations et du movement; le principedes
sensations et du movement, c'est I'apanage des 6tres
vivants.
On ne peut goure s'en tirer sans se livrera l'dtudle sa-
vante des principles ou causes premieres.
Et pourtant chacun, mrme celui ignore l'objet et jus-
qu'au nom de la science metaphysique, a une idee ,nette
de l'etat de vie et de l'etat de mort. De sorte que le plus
clair de la definition, c'est encore ce que chacun savait
dejA avant de consulter le dictionnaire: c'est que l'Ftat de
vie est oppose & l'etat de mort et qu'on les distingue par
]a presence ou I'absence du movement.
Tdchons avec ces premieres donnees des sens de re-
monter A la cause, au principle premier de la vie.
La vue d'un corps inerte est une impression dontla sen-
sation produit dans notre esprit l'idee de la inort,. de [ab-
sence de la vie. En touchant le cadavre, nous 6p'rouvons
une nouvelle impression don't la sensation fait naitre dans
notre esprit l'idee du froid, de l'absence de la cha[eur.
Notre esprit reste frapp6 de la coincidence de ces deux
fails et retient le sentiment ou l'id6e de cettecoincidence:
c'est une observation.
Des observations subs6quentes, venant nous d6montrer
la constance, la permanence de cette coincidence, nous
supposons que ces deux faits, la vie et la chaleur, doivent
avoir entire eux une relation de cause A effet: c'est une
hypoth6se.
Pour verifier 1'hypothese, nous procedons syst6matique-
ment A la recherche de la vie et de la chaleur, de l'absence
de vie et de I'absence de chaleur, dans l'umnivers.
S'il resulte-de cette recherche que la vie et lachaleur ne
vont jamais l'une sans I'autre, it nous sera permis 'de g6-
neraliser I'hypothese; mais nous ne saurions encore pr6-
D'OU VENONS-NOUS? QUE SOMMES-NOUS?
tendre a la decouverte d'une loi de la nature, d'une verite
scientifique. L'hypothesedevient alors une th6orie, et dans
ce cas particulier, elle pourrait nine donner lieu a deux
theories diamrtralement opposees, suivant le rang que
prend respectivement dans nos speculations, chacune des
deux idWes de la vie et de la chaleur: celui qui cherchait la
cause de la vie pr6tendrait I'avoir trouvee dans la chaleur
et inversement pour un autre, c'est la vie qui serait une
cause don't la chaleur serait un effet. Pour le premier, le
principle de la vie c'est-A-dire du movement et des sen-
sations, serait la chaleur.
Pour le second au contraire, la vie serait la cause pre-
miere, le principle du mouveinent et des sensations, aussi
bien .que de la chaleur.
Ni 1'une ni I'autre de ces theories ne sauraient satisfaire
la raison, parce que, bashes sur les mimes observations,
elles restent exclusives I'une de l'autre, puisque l'une ne
peut 6tre vraie sans que I'antre soil fausse.
Dans l'un ou l'autre cas, un nouvel examen devient nr-
cessaire et command de nouvelles observations plus at-
tentives, plus profondes des ph6nomenes primitifs. En
d'autres terms, it faut arriver a une conception ind6pen-
dante et plus precise de chacun des deux ph6nominnes de
la vie et de la chaleur.
De cette nouvelle etude resort que nous 6tions dans
S'erreur des le point de depart; que nous avions confondu
le relatif avec l'absolu et que nos premieres idees ktaient
fausses, et fausse aussi, par consequent, l'impression qui
les avait produites, car :
1" I n'y a pascessation dechaleurdansun cadavre, mais
implement abaissement de temperature. Apreuve ce faith,
A la portee de tous les esprits, qu'on retarde la putrefac-
tion d'un cadavre en le couvrant de glace, c'est-A-dire en
produisant un abaissement plus grand de sa temperature.
Remarquons encore que meme alors, on n'arrive pas A la
cessation de la chaleur, puisque la glace en content encore
32 Fahrenheit de plus qu'une autre substance qui n'en
est pas d6pourvue elle-meme, car it est des climats ou le
L'HOMME ET DIEU
Mercure descend au-dessonsdu zero decette 6chelle ther-
mom6trique.
2 La mort on l'6tat oppose a la vie, ne produit pas non
plus l'inertie de la matiere dans les corps priv6s de vie;
en d'autres terms, le movement ne cesse pas avec la vie
dans la matiere prec6demment animrne.
Nous sommes encore victims ici d'une erreurde nos sens.
Le corps anhime qui passe de vie a trepas, entire en pu-
tr6faction, et la putrefaction est le r6sultat d'un movement
des molecules produisant [a decomposition.du corps, c'est-
a-dire rendant disponibles ses at6mes 616mentaires qui
entreront dans la composition de quelque nouvellei com-
binaison.
Conclusion : la vie et la chalenr ne sont done ni cause
ni effect l'une de I'autre. Les deux systmies sontdone 6ga-
lement faux, et fausses aussi, les theories qui leur ont
servi de bases.
La vie et le movement sont-ils du moins dans les rela-
tions de cause a effet ?
Ici encore les faits observes commandment une reponse
negative : nous venons devoir en effet que, come la cha-
leur, le movement de la matiere continue dans le corps
priv6 de vie.
II y a mouvemen et et chaleur dans lescorpsanin6es avant
et apres la mort.
Cette verification des theories par les fails, c'est ce qui
constitute la m6thode moderne du positivisme.
La theorie qui s'en d6gage, semble aboutir a la cons-
tatation d'une loi : la loi du moluvementa laquelle la matiere
vivante ou more serait universellement assujettie. Quelles
que soient les directions diverse du movement de la ma-
tiere, la loi reste une dans son universality.
Le movement des molecules d6veloppe la chaleur et de
la chaleur se degage la force.
Sous quelque aspect que nous considerions la force dans
la matiere; quelque infinie que soit la varikt6 de ses mani-
festations, de ses degr6s d'intensit6, elle est toujours iden-
tique a elle-mnnme.
D'OU VENONS-NOUS? QUE SOMMES-NOUS? 7
II y a done dans 1'Univers unilt de loi, et unit' de force.
Cependant on ne concoit pas le movement, le d6place-
ment de la matiere, sans une force qui la pousse on Fat-
tire. C'est done la force qui produit'le movement.
Mouvement et force sont doneclafois cause et effet 1'un
de I'autre. L'observation nous demontre en effet que le
movement se ralentit ou s'accelere avec la diminution ou
l'augmentation d'intensit6 de la force. Et la force augmente
ou diminue proportionnellement A la chaleurquiladegage,
laquelle est proportionnelle a la rapidit6 do movement,
ici nomm6 combustion.
D'oqf il faudrait conclure finalement une seile et unique
loi, un seul et unique principle gouvernant universellement
la mattire vivante ou more : le movement.
Je suis done positivisle si par ce mot, on designe un
esprit habitu6 a chercherla veritt dans l'observation atten-
tive, dans l'examen consciencieux des faits.
Mais la s'arrkte mon positivisme. Je n'admets pas, par
exemplequ'une sensation in tern esoitne cessairement fausse
parce que les idWes objectives neesdes sensations externes
seen eu lessusceptiblesde preuves positives.En d'autres
terms, j'admets des veritis, des faits, qui sont dans mon
Otre et hors de mon otre et don't je recois 1'impression, ou
le sentiment, de la raison elle-mr.me et non des sens. En
un mot, la matiere pour moi n'est pas tout I'Univers.
La loi du movement me donne le comment de 1'Univers
et ne m'en explique pas le pourquoi. Or ce que je cherche
depuis la premiere idWe, depuis la premiere sensation, c'est
le pourquoi, la cause.
Dire que lascience s'arrkte ot s'arritentles connaissances
positives de l'lc 'I' i,,e, cela ne signifle pas pour moi qu'il
n'y a rien au delat de ce que perGoivent les sens. S'il n'est
pas de connaissances positives en dehors de la matiere, en
dehors de ce que l'on petit voir, gottler, toucher, il ne
s'ensuit pas que ces connaissance satisfassent I'esprit hu-
main. Parvenu a la formule d'une loi r6gissant le mouve-
ment, la vie, clans I'Univers, it se demand encore d'ot'
vient cette loi.
L'HOMME ET DIEU
(( Qu'une piece de monnaie, dit Mr CHARLES S. PEIRCE, (1)
< en tombant, montre tantOt la face, tant6t la pile, cela
<< n'exige aucune explication particuliire; mais si elle
< montre chaque fois la face, nous d6sirons connaltre com-
< meant ce resultat est obtenu. La loi est par excellence la
< chose qui a besoin d'une cause )).
Dans la relation constant du mouvenent et de la cha-
leur, si nous supposons que le movement a precede la
chaleur eL par suite la force, il nous faut admettre une force
pr6existante, Line force independante de la chaleur et du
movement qui a mis la matiere en branle, qui lui a donned
la premiere impulsion. Si nous voulons accorder la pr6-
cedence a la chaleur, et par suite a la force, il nous faut
encore chercher qui a- allum6 le premier foyer, d'oa vient
la premiere force d6gag6e.
Cette cause inconnue, ce principe premier du mouve-
ment, de la chaleur, de la force, de la vie enfin, nous
l'appelons DIEU,- etDtEU devientetreste notre ideal de la
Toute-Puissance.
En s'eloignant del'ide de DIEU, les philosophes contem--
porains ne s'arrtent pas plusque le common des homes,
aux limits de la science positive; its en sortent pour entrer
dans le domaine des hypotheses.
< Le seul moyen,dit I'crivain que je viens de citer, de
(nous expliquer les lois de la nature et en general l'uni-
< formite, c'est de supposed que ces lois sont des resultats
< de l'evolution. ))
Spit! Mais qu'est-ce que Ievolution et d'ofu vient-elle?
HERBERTSPENSER voudrait expliquer I'evolution par des
a principles mecaniques ).
Cette theorie ne donne pas A la supposition de l'dvolution
un caractere rigoureusement scientifique; aussi n'est-elle
pas encore considWree comme un apport incontest6 A la
some de nos connaissances positives. C'est encore un sys-
tame a l'6tude.
(j) Voir dans la revue trimestrielle The Monist No de Janvier 1891,
1'article The architecture of theories ).
D'OU VENONS-NOUS? QUE SOMMES-NOUS? 9
Supposons neanmoins qu'H-ERBERT SPENSER ait rencon-
tr6 une v6rit6; en ce cas l'evolution, r6sultat des principles
me'caniques de la matiere, resteraitl une manifestation de
l'existence de la force dans l'Univers, et nous ne serions
pas plus avanc6s quant a la cause premiere de la force et
des lois naturelles de la m6eanique universelle.
La thLorie de la selection de DARWIN ne nous advance pas
davantage, car il s'agit encore ici de nouvelles manifesta-
tion de la force. Que les races ou les espces se modifient
par l'Alimination successive de certain caracteres et la
-transmission par hbrAdite de certain autres caracteres
permanents ou accidentels, c'est une question qui porte
sur le mode d'action de la force appliquee A la conservation
et au perfectionnement de la matiere animee,.sans rien
presumer de la cause premiere du movement et de la vie,
dansla matiere, dans l'Univers.
Quel que soit done le sort final de ces differentes hypo-
theses, quelle que soil la place definitive qu'elles -devront
prendre parmi les connaissances positives de l'humanit6,
elles ne d6mentent point DIEU.
Au contraire, plus la science positive aura p6nktr6 et
devoil l]a profondeur et I'harmonie des lois de l'Univers,
plus serajustifiee la foi de l'humanite dans la Toute-Puis-
sance, dans l'ormniscience de I'ordonnateur supreme de I'U-
nivers.
Je crois done en Dieu, et, si c'est une faiblesse de mon
esprit, je la partage avec la gneralite des humans, avec
la generalite des 6tres pensants qui ont tous comme rmoi
un soupir de soulagement, lorsqu'un genie come VOL-
TAIRE, apres avoir explore le labyrinth de la m6taphysi-
que, en emerge avec ce cri de la conscience humaine :
(< Si Dieu n'existait pas, il faudrait le career >
Si de cette hauteur nous redescendons a l'homme, no.us
trouvons en lui une sorte de r6suLm6 de ['Univers. Somnis
aux lois generales de la matiere, it porte en lui-inmrne le
Inouvement: il vit physiquement par la circulation du sang
dans ses veines et dans ses-arteres et porte en lui-mnme
un foyer decombustion, dechaleur, d'oifse d6gage la force.
L'HOMME ET DIEU
Quand vient la mort, il y a en effet un movement qui
cesse : lacirculation; it y a aussi une chaleur qui disparait:
la chaleur animal.
La matiere more reste encore assujettie a la loi univer-
selle du movement, de la chaleur, de la force, mais le ca-
davre a perdu le principle de la vie animal; it est priv6
de sa chaleur propre. Un foyer s'est 6teint.
Ce principle de lavie animal, ce principedes sensations,
du movement, de la chaleur, de la force dans les corps
animus, ]'dme enfin, existe dans tous les corps organisms,
mais il ne m'est pas d6montr6 ni qu'elle soit privee de fa-
cultes propres, de facultes qui lui appartiennent ind6pen-
damment de la matiere vivante, ni que ces facults soient
identiques entire l'homme et les animaux.
Comme l'homme, les animaux possedent tous ou quel-
ques-uns des sens externes; its regoivent des impressions et
sont susceptibles de sensations. Come homemm, ils peu-
vent contractor des habitudes, et nous surprendre par le
dbveloppement de certain instincts. Mais li me parait s'ar-
reter le parallble.
L'babitude assur6ment exerce un trbs grand empire sur
l'homme, mais il a le pouvoir de juger ses habitudes, de
s'abandonner a celles qu'il tient pour lui 0tre favorables,
de ne point contractor ou. de primer les autres.
Dresser un animal, c'est I'habituer a faire ou a ne pas
faire certaines choses. C'est, en d'autres terms, soumettre
ses habitudes a une discipline qui n'est pas dans sa propre
nature.
Cette discipline sur soi-mOme est dans la nature de
I'homme, c'est la raison. Elle s'exerce au moyen d'une
force special a l'homme, et qui fait du roi de la creation
une image du cr6ateur : la pensie.
La pens6e est-elle une faculty de I'ame ou serait-elle
plut6t une6manation directed la Divinite?- Dans le lan-"
gage on confond assez gen6ralement ces deux id6es et ce ,
n'a pas kt6 la moins abondante sourcede nos controversies
sur I'ame. En faisant de l'dme tout entire un attribute ex-
clusif de I'homme, on ne saurait expliquer la vie, les sen-
D'OU VENONNS-NOUST? QIJE SOMIMES-NOLJS?
stations, etc. dans les animaux ; mais en accordant aux
animaux une Arne exactement semblable a I'ame humaine,
il fallait admeltre ['hypothese de l'existence de la raison
dans tons les animaux. Or, cette supposition n'est pas sus-
ceptible de la verification par les faits.
La manifestation de la raison, de Ia penseo, ne peut-etre
constatee que dans l'homme.
On a cherch6 a expliquer la premierehypothese par une
second : la penshe peut exister dans tous les animaux,
mais ils ne peuvent en manifester ['existence, parce
qu'ils sont priv6s du don de la parole. M6nme en ce cas, it
faudrait uno troisieme hypothise pour expliquer pourquoi
le Verbe a Wte donn6 par la natureou Dieu'a [homnme seal,
si cette faculty pouvait 6tre d'une gale utility a t'us les
animaux. x
J'en demand bien pardon aux savants auteursde tontes
ces hypotheses et a leurs disciples; mais que la parole soit
cause ou organe de la.pensee, it est de science positive que
l'existence de cette dernibre ne se manifesto que dans
l'h h me seul, lui faisant ainsi une place a part dans ['ani-
malit6, dans I'Univers.
Qu'il me soit permis de rbsumer ou plut6t d'illustrer
( to illustrate ) ma pensee par une image.
Prenons, par example, une locomotive. La machine pro-
prernent dite, seraitl'image du corps don't la vapeur repre-
sente l'Ame. L'appareil tout entier est calcul6, arrange de
faQon a faciliter Faction de la force motrice en vue de
laquelle elle est construite; tons ses organes sont destines
a faciliter le developpement et la transmission de la force
motrice. Remplissez la chaudibre, alluimez les fourneaux
et voila la machine animee, prete a subir l'impulsion de
la vapor, a se mettre en movement, pourvu d'ailleurs
qu'elle soit elle-mrnie en bon 6tat. Aussilongtemps que la
machine n'est pas d6rangee, que ses organs ne sont pas
devenus impropres aux functions qui leur sont assignies,
I'appareil marchera, pourvu qu'il y ait de 'eau. dans la
chaudiere et du feu dans les fourneaux : machine en bon
L HOMME ET DIEU
etat, corps en bonne sante; consommation de carbon,
consommation de pain.
On comnprend aisement que la machine pr6te a partir,
on pourrait regler I'admission dela vapeur dans les tiroirs
par un appareil automatique A movement d'horlogerie,
actionn6 par la vapeur elle-meme et don't le r6sultat se-
rait de tenir la locomotive en marche ou au repos alter-
nativementet desintervalles determines. Voila l'habitude.
Sauf les accidents contre lesquels la machine aveugle
rest impuissante, elle pourrait ainsi, maintenue par les
rails qui repr6senteraient ici l'instinct, parcourir automa-
tiquement une ligne d6terminee, s'arrter a des stations
marques et reprendre ensuite sa miarche.
Voildt 'animal, corps et Ame.
Mais quand nous passons a I'lomme, it nous faut com-
plter l'image et montrer la main qui alimente le fourneau
et la chaudiere, qui ouvre et ferine les robinets, qui arrete
l'appareil on le met en movement, qui le lance en avant
ou en arriere, qui sonde ses organeset les rpare au besoin.
Cette main-la, c'est la pensee, c'est l'homnne.
Rien n'est plus interessant dans l'histoire des progress
accomplish dans Ie course de ce sickle, que les rapides trans-
formations, leseliiinations, les selections, l'evolution enfin
de l'industrie de 'hbomme, appliquee notamment a la pro-
duction des machines. Mais aucune transformation, aucune
evolution ne produirala machine responsable,q ui s'alimen te
par le seul jeu de ses rouages, decide de sa direction et y
march proprio-motu. Lorsque le genie inventif de I'homme
aura attele6 un train, une locomotive automatique,aucun
de nous n'entrera dans ce train, pas plus que nous n'en-
trerons dans une voiture tLrainee par des chevaux, si bien
dresses qu'ils soient, sans des brides dans la main d'un
cocher.
Eitreprendre de demon trer, parles selections de DARWIN,
par l'e'volution d'HERBIERT SPENSER on par toute autre
hypothese ingenieuse, que I'hommne soit le resultat des
transformations successives d'un animal quelconque, autre
que l'homme lui-m6me, c'est pr te:ndre que la machine
D')U VENONS-NOUS? QUE SOMMES-NOUS? 13
ponduitoi par un ingenieur soilt capable elle-m6me par des
transformations successives de devenir un ingenienr.
Tout cela peut servir A 6terniser les disputes enh'e les
esprits, a accroitre le fond ddjA in6puisable des sophismes
qui entretiennent les pr6jugas6, la,haine et la guerre entire
les homes, sanspouvoir r6ellemententamer la conscience
humaine qui nous crie A tous : Vous -tes freres, vous Otes
1'homme.
,' ,
,' ,
* 1 /
CHAPITRE II.
De la recherche du bonheur.
Manifestation de cette premiere loi de la nature humaine.
L'hommne jet6 sur la terre, a pris possession de son
domaine en merchant au hasard devant lui, A la recherche
des moyens de satisfaire A l'infinie variety des besoins de
sa nature.
Tout besoin non satisfait produit en nous la sensation
d'une peine et le d6sir de nous en affranchir.
'T- iil besoinsatisfaitproduiten no.usla sensation d'un plai-
al&' 't- Il6sir d'en prolongerou d'en renouveler lajouissance.
a'iur safaire a nos besoins et a nos d6sirs, il faut faire
un effort. l\ut effort produit en nous la sensation d'une
peine nouvele et le d6sir, par consequent, de nous en
affranchir.
Mals 1'effort, de meme que la peine qu'il produit, est
passageir ta.1dis que la peine produite par les besoins non
satisfaits est durable. L'effort que nous faisons pour satis-
faire a nos besoins, nous affranchit par consqu,'itLI do ePtt 1
derniere peine et nous procure ainsi la. jnnhi-s:1nl--w
En outre, I'effort actuel peut-6tre dirige 4
nuer la necessity de nouveaux et frequents [ ,nous
6pargner, pendant un certain temps, la peine des besoins
non satisfaits et A augmenter indefiniment ainsi la some
de nosjouissances : tel est par example le rOledel'6pargne.
S'affranchir de t1.oute peine, de toute souffrance, de tout
effort; se procurer tou.es les jouissances, tous les plaisirs,
tel est le d6sir constant, 1'aspiration irrepressible de l'Ame
humaine.
\m- M
DE-LA RECHERCHE DU BONHEUR 15
P6nvoir satisfaire sans aucun effort A tous nos desirs, ce
serait le bonheur.
Chimere on possibility, fant6mne on r6alitL, ce que nous
appelons de tous nos vceux, ce qui est l'objet de tous nos
efforts, c'est le bonheur.
Le bonheur 6tant 6videmment le but de toute activity
humaine, I'homme s'est efforts, dOs la plus haute antiquity,
de le dcfinir, de se fair a lui-meme une id6e precise, une
notion positive, de cette aspiration vague de son Ame que
je n'hesite pas a appeler la premiere idWe innee, et qui est
peut-Otre avec celle de la cause inconnue de notre 0tre et
de tout ce qui nous entoure, la seule qui merite cette qua-
lification. Dans cette recherche d'une definition du bonheur,
nous nous heurtons A la chimere ou a la contradiction.
Toute jouissance est un bonheur; mais ia jouissance n'est
pas le bonheur, car la r6petition ind6finie des jouissances
entraine la satiWte, c'est -a-dire la destruction de lajouissance.
Le came de notre ame, le contentment interieur, est
aussi un bonheur, un tres-grand bonheur; mais ce n'est, pas
non plus le bonheur, car le came de Fl'me ne supprime
point les besoins du corps, et lorsque ceux-ci ne sopt pas
satisfaits, ils causent la souffrance, la peine; et la peine
c'est la negation du bonheur.
En outre, le came de notre ame, quelque puissant que
soit notre empire sur nous-m6me, peut encore ktre trouble
par des agents exterieurs.
Que faut-il conclude? Que le bonheur n'est point un objet.
precis, determine, fini, que I'homme puisse r6aliser et
posseder.
Ce n'est pas non plus on rove insens6, une chimere ir-
realisable, carchaque hommeaconnu dans sa vie desjours
relativement heureux,
Le bonhenr complete, absolu, est done on iddal de la
pensoe humaine, vers lequel nous marchons, sans pr6tendre
y arriver jamais sur la terre; quelque chose comme 1'6toile
polaire que p.._iirsil .le voyageur en s'levant vers le Nord,
mais qu'il trouVerait directement au-dessus de lui, dans le
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Ciel, au moment oht it atteindrait al'extr6mit6 do sa course,
au p6le de la terre.
Aussi la morale du CHRIST, en nous montrant la voie
qui nous rapproche le plus sfrement du bonheur en ce
monde, ne nous laisse-t-elle 1'esperance de le poss6der
tout entier que dans un monde meilleur.
En cherchant le bonheur, c'est done un ideal que nous
poursuivons, c'est done a l'infini que nous .aspirons.
La premiere force, le premier moteur de la pensee hu-
maine, c'est done l'id6al du bonhreur.
Consciemmentou machinalement,ce quell homee pursuit
sur la terre, ce dontilt s'efforced'approcher c'est de cet id6al.
Religion, science, philosophies, industries, commerce, agri-
culture, gouvernement, tout cela ne vaut pour l'homme,
que parce que tout cela lui apparait come des inoyens
d'arriver au bonheur, ou du moins d'en approcher.
Vertu on vice, honneur ou honte, dignity ou,:dgradation,
tons ces terms nous servent A marquer l'6tat de, 1'ame
humane, selon qu'elle nous sethble devoir se rapprocher
ou s'eloigner du bonheur.
Librement et sous sa responsabilit6, a la suite d'un chef
ou d'un ap6tre, a la luimire du livre d'un philosophy ou du
sermon d'un pretre, chaquie home ici bas, qu'il le sache
ou non, qu'il en convienne on qu'il s'en cache, cherche le
bonheur et ne cherche pas autre chose.
Tous s'efforcent de s'en approcher le- plus possible en ce
monde. Les Anmes d'6lites, le trouvaiit toujours insuffisant
sur la terre, y renoncent, dans 1'esperance de le retrouver
parfait et absolu dans le Ciel.
Pour le common des hommines, le seul prix de la vie se
trouve dans la sominme relative de bonheur reel qui en
marque le course, et ce qui nous aide a porter le poids des
pines et des souffrances qui out prec6de on suivi le bon-
heur goift6, c'est 1'esp6rance de sauver, de conserve ce qui
en rest et de l'augmenter encore par de nouveaux efforts.
Tout ce qui est propre a d6truire cette esperance dans
les individus Et dans lessocietes h ui i4 ,T es estfatal a hommee
et fatal A la nation.
S46
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
L'interet est notre premier guide.
Dans la recherche du bonheur, l'homme est toujours
egoiste. Ce que je cherche, c'est mon bonheur personnel
et chacun en faith autant. C'est pourquoi dans cette recher-
che, et malgr4 les protestations des ames g6nereuses qui,
de PLATON A J. J. ROUSSEAU, n'ont cess6 de fltrir la morale
utilitaire, l'interet a 6t6 le premier et restera le principal
guide de l'homme, tant qu'il n'aura pas change de nature.
Que nous attachions A ce mot'un sens noble et Mlev6,
comme dans l'int6ret de l'humanit6, de la religion ou des
moeurs, ou un sens bas come dans l'interet personnel,
l'int6ret de l'argent pr6te ou de tout service rendu, cette
expression reste le nom commun de tous les mobiles des
actions hurnaines:
L'homme ne s'interesse, en effet, qu'aux choses qui peu-
vent augmenter ou dimiuuerlebonheurde l'homine, c'est-A-
dire de l'individu,de la nation oudel'humanit6. Nous avons
un 6gal interkt A faire tout ce qui peut nous rapprocher du
bonheur et A empecher tout ce qui peut nous en 6loigner.
Lorsqu'on dit que l'int6rAt est la measure des actions de
I'homme, on n'outrage ni ne glorifie l'humaine nature; on
ne fait qu'6noncer une v6rit6 simple. Nos regrets et nos
d6clamations n'y peuvent rien.
L'inter@t gouverne le inonde.
La difficulty, pour I'individu comme pour la nation, est
de dcouvrir out git son veritable interet; qu'est-ce qu'il
convient de faire pour se rapprocher du bonheur, qu'est-ce
qu'il faut 6viter ou empAcher pour ne pas s'en 6loigner.
Notre veritable interet se trouve dans la direction de
notre plus grand bonheur. L'interet lui-mrme n'est pas le
but que nous poursuivons, il n'est meme -pas le vehicule
qui doivenous y porter. C'est une simple boussolequi nous
indique une direction; mnais c'est une boussole qu'il est
,imperieux de nIe coniulIter qu'a la double lumiere de la
science et de la coni'isience.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
La controversy me semble etre venue de cequel'homme
ou la nation en qui manque la science, ou don't la cons-
cience a W6t faussee, pent se tromper sur la direction in-
diqu6e par son veritable inter6t et se croire dans la voie
du bonheur, en to-urnant le dos a la vertu et a la justice.
Or, la vertu et la justice sont la voie meme du bonheur,
et 1'inter6t serait un guide trompeur, s'il nousen dktournait
v6ritablernent.
Pour s'6pargner la peine des besoins non satisfaits, des
d6sirs inassouvis, it. faut accepler la peine de 1'effort.
Accepter I'effort, c'est 6tre vertueux; car la vertu c'est la
disposition de 1'ame qui porte l'homme au bien, et Ini con-
fere la force, le courage de I'accomnplir. La .rcompense de
1'homme vertueux, de I'homme qui s'efforce, c'est la dimi-
nution de la peine, de la souffrance, c'est I'augmentation
du plaisir, de la jouissance, c'est le bonheur.
L'homme a done interet a etre vertueix, car la vertu,
comme il vient d'etre dit, est dans la voie de son bonheur.
Pour s'6pargner la frequence de la peine r6sultant de
l'effort, I'homme a egalement, intrt'ta manager, a conserve
les resources, les biens obtenus par un premier effort, en
maitrisant ses d6sirs, en limitant ses jouissances A la satis-
faction strict des besoins. La encore il lui faut l'intervention
de la force d'Ame, de la vertu.
Cependant I'homme peut chercher a se soustraire a la
loi de 1'effort, sans renoncer a satisfaire ses desirs, a se
procurer des jouissances. Mais alors, it manque a la vertu.
il est vicieux, il est sorti de la vole du bonheur. II perd le
calme de l'Fme, le'contenteme.nt intLrieur: De plus, il fait
obstacle au bonheur des autres hommes.
L'inte'r0t de conservation don-t il vient d'etre parle, faith
naitre contre lui un besoin common de resistance, un in-t6rot
common de defense, de repression.
On la communaut6 ob6it aux inspirations de la vertu en
defendant le bonheur de chacun, en merchant d'un pas
ferme dans la voie mndiquce par l'int6rkt common : en ce
cas, le vicieux subira seul la peine, portera seul la respon-
sabilit6 de la vertu miconnue; il tombera sons le coup de
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
la justice humaine pour avoir offense la justice divine et
connaltra le malheur du bagne ou de l'6chafaud.
Si la communaut la1che, molle on vicieuse, manque a la
vertu, meconnait I'interkt commun et le laisse sacrifier par
manque de science ou de conscience, elle sera elle-mOme
hors la voie du bonheur. Elle tombera sous le coup de la
justice divine pour avoir manqu6 A la justice humaine: elle
subira la loi de solidarity et connaltra le malheur de I'anar-
chie, de la mnisere publique, de la honte, de la dissolution
ou meme de la conquete.
Pour vaincre les obstacles qui s'opposent A son bonheur,
le premier intert, de l'homme, c'est de se mettre en pos-
session de la force d'Ame, de la vertu.
Pour.conserver les biens acquis, pour acceltrer sa march
vers le bonheur et 6viter de tomber dans le malheur, par
t'action de la loi naturelle de la solidarity, de la repression,
M'homme a 6galement interet -a tre just.
C'est par interkt que l'homme se rapproche de son sewi-
blable et remote, de l'6goisme individual A la fraternity
universelle de l'humanit6.
Par t'616vation graduelle de [a lumiire qui se fait dans
la conscience, la formule de 1'interkt, gouvernant la justice
humaine, s'6pure et remote de la terre au Ciel :
Rends A ton frere le mal qu'il te faith: prends lui un oil
pour un oeil, une dent pour une dent.
Ne fais pas A ton frere le mal que tu ne voudrais pas qui
te fft fait.
Fais A ton frere tout le bien que tu voudrais qui te flit fait
A toi-m6me.
Quoi que tu fasses, fais le pour I'amour de DIEU.
Soit en d'autres termes:
Hais qui te hait.
Ne hais point qui ne te hait point.
Aime tes freres pour l'amour de toi-meme.
Aimez-vous les. uns les autres, pour l'amour de Dieu.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Des obstacles qui s'opposent au bonheur de l'homme.
Sur la voiedubonheur,l'hommese heurte a des obstacles
nombreux et puissants.
L'obstacle est partout; il est dans la matiere qui nous
environne; il est dans la matiere don't nous sommes faits;
il est surtout dans l'esprit meme qui nous le revele et qui
nous permet de le comprendre et de le vaincre.
Nous le rencontrons done hors de notre Wtre dans nos
semblables et dans nous-mime.
Tout obstacle au bonheur de l'homme est un problIme.
C'est aussi une force. Cette force peut tre passive ou active,
une force de resistance ou une force aggressive : la terre
refusant des products & 1'homme, tant qu'elle n'y est pas
contrainte, est un obstacle passif an bonheur. Un loup, un
tigre on un autre home, r6solu a nous divorer ou a nous
asservir, est une force aggressive, un obstacle actif'A notre
bonheur. La mollesse do notre chair, sa tendance a l'inac-
tion, an repos, la paresse enfin, est une resistance, un
obstacle passif A notre bonheur, de mnme qu'une activity
desordonneede notre esprit, nous poussanth des aventures,
produit l'indiscipline de notre atne, et nous abandonne a
la passion qui est la force active, I'obstacle le plus puissant
a notre bonheur.
Pour approcher du bonheur, il faut surmonter ou briser
I'obstacle.
L'obstacle ktant un probleme, exige une solution : il. faut
connaltre en quoi il cohsiste. comment il est fait, comment
il agit : c'est une cause A chercher. C'est une (tude. afaire.
La nuit est un obstacle A l'activite de 'hbomme. La cause
de cet obstacle vient d'ane loi inflechissable de la nature,
d'une force snperieure a celle de la volont6 de l'homme.
Nous ne pouvons pas faire que la terre presente, en meme
temps, sa surface entire au soleil. C'est done une force
de resistance que nous ne pouvons vaincre, un obstacle
passif que nous ne pouvons briser.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Nons le surmontons par le concours de la science, en
substituant a la. lumiere naturelle du jour, Line lumiere ar-
tificielle, don't I'intensit6, I'6clat s'6l1vera A measure que
s'eleve notre puissance in tellectuelle,que s',largit le domaine
de la science humaine : un pauvre sauvage se content de
]a faible lumiere que d6gage en bruilant, la fibre d'un bois
resineux; puis il se procure une lumiere de plus en plus
vive, en surmontant des difficulties plus grandes. II passera
gradnellernenta la bougie decide, A la lampeou brile quelque
huile vegetale, labougie faite de l'huile fournie par quelque
animal puissant, come la baleine, vaincu par le bras plus
puissant de I'homme; it arrivera enfin au gaz d'6clairage, A
la lumiere electrique, sans pouvoir se dire jamais : < j'ai
fini , car ce i'est pas encore le jour, car la nuit n'est pas
vaincue, car nous soinmes fils de DIEU, nous tie sommles
pas DIEU.
Nous naissons dans J'ignorance, dans la faiblesse, mais
nous nous elevons, nous pouvons nous lever graduelle-
ment a la puissance, par I'effort, par la lutte contre tout
obstacle a notre bonheur.
Cet effort, il faut le fire. Cette lutte it faut I'accepter, car
il faut avancer, il faut marcher, il faut turner ou briser
I'obstacle.
Quand il est dans la resistance de la matiere, en nous
mnme ou hours denous, nous le tournonsou nous le brisons
en lui opposant. la double force active de la science et du
travail.
Quand il prend la forme d'un homnme, quand il est une
force active, aggressive, rnenagant directement notre bon-
heur,il faut le turner ou le briser par une invincible forced
de resistance.
De toute faCon il faut letter.
L'honmme qui menace le bonheur de I'homme est un en-
nemi de l'humanit6, La nation qui se fait un obstacle au
bonheurdes nations voisines est une ennemie de l'humanit6.
II faut resister a un tel heroine, a une telle nation. II faut
resister jusqu'a la mort inclusivement, car il n'est pas de
b')nhear hours la lib.rte, hors la faculty pour chacun, de
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
cultiver, de developper toutes les forces de son corps et
de son ame, de les employer, de les diriger, sous sa res-
ponsabilit6, dans le sens indiqu6 par son interet.
Hors la liberty, la liberty complete, absolue, sans autre
frein que la justice, 1'ame humaine ne peat vivre. Qu'im-
porte alors la vie de son envelope charnelle? Qu'ai-je a
faire du fourreau quand I'p6oe est bris6e?
Pour vaincre l'obstacle, it faut savoir et vouloir. II faut
l'habilet6 et la force, la science et le courage.
La science et le courage sont des apanages de la liberty.
Ce sont des vertus de l'homine libre.
La libertL est de telle indispensabiliLt au bonheur que
celui-ci est absolument impossible sans elle. Et c'est pour
cela, c'est pour sortir du malheur, que l'histoire entire de
l'humanit6 nous montre tant de peoples courant a la inort,
se faisant broker au nom de la [ibert6 par les canons des
rois, des tyrans de toute sorte, homines ou nations, a la
conscience pervertie par l'esprit du mal.
II faut vivre libre ou mourir.
II r6sulte de ces observations que tous les obstacles au
bonheur de l'homme peuvent Otre classes dans I'une des
trois categories suivantes :
lo Celui qui a sa source dans les imperfections minmes
de notre propre nature, tel, par e temple, I'obstacle qu'op-
posent a notre bonheur, nos erreurs et nos passions.
2o Celui que. nous oppose l'inertie de la matire extLrieure.
3o L'obstacle que, par suite de leurs erreurs et de leurs
passions, les hommnes opposent au bonheur les uns des
autres.
DIF LA RECHE'RCHE~ DU 30-NH1EUR
Obstacles au bonheur
resultant des imperfections de notre propre nature
L'homme :approche du bonheur : 1 par le travail qui
Assure la prosp6rit6 materielle, larichesse; 20 par la ,.ieii_-'
kqui nous livre les secrets de la nature et developpe notre
'force productive, et 3o par la vertu qui nous assure le con-
tentement nttinieur, la paix de l'Aine, en nous approchant
,du bien, du just, du vrai, de l'id6al enfin, par lequel
,l'fomme remonte A Dieu, se fortifie par la foi et entre en
,possession du vrai courage.
Vertu, Science, Travail, telles sont les lois imposes A
la nature humain-e par le Cr6ateur de l'Univers, et que
I'homme ne peut enfreindre sans tomber dans le malheur.
Qui manque de vertu, manque de courage, et reste in-
,capable des efforts qui doivent le mettre en possession de
.la science et des biens que procure le travail; il est 6ga-
lement incapable de d6fendre, de conserver mime les
ibiens qu'jl se procure par la fraude et la violence.
Qui manque d.e science, subit 1'empire de la matiere en
lui et hors de lui, et reste 6galemenL incapable d'imprimer
, ses efforts, Ai son travail, la direction necessaire A la rea-
Jisation de son bien-6tre, de sa prosperit.
Qui elude le travail, qui repousse la peine, la souffrance
;passagere de ['effort, ne peuL acqu6rir ni la prosp6rit6, ni
la science, ni la vertu, car rien ne vient a l'homme sans
,ui effort, sans un acte de sa volont6, s'exercant sur son
ktre. Repousser le travail, c'est ktre hors la civilisation,.
c'est renoncer A tout bonheur sur la terre.
L'homme qui viole ces lois de la nature humaine, qui
repousse le travail, la science et la vertu, tombe dans'le
malheur, subit le chatiment, parce que Dieu, en lui fai-
sant don de la volont6, du libre-arbitre, lui a impose la
responsabilit de son bonheur.
La paresse, l'ignorance et le vice le rendent miserable,
faible et le conduisent A l'asservissement: qui refuse de
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
travailler volontairement et pour son propre bien-ktre, tra-
vaillera forcement et pour le bien-ktre d'autrui.
Telle est la loi de responsabilit6.
Cependant I'hommenaitignorant et lache, quoiquedou6
de la pens6e, qui est une force suffisante pour le faire
sortir de 1'ignorance et de la lachet6 natives, et pour lui
conf6rer la science et le courage.
De I'ignorance et de la lachetL primitives, sortent une
nu6ede passionsbassesqui sont autant d'obstacles a notre
bonheur et au bonheur de nos semblables, si nous ne sa-
vons les reprimer: la paresse, I'intemperance, la luxure,
1'avarice. l'insociabilit6, I'orgueil, I'envie, etc.
Dans le language ordinaire, toutes ces passions basses,
se nomment des vices. Toutes les religions en font des
pech6s. Vice ou peche, c'est le mal, parce que cela 6loigne
du bonheur celui qui, en ne sachant pas vaincre en lui
l'ignoranceet la lIchet6, subitl'empirede toutesces basses
passions. Le mral devient crime, lorsque, non content de
detruire le bonheur de I'homme ignorant et lIche, it fait
de cet home un obstacle aun bonheur d'autres homes.
L'obstacle le plus actif d notre bonheur est en nous-m6-
mes : le plus puissant ennemi de chaque homme, c'est
done lui-m6me. Quand nous ne pouvons subjuguer cet
ennemi, il nous faut renoncer A toute esperance de bon-
heur; alors la lutte de l'hommie contre lui-meme devient
mortelle, car il est dans notre nature d'ecraser I'obstacle.
L'homme pent 6tre vaincu dans cette lutte; cela se voit
par l'extinction du flambeau. Le flambeau c'est la raison.
Quand elle est enti6rement 6teinte, la lutle est terminee,
I'homme a disparu; ce qui en reste se nomme un fou. II
y a des degr s dans la folie, parce qu'il y a des degr6s
dans l'affaiblissement de la raison humaine.- L'homme
vaincuparlui-minme peut aussi 6chapper au d6sespoir par
un supreme effort de volont6, en abandonnant la lutte :
c'est le suicide. Le suicide, une lachete sans donte, est le
r6sultat d'une lutte supreme dans laquelle un etre human
succombe. Qui a succomb6 dans cette lutte'? La bete ou
l'homme ? C'est un secret que le suicide emporte avec lui
-DE LA RECH.ERGIIE DU BONHEUR
dans !a tombe. Nons ne pouvons le juger. Devant la toimhe
qu'un Otre humnain s'est ouverte de ses'propres mains, je
me decouvre et passe en silence.
L'homme vaincu par ses passions. qui reconnait sa d6-
,faite et renonce a la la utte, to.nbe dans la degradation.
L'hornme d4grade m6rite le mnpris don't it est partout
1'objet.
Or, les loisde la naturede l'homme dominent.toute com-
munaut6 humaine.
Une nation peut aussi desesperer d'elle-meme et re-
noncer a la lutte centre les obstacles que lui opposent ses
erreurs et ses passions. Cet abandon de la lutte, dans la
communaut0 come dans l'individu, est. supreme. L'Mtre
humain:ne peut vivre dans le. dsespoir. Quiconque perd
fesperance est pros de sa fin..
Une nation ne pent tinir par la folie ou le suicide. -Son
desespoir n'a.qn'une issue possible : la.degradation.
L'acte d'une nation qui aurait de .1'analogie avec le sui-
cide d'unhomme, ce serait la renonciation volontaire a
son autonomic;. ce.serait le drapeau abattu et dechire par
la main. mnie de ceuxK qu'il coivre de son ombre. On iie
le hisse au haut d'un. mat, que pour nous obliger,, en le
contemplant, de lever !a [ete. Abattre le drapeau, c'est
abdiquer les gloires du passA et se longer. tte baissee
dans la honte 6ternelle. Et c'est A ce suicide que des 6cri-
vains inconscients ou criminels, s'efforcent de ppusser la
Nationality Haitienne depuis sa formation Nous ne pou-
vons commettre, nous ne comrnettrons jamais cette su-
prOme lachet6. Haiti, en se suicidant, ne se couvrirait pas
seulement de honte, elle serait-coupable d'une tentative
d'assassinat centre toute la. race noire.'
II faut mettre tin A cette litt6rature malsaine.- I faut eclai-
rer ceux qui se trompent de bone foi et qui noais pous-
seni au mal par ignorance. ou par un ,zelein.af entendu.. I
faut trainer les.autres a la barre de.la conscience humaine
et les marquer .du fer rouge de la reprobation.
Ce livre y s:uffira.t-il ?.le n'en ai cure. Ce n'est qu'une
orientation offerte aiux: enfants de I'Afrique dans tout le
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Nouveau-Monde. IUs marcheront dans la voie lumineuse,
j'en suis convaincu, parce qu'il n'est pas vrai qu'ils aient la
nostalgic des tenebres de l'Afrique. Aujourd'hui ou demain,
d'autres plumes tenues par des mains jeunes, rouges ou
noires, entreprendront la mime tAche en Haiti on ailleurs,
avec un succes toujours croissant quicontrebalancera mon
insucc6s.
De l'obstacle au bonheur
provenant de 1'inertie de la matiere exterieure.
La terre est un immense magasin,un reservoir gigantesque,
ofi la Providence divine s'est plu A accumuler avec une pro-
fusion inepuisable, toutes les resources, toutes les subs-
tances propres A satisfaire aux besoins, Acombler les desirs
de 1'homme.
Mais ]a maratre ne nous donne rien volontairement. Son
poing ferm6 ne lache la core d'dbondance qu'a celui qui
sait lui faire violence. Elle est toujours prete A reprendre
ce que nous lui arrachons de vive force, des que nous ou-
blions, des que nous nous reposons. L'effort ici a Wte jus-
tement no immi in la lutte pour la vie ). Cette lutte est sans
trove et sans merci.
Aussi la premiere conception du bonheur a W6t I'Eden,
le paradise terrestre, un lieu oft les forces latentes de la
nature er~itrent spontanement en action pour satisfaire aux
besoins de I'hommesans aucun effort, aucune intervention
directed de cdlui-i.'
Mais I'Eden a disparu de notre horizon; les forces de la
naturdsont rentrees,dans le repos; elles nous opposent
leur inerti4: Yalrore cette inrertie, tel a Wte, tel est encore
le premier interkt de I'homme.
Cette lutte contre ia nature se nomme le travail. Elle a
commence d6s I'apparition de l'hornme sur la terre; elle
est encore la question dominant dans toute soci6te hu-
maine. Son importance grandit avec le developpement de
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR 27
la Civilisation,.et plus one sociWt. s'est 61evee, plus la
question du travail y parait grave et menacante. Plus pres
de la nature, on reve de I'Eden, on cherche vaguement le
bonheur en renoncant a I'effort qlui est une peine et en
complant sur, la production spontanie pour la satisfaction
des besoins; les limits ktroites de cette production spon-
tan6e poussent a la limitation inconsciente ou volontaire
des besoins; border nos besoins par un effort de volontL
esl une -manifestation de notre forced'Ame. C'est la victoire
que la philosophies nous enseigne reinporter sur nous-
inemes. Subir eetle .limitation par detestation de ['effort,
c'est la mort de la pens6e. L'homme quicedeacessugges-
tions estdans une voie fatale. Toute eirconstance de quelque
nature qu'elle soit, sollicitation de notre ame. on -:,:j.:_--
tion du dehors, qui nous pousse A chercher la satisfaction
de nos besoins hors du travail, hors la lutte directed centre
les resistances de la nature, est funeste; parce qu'elle con-
duit A l'aneantissement de toute possibility de b-onheur. *
Le travail est la premiere voie qui conduise an bonheur :
nous avons done int[rOt A travailler. Plus notre travail est, .
productif, plus il nous rapproche du bonheur : nous avons:.
done intr't a diriger I'effort nomm6 travail, daisn'le sens
de la plus grande production possible. Plus le liaaili Se
rapproche de la loi naturelle de l'infinie vari6t-, plus il e't
productif : nous sommes done interesses'A la plus .rtn':le-
division possible du travail. Plus le travail est intelligent,
mieux il se divise : notre plus grand interet est done de
travailler avec intelligence.
Le travail est Lne vertui parce qu'il mine au bonheur.
Tout ce qui nous 6loigne (du bonheur est un vice. La paresse
est done un vice.
Telle est la position de l'houmme en face des resistances
de la nature exterieure : la science et le courage, tels. sont
encore les movens, la puissance qui lui.assure la posses+
sion d'une raison cultivee pour vaincre dans.cette lutte,
.pour 6chapper a la responsabilit6, c'est-A-dire a la peine,..
A la souffrance.
Celte loi du travail est une loi impose A la nature hu-
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
maine; la connaissance de cette loi n'est pas inn6e; nous
n'avons pas l'intuition du travail comme celle du bonheur.
Le premier travail de l'homme a Wte une suggestion de
la faim. Le travail est un effort; il est penible. Nous ne fai-
sons cet effort, nous ne subissons volontairement cette
peine que pour nous affranchir d'une autre peine plus in-
supportable. Reculer devant 1'effort qu'il faut faire, refuser
d6lib6r6ment de subir la peine passagere qu'entraine cet
effort, c'est le choix fait entire deux peines; c'est l'accep-
tation volontaire, et sous notre responsabilit6, de la peine
originelle qu'il s'agissait de supprimer. Cette peine qu'elle
est-elle?
La misere. L'homme paresseux est done responsible de
sa misere. Une nation qui fuirait le travail serait aussi res-
ponsable de sa misere. Et it en serait de mOme d'une race.
Mais si je vois et comprends aisement la paresse dans
un homrne, je ne vois pas aussi clairement a quel signe la
reconnaitrai-je dans une nation ou dans unp race?
Laborieux ou paresseux sont des terms qui marquent
des idWes relatives dans l'individu. Ces memes idWes ne
sauraient ktre absolues dans la collection, c'est-A-dire dans
la nation et dans la race.
Nous pouvons mesurer la production d'un peuplecomme
celle d'un homme, mais qui.peut dire sans impertinence,
si la somme de cette production est gale ou interieure a
ce qu'il faudrait pour declarer paresseux dans la situation
6conomique particulire" d'une nation, un people qui tra-
vaille et qui product?
Le negre en Afrique produit-il? Je n'en sais rien et n'ai
pas besoin de le savoir. J'admets que sa production est
nulle.
En est-il ainsi parce qu'il est paresseux on parce qu'il n'a
pas recu la revelation de la loi du travail? Je l'ignore et ne
peux m'en assurer.
Mais je sais que, comme tous les sauvages, les blanes
coinme les rouges ou les jaunes, il fait 1'effort primnitif de
la cueillette, de la chasse et de la pOche. 11 est done a cet
6gard, comparativement aux plus avances des peoples dela
DE LA RECHERCHE DU BON:HEUR
race. blanche, A la mime.distance qui,.s6pare ces.penuples
de lenrs propres ancetres.
Les negres en Afrique sont savages. Gela n'est pas un
argument centre l'6galite native des deux races, la blanche
ayant .anssi pass par cet ktat.
Mais la race noire en Haiti a reqn la rv&lation de la loi
du travail. Cela n'est pascontestable. Livr6 A lui-inemne,
devenu ind6pendant de la France,. l'haitien est-il trestd
assujetti a cette loi, qui est aussi une loi de progres? ou
bien au contraire se soustrait-il A cette loi, c-de-t-il a la
paresse, retourne-t-il A la cueillette, a 1N'tat. sauvage de
I'Afrique ?
La question est important; elle est capital dans ledbat.
Sir SPENSER St-JOHN r6pond avec assurance a cette der-
nitre question par.1'affirmative. Et quiconque propose., dans
quelque pays que ce soit, la violation des droitsde I'hon.me
dans la .person ne du negre,,verse des pleurs sur les richesses
de St-Domingue, se latnente en invoquant;l'image de ce
paradise. perdu .des eselavagistes.
Mais les fails justifient-ils ces larnmes de d6sespoir? La
Reine des Antilles a-t-elle Wtd st.rilisee .dans les bras du
negre? A-t-elle cessA d'etre fhcond6e par la sueur de l'homme
en cessant de l'etre par la sueur et lesang de I'esclave?
Le moindre coup d'oeil sur la statistique du commerce
gDneral du monde suffirait pour r6duire n6ant,Loutes ces
extravagantes assertions, pour montrer A qui veut.s.edonner
la peine d'y regarder, que, proportionnellement .A son
ktendue et a sa population, la Republique d'Haiti occupe
un' rang distingu6, trcs distingu6, une place .d'honneur,
parmi les nations civilis6es, par sa contribution atinuelle
A la richesse universelle, au bonheur de l'humanit6.
L'haitien produit. Et sa production relativement abon-
dante, est toujours en progression croissante.
,Par oAu voit-on done qu'il ,retourne A l'etat sau.vage, que
de people libre, ind6pendant, souverain et civilise, il des-
,cend A la.condition de tribu?
Le lecteur trouvera.dans un autre.chapitre de ce livre, la
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
preuve de ce que j'avance ici sur l'abondance relative et
I'accroissement graduel de la production d'flHati.
Mais qu'il me soit permis de faire ici une derniere reflexion
sur les rapports de cette production avec la question de
race. II est heureux pour moi, pour nies compatriotes et
pour tous les enfants de 1'Afrique auxquels on oppose dans
le reste de 1'Amerique, des arguments insens6s, bass sur
les calomnies et les injures don't on abreuve Haiti et les
haitiens, il est heureux que les faits ici soient fortement Ai
l'appui de la cause que je soutiens. Mais il aurait pu en etre
autrement, j'aurais pu me heurter au p6nible phenomnene
d'une production faible et decroissante.
Cependant, m6me en ce cas, je ne saurais conc6der la
these de Sir SPENSER St-JOHN. Personne, pas plus que moi,
n'admet une difference, une hierarchie dans la constitution
essentielle de, la pens6e humane, tandis que de l'enfant a
l'adulte, chacun peut a tout instant, constater dans son ,tre
individual le ph6nomene du developpement graduel, mais
in6gal, de nos facult6s, aux diff6rents ages de notre vie, et
suivant les moyenb d'6ducationdontnousdisposons. Ainsi,
une production faible et nminme d6croissante d'Haiti ne
serait pas la preuve d'une inferiorit6 nativequela meilleure
education possible ne saurait effacer, dans les hommnes de
la race noire.
Ceci est une extravagance qu'aucun ordre de faits ne
saurait jamais transformer en une realil6. Mais un tel ktat
de la production haltienne ponrrait etre invoqu6 a l'appui
de la these moins desesp6rante de MOREAU de St-MERY.
On pourrait y voir la preuve que, pour reveiller la penske
si longtemps endorinie de l'africain, il faudrait un plus
long contact direct avec la civilisation que n'en ont eu les
haitiens.
Fort heureusement, dans cette question du travail, les
fails constates me dispensent 6galement de rien conceder
m.lme A MOREAU de St-MERy.
Ils me perinettent au contraire de garder tout entire la
conviction, que j'espere fire partager au lecteur, qn'Haiti
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
depuis son ind6pendance a avanc6 aussi rapidement qu'on
pourrait raisonnablement l'attendre d'un people de race
blanche place dans des conditions absolument identiques.
Est-ce A dire que la progression ascendante acluelle de
la production haltiennesoit absolument satisfaisante? DIEU
me garde de semblable absurdity. Tout ce que je pretends
est ceci: l'ignorancede la loi naturelle qui impose A l'homme
1'obligation de travailler est le signe de l'6tat savage dans
l'humanit,. Tout hormme qui con.oit cette loi naturelle el,
qui s'y conforme, est sorti de 1'6tat sauvage. Toute sociWte
humaine qui regoit cette notion et l'accepte librement est
entree dans la civilisation. Le signe qu'une nation accepted
la lutte, qu'elle travaille, c'est sa production: le signed qu'un
people, libre comme l'est le people haitien au moins A cet
6gard, ne subit pas inconsciemment la loi du travail, que
l'effort est accepLt par lui librement, volontairement, c'est
l'accroissement graduel desa production. Le people haitien
n'est plus esclave. It n'est point astreint au travail par une
force exterieure, ind6pendante de sa volontL.
II product et sa production est croissante. Done il n'est
pas sorti de la civilisation; done il march, it advance en
civilisation. C'est tout ce qu'il y avait a prouver.
Y a-t-il un terme final, un ktat precis, dkterinhin, quni
constitute la civilisation? Qui dit cela? Qui peut determiner
le point d'arrivee ofi cessera la inarche ascendante de
l'hurmanite? Et s'il n'en est point ici, est-il sense d'affirmer
qu'Haiti n'est pas civilis6e, qu'Haiti est incapable de civi-
lisation?
S'arreter, c'est se reposer. Se reposer, c'est rentrer d'un
bond dans l'6tat savage. Quant a un moment doniu,, un
people ne trove pas quelque nouveau progres A r6aliser,
on dit qu'il pitine sur place si sa production reste station-
naire, et l'image est just, parce qu'il nous taut autant
lutter pour conserve notre domaine que pour en ,tendre
les limited.
Quand le nivean de la production baisse dans tn Etat,
nous disons qu'il recule. Cela est vrai parce qu'il y a la
signe d'alfaiblissement.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Que faut-il dire de celui don't la production est crois-
sante?
J'estime que la production haitienne, si levdee qu'elle
soit A cette here, est loin encore, infinimnent loin de ce
que nous permettraient d'esp6rer les richesses'naturelles
de notre sol, les avantages particuliers de note clinat, et
la puissance de l'outillage perfectionn6 du travail au temps
oft nous vivons.
Cela me preoccupe comme citoyen de mbn pays, sarin
m'inquieter le moinsdu mondeence qui concern la race'.
Toutes les nations de race blanche.yui nous ento6irent
ont-elles atteint le maximum de production quite compor-
tent leur sol, leur climate, et le perfectionnemient ,de l'ou-
tillage moderne ? Qui oserait affirmer cela ? Qui entre-
prendrait de le prouver ?
Pour toutes les nations, ce sont 1A des questions d'6co-
nomie politique. Et cette science date d'hier. La d6mons-
tration des avantages de la division du travail, ne remote
qu'A ADAM SMITH.
Et le.dern'ier mot de cette science est encore, A trouver:
est-il protection ou libre change ?
Direction intelligence, division du travail, production
plus abondante, r6partition plus equitable des richesses,
autant de graves questions, pour les haltiens comme pour
les autres peuples. Mais je le repete, pour nous, come
pour les autres, ce sont des questions d'6conomie politi-
que 6trangeres A la question de race; je n'ai done point,
en ce qui concern les haitiens, ni A les poser cette
place, ni A les resoudre dans ce livre.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Des obstacles
que les hommes opposent au bonheur les uns des autres.
La bete de Proie
Avant le riveil de la pens6e chez l'homme, dans I'en-
fance ou dans 1'etat sauvage, il est faible et procede d'ins-
tinct comme les animaux. Comme eux, il.n'a a sa dispo-
sition que la force brutale, I'audace et la ruse.
Dans I'emploi.de ces moyens, il est domino par l'instinct
de la conservation.
Press par le besoin, il devient agressif et se jette impi-
toyablement sur tout ce qui lui semble propre a apaiser
sa faim.
C'est une bete de proie.
Dansson action aggressive, la bktehumaine, pas plus que
les autres animaux, ne brave la miort; elle l'ignore:
Le savage a naanmoins le vague instinct du danger.
II ne se risque que lorsque l'instinct de sa torce materielle
et de son adresse efface celui du danger. It se mefie nean-
moins et recourt a la ruse avarlt I'attaque. Mais si la proie
attaqu.e resiste a l'emploi simultan6 ou. successif de la
ruse, de t'adresse et de la force brutale, I'instinct du dan-
ger se reveille en lui terrible, irr' sistitble; il est pris de
peur, il a la chair de poule et fuit.
La bete humaine, ce bouletde format que tralnel'homme,
est done comme tous les animaux de proie, m6fiante, pol-
tronne et feroce. Elle s'attroupe come le loup pour atta-
quer et d.6vorer le faible. Elle s'attroupe aussi come le
mouton pour la fuite. Elle se mU1fie de I'inconnu, de l'6-
tranger; c'est un ennemi possible, done c'est, I'ennemi.
Devant 1'etranger elle prend de l'espace et observe A dis-
tance prudent pour s'assurer s'il est proie ou bete de
proie, pour mesurer les chances de la lutte et decider si
l'on peut se jeter dessus ou si l'on doit lever le pied. Soit
DE LA RECHERCHE DU BONHE.UR
qu'il attaque, soit qu'il recule, et quelle que soit I'issue de
la lutte, (lorsqu'il se decide a l'engager,) l'animal human
est et reste toujours lache Vaincu, il s'aplatit come le
chien et tremble devant le maItre; vainqueur, it a la cru-
aute qui accompagne toute lIchetl;: il depouille le vaincu,
mange ce qu'il peut et d6truit le reste.
C'est ['instinct de la conservation qui rend l'homme
agressif. II attaque pour se procurer une proie, pour vivre.
C'est aussi I'instinct de la conservation qui.,e pousse a la
resistance.
11 se defend pour 6chapper-au sort de toute proie, pour
ne pas 6tre mang6.
Dans l'un ou l'autre cas, nous faisons la guerre, nous
affrontons le danger, nous nous exposons a la mort, par
attaehement a la vie.
La guerre est done le premier mot de l'humaine nature.
La paix est-elle done impossible parmi les hommres ?
Non car la paix est l'aspiration irresistible de l'ame
humaine, de meme que le repos est I'instinct le plus puis-
sant dans la bete.
L'amour de la paix inspire la resistance, la lutte qui
chasse ou d6truit la bete de proie.
L'amour du repos endort la vigi!anceet nous rend proie
pour la bote qui nous guette dans le silence et dans l'om-
bre et se jette sur I'homme qui s'endort, qui cede A l'ins-
tinct du repos.
II faut veiller d la bMte de proie.
L'homme, cedant A ses instincts, ignore ou fuit le travail
qui est Faction; it cede a l'attrait du repos, il n'est que la
bdte. La faim le force de sortir de ce repos ; elle est pres-
sante, imperative: il faut manger ou mourir.
Sous l'aiguillon de la faim, il se reveille bMte de. proie et
entire en chasse ou en guerre. Ce sera la vigilance ou la
resistance du gibier qui en d6ecidera.
Pour vivre, it attaque les autres animaux, y compris
ceux qui sont semblables A lui-meme. II enlIve a ces der-
niers la proie conquise par eux, c'est la spoliation. 11 mange
aussi le vaincu, c'est ['anthropophagie.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
L'humanitV entire a comment par la. La spolialion
et I'anthropophagie procedent done d'un mime principle
bestial: la vacuitL de ['estotmac. C'est done la mmrne chose.
Avec la civilisation, l'anthropophagie disparait, la spo-
liation reste et montre t'impossibilits pour t'homme de
d6pouiller entibrement son envelope charnelle, de s'at-
franchir de la bete.
Du bandit calabrais d6pouillant les voyageurs, A l'agio-
teur, ou A l'homme d'Etat de la haute civilisation contem-
poraine, d6pouillant I'un les peoples, l'autre le gogo, ce
n'est qu'une question de forme. Le gant blanc cache, mais
ne d6truit ni ne ronge la griffe de la b6te de proie. Elle
n'en pousse que plus longue et plus acer6e.
SPres de la nature, I'homme vaincu en lni-m0me par la
bete, est franc dans sa ferocite; il se jette brutalement
sur sa proie, il est moins dangereux: on le voit, on l'en-
tend venir, et l'on a quelquechance de fair ou de l'abattre.
Plus loin de la nature, il devient hypocrite; it cache la
griffe dans le gant blanc, montre a ses fr6res, en souriant.
gracieusement, une constitution tiberate oa un gospel,
pour qu'ils se laissent approcher a la portee du poignard
assassin each dans la manche d'un habit correct commune
tissu et come forme.
Qui ne veut 6tre victim de 1'hypocrisie de son seinbla-
ble en ce monde, doit dechirer I'habitet mesirer dans son
frere, a quel degr6 I'homme subit la domination de la
bete.
Pour approcher de plus en plus de la paix, cette aspira-
tion de l'ame humaine, il. faut savoir resister a I'anthro-
pophage, au spoliateur.
Pour n'Wtre pas proie, it faut chasser, d6truire en soi-
meme et hors de soi, la bete de proie.
Cela est possible, car la bete est toujours lache.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Le Militarisme.
De la bravoure au courage. Du soldat au citoyan.
Le sauvage ignore le travail et ne trouve dans ses ins-
tincts aucun moyen d'apaisersafaimen dehorsde lachasse
ou de ]a guerre.
Mais il est homme car il porte en lui la pens6e. Plus t6t
ou plus tard, cette pensee se reveille.
Elle se 1eve et fait la lumiere en son ame, comme le so-
leil se l6ve et dissipe les t6enbres de la nature.
Fiat lux C'est le premier mot de la grande genese hu-
maine. Fiat lux Et comme la lumiere, l'homme est, et la
pens6e, sa vraie lumiire, s'6live, s'61lve toujours. Attein-
dra-t-elle jamais son Zenith ? Est-elle destinee A redes-
cendre jamais ? A-t-elle un accident ? Myst6re don't Dieu
garde le secret. Nous ne l'avons vue suivrejusqu'apresent
quelamarcheascendante.Mais nous avons vuaussi que,com-
melalumiere du soleil, elle dissipe lentementles tenebres,
commence par un 16ger cr6puscule, announce, mais fait at-
tendre ( l'aurore aux doigts de rose d'Homere ) ou I'Age
d'or, la society patriarcale de l'ancien testament.
Nous savons aussi que cette luminre ases6clipses com-
me celles du soleil : c'est le conquerant, I'honnmme de la
nature qui intercepted le rayon du philosophy, de l'homme
de la pensee; c'est 1'ombre d'ALEXANDRE sur DIOGotNE :
< Ote-toi de mon soleil. )
Nous savons enfin que les rayons de cette lumiere de
1'anme humaine comme ceux du soleil, 6chauffent, bruilent
autant qu'ils 6clairent et provoquent la sueur de I'homme
qui feconde la terre.
Avec le reveil de la pensee, I'homme recoit la revelation
de la loi du travail. C'est la loi de I'effort, de la peine vo-
lontaire. Mais la bete est lAche; elle redoute l'effort, elle a
peur de la peine.
Comment Mluder la loi ? Comment se procurer la riche
proie qu'offre le travail sans travailler soi-mOme ?.....
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
En mmie temps que la r6v6lation du travail, le r6veil de
la pensee nous apporte la revelation de la force.
Ces notions sont d'abord vagues, incertaines come
tout ce que nous apercevons dans une obscurity qui n'est
plus la nuit, mais oui le jour penktre a peine. Elles agis-
sent d'abord sur I'instinct de la conservation, et 1'eclai-
rent sans pouvoir encore en modifier la direction.
De la loi du travail, sortira plus tard la notion du devoir
qui s'affirme lentement, mais irr6sistiblement. A measure
que la pensee s'6lIve. La r6v6lation de ['existence de la
force en son etre, faitjaillir 6galement en l'homme la no-
tion du droit qui s'affirme anssi irresistiblement, A measure
que l'humanitL advance, mais non moins lentement que
celle du devoir.
Ce que I'esprit naissant de I'hornmme apergoit distincte-
ment d'abord c'est la notion de la force elle-mtme, et
I'Mtat primitif de guerre s'aggrave.
Au d6but, le sauvage fail la guerre par instinct;il affronte
le danger parce qu'il n'en a pas conscience. It est brave..
Mais sa bravoure est celle de la b6te de proie. II se jette
imp6tueusement sur tout ce qui lui parait sans defense,
que ce soit un animal a d6vorer, un village a rangonner
on des homes a asservir.
Une resistance 6nergique I'arrkte; I'imminence du dan-
ger le rend a la poltronnerie native de l'animal et le met
en fuite.
Le premier correctif A notre impulsion guerriere c'est
done la peur du danger. Cette peur est insurmountable
dans l'animal; elle peut etre vaincue dans I'homme.
Le emur human passe A cetl gard par trois 6tats dis-
tincts: l'ignorance, I'oubli et le m6pris du danger.
Comment gravissons-nous cette echelle ?
Par I'analyse du danger et des causes de son influence
sur notre Ame.
Le danger est partout; nous le rencontrons a chacun
de nos pas: le cheval que je monte peut s'abattre et me
renverser; le vaisseau qui me porte peut s'ouvrir et s'en-
gloutir avec moi dans l'abime; un travail excessif peut
do DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
me causer une congestion ce6rbrale ; je puis glisser en
merchant, tomber et m'ouvrir le crane en heurtant un
pave, de m6me que la proie que je poursuis, homme ou
bete, pett se retourner et m'abattre.
Le danger lui-meme n'est done pas ce que nous redou-
tons; autrement la vie serait insupportable.
L'homme qui a conscience de tous les dangers qui Fen-
todrent, en prend naturellement son parti et arrive par
1'oubli a la quietude de l'ignorant. Cela est possible parce
que le danger est m6diat dans l'6tat habituel des choses ;
il est toujoursassez 6loign6 pour ne pass'imposer A notre
attention.
Ce qui nous kmeut, c'est l'approche, c'est l'imminence du
danger, et pour nous en 6loigner, nous f'uyons jusqu'a ce
que la distance nous rende la quietude. Mais la fuite n'est
pas toujours le plus sOr moyen d'6chapper au danger. A la
guerre surtout, la fuite peut-Otred6sastreuse en nous livrant
sans defense A 1'ennemi, s'il nous atteint dans cette fuite.
Cependant le danger A la guerre est plus proche, plus
imminent que dans les autres actes de la vie; il s'impose
plus imperieusement A notre esprit et, selon l'etat de ce
dernier, it produit des impressions tres-diverses sur notre
ame.
Nous savons bien que le danger n'est pas immrdiat : tous
les soldats engages dans une bataille ne meurent pas; tous
n'en reviennent pas avec une blessure et toutes les bles-
sures ne sont pas necessairement mortelles. Mais chacun
sait aussi qu'il peut ktre parmi les inorts ou les bless6s,
et le danger est certes plus imminent que tous ceux qu'il
pourrait courier en temps de paix, au coin de son foyer.
Le sauvage absolu aborde ce danger avec indifference
parce qu'il I'ignore. II meurt avant d'avoir apergu, avant
d'avoir compris qu'il allait mourir.
De IA, la possibility d'une tres grande bravoure chez les
peuples sauvages; de la aussi une plus grande probability
de la reaction, de la terreur panique dans. I'homnme igno-
rant que frappe subitement 1'approche, la r6velation..du
danger.
DE LA RECHERCHE DUiBOQNHEUR
L'homme avant conscience ;du dangerdela guerre, arrive
sur un champ de bataille avec des movements differe.nts
de 1'ame selon la tournure de son, esprit : ou il a 6.t frapp6
de 1'dloignement de ce danger en considerant ceux qu'il a
vus revenir de la bataille vivants et c6l6brant la victoire
par des chansons guerrieres, ou il a consid6r6 l'autre face
de la mndaille et n'a vu que les morts et les bless6s.
Dans le premiercas, le conscrit, aubapteme du feu, oublie
le danger sans efforts et se conduit en brave. Dans le se-
cond cas, I'enr616 ne songe qu'au danger qu'il va affronter.
11 se croit a sa derniere here et le premier roulement du
tambour lui donne la ( chair de poule ).
Cette peur vient en effect de la chair, c'est la poltronnerie
native de la bete. Abandonnez-la d elle-mime, elle fuira
.sans hesitation. De lA vient la n6cessit6 et la justification
d'une discipline militaire, d',une force exterieure, qui main-
tienne le poltron au feu.
Cette discipline agit surla peur elle-inmme en substituant
un danger immidiat au danger plus 6loign6 qui effraie le
conscrit.
( Si tu restes sous le drapeau et fais come les autres,
L< tu peux ne pas mournir, lui dit-on, et si tu reeules tu
< mourras sftrement. Devant toi la mort est possible inais
a pas certain; derriere, elle est inevitable. )
La poltronnerie du soldat estcrime capital. Elle est punie
de mort par la loi militaire. Cette loi serait injuste et ab-
surde si elle 6tait autre chose qu'une cole, si cette pol-
tronnerie de la chair 6tait insurmountable dans la chair.
II n'en est heureusement pas ainsi. En restant mnine for-
cement sur le champ de bataille, I'homine, par cela meme
qu'il y reste, qn'il n'est pas mort, perd graduellIment le
sentiment del'imminencedu danger. L'exemple de ceux qui
l'entourent, quelques mots d'encouragement qu'on lui dit,
I'exitation de sa curiositL par la nouveautL du spectacle
auquel il assisted, lagaiet6 meme des cainarades qui rient
de sa poltronnerie, tout concourt d distraire sa pens6e de
sa preocupation premiere, et il finit par oublier aussi le
danger. Son emotion, s'il lui en reste meme, sera moindre
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
en abordant un nouveau champ .de bataille et disparaltra
au troisieme ou au quatrieme combat. Alors, on dit qu'il
est aguerri. II est brave; il 1'est devenu par la force de
l'habitude. II parait que c'est le cas de la grande majority
des soldats, car cette bravoure acquise a eWtgeneralisee
par cette definition de BONAPARTE :
< La bravoure du soldat est une affaire d'habitude D.
Remarquons encore que, entrecette bravoure et celle de
l'homme qui aborde le champ de bataille en oubliant le
danger pour songer a la gloire ou a autre chose, la diffe-
rence est du plus au moins. Le premier, maitre de lui-
meme au point initial du conscrit, rnaltrise le second, et
s'arme centre lui de la discipline. C'est un home qui
prend 1'autoritl et laresponsabilited'en conduire un autre.
La peur le lui a livr6. Ou le menera-t-il? Evidemment ofi
il voudra; et l'autre le suivra tout le temps que les deux
ne seront pas arretes par une force snuprieure. L'un est
chef, l'autre soldat, et le monde est overt devant eux. 11s
marcheront a la conqukte du monde.
11 y a aussi cette consequence grave: l'homme aguerri,
l'homme, chef ou soldat, qui n'a que. la bravoure du sol-
dat, va a la guerre ot l'on peut mourir comrne le matelot
va a la mer sur un navire qui peut couler, comme le m6-
canicien monte sur une locomotive qui peut sauter, corn-
me chacun de nous monte dans une voiture qui peut se
briser; c'est-a-dire par habitude, par OUBLI DU DANGER
MEDIAT. La bravoure' du soldat est done professionnelle
et en fait un home de metier: il peut ( travailler dans
sa parties ) au salaire ou A la tache. De lA les soldats mer-
cenaires, les routiers, les condotierri, les suisses, les gens
qui se battent sans ktre interesses dans le-s motifs de la
guerre pour laquelle ils s'engagent.
Qui peut les payei' trouve sfirement des soldats aussi
bien que des portefaix. Le monde est plein d'aventuriers.
Le soldat qui n'est pas encore un hornmme, qui n'est qu'un
soldat, peut done devenir un instrument de tyrannie. II
pent s'enr6ler au service d'un tyran chez lui ou au de-
hors, pour un salaire ou pour le pillage.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
Le soldat c'est done la bMte de proie.
A 1'int6rieur, il est la tyrannie.
Venu du dehors, it apporte l'eselavage.
Dans l'un et 1'autre cas, it est l'obstacle que l'homme
oppose au bonheur de F'homme.
Le soldat c'est V'agression.
Est-il du moins la resistance, assure-t-il I'effica.eite de la
defense ?
II faut repondre sans hesiter par la negative. La bravoure
du soldat proprement dit, parvenue a sa plus grande hau-
teur, nest que la manifestation de ce ph6nomene: 1'ame
humaine contr6lant, mattrisant les emotions de son enve-
loppe charnelle.
Quelque absoluquesoit l'empire ainsi exerce parl'hom-
me sur son corps, it n'est pas au plus haut term de la
puissance humaine. On n'y arrive qu'en apprenant A mai-
triser les- mouvements de l'Ame elle-mnme. Comme le
corps, I'Amehumaine aaussi ses d6faillances, ses lachet6s.
Ici nous abordons de nouveau la lutte interieure de cha-
que home centre lui-meme, de la pensee qui nous fait
home et nous Aleve contre la matiare qui nous ravale.
Dans cette lutte, nous obtenons une premiere victoire
en amenant la chair a l'oubli du danger; mnais it faut as-
sujettir notre Ame a la discipline contraire; it ne faut pas
qu'elle oublie aussi elle-mome, carla bete peut la surpren-
dre en se souvenant brusquement et l'entrainer dans sa
chfite. Qui n'est pas maitre de son Aine n'exerce pas en-
core un empire absolu sur sa chair.
L'homme qui a bien regarded le danger, qui I'a 6tudi6, et
qui le nmdprise, n'aplus rien Aredonter de sa chair; elle est
vaincue, elle a onbli6 d6finitivement et ne se sorviendra
jamais plus. Un tel honmme est en possession du courage,
de ia vraie force.
Ce qui donne le courage A Phomme, c'est la conviction.
Un home convaincu, dit JOHNSTUART MILL, vautcent
hommes ordinaires.)
II se ti'ompe. Un homme convaineu resume l'humanit6
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
en son Otre el vaut plus qu'une arm6e entire luttant pour
spolier.
De faibles femmes montant sur le bucher ont Wte assez
fortes pour vaincre l'antiquit6 paienue et la jeter au pied
de la CROIX.
L'hornme tout entier se retrouve dans la foi, la foi vi-
rile qui donne le courage, qui faith le vaillant, le lutteur.
II faut croire en DIEU, c'est l'esp6rance et l'esperance
est une force. II faut croire en soi-meme, c'est le courage
et le courage est la force suprOme.
< Aide-toi, le ciel t'aidera. ,
La leoon est imperative, elle vient du CHRIST.
LA ofh manque la conviction, la foi en soi-meme, le cou-
rage est faible et la bravoure du soldat ne saurait supplier
le courage dans l'homme.
A la guerre meme, le danger peut se presenter immense,
pressant, irummdiat. Alors, le soldat qui n'est que soldat,
qui n'a que la bravoure du soldat, tombe au-dessous du
conscrit. II rompt les liens de la discipline, tue le chef qui
tente de la lui appliquer, lance le cri de la bete affol6e :
(( Sauve qui peut ) et une gloire militaire de ,plusieurs
siecles peut s'effronder dans une heure de panique.
L'homme qui peut sauver sa patrie, sa race ou l'huma-
nit6, c'est celui qui renonce 5 se sauver lui-meme et qui est
toujours pret a toute here, en toute circonstance, a rendre
la bete a la nature et son atte a DIEU.
Cette force de conviction est dans notre nature. Elle nous
est possible. On l'acquiert par la discipline de l'ame.
De I'agression du sauvage domine par ses instincts, a la
resistance invincible du citoyen, de l'homme en qui la
conviction fait jaillir le courage, il s'ktablit une longue
6chelle d'in6galit6 dans la force respective des homes ou
des nations.
De cette in6gal[te nait pour les plus forts la tentation de
la conqukte, de la spoliation.
Mais cette tentation mo me est destructive dela conviction,
de la vraie force.
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
DinE n'a point permis que la foi 6clairat le coeur du spo-
liateur, de l'homme de I'iniquit6.
Tout people qui ne salt resister A la tentation d'abuser
de la force, tout people qui convoite seulement le territoire
de son voisin,a violelaloide DIEuetmarche au chatiment.
En devenant conquerant, it cesse d'etre citoyen pour de-
venir soldat. II abdique pour la bravoure qui a des bornes,
le courage qui est illimit6, qui seul confWre a I'homme la
puisssance de s'61ever au-dessus de la iinort et d'atteindre
au sublime.
On peuttoujours r6sisterau spoliateur; on peutle vaincre
par la superiority du courage qne donne au faible la foi
dans la saintete de la resistance. II faut done resister et
vain cre.
La bravoure peut fonder un empire, le courage peut seul
le conserver.
La bravoure fait le soldat, c'est le courage qui fait le ci-
toyen, qui fait l'homme.
, Le courage est la consequence du developpement, de
I'intensit, plus ou moi ns grande h laquelle arrive notre force
de volonte par la pratique de la libertL et de la respousa-
bilit, individuelle qui en d6coule. C'est ce que j'appelle la
discipline de 'Fame.
L'homme libre, libre dans son ame et dans sa pensee,
est seul fort, assez fort pour d6fendre sa liberty politique
centre le tyran, ou sa liberty naturelle contre 1'esclavagiste.
L'homme libre seul est citoyen. Le courage est done la
vertu du citoyen, car c'est par le courage qu'il peut s'e1ever
A la hauteur du sentiment de la patrie, du sacrifice, du de-
voir enfin, et renoncer A tout app6tit, A toute jouissance,
ai tout ce qui vient de la bete, a la vie elle-wOme, pour le
salut, la grandeur, la rehabilitation d'un people ou d'une
race.
* Le soldat monle sur un tr6ne, 4crase les homes sous
sa botte 6peronn6e et les refoule dans la nuit, dans la lutte
obscure, sans gloire et sans issue, dans le malheur, dans
l'enfer terrestre. JEsus monte sur une croix et 1'humanit6
r6habilit~e, rachet6e, march dans la voie du bonheur, en
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
pratiquant le sacrifice, en s'assujettissant au devoir, en gra-
vissant le Golgotha a la suite de L'HOMME-DIEU.
Toute nation qui prise mieux le soldat que le citoyen
march a sa ruine, car elle est entree dans le militarisme
qui est un obstacle au developpement de la pens6e et, par
consequent, du courage qui ne peut sortir que du dove-
loppement, de l'V16vation de la pensee. Le militarisme d6-
truit done l'hommeau profit de la bete et produit fatalement
1'affaissement des Amnes, la lachet6.
C'est une loi inexorable de la nature humaine.
L'empire d'ALEXANORE disparut avec ALEXANDRE. Rome
r6publicaine et citoyenne subjugua l'Univers; la Rome mi-
litaire et conquerante des CUsars tomba dans la corruption
et disparut sons la poussee des barbares. L'Empire d'Occi-
dentformn par CHARLEMAGNE, disparutavec CHARLEMAGNE.
La victoire conduisit BONAPARTE a Berlin, a Vienne, a Mos-
cou et poussa les limits de la France au delai de 1'Elbe.
Ladfaite les ramenaendeca du Rhin etdes Alpes. MARENGO
porta le jeune general sur un tr6ne, Waterloo le jeta, mo-
derne PROMgTHIE, sur un rocher ou un geolier anglais tint
captif le maitre du Monde.
La conqukte cr6e le militarisrie. Le militarisme conduit d
l'asservissement.
(< Le premier qui fut roi fut un soldat heureux.
Mais le premier qui fut esclave fut un soldat vaincu.
C'est le soldat qui rend l'eselavage possible pour les autres
et pour lui-mmte. IL est infirieur au citoyen, car sa vertu
c'est la bravoure militaire qui a besoin d'6tre relev6e, sou-
tenue, par le courage,
La vertu du citoyen, c'est le courage lui-mime. <( Aucune
force ne peut asservir I'homme qui a le courage, la volont6
d'6tre libre ,.
Toule force humaine est le produit d'une discipline. La
discipline du soldat est hors de sa volontL, elle lui est im-
posee par le code et la sanction du code c'est la prison, le
baton, la fusillade,. c'est le chatiment, la peine artificielle
infligee par l'hommine. C'est la discipline de I'esclave. La
loi du soldat, c'est I'obeissauce passive. C'est la negation
DE LA.RECHERCHE DU BONHEUR
de la responsabilit6 dans I'Ptre humain. Et qui n'a pas de
responsabilit6 n'est pas libre.
La disciplined I'homrne libreesten1ni-mnme; elle n'est
6crite dans aucun code; ii la trouve dans son Atme. Elle y
est formulee en une pensee unique qui est tout I'homme,
du commencement a la fin, cette pensee, c'est le devoir. La
sanction du devoir c'est la responsabilite.
Quelque condamnable pourtant que soit la guerre.en elle-
mime, elle n'a malheureusement pas encore disparu de
1'horizon de I'humanit6. Le si vis pacemn des Romains; n'a
pu 6tre efface par dix-neuf sikcle- de fraternity chr6tienne.
II fant done se preparer a la guerre, a la defense. II faut
done former le courage; done it faut qne 'homnmesoit libre
et qu'il devienne ou rest citoyen.
Qu'il y ait doncpartoutl'ecoleoi 1l'oi enseigne la guerre,
I'art de la defense et de l'attaque; l'ecole odt se fortent
des officers et des soldats-citoyens.
Mais cette cole, Acad6mie, caserne on champ de ma-
noeuvres, ne peut former le soldat-citoyen quesous la con-
dition express, incommutable, de n'Wtre qu'une cole, un
lieu oft 1'on apprend a d6fendre la patrie et a mourir pour
elle.
Tous les citoyens doiven t passer A cette cole mais chacun
n'y doit rester que le temps strictement necessaire A I'en-
seignement thIorique et pratique requis pour la defense de
la patrie.
II en est des armies pour le moral de l'hornme come
de certaines manufactures pour la sante de son corps. Elles
sont insalubres; 1'air qu'on v respire empoisonne.
L'arm(e est l'instrument de la tyrannie; elle est la tyran-
nie elle-mOine,et toute tyrannie est coupable dans son but,
dans ses moyens. Toute tyrannie est criminelle; non seu-
lement dans le tyran mais encore dans ceux qui acceptent
la tyrannie.
Elleest coupable dans ces derniers, parce qu'ils acquies-
cent a la tyrannie, se sonmettent au tyran, pour creer a
leur profit une force qui d6tourne la part de bonheur d'au-
trui,etqui de plus d6truit en eux-memes et danslesautres,
DE LA RECHERCHE DU BONHEUR
le sentiment de la dignity humaine. Quiconque voit dans
une armee autre chose qu'un instrument necessaire at la
defense de la nation; une cole d'honneur, de courage
civique ofi se forment des citoyens dignes de garder les
Thermopyles d'un people; quiconque rove de faire de 1'ar-
mie une force aggressive pour d6truire le bonheur de ses
semblables au dehors ou a l'interieur, tue dans cette armie
le principle meme du courage et trahit ainsi sa patrie, en
la privant de la possibilitV de resister, a l'occasion, fate
de citoyens, faute d'hommes sachant mourir.
CHAPITRE III.
De la solidarity humaine.
Harmonie des lois de la nature
demontree par les effects de la conquete.
I
De la responsabilite.
La loi de la responsabilit6 humnaine, telle que nous la
voyons se d6gager de l'histoire des peuples, est une loi de
repression.
Elle estlente dans son actionet il faut attendre longtemps
les effects de cette justice divine qui gouverne l'homme A
son insu, qui le mine tandis qu'il s'agite.
C'est le chatinent qui suit le 6rime en boitant.
La tyrannic qui suit la conquete et semble l'affermir,
s'appesantit sur un people, sur une race, pendant des g6-
n6rations, pendant des siecles, avant que sonne l'heure de
la repression.
Et l'histoire qui nous montre la logique de l'inexorable
chAtiment, qui nous faith d&couvrir dans le pass le crime
qui l'a provoqu6, qui nous faith le tableau des vices de Go-
inorrhe attirant le feu du Ciel sur Gomorrhe, I'histoire est
une lecon pour les forts. Elle en est une aussi poor les
faibles.
Le conqubrant s'kteint dans toute sa gloire. La respon-
sabilite ne meurt pas avec lui, elle reste dans son people,
et les gOn6rations A venir subiront le chAtiment.
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
Cela est.juste parce que Ie peupleest pins fort quele roi,,
et tous les hommes plus forts qu'un homme.
Pouvoir, c'est devoir.
Pouvoir empecher le crime et le laisser s'accomplir,
c'est 1'avoir accompli soi-mneme, c'est en prendre la res-
ponsabilit6.
Cette leQon est lente a faire la lumiire dans les esprits,
parce que la bMte est obstin6e; et quiconque sent en lui la
force, subit la tentation du mal. Le serpent de la genese
s'enroule autour de la tote du fort pour lui suggerer le
diadOme, la domination, et lui siffle tout bas A l'oreille :
Rule Britannia.
Le faible vit done en ce monde sous la menace perp6-
tuelle. Apres laguerre, il faut se preparer encore alaguerre.
Le faibleest proie; il est done fore6 d'6tre toujours au guet
pour 6chapper a la bete de proie.
La certitude du chatiment du vainqueur ne peut reliever
I'ame du vaincu, car il ne verra pas ce chatinent, et, ce qui
est bien pis, it subira lui-mtme ce chatiment dans sa des-,
cendance, car it est home, il appartient A I'humanite et
partage sa responsabilit6. II ne faut done pas etre. faible. It
faut l tter et vaincre. La defaite, c'est I'acquiescement de.
la bete. La mort est la victoire de l'homme. L'acquiesce-
ment est criminal, et le crime de cette d6faite de l'homme
est puni dans ses enfants jusqu'a la quatrieme ou i. la cin-
quieme generation, et nous arrivons a cette d6solante
conclusion que l'homme serait place entire deux lois ap-
paremment inconciliables, l'une qui le lance a la recherche
du bonheuret I'autre le poussant non moins irresistiblement
a la rnisere, au desespoir.
Dans sa nature physique minme, I'anitnal human serait
6galement soumis a deux instincts diam6tralement oppo-
sos, I'un de conservation, l'autre de destruction.
Oa serait la loi d'6quilibre? On I'a cherchie dans l'id~e
d.e la justice. Mais qui donnera la formule de la justice?
Et, cette formule donnee, qui, au moment ot it a la.sup6-
riorit6, au moment ouf il est le plus fort, se d6pouillera au
DE LA SOLIDARITEI HUMAINE
profit du plus faible; pour ob6ir a la formule de la justice
et 6tablir 1'6quilibre?
Ici la pensee semble s'arreter impuissan-te.. L'homme,
epuis6 par de vains efforts, s'affaisse sur ses genoux et
appelle DIEU. C'est la pribre.
La priere est-elle une solution? Non. Quevaut-elle alors?
Ceci : elle nous revele que nous sommes fils de DIEU et
que notre pere 6ternel existed.
Sous 1'erpire du doute, I'Ane d6faillante de l'homme
tombe pour ne jamais se reliever, non jamais, a moins
qu'en tombant elle n'ait conscience de sa faiblesse, de son
impuissance et ne se les avoue en cherchant hors d'elle-
n~me et hors de la matiere, en appelant DIEU dans son
d6sespoir.
Oh! malheureiix, bien mnalheureux, I'homme qui n'a
jamais recu cette revelation directed de l'essence divine de
son 6tre, de sa pensee; I'homme qui n'a jamais connu la
priere, cet appel supreme au Cr6ateur par la creature qui
s'ignore et se cherche. Et combien plus malheureux encore,
celui qui a regu cette r6v6lation et qui n'a pas compris!
Je n'entends pas dire que la foi revele a l'homme la
v6rit6 que ne peut rencontrer sa pensee. Je ne suis point
un ath6e et je ne me tiens pas non plus pour un prophete.
Mais que la foi relive, soutienne le courage dans l'homme
qui cherche le bien, le just, le vrai, qui marche, guid6
par une conscience droite et des intentions honnktes, c'est
ce don't je ne saurais douter.
Ma pensee est libre, et je crois en DIEU. Cela nie me
parait pas contradictoire. Je crois en DIEU surtout parce
qu'il' rn'a. faith libre et pensant.
Le problme est difficile et sa solution intLresse l'hu-
manitO.
Si cehacun porte au tronc comrnmun le contingent de sa
peIbse individuelle, la solution se trouvera, la v6rite se
d6gagera peut-ktre.
J'apporte ici mon contingent et ne pretends pas faire
autre chose.
Que la nature humaine soit soumise A des impulsions
DE LA SOLIDARITY HtUMAINE
diff6rentes el meme contraires, cela me parait evident: elle,
est tire en bas par la chair, et 1'esprit la pousse A monter.
L'opposition, l'antagonisme n'est pas entire l'esprit et
l'esprit d'un cote, et de 1'autre, entire la chair et la chair.
La lutte m'apparait toute entire entire la chair d'un cotL
avec ses appktits, ses instincts, et i'esprit de I'autre ci6t
avec ses aspirations et ses resolutions.
Entre la chair et l'esprit, les forces ne sont pas gales,
1'6quilibre n'est pas possible. L'espriL est le plus fort; tant
qu'il lutte, il trioinphe; mais la chair est obstinee et toute
trove lui profit. De lA, les eclipses qui nous d6solent mais
qui n'empichent pas que, some toute, le monde march,
qu'il n'a jamais cess6 et ne cessera jamais de marcher.
Ce que je cherche en ce monde, c'est mon bonheur, mon
bonheur a moi et non le v6tre.
Si je pouvais etre heureux en d6truisant le bonheur de
mres semblables, la spoliation etl 'oppression seraient justes,
parce qu'elles seraient dans la loi inexorable de ma nature
et je ne puis rien trouver hors de ma nature. Je ne suis
pas just, je ne songe pas aux autres, dans cette poursuite.
J'appelle bien ce qui me conduit au bonheur et mal, ce qui
m'en Mloigne, J'entends par ces mots ce qui est bien ou
mal en moi et non hors de moi, car dans cette etude je
suis 6golste, je le rpkte, et c'est moi, moi seul que je
cherche en vue de r6gler ma conduite, (?) en vue de d6ter-
miner ce qui convient a mon interet parmi les impulsions
hautes ou basses, les suggestions justes ou injustes, vraies
on fausses que je recois directement de mon etre.
Or, je suis un homme, un Otre absolument identique aux
autres hommes. Ce qui est bien on mal en moi, est bien
ou mal dans l'homme. II est done 6galement bien 'ou mal
dans tous les homes.
Ainsi, sans sortir de mon 6goisme, je me retrouve dans
l'humanit6; je rencontre une loi, la loi de la solidarity
hinmaine.
Tout obstacle A mon bonheur, que cet obstacle vienne
de moi, de mon erreur et de ma passion ou qu'il vienne
d'autrui, est un obstacle au bonheur de l'homme, c'est-A-
DE LA SOLIDARITft HUMAINE
dire a mon bonheur, au bonheur de ceux qui m'entourent
et, de proche en proche, au bonheur de tous les hommes,
au bonheur de l'humanit6. Ainsi, mon int6ret se fond dans
l'interet commun, se confond avec I'int6ret de l'humanit6.
Qui faith obstacle a mon bonheur faith obstacle au bonheur
de l'humanit6, et tous les homes ont le mime interet que
moi a supprimer, a briser cet obstacle.
Ainsi disparait la difficult r6sultaut des inkgalit6s indi-
viduelles. Qui en abuse contre un, attaque tons, et tons
sont plus forts qu'un. Mon 6goisme human aboutit a la
justice humaine et par consequent, a la responsabilit6 de
l'hurnmanit6, a la solidaritL de tous avec chacun.
Cette justice qui se dresse contre tout obstacle au bon-
heur common est done essentiellement repressive cornme
la loi de solidarity don't elle mane.
Fond6e sur I'interet general qui est conform A l'interet
de chacun, elle trouve sa sanction dans le r'ecours a la force
superieure former par la somme des forces de tons.
L'autorit6 d'employer latorce, de recourir [a lacontraifite,
r6sulte pour chacun de la n6cessild d'ob6ir a l'irr6sistible
impulsion de sa nature, du devoir d'accomplir sa destinde
humaine, en cherchant le bonheur et de briser ['obstacle
qu'il rencontre dans sa voie naturelle et l6gitirne. De cette
n6cessit6 ddcoule le Droit.
Ainsi le droit est une notion qui nait des relations de
l'homme avec ses sernblables. It est enter dans la per-
sonne humaine. Mais il peut Otre d6l6gu6, dans l'interet
commun, au group, a la nation.
Le devoir, qui en est le corollaire, est non moins int6-
gral; il s'impose a l'homme, individu on group, et n'est
pas susceptible de d616gation.
Chacun, individu ou nation, doit remplir son devoir
sous sa responsabilit6, mais nul, sauf'le droit de 16gitime
defense, ne saurait I'y contraindre sans avoir reOu de lui-
mime la d616gation de son droit de contrainte, de son
droit de discipline sur son etre propre.
Je suis responsible de mon erreur ou de ma passion,
quand elles ne font obstacle qu'a mon bonheur. Mon er-
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
reur et ma passion deviennent crimes, quand elles font
6galement obstacle au bonheur des autres. Et la justice,
la loi, r6prime le crime.
La justice humaine, telle qu'elle m'apparait, n'entraine
done pas la n6cessite d'un arrangement, d'une classifica-
tion savante dessoci6t6s humaines, nous obligeant de faire
appel i uin g6nie tut6laire, Ai un sauveur, a u n civilisateur
un protecteur, 1n organisatenr de nations.
Puisque, homme ou nation, j'ai pour devoir de m'effor-
cer d'etre heureux, puisque je suis responsible de mon
erreur, puisque, au tribunal de ma conscience, je suis
toujoursseul sur la sellette, je dois avoir la liberty abso-
lue de choisir entire les moyens qui ne sont pas des obs-
tacles au bonheur common, qui ne sont pas des crimes.
L'homme ne peut trouver ni vertus, ni talents hors de
l'homme. Qui cherche le bonheur hours de soi, abdique ce
qui le faiL homme; il est deja esclave. Qui cherche un pro-
tecteur trouve inevitablement un maitre, un tyran; et la
loi du bonheur veut que nous courrions s'us aux tyrans.
11 n'y a done qu'une loi. d'organisation social. Elle est
simple et se resume ainsi :
Reprimez le mal et laissez a l'homme ]a liberty absolue
de chercher le bonheur comme il I'entend et sous sa res-
ponsabilit6.
Je ne demand a personnel oft jo dois aller pour ktre
heureux; comment un autre le saurait-il mieux que moi,
puisque nous sommes semblables ?
P.'avance sous ma responsabilite parce que je nais libre
et responsible. Nul ne peut me rendre heureux si je ne
trouve en moi le pouvoir de l'Otre.
Ce pouvoir m'6chappe si je n'ai la volont6 de le retenir,
de le developper. Ma volont6 m''6gare, me rejette hors la
voie de mon bonheour, si elle n'apourguide, 1'observation,
]a r6tlexion, le savoir. Je d6libere avec mes semblables
pour faire la lumiere dans mon esprit et non pour.trouver
un guide. J'ai autant de droit A ma propre confiance que
tout autre A la sienne, car tous autant que moi, sont su-
jets a l'erreur et A la passion. Et qui me dit : (( Mulatre,
DE LA SOLIDARITEI HUMAINE 53
fie-toi d la superiorit6 du blanc, mets-le devant et em-
( boite le pas, )) me semble avoir droit a ma piti6 par
I'inferioritL du rang qu'il prend sur l'6chelle des in6galit6s
intellectuelles.
Nul ne peut arriver A la perfection en ce monde. Dans
I'homme il y a la bete; dans le people it y a le troupeau.
Toute socikt6 a ses vices; toute institution a ses imper-
fections.
Aucune nation n'est exempte de gibets, de bagnes, de
Inpanars, de tripots, de gargottes. et si la proportion plus
grande des crimes et des vices, de l'assassinat, du vol,
de la convoitise, de la haine, de 1'envie, de l'ivrognerie,
de 1'hypocrisie surtout, confere une sup6riorit6 aux agglo-
morations humaines, la jeune nation haltienne a l'honneur
de ceder le pas a ses devancieres : elle leur est inf.rieure.
Quand nos regards se croisent, songez a moi mais. son-
gez aussi d vous-meme. Si la crasse qui ternit le collet de
i"I chemise attire votreattention et vous r6vle mapauvret6
et ma faiblesse, la fistulle qui suinte sur votre visage et
vous souille la face me r6vble la souillure de votre ame
vaincue par la b6te et se vautrant avec elle dans les orgies
voluptueuses de la richesse et de la puissance.
Nous ne valons pas mieux les uns que les autres, nous
ne valons pas plus mial; nous sommes tous l'homine, tous
capable de vertus, tous capable de vices, tous au-dessus
de la bMte, tous au-dessous de l'ange.
Qui s'offre pour module on pour guide aux autres est.
outrecuidant on vicieux. Aimez votre prochain autant
que vous-miine, dit le CHRiST; vous ne sauriez m'aimner
plus que je ne m'aimne. Vous me tromnpez, vous voulez me
voler, vous 6tes la bMte de proie.
Que vous imported mon nalheur ?s'il vous chagrine,
q Sortez de mon soleil. )
,,Nul people n'a droit de police sur un autre people, nul
hoinme sur un autre home.
R1primez le crime que I'on comment contre vous et res-
tez votis-mrme dans le devoir. C'est l5 tout le jus gentium
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
Hors le sentiment et la pratique de notre devoir entier,.
devoir de tous envers chacun .et de chacun envers tous,
on est dans le crime et tout crime doit etre suivi d'un
chatiment.
|I
De Charlemagne A la Revolution Frangaise.
Apres I'antiquite paienne, apres la Grace et Rome, un
nouveau conquerant, CHARLEMAGNE, developpa une puis-
sance militaire immense et fonda un vaste Empire dans
l'Europe Occidentale.
La force .triomphante s'appela le droit.
Apres CHARLEMAGNE, le droit de conqukte resta done
la pens6e dominant de l'Europe. Le bonheur sembla s'i-
dentifier avec l'agrandissement, territorial. Chaque nation
voulut avoir pour guide un conquerant, un ALEXANDRE,
un CESAR, un CHARLEMAGNE; et 1'ambition insensee des
peuples les soumit, d'un bout a l'autre de l'Europe, a l'au-
torit6 absolute des rois. Le droit de conquOte affirm par
chaque people a l'egard de tout voisin faible, engendrale
droit divin des rois sar les peuples. L'ambition des con-
quotes exige le developpement de la force. Pourconquerir,
il faut etre le plus fort.*
Deo IA, I'6mulation de la force materielle, de la bravoure
entire les nations. Ainsi s'explique la. possibility d'un cer-
tain progres des peoples conquerants. La victoire est done
une lumiere, mais une lumniire faible et vacillante; c'est
aussi une lumiere trompeuse.
La notion qu'elle developpe dans la pens6e est surtout
la notion du droit, tandis que ce qui fait I'homme libre,
c'est la notion, c'est le sentiment du devoir.
En nous basant sur I'idee du droit, nous arrivons done
A une conception erronee de la liberty. C'est ainsi: que
l'ecole tourne, et nous faith turner avec elle dans un .cercle
DE LA SOLIDARITE HUMAINE
vicieux quand elle lance l'aphorisme : e Ma liberty finit 1.
o-i commence la liberty d'autrui, .
Apres cette explication, je suis encore dans l'ignrorance
de la veritable limited de ma liberty.
Et d'abord of commence-t-elle? LA, ou finit celle d'autrui.
'Ainsi I'Alphaetl'Omega, le commencement et la fin de ma
liberty se trouveraient hors de mon 6tre. Qu'est-ce alors
(qne la liberty? Ce serait la measure dans laquelle chacun se
sonslrait A la volont6 d'autrui, et relive de sa propre volont6.
Dans ce systeme, la liberty rest une idWe relative, une
quantity mesurable et nul n'a droit a plus de liberty que
ce qu'il en peut prendre; d'oji la contre-partie : chacun a
droit it tontes les liberties qu'it peut prendre et retenir.
C'est la philosophie de la guerre A perp6tuit6 entire les
homes, c'est I'apoth6ose de la force.
C'est ainsi que les hommes et les peuples se trouverent
lanc6s les uns-contre les autres, dans une lutte sans issue,
chacun voulant 6tendre la limited de son droit en restrei-
gnant cell du droit de son voisin.
Si mon droit n'avait de limits que celles qui lui sont
imposes par des considerations 6trangeres 'a mon etre, a
moi, it s'ktendrerait 16gitimement jusqu'au point inconnu,
oft il se heurterait A I'obstacle insurmountable, invincible,
d'un autre droit qui s'afirme. Droit et force serait en tout
un. Et le dernier repr6senLant d.u droit ,de conqu6te, la
derniere incarnation de.la pens- de CHARLEMAGNE dans
I'Europe contemporaine, le prince de BISMARCK aurait rai-
son de s'6crier : < q,u'est-ce que le droit sans la sanction
de la force?
Et les maigres concessions des rois A leurs peuples; les
droits successivement arrach6s par la r6volte au posing
fern6 des motiarques, seraient en effet des faveurs accor-
d6es par leurs Gracieuses Majest6s A leurs fidles sujets,
et toute constitution politique serait en effet un don oc-
troy6 au sujet par le Souverain, a l'esclave par le maltre.
Cependant, sous cette impulsion du droit de conqu6te
et du droit divin des rois, les peuples de l'Europe, tour-A-
DF 1,A 5,01,[DARITE ITUMAINE
tour vainqueurs et vaincus, se couvraient en vain degloire.
Ils ne trouvaient pas le bonheur.
L'esprit de I'Europe ;'Ioderne s'agitait, embarrass dans
cette notion trop itroite dUt droit. Un fourbe passait pour
un grand diplomnate. Les peoples suivaient les princes A
I'cole de MACH[AVEL. L'oUi croVaif RiCHEL[EU inspire, pour
avoir trouve dans le canon qui broie la chair des peuples,
la supreme raison des Rois, rex-ultima ratio. Le droit, se
deplacant sans cesse avec le dplacement de la force,
n'etait plus nulle part. Peu a pen I'on se degouta de I'in-
cessante succession de grandeur et de decadence produite
par les hasards de la guerre; et le travail apparut graduel-
lement come une voie plus suire que la victoire pour
aller au bonheur.
Le travail a ses lois qu'il faut connaltre, et I'on se mit a
chercher ses lois, a les 6tudier. DWs les premiers pas faits
dans cette voie, le depart se fit entire le citoyen et le soldat.
Le eitoyen entrant par le travail dans la voie du bonheur,
se heurta a I'obstacle du soldat, c'est-a-dire du droit de
conquote qui sortalt do s )ILltt, et du droit divin qui sortait
du droit de conqu-te.
En mime temps que la science naissante de I'Economie
politique affirmait les droits du travailleur, la philosophie,
de moins en mioins timide, abordait la question du droit
lui -m6me,et puisqu'on le plaQait dans la force, il devait se
trouver tout entier dan- 1l,. _. rande force.
La plus grande force -i,,' t''.r,imi -lans le plus grand nom-
bre, c'est-a-dire dans le people, dans I'universalit6 des
citoyens, ia aussi devait se trouver le droit, tout le droit.
Ainsi se dressa la Majeste populaire devant la Majest6
royale, la souverainet6 du people devant la souverainet6
du roi.
Et bient6t, sous le souffle puissant des VOLTAIRE et des
ROUSSEAU, an people apprit rapidement a se conn'altre;
et soudainement une grande nation se dressa sur le conti-
nent Europ6en. Les francais avaient appris la liberty. Us
voulaient ktre libres. IIs I'6taient. Du mnme coup, la France
s'ktait transfigur6e.
DE, LA SOLIDARITY HUMAINE
Une notion nouvelle de la civilisation s'imposait imp6-
rieusement A l'attention des peuples et des rois. Une volte-
face devenait necessaire dans la march de l'humanit6.
C'6tait tine epoque dans l'histoire de la civilisation du con-
tinent Europ6en. L'Are de CHARLEMAGNE venait de se fer-
mer brusquement. La muse de l'histoire venait d'ouvrir
in livre nouveau. et d'y marquer en lettres de feu le litre
d'une ere nouvelle :
LA REVOLUTION FRANCAISE.
La Revolution Frangaise.
De la prise de la Bastille A Waterloo.
Le people frangais, le premierdans t'histoire universelld
du monde, par un elan sublime qui n'a pas encore Wte
imit6, d6passa la nation pour arriver A l'humanit6 et la
comprendre tout entire dans ses revendications. II voulut-
plus que la conquetedeses droits etinaugura son immor-
telle revolution par la ( Declaration des droits de l'homme. )
C'6tait le renversement d'une autre de ces vieilles for-
mules absurdes qu'on nous d,-,ii.ilotIInnti, l'expression de
la sagesse des nations. Depuis CHARLEMAGNE, le silence
des peuples faisait en vain la legon aux rois. L'effet ma-
gique, foudroyant, de la prise de la Bastille dans 1'Europe
entire, montra que la vraie lecon des rois, c'est la rdvolte
des peuples.
Les rois de 1'Europe 'sentirent chanceler leurs tr6nes
avec le tr6ne de Louis XVI.
La revolution francaise, c'ktait I'ennemi commun. II fal-
lait 1'6craserd'urgence. La chose paraissait facile d'ailleurs.
Depuis longtemps, on s'etait accoutumi si bien A l'ido-
litrie de la force, A la suprdmatie du soldat, que l'on ne
DE LA SOLIDARITE HUMAINE
disait plus les homes, les peuples, les nations, mais seu-
lement les puissances.
Qui ni'avait pas de soldats n'6tait pas une puissance et
restait sans droits. C'est ainsi que l'on avait d6pec6 et
mang6 la Pologne.
Pendanttout cet age de la conquAte, la France disposant
d'une brave noblesse militaire et de normbreux soldats,
6tait toujours restee au nombre des grandes puissances,
souvent parmi les plus grandes, parfois la plus grande,
suivant les hasards de la victoire.
Selon les idees du temps, elle avait brusquement cess6
d'etre une puissance. La bravoure militaire ne manquait
pas seulement a la defense de la patrie, elle se retournait
centre elle. Contre le people revendiquant les droits de
l'homme, le soldat croisa la baionnette.
L'honneur militaire se crut en stret6 dans la trahison;
les princes et lesnobles passerent lafrontiere et coururent
s'enr6ler A Coblenlz sous les drapeaux de l'ennemi ext6-
rieur.
Les plus belles armies de 1'Europe, conduites par les
plus grands g6neraux de l'6poque, BRUNSWicK, SCHWAR-
ZENBERG, l'archiduc CHARLES, SOUVAROF, se leverent,
comme une marr6e immense, irresistible, pour aller s'a-
battre sur le manant frangais qui, en se d6clarant home
avait 16s6 la Majest6 des rois.
Que pouvait le peupltede France sans soldats, sans dis-
cipline, sans bravoure militaire, sans noblesse ?
II pouvait tout, car il avait plus et mieux. que les vertus
militaires des soldats innombrables, lanc6s contre lui par
la colere des rois.
II avait les vertusdu citoyen. 11 avait le courage civique.
Les ouvriers, les paysans, les travailleurs coururent
des champs et de l'atelier A la frontiere. Et l'uniforme
ktonn6, recula devant la blouse.
Comment expliquer ces rapids et eclatantes victoires
militaires de la Revolution Francaise ?
Par 1'irresistible superiorit6 du citoyen qui sait 6tre ci-
toyen, sur le soldat qui ne sait Otre que soldat. Ce que
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
nous appelons l'honneur militaire va jusqu'h l'idee de l'o-
bligation a remplir dans la measure du possible; il ne s'6-
leve pas jusqu'au sentiment du devoir absolu qu'il faut
rernplir ou mourir.
La devise vaincre ou mourir est d'un citoyen, non d'un
soldat.
A defaut de la victoire, l'honneur militaire se croit cou-
vert par une glorieuse retraite. Si elle n'est pas possible,
ma foi.... sauve qui peut
Dans une grande nation, je prie le lecteur de ne pas
oublier que cette expression, sous ma plume, a'un sens
pr6cis et se rapport a la force. a la grandeur morale qui
pousse au sacrifice, au devouement, et non a la force
mat6rielle, A la puissance aggressive qui suggere la spo-
liation, la conqukte, le crime enfin, dans une grande
nation, I'homme n6cessaire surgit toujours a l'heure su-
prome of I'interet de l'humanit6 doit triompher.
Cela m'apparait dans la constance de sa manifestation
historique, comme une sorte de loi providentielle.
C'est le seul point par lequel mon esprit touche au fa-
talisme, mais A un fatalisme chr6tien, car c'est la main de
DIEu que je vois 6tendue sur les homes, pour sauver
an besoin le vrai et le just.
WASHINGTON et LINCOLN, LOUVERTURE et POTION ont
surgi a l'heure marquee dans la destine de leurs pays
respectifs.
Le genie de la liberty dans la France r6publicaine, dtait
aux prises avec le g6nie militaire des monarchies euro-
p6ennes r6solues a l'etrangler.
Un genie militaire d'une puissance incomparable jaillit
de la d6tmocratie francaise. Un jeune-bomme de vingt ans
fit des nouveaux citoyensde France des soldats invincibles,
deconcerta par des manceuvres incomprehensibles, stup6-
fiantes de hardiesse, 1'art classique des plus savants tacti-
ciens de son temps, promena le drapeau tricolore dans routes
les capitals de I'Europe; et hient6t, les rois du vieux con-
tinent ne furent plus que les pr6fets du jeune Empereur
des francais.
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
Mais, moins grand que WASHINGTON, NAPOLItON ne sut
pas se vaincre lui-m6me. II succomba a la tentation, oubliant,
ou ne comprenant pas, que ce qui avait rendu ses armies
invincibles c'est qu'elles 6taient composes de soldats-
citovens.
II crut a la puissance de I'aigle, abandonna la liberty
pour la gloire, 1'humanit6 pour la puissance, remonta le
course des temps et reva la reconstruction de 1'Empire
d'Occident.
La France enthousiaste abdiqua ses libert6s a peine
conquises et se laissa refouler en arriere jusqu'a CHARLE-
MAGNE. Le citoyen disparut de l'armne; il n'y resta plus
que le soldat.
La puissance merveilleuse crkie dans ce beau pays par
le souffle de la liberty, devint une force irnpie menacant,
detruisant partout, a I'interieur et au dehors, ces- ( droits
de l'homme,) qui avaient fait surgir cette puissance.
La patrie menacee sur le reste du continent europeen,
insuffla un esprit nouveau aux soldats des puissances; et le
people francais, qui availt t6 invulnerable tant que son
drapeau etait rested l'emblemre sacred des droits de l'homme,
ne sut point d6fendre ses frontieres, en consentant a de-
venir soldat, a attaquer les droits de l'homme.
II subit deux fois I'invasion, regut deux fois la loi du
vainqueur, du vivant m0me du grand Empereur.
La premiere tentative de BONAPARTE centre les droits de
l'homme, centre la digni.t6 humaine eut pour theatre File
d'Haiti. C'est lA aussi que son g6nie reQut un premier aver-
tissement, une premiere lecon, qu'il ne comprit pas. Au
,souffle de la R6volu tion Francaise. les negres de St-Domingue
.s'etaient lev6s et avaient repris leur libert- naturelle. La
.Rpublique Fancaise sanctionna le fait accompli et pro-
clama l'6mancipation g6nerale des esclaves
L'homme de Brumaire, devenu Premier Consul oublia le
principle mnme de son 616vation. II revait deja l'empire et
osa porter une main sacrilege sur sa rnre, la liberty. Ce
que la R6publique avait reconnu et garanti aux noirs de la
colonies, il voulut le reprendre et decida le r6tablissement
DE LA SOLIDARITIt HUMAINE
de 1'esclavage. 25,000 hommes d'abord, puis 20,000ensuite
debarqu6rent successivement A St-Domingue pour accorn-
plir cette oeuvre impie. Bien pen, h6las! de ces pauvres
enfants de France revirent leur mnre-patrie. Le g6nie de
TOUSSAINT LOUVERTURE placa une premiere borne sur la
voie jusque-l1 si lumineuse du vainqueur des Pyramides.
De 1802 a 1804, la lutte avait dur6 deux ans a peine. Ce
premier abus de la force entraina pour la France la perte
de la plus important, de la plus riche de ses colonies.
La second lecon vint de I'Espagne ofi des moines et des
paysans coururent sus a t'aigle napol6onien et le for-
cerent de repasser les Pyr6nees.
Cette lecon, come la pr'emnire, Cut perdue pour I'Em-
pereur et pour la France.
( Cet home g6nait DIu )) dit avec raison le grand pokte
HUGO. Cela est vrai: il genait DIEU, parce qu'il s'6tait faith
un obstacle au bonheur de I'humianit6.
II fallait un 6crasement. 11 se fit a Waterloo.
IV
Deuxieme Empire Frangais.
Du crime de Decembre au chAtiment de Sedan.
Les-Cuirassiers de Reischoffen.
Plus tard nous retroivons en France les mimes erreurs,
les m0mes fates. produisant les mmies consequences. La
premiere histoire, dit VICTOR Huco, estecelle de NAPOLRON-
LE-GRAND; celle-ci. est 1'histoire de NAPOLEON-LE-PETIT.
Elle commence le 2 Deembre & Paris, oi le soldat 6touffe
la liberty, strangle le citoyen. Elle finit & Sedan et A Metz,
ofi le soldat laisse passer la d6faite et la honte.
Pourqnoi la France n'a-t-elle pas cede a un d4sespoir
absolu apres les dsisatres inonis, incroyables, de la guerre
Franco-MI'emande? O0 a-t-elle puise la force n6cessaire
pour se remebtre debut et entrepreidre la reconstruction
de ses forces ?
DE LA SOLIDARITY HUMANE
Dans ceci : Une poign6e de frangais, anim6s de l'amour
sacr6 de la patrie, d6pouill6rent le soldat et redevinrent
citoyens sur un champ de bataille. Le soldat qui a fait ou
croit avoir faith son devoir militaire,rend son 6p6e quand la
resistance lui parait n'avoir d'autre issue que la mort. Ainsi
le comprit I'Empereur NAPOLEON IH A Sedan, malheureu-
sement pour sa m6moire; ainsi fit le mar6chal BAZAINE h
Metz.
Pour pousser la resistance jusqu'a la mort, pour entrer
froidement, d6liberement dans le n6ant, il ne suffit pas
d'etre soldat, it faut Otre homme!
Les Cuirassiers de Reischoffen 6taient done plus que des
soldats, c'6taient des hommes!
La mort de ces.hommes qui out renouvel6 les Thermo-
pyles, c'est bien ce qu'il y a eu de plus grand, de plus
beau, dans toute cette guerre. J'admire le genie de von
MOLKE et la force de volont6 de son vieil Empereur;
leurs victoires ont W6t superbes, glorieuses. Mais les cui-
rassiers de Reischoffen ont atteint le sublime.
A cette hauteur, its seront vus de plus loin par l'huma-
nit6 dans le temps, si ce n'est dans spaceac.
La lecon qu'ils ont donn6e aux homes est de cells qui
el6vent la pens6e, nous 6loignent de l'animalit6 et nous
rapprochent du bonheur, en nous montrant qu'aprAs tout,
I'homme n'est pas toajours une vilaine et m6chante bete.
V
L'ancienne colonie de Saint-Domingue.
Pernicieux effects de 1'esolavage sur les colons.
L'asservissement de l'homme par I'homme faith deux parts
dans l'humanit. : le noble et le vilain,le maitreet l'esclave,
I'homme qui jouit et I'homme qui souffre.
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
Ne semble-t-il done pas que le mal profile au tyran et
lui fasseuneplus grande part de bonheur? Cela ne se peut,
je le r6pkte, parce que l'homme n'est pas divisible dans sa
nature essentielle. Les lois de la nature humaine.ne chan-
gent pas avec laposition des hommessurl'6chiquier social.
L'esclavage n'est pas mauvais pour l'esclave seulement.
11 est 6galement funeste. il l'est peu-tWtre plus, au maitre.
Il est un obstacle au bonheur de l'un et de l'autre.
Pour l'esclave, le bonheur est confisqu6 dans le present;
il peut luni rester encore l'esp6rance dans l'avenir. Pour le
maitre, la peine est supprimne dans le present; l'effort
n'est plus necessaire; mais l'inquietude d6truit toute pos-
sibilitL de bonheur, car dans la bMte asservie se trouve
I'homme outrage; et I'on ne peut savoir a quel moment it
se rveillera terrible, implacable dans sa vengeance.
Ecoutons les aveux d'HILLIARD D'AUBERTEUIL, I'un de
ces colons si admires de Saint-Domingue : ( Accabls par
les embarras et les travaux, dit-il, si les colons se livrent
encore A des vices, la mort les atterre come la faux ren-
, verse les 6pis. Presque tons abreuv6s du poison de l'en-
< vie, ils sontecras6s sousmille jougs; rien n'est si douteux
< que leur sort.Ardens dans leursdesi rs,et furieux dans leurs
< pertes, loin de s'aider mutuellement, ils sont tous en-
< nemis, semblables a des tigres qui se dechirent entire eux,
sous la griffe des lions...... Its ne sont jamais barbares
A demi........ II sont humans et bienfaisants envers tous
< les )lancs....... mais avec les negres, ils oublient souvent
( toute espece de vertu....... Leur tyrannie envers les es-
claves leur parait un droit; leur injustice, un acte de puis-
s sauce; ils irent vanite'd'Ltnefriponnerie....... Lacrainte
f de ses propres esclatues le iourmente saas cesse; il e.st seul au
(, milieu de ses enem~is...... La plupart des colons ne vivent
< que dans la crainte; ils senteat presque tous combien leurs
< enclaves sont en droit de les hair et se rendent justice. )
En outre, I'abandon de la lutte, le m6pris du travail,
detruit non moins sfirementia possibility de bonheur dans
I'avenir.
C'est pour ktre riche en s'affranchissant de l'effort qu'on
6
DE LA SOLIDARITY UHUMAINE
asservit son semblable, qu'on se procure des .esclaves.
Or, toute richesse est le.produit du travail.intelligent de
I'homme.
Sous le regime de l'esclavage, ces deux terms sont s6-
par6s l: e maitre peut. 6tre intelligent, mais ii ne travaille
pas; travailler pour lui serait deroger. L'esclave travaille.;
mais il n'a aucun'interkt A fournir un travail intelligent.
On ne lui demand pas cela d'ailleurs, car tout reveil de
l'intelligence chez l'esclave.serait fatal au maltre.
Une tell society entire, en decadence au moment meme
de sa formation parce qu'elle porte en elle-meme un 616-
ment de decomposition, de mort.
La division du travail lui est impossible parce que le tra-
vail industrial exige de l'intelligence dans-le trayailleur et
que l'esclavage est incompatible avec l'intelligence de
l'ouvrier.
Le travail exclusivement agricole d'une telle society
s'enferme aussi dans un cercle d'une 6troitesse extreme;
car le progres de 1'Agriculture exige le Orogr.s des. con-
naissances scientifiques, et sous le regime de 1'esclavage la
science n'est pas moins inaccessible au maitre qu'a l'es-
clave. Celui-ci retourne a la bete par la suppression de, la
responsabilite; I'autre y retourne par l'abus des jouissances
mat6rielles.
II s'endort dans ,la sati6te bestiale, se reveille dans les
liens de l'hypoth6que et se console de sa degradation
intellectuelle et. morale par une vanity puerile, par une
illusion naive sur sa valeur aristocratique et les droits
qu'elle lui confere a l'aum6ne des hommes qui travaillent.
Saint-Domingue en deux si6cles, n'a fourniqu'un livreAla
literature frangaise, la description qu'en a faite.MOREAUDE
ST-MiERY.
11 n'en ponvait Otre autrement dans un milieu social
empoisonn6. par un mal moral infiniment plus dangereux
pour I'homme que la peste qui ne tue en lui que le corps.
Qu'6tait-ce en r6alite que cette society de Saint-Domingue,
tant vant6e par la sottise des uns, tant regrettde par la
mauvaise, foi des autres?
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
Mettons-la done toute nuesous les yeux du lecteur.C'est
aussi uine lecon pour 1'humanitA. II estbon que les hommes
la connaisseiLt.
Transcrivons done ici quelques pages de MOREAU DE
ST-MERY : (1)
( Lorsqu'on a quitt6son pays avec l'espoir d'une fortune
e< qui semble place sur le rivage amrricain, et qu'on s'y
<( trouve isolM et sans resource, on voudrait porter le pied
e en arriere; rnais il n'est plus temps. Des besoins, difficiles
A a satisfaire parce que tout est coftteux, se multiplient;
a I'avenir prend une forme hideuse, le sang s'aigrit, la
e fire ardent de ces climats brilants arrive, et la mort
< est souvenrt le terme de projects aussi courts qu'insenses.
, Mais la M6tropole a ses inutiles, ses temeraires, ses en-
[ fants credules, ses homes dangereux peut-6tre et Ji ne
m ranqueront pas a la terre qui les d6vore, et qui appelle
, anssi des hommes precieux, priv6s de resources en
, Europe, et qid viennent exercer au loin leur activity et
o des talents don't le Nouveau-Monde s'enorgueillit. (n)
<( Lorsque I'Europeen qui d6barque a un asile, d'ofi il
< peut considerer le lendemain sans inqui6tude, it doit
< s'occuper de ce qu'exige de lui le luxe de la mode. 11
it ie lui demand pas des 6toffes riches, mais 16g6res; des
l Ioiles que la finesse de leur tissu ait rendu tres-cheres,
o et don't il relvera la simplicity par des bijoux, don't
< I'Neil puisse otre frapp6. (iii) ,
G C'est le premier emploi qu'il doit faire de ses gains ou
, de son credit : c'est la livree colonial. (iv) Ne la point
e porter, c'est se d6pr6cier soi-mOme, ou prendre l'air. d'un
( censeur, dans un pays ou l'on s'est promise de n'enpas e'couter.
II est un autre soin non .moins important, e'est de
(I) Toutes les notes mises au has des pages suivantes des citations de MOREAU
DE ST-MWtRY, sont des appreciations de 1'auteur, inscrites en marge de son
ananuscrit. (Note de I'Edizeur- I
t(i) Absence de valeur morale
(wu) Puerilit6.
(iv) Improbitk
H1. P.
DE LA SOLI~DARITA:HUMAINE
vanter sa naissance. On supplee meme'dans ce genre A
la realiRtd, et cettepartie de I'invention est assez fructueu-
sement cultiv6e. Du moins faut-il taire son origine lors-
qu'elle n'a rien de noble, et c'est d6ja trop d'avoir A
redouter que l'envie n'en r6v0le la v6rit6. Telle est
meme la force de I'habitude qu'on contract & Saint-
Domingue, de se croire anobli par son seul sejour dans
i'ile,qu'il est des Europeens qui rompent tout commerce
avec leur famille, qui la fuient en repassant en France
et qui d6tournent avec grand soin leurs regards du lieu
off ils apercevraient l'humilit6 du toit paternel. Its se
choisissent enfin un heritier dans la Colonie, pour garan-
tir leur m6moire de la honte que r6pandraient sur elle
des parents grossiers, qui viendraient recueillir leur suc-
cession. o (i)
< L'un des 6cueils les plus dangereux pour ceux qui ar-
rivent a Saint-Domingue, c'est la passion du jeu qui y est
presque gdndrale. On y trouve ces lieux oui l'on 6tablit son
bonheur sur l'infortune d'autrui, oi l'on est appel6 g6n6-
reux pour avoir su faire contractor A un Utre quelquefois
au ddsespoir, des dettes qu'on a d6cor6es du nom sacr6
d'honneur, off l'on va oublier enfin qu'on est 6poux, pere
et citoyen. (it)
( Mais si l'on se preserve de cette contagion, it est plus
difficile de resister aux attraits d'une autre passion, don't
la nature se plait A mettre le germe dans tous les coeurs.
On ne trouve pas A St-Domingue commedans les grandes
villes d'Europe, le spectacle d6gocitant d'un sexe attaqu6
par celui qui doit savoir se defendre pour embellir sa
d6faite; mais on n'y est pas prot6g6 non plus par cette
decence publique qui preserve les moeurs, dans les lieux
ofi l'on rougit de la d6pravation des Capitales. (iii)
On s'expatrie, le plus souvent, dans l'Age ofi les dsirs
sont effervescents; on vient quelquefois de se sous-
II) Vanite, bassesse de sentiments.
(n) Vices, degradation.
({m Libertinage.
DE LA SOLIDARITE HUMAINE
e traire a la surveillance genante de ses parents, et tout-
(( .-coup maitre de soi, on se trouve expos A la seduction
la. plus dangereuse, puisque sa source est en nous-
<( mmres. II faudrait un courage 6prouve pour bchapper a
t un pareil danger, et I'on repkte tant a St-Domingue que
< le climate defend d'esperer la victoire, qu'on est peu tent6
< de la dispute. On se livre.donc a son penchant, et cal-
o culant la vie plut6t par 1'emploi agr4able qu'on en faith
< que par sa duree, on arrive, rapidement au terme de la
e destruction. (i)
( L'inLempprance de. la table est encore un defaut assez
< common aSt-Domingue ;quoique l'on ait banni des repas
<< lajoie tumultueuse des anciens Colons, qui annoncait an
, loin la perle de leur raison, on traite toujours la creole,
e c'est-a-dire, avec profusion. D'un autre c6te, come la
< grande chaleur diminue les forces, on croit les r6parer
< par des aliments fortement assaisonnes. (n)
Tout prend ASt-Domingue un caractere d'opulence, qui
< etonneles Europeens. Cette foule d'esclaves quiattendent
< les ordres et mme les signes d'un seul homme, donnent
<( un airde grandeur a celui. quileur command. II est de
(( la dignitV d'un home riche, d'avoir quatre fois autant
< de domestiques qu'il lui en faat. Les femmes ont princi-
<( palement le talent de s'environnerd'unecohorte inutile,
< prise dans leur sexe mrnme. Et ce qu'il est difficile de
a concilier avec la jalousie que leur causent quelquefois
<( ces servantes rembrunies, c'est I'attention de les choisir
jolies, de rendre leur parure 616gante tant il est vrai
< que 1'orgueil command A tout! Le bien supreme pour
< un Europ6en 6tant de se fire servir, il loue des esolaves
< en attendant qu'il puisse en avoir en propriet. ) (m)
< En arrivant a St-Domingue, on est stranger A presque
< tous ceux qu'on y trouve. On ne les entrefient le plus
s souvent que du project qu'on a de les quitter; car la ma-
(i) Cynismne dans le vice.
(i) Bestialit6.
(mI) Ostentation.
1H. P.
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
< nie generale est de parler de retour ou, de passage eh
a France. Chacun r6pete qu'il part V'annee proehaine, et
< l'on ne se considere que comme des voyageurs, dans
, une terre oui l'on trouve si souvent son dernier asile.
<( Cette malheureuse idWe est tellement familiere, qu'on se
<< refuse ces riens commodes qui donnent du charme A
< l'existence. Un habitant se regarded come camp sur
un bien de plusieurs millions; sa demeure-est celle d'un
c usufruitier d6jd vieux; son luxe, car il lui en faut; est en
, domestiques, en bonne chore, et l'on croirait qu'il n'est
a log6 qu'en h6tel garni. (i)
(( A ce tableau des moeurs qu'on pourrait appeler g6n6-
< rales, il est necessaire d'ajouter ce qui appartient d'une
maniere plus speciale aux Blancs cr6oles, parce que plu-
a sieurs causes et particulierement faction d'un soleil cons-
a tamment br'ulant, (Ii) produisent dans les habitants de la
Zone Torride des modifications qui les font diff6rer des
, habitants des Zones temperees.
( Les Americains qui ont recu le.jour A St-Domingue et
qu'on d6signe sous le nom de Creoles ( common d tous
a ceux qui naissent aux Colonies) (iii) sont ordinairement
o bien faits et d'une taille avantageuse. Its ont une figure
a assez reguliere; mais elle est priv6e de ce colors don't
< la nature 6gaye et embellit le teint dans les pays froids.
< Leur regard est expressif et announce itnne une sorte de
< fiert6, capable d'6lever contre eux des prevention d6fa-
vorables, lorsqu'on ne fait que les apercevoir. (iv)
< Exempts de la torture du maillot, leurs membres of-
< frent rarement la moindre difformit&. Et la temperature
ti) Instabilit6, inconsistence.
(Ii) On devait 6tre plein de reconnaissance n6anmoins pource
A cause du r6le important qu'il a jou6, comme on le verra plus loin, dans la
creation du prdjuge de couleur.
(iiin Cette parenth6se est de M. de ST-MaRY. Je la souligne pour y appeler
attention du lecteur, parce que j'aurai A montrer plus loin comment le sens
primitif du mot ( crdotle a WtA fausse pour faciliter la creation du prejug6 de
couleur.
(iv) Brillantes dispositions naturelles.
H. P.
DE LA SOLIDARITY HUMAINE 69
a du clirmat, en les favorisant encore, leur donne une agility
a qui les rend propres h tous les exercices, pour lesquels
, ils ont autant do. penchant que de disposition.
< Ce developpemen-t rapide des qualities physiques, le
- spectacle sans cesse renaissant des productions don't une
< cause toujours active et toujours ftconde enrichit leur
< pays, peut-6tre encore la vue continuelle de cet l66ment
< qui les spare du reste' de l'Univers, tout concourt A
, donner aux Creoles une imagination vive et tine concep-
L tion facile. Ces dons heureux pr6sageraient des succ6s
a pour tout ce qu'ils voudraient entreprendre, si cette fa-
cilit6 ne devenait pas elle-m6me un obstacle en produi-
< sant 1'amour de la varikte, etsi les pr6sentsdontla nature
, se montre si liberale dans leur enfance, ne sechangeaient
, pas, le plus souvent. en maux pour eux-memes et en
<( sujets d'6tonnement pour 1'observateur. (i)
< Differentes circonstances s'accordent encore pour faire
perdre aux jeunes Creoles 1'avantage qu'ils ont d'abord
a sur les enfants des autres climates. En pr'emnier lieu, la1
< tendresse aveugle et excessive des parents qui souscri-
e vent A leurs volont6s et qui croient que cette tendresse
< leur defend la plus I6gere resistance. II n'est point de
< caprice qui ne soit flatt6, point de bizarreriequ'on n'ex-
< cuse, point de fantaisie qu'on ne satisfasse ou qu'on
( n'inspire mime; enfin point de d6fauts que l'on ne laisse
< au temps le soin de corriger: au temps qui suffirait quel-
a quefois pour les rendre incorrigibles. (H) (In)
Heureux encore I'enfant Cr6ole qu'unesant6ferme ga-
( rantit de I'occasion funeste d'6prouver toute la sensibi-,
(i) Les dons de la nature 6van6uis sous le souffle de la mal6diction. Fleurs
qui se fanent dans la main du. damn6.. P.
kit) Tout le mondle connait co trait attribu6 A un enfarit creole et qui peut en
peindre un grand nombre. Mou vld gnon zd.-Gnia point.- A coze a nwn
vid dd. r < Je veux un ceuf. II n'y en a point. A cause de cela j'en
veux deux. ,
M. de S. M.
(iI) Stupide education de l'enfant.
H. P.
DE LA SO LIDARITE HUMAIN-E
< lit6 des:auteurs de ses jours. Car, si sa vie est menacee,
a si son existence est fr'le, il ne peut 6chapper au mal-
< heur d'6tre un sujet d'idolatrie. Tous les d6gofts de la
< maladie sont pour ses parents d6s preuves de pr6tendus
< d6sirs qu'on ne lui croit pas la force d'exprimer. Alors
< on invented pour lui, on se livre aux ideesles plus.extra-
( vagantes; et.si le temperament de I'enfant Cr6ole, plus
< fort que les obstacles qu'un attachment servile lui oppose,
< triomphe du mal physique, les gerrnes peut-etre indes-
( ses jours.
<( Qu'on ajoute A ces inconyvnients ceux de l'habitude
(*regard pour .tout faire ceder autour de soi. Jarnaais des-
<( pote n'a eu dWhommages plus assidus, ni d'adulateurs
< plus constants que l'Enfant Creole. Chaque eselaveest
a soumis aux variations de son humeur, et ses depits en-
a fantins ne troublent que trop souvent la paix domestique
a parcequ'il suffit, pour qu'il comaiande l'injustice, qu'elle
a soit l'objet d'une volont6 qu'il ne sait pas encore diriger.
Enfin jusque dans ses jeux l'enfant creole est reduit A
< n'etre qu'un ,tyran. Place au milieu de petits esclaves
a.qu'on condamne A flatter ses caprices, ou, ce qui est
< plus revoltant encore, A renoncer A tous ceux de leur
< age, il ne veut pas souffrir la moindre contrari6td. Ge
< qu'il voit, il le vent, ce qu'on lui montre, il 1'exige; et si
< la fatality permet qu'un, de ses petits compagnons lui,
a r6siste, il s'icrite,, on accourt de toute part A ses cris et
< ceux de l'infortune que sa couleur a d6sign6 pour la sou-
a mission apprennent aussit6t qu'o'n l'a contraint a ceder
a et peut-etre meme qu'un chatiment a puni la desobeis-
a sance dans celui qui n'a pas encore l'instinct de la ser-
, vitude. (i)
a C'est pourtant dans les actes memes de ce despotistne
(c honrteux que le bonheur de quelques esclaves prend'
(i) Abrutissement produit directement par l'esclavage et le prejugL.
H. P.
DE LA SOLIDARIT-E HUMAINE
assez souvent sa source, parce que si 1'enfant creole mon-
r tre de la predilection pour certain esclaves, elle leur.
< assure un meilleur sort. Et mnme si c'est un autre en-
fantque le Creole adopted et s'il grandit avec son mattre,
< il deviendra un jour, suivant son sexe, I'objet ou le minis-
< tre de ses plaisirs, (i) et I'ascendant qu'il prendra le ga-,
,f rantira, lui et les autres esclaves qu'il voudra -proteger,
< des injustices du maitre. (Ii)
< Cependant, ces circonstances qui semblent.faites pour
<( 6touffer dans 1'ame du Creole toutes les sernences du.
e bien, et auxquelles il faut ajouter encore les dangers qui
< accompagnent les bienthits de la fortune ne seraient rien
< si une education surveill6e combattait.tous ces ennemis,
< de son bonheur. Eloiga4, du prestige ( de son autorile ty-
r rannique)et ne conservant de ses inclinations naissantes,
<( qu'une espece d'6nergie et d'616vation, que, des institu-
( teurs intelligent et attentifs p-ourraient changer en,
< vertus, I'Amaricai.n deja favoris6 par la constitution phy-
a sique, cesserait- d'dtre co.ndamine d la mediocrity. (In)
(( Mais c'est A cette occasion qu'il faut deplorer le sort.
des Creoles. Conflis en France le plus souvent A des
o 6tres pour. qui ils sont strangers oun A des mrercenaires.
a qui leur vendent des soins souvent au-dessous du prix
qu'ils savent Qn exiger, ils n'ont pas inme- l'espoir de pro-..
( fiter de education imparfaite des colleges oft on les relegue.
e Personne ne les excite, personnel ne les encourage.
Incapables de d6sirer les succes, pour les succes mrmes,
< ils competent, avec ennui les jours passes dans I'exil. de
la maison paternelle, et avec impatience ceux qui doi-
< vent en borner le terme. On ne leur parole de leirs
< parents que pour .flatter cette espece d'amour-propre
(i) Voila l'eternel mensonge des fabricateurs du prejug-.' de couleur. La
petite fille noire qui grandit avec l'enfant blanc, prend tin empire sur'on time
et devienttplustard, sa femme,' latmerd de sespenfantsi, n'est pas .l'objet 'de
ses plaisirs,) mnais ',bien :'objot de satendesse. C'est- Ioujours le roman'de,
Paul et Virginie.
(H). Assimilation, RAparation.
(m) Condamn6s A la m6diocritL.
H. P.
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
( qu'on en est toujours assez digne. On ne leur en parole
< que pour r6veiller le souvenir des faiblesses ,do ces pa-
a rents pour eux et la comparison de ce premier 6tat
, avec l'abandon dans lequel ils sont tombs, n'est guere
( propre a les enflammer pour l'6tude don't tout le prix
C est dans 1'avenir. (i)
< C'est ainsi que la plupart des Creoles parviennent, soit
< dansla Colonie soit en France, a I'age of ils doivent pa-
< raitre dans lemronde. II ne reste peut-ktre plus pour leur
a ravir 1'espoir dedevenir des hommies estimables, que de
a flatterleurs goutts pour lad6pense et pour des jouissances
<' don't I'espece souille quelques fois I'Ame encore plus
a que 1'exces, et enfin de ne les contraindre que dans un
, seul point, precisement parce qu'il semblerait devoir 6tre
libre, lechoixd'un etat; ce choix c'estl'orgueil des peres
a qui le fait, mnme de deux mille lieues.....................i)
,, Le Creole qui n'est pas sorti de St-Domingue, oft il ne
a peat recevoir aucune education (n) et celui qui revient dans
K son pays natal,apres que son education a6ten6gligee en
< France, sont done enti6rement livr6s a cette imagination
a vive et effervescentedont j'ai dit que la nature les douait
a sous un ciel brilant, etaux suites de la tendresse dange-
a reuse de leurs parents et de la facility de donner leurs
a volont6s pour lois A des esclaves. Quels -dangers pour
e- l'dge oft les passions sedisputent entreelles la possession
ox d'un coeur dispose a 6prouver vivement et leur choc et
<' leur tumulte !
C'est alors que le Creole perdant de vue tout ce qui
e n'est pas propre A satisfaire ses penchants, dedaignant
(i) Incurablement ignorants.
(n) Prodigalit6 bestiale.
(m) Get aveu est A noter A cause de la lumiere qu'il jette sur la pr6tendue
education don't certain ndgrophiles 7 accusent la caste mutldtre d'avoir
tant abus6 centre les noirs apres ou avant l'independance. Dans cette m6-
prisable soci6t6 colonial, ii n'y avait pas de vraies dcoles mtme pour les
blancs.
H. P.
DE LA SOLIDARITY HUMAINE
( toutce qui ne porte pas 1'empreintedu plaisir, se livre au
<< tourbillon qui 1'entraine. Aimantavec transport la danse,
l la musique, il semble n'exister que pour les jouissances
< voluptueuses. (i)
SCoinbien il est difficile que de semblables dispositions
<< ne deviennentpas funestes dansun lieuoi les moeurs ne
t( sont rien moins que propres A les maitriser Comment
< enchainer un temperament ardent dans un lieu oft la classes
, nombreuse des femmes qui sont le fruit du melange des
a Blancs et des femmes esclaves, ne sont occupies que de
<< se venger, avec les armes du plaisir, d'etre condamnnes
A l'avilissement. Aussi les passions d6ployent-elles toute
, leur puissancedans le coeur de la plupart des Creoles, et
lorsqu'enfin les glaces de l'Agearrivent, elles n'Wteignent
< pas toujours le desir, la plus cruelle de toutes les pas,
5 sions. (II)
<(.On peut done dire, avec v6rit6, que tout concourt pour
< former chez les Creoles le caractere imperieux, vif et in-
<< constant qu'on leur connalt, et qui les rend pen propres
a I'hymen,dont lesbeauxjours nepeuvent Wtre l'ouvrage
( que d'uneconstance mutuelle. Jaloux par amour-propre,
<< ils sont tourmentes par la crainte de l'infidelit6, don't ils
a donnent I'exemple. Heureuse encore l'6pouse trahie si,
< en 6prouvant tout ce que le soupcon a d'injurieux, elle
v n'est pas condamnne A avoirquelques fois sous ses yeux
I[ I'objet qui lui ravit les preuves d'un amour qui lui fut
<( solennellenient jure. (in)
Ce navrant tableap de I'affaissement moral de I'homme
qui pretend 6chapper par le crime, par I'asservissement
de son semblable, A la loi du travail, A la responsabilite de
son bonheur, ce tableau offre-t-il du moins un rayon lu-
mineux 6clairant la face souriante de la blanche creole?
On voit, on sent que ce pauvre MOREAU de St-MgiRY
(i) LgAret6 d'esprit.
(n) Mceurs corrompues.
(irn Absence de felicitO conjugate, du bonheur.
H.P.
DE LA SOLIDARITE HUMAINE
"aimait bien ses soeurs et qu'il voudrait les montrer a la
post6rit6 bien plus comme il les voyait avec son coeur que
comme elles se pr6sentaient a ses yeux on d son esprit.
Mais cet 6crivain 6tait vOridique: il peiguit la creole de
Saint-Domingue telle qu'elle 6tait, en se contentant de la
couvrir de fleurs....de rh6torique.
Mais h6las pas n'est besoin d'6carter ces fleurs pour
reconnaitre la malheureuse compagQe du propri6taire
d'esclaves que nous venons de voir.
Des creoles blanches
< A la d6licatesse des traits, les fernmmes creoles de Saint-
a Domingue r6unissent cette tailleet cette demarche 61egante
qui semblent 6tre l'apanage des femmes des pays chauds.
<< Rarement dou6es de cet ensemble et,de cette exactitude
<< rigoureuse, qui constituent essentielle'mentlabeaut6, leur
a, figure offre presquetoujourseette combinaison,pluss6dui-
< sante et plus dificile a peindre qu'on nonime la physiono-
in mie,etsil'on obtient ais6mentdela Grece et de la Georgie
i un tribute de femmes belles, il serait facile i St'-Domingue
W d'en fournir un de femmes jolies. (i)
t( C'est dans les grands yeux spirituels descr0oles, qu'on
< trouvele contrasteheureux d'unedouce.,langueur, et d'une
( vivacity piquante. Si l'apret6 du climate ne rendait pasaussi
c passagere la fraicheur de leur teint, il serait difficile de se
d6fendred'un regard oi la tendresse e"t une sorte de gait6,
< se mrlent sans se confondre. Mais sachant employer, avec
<( un goit exquis, les resources delicates que la toilette peut
<< offrir, sans rien emprunterau mensonge, les cr6oles, aides
< de ces graces, savent conserverl'empire que ia natureleur
a a donn6.
< Vetues avec une lIg6retO que le climate exige, elles ne
< paraissent que plus libres danstousleurs mouvements,et
(0 Jolies femmes, pouvant captiver un epoux et fixer le bonheur sous le toit
conjugal, mais.......
H. P.
DE LA SOLIDARITY HUMANE
i mieux faites pour reveiller l'idee d'une volupt6 d'autant
o' plus seduisante,que la nonchalance caract6rise tous leurs
<( movements. (i)
<( L'6~at de d6soeuvrement, dans lequel lesfemmescr6oles
A pont Mlev6es; les chaleurs fresque habituelles qu'elles
(< eprouvent; les complaisances dontelles sont perpetuelle-
m ,iient l'objet; les effects d'une imagination vive et d'un d6-
<( veloppementpr6coce; tout product uneextreme sensibility
< dans leur genre nerveux. C'estde cette sensibility meme,
( que nait encore leur indolence qui sait s'allier A la viva-
cil dansun temp6rainent don't le fond est un peu mrlan-
colique. (H)
'(( Cependant il ne faut qu'unrd6sir, pour rendre AleurAme
S(toute son energie. Accoutumeesavouloir imperieuseme nt
Sel les s'irritent en raison des obstacles; etdds qu'ils cessent,
: 1'insouciance renait. Sans mutation pourles talentsagr4a-
*: bles:qu'il leur serait si facile d'acquerir, elles les envient,
o cepehdant, avec une sorte de d6pit, des qu'une autre les
<; poss6de. Mais ce qui les affecte jusqu'a lesaffliger, c'est la
preference quelescharmesdelafigure peuvent faireobt'en ir
4 *t quelques unes d'elles sur les autres. It est mime facile
-.de soupeonnetcetteantipathie, nee d'une rivalit6 secrete,
S;quand on remarquecombien lesfemmescreoles cherchent
i pen A se reunir, quoiqu'elles se prodiguent les caresses
d cs que le hasard les rassemble..(ii)
Les cr6oles portent Al'exces leur tendresse pour leurs
( enfants. Ce sont elles surtout qui leur inspirent les plus
o singuliiresfantaisies.J'ai assez dit combien leur aveugle-
< ment est funeste A ces enfants, qu'elles ne commencent &
( trailer en. meres, qu'au moment oU elles consentent A les
<( -envoyeren France,dans I'espoir qu'ils y recevront une 6du-
<( cation cultivbe. Elles aiment aussi leurs parents avec..,
<( affection, et leur en prodiguent A chaque instant les t6-
a moignages les plus doux. (iv)
(i) Coquettes, lascives.
(n.) Paresseuses.
uin) Irritables, envieuses.
(rv) Ne savent pas lever leurs enfants. H. P
DE LA SOLIDARITE HUMAINE
(( L'amour, ce besoin, ou plut6t ce tyran des Ames sen-
a sibles, regne sur celles des creoles. Aimables par leur
< propre sensibility et par des moyens qu'elles ne tiennent
< que de la nature,sans imposture, sans artifice, elles suivent
( leur penchant, qui, pour rendre par faitle bonheur de ceux
qui en sont I'objet, aurait peut-etre besoin de d6pendre
II faut cependant ajouter que, si 1'amour 6gare quel-
< quefois les cr6oles, la dur6e de leur attachment pour le
la d6cence pouvait jamais cesser de s'en offense. (n)
<( Heureuse la creole, pour qui les segments de 1'hymen
< ont Wte les voeux de l'amour! Cherissant son amant dans
< son 6poux, sa fidelit6 plus communement encore le fruit
< desanonchalante sagesse que de la vertu qui suppose des
< combats et une victoire, assurera leur tranquillity commu-
ne. Maissi le mari n'a d'autres droits que ceux da devoir,
e qu'il redoute en les exergantdespotiquement, de mepriser
ceux de sa compagne,son e.xemple pourrait dire suivi.(III)
A Toutes ces dispositions aimantes(?) font quelaperte de
celui auquel elles 6taient likes, amonent presqu'aussit6t
< un nouvel engagement. (iv) Aussi peut-on leurappliquer ce
a que M. THIBAULT de CHANVALLON a dit des creoles d'une
a autre colonie: <(qu'il W'est point de veuve, qui, malgrd sa
< tendresse pour ses enfants, n'efface bientdt par un nouveau
marriage, le nom et le souvenir d'un homme don't elle
a paraissait dperdument dprise. ) Peut-6tre meme n'existe-t-
a il pas depaysofilessecondes noces soientaussi communes
a qu'A St-Domingue, et I'on y a vu des femmes qui avaient
C eti sept maris. (v)
k,) Sensuelles et non aimantes.
(n) Legeres, impudiques.
(in) Incapables de fidelity conjugale, de vertu, n'offrant d'autre gage&, un
.poux que leur nonchalance.
(iv) VoilA certes un paradoxe superbe, digne des mis6rables qui ont peuple
le Nouveau-Monde de muldtres en affirmant audacieusement un pr6tendu pre-
jug6 de race leur inspirant la repugnance de la n6gresse.
(v) Sensuelles, voluptueuses, mais sans cceur. Incapables d'affection r6elle.
H. P.
DE LA SOL1DARITIE HUMAINE
(( L'attachement des cr6oles est m616 de jalousie, et mal-
gr6 leur indifference pour l'6poux que les seules con-
x venancesleuraurontdonn6, ellesne peuvent lui pardonner
ses infid6lit6s. C'est contre tout ce qu'elIes peuvent soup-
<< conner qu'elles s'irritent avec fureur. Lajalousiea donned
, la mort A des femmes Ceroles qui n'ont pu supporter le
, rlirng,-ie- iili decluiqu'ellesidolatraient. Elles sont meme
capable de pref6rer la perte de l'objet aimn6 h celle de sa
< tendresse: tantLetteodieuse passion d6nature toutjusqu'au
sentiment mtnme oli elle prend sa source!... (i)
< La danse, mais la danse vive, a tant d'attrait pour les
, (reoles,qu'elles s'y livrent sans reserve, inalgr6 la chaleur
<< du climil .- I la faiblesse de leur constitution. II semble que
a cet exercise ranime leurexistence, etellessaventtrop bien
a quels charges nouveau il donne aune figure expressive
Seta unetaillegracieuse, pour qu'elles ne le recherchent pas
, avqeardeur. I leurfaitoublier l'indolencequ'ellesparaissent
o ch6rir. On les entend mime presser la measure, qu'elles
(suivent avec une precision rigoureuse, mais sans contrainte.
a Enftn tell, estl'especededelire ofi la danse les plonge,(II)
a qu'un spectateur stranger croirait que ce plaisir est celui
qui a le plus d'empire sur leur Ame. (m)
E En voyant aussi que dans,un bal la retraite de quelques
a femmes devient un signal pour que les autres quittent la
< danse, on imi,.-ii-raitque, neformantqu'une seule famille,
< elles ne jouissent de cel amusement qu'autant qu'elles le
< partagent toutes. Combien it est regrettable qae ce mou-
a vement de trendresse apparent ait besoin d'un nouveau
< bal pour reparaitre! (iv)
Les cr6oles ailment le. chant. Leur gosier facile se prote
< agr6ablement aux airs lgersetaux airs tendres; mais la
a romance est ce qui leur plait davantage.
a Ses sons plaintifs semblent faits pour'flatter leur dispo-
(i) Jalouses par vanit&
(n Get amour insense de la danse nous est montre ailleurs come une1
passion de negresse, (le dMlireo du ..,,.1.,. !/
(m1) Frivoles, Hlgares.
(o) Hypocrites. H. P.
DE LA SOLIDARITY HUMANE
(( sition langoureuse,et elles en accentuent les expressions
a avec une veritH qui s6duit le cieur apr6s avoir charm
< I'oreille.
( La solitude plait beaucoup aux femmes cr6oles qui y
1 vivent volontiers, m6me au seindesvilles. Elleleurdonne
< un caractere de timidity qui ne les quite pas dans la
< soci6t6 oiellesr6pandent peud'agr6men t,A moinsqu'elles
W n'aient appris en France a sentir tout le prix d'une ama-
a bilitM qu'elles savent rendre touchante. (i)
<( LesCreoles sont tres sobres. Le chocolat,lessucreries,
a le caf6 au lait surtout, voild leur nourriture.
< Mais un goit qui semble plusfortqu'elles, les porte en-
< core a refuser lesalimentssainset haleur pref6rer les salai-
a sons apportees d'Europe ou des mets du pays, bizarrement
( pr6par6s et connus sous des noms plus bizarre encore.
< L'eau pure est leur boisson ordinaire, mais elles lui pr6-
W ferent par fois une limonadecomposeede sirop etde jus
decitron. LesCreolesne mangentguere auxheures du re-
pas,maisindistinctement,lorsqu'elles 6prouventles d6sirs
'x d'un app6tit dontellessuivent toutela d6pravation.(ii)(iI)
< Un sommeil trop prolong, 1'inaction dans laquelle elles
< vivent, des carts de r6gimnede toute espece,des aliments
< tellessont les sources des maux qui menacent lesfemmes
< Cr6oles... et les causes qui fletrissent si t6t leurs char-
a mes : brillantes come les fleurs,ellesn'enont aussi que
, la d uree ( v) ..............................................................
e Domingue; et quandon les juge d'aprescette observation,
s on est 6tonn6de leur trouverun sens aussijuste (v)..........
. ............ . ............................... ...... ...................... .
(i) Timides par ignorance, at defaut de modestie.
(n) Gofits d6prav6s.
(inm) En pillant MOREAU DE ST-MERY pour 6chafauder son roman, ST-JOuN
impute A la muldlresse d'Haiti ces irr6gularites des repas de la blanche deSaint-
Domingue.
(iv) R6sum= int6ressant de ses qualites.
kv) Sans education.
H.P.
DE LA SOLIDARITIE HUMAINE
(t On peut meme demander avec confiance aux femmes
Creoles un conseil des qu'il interesse le sentiment ou la
< delicatesse. Douees d'une espce de tact quivaut souvent
Sn mieux que nos principes,elle se portent naturellementvers
a ce qui est pr6f6rable.Fiere, indignee de tout ce qui avilit,
< m6prisant plus que les homes memes, les homes d6-
grads, une femme Creole partage vivement 1'affront fait
<( a celui qu'elle aime.II faut qu'il renoncet sa tendresses'il
< est capable de devorer un affront; elle n'ecoutera jamais
les soupirs d'un lache et prefererait pleurer sur sa
< tombe. (f)
( II n'est malheureusement que trop facile de leur prou-
a ver qu'on est digne d'elles a cet 6gard. La plus grande
, preuve du peu de sociabilild (i) de St-Domingue, c'est
a le fmux point d'honneur qui y maltrise encore l'opinion.
< Dans un pays of la fortune fait taht de rivaux, il est dif-
ficile de prendre ces dehors polis qui sont peut-ktre les
a premieres sauvegardes de la fiert6 particuliere. L'habi-
e hide de commander aux esclaves et de ne trouver que de
" la soumission, rend necessairement le caractere un peu
e allier. et des Colons d6fenseurs de leurs propres foyers,
a doivent ktre domin6s par un pr6jug6 aissi ancien que la
SColonie ; ii donne meme aux magistratsun exterieurguer-
n rier. (itn)
a Les Cr6oles sont aussi naturellemneil affables, g6nereu-
a ses,compatissantes pour tout ce qui porte l'empreinte de
l'infortune et de la douleur, mais elles oublient quelquefois
a ces vertus (iv) envers leurs esclaves domestiques...........
< Qui ne serait revolt6 de voir une femme delicate a qui,
in Envieuses, haineuses, ignorantes et vaines. Elles possedent la seule vertu
colonial : elles sont pour la bataille, Ja destruction.
(iI) Oh! rhdlorique de colon!
(oi) Insociabilite.
IIv) On n'oublie jamais one vertu que I'on possede r.ellement; toute la pre-
tendue affabilitO de ces femmes n'Wtait qu'une formed l'insurmontable timidild
qu'entraine chez les femmes la conscience de n'6tre pas en possession de 1'6-
ducation que commanderait la hauteur du rang que I'on occupe. Dans Ie par-
veuu du sexe mAle, cette timiditl est voilbe par une exaggeration de grossierete.
H.P.
7
DE LA SOLID.\R[TEI-I MAINF3
<< le recit d'un malheur moindre (qlecelui qu'elle va causPr,
a ferait r6pandre des larnes, pr4sider i un chAti ient qu'elle
< a ordonn6! Rien n'egale la colere d'unelemineCreole qui
punit l'esclave que son epoux a peut-0treforcee de souiller
I& le lit nuptial. Dans salureurjalouseellene salt qu'inventer
< pour assouvir savengeance. (Ces scnes affreuses qui sont
, tres-rares le deviennent encore plus de jouren jour. Pent-
O etremmeneles Crtoles perdron t-elles, avec letemps, ce pen-
( I'labitude des I'age le plus tendre. Lesoin d'en faire lever
< un Ir6s grand nombre en France, ['influence des ouvrages
a qui font l'Mloge des vertus doinestiques et qu'elles lisent
< avecattendrissemen t,ain6neron tsans doutecetteheureuse
x r6vo lu tio n (I) ............................................................
Sexe charnant! Tel est votre apanage, la douceur et la
a bont6. C'est pour temperer la fiertL de 1'homme, pour le
( captiver, pour lui-rendre agr6able le songe de la vie, clue
< la nature vousforrna.Nededaignezdone pas de rkgner par
a les moyens qu'elle vous adonn6s. Le fondateur d'une reli-
a gion, en peignantavec des traits de feu un lieu de d~lices
Setternelles,asentiqu'ilfallait, pour exciter l'enthousiasne,
< vous montrerdansces6jourdouceset belles, et il a seduit
< par ce tableau vraiment enchanteur!...... (n)
Superbe organisation social, en v6ritL, et bien digne de
regrets que la colonie blanche de St-Domingue si soigneu-
sement ignore' par tous les blancs qui s'en vont fouiller,
piller M. de St-MaRY, en quote de closes injurieuses pour
les haitiens et pour la race noiret
Ni dans les lettres, ni'dans les arts, ni dans les sciences,
ni dans le commerce, ni dans I'industrie, ni a la tribune,
ni h I'armte, aucun blanc, colon de St.Domingue, n'a laiss6
un nom digne d'6tre recueilli par la posterite.
MOREAU de St-MtRY semble avoir eu le pressentinment
que cette terre maudite qui avait Wte sa patrie, allait pro-
(i) Cruelles, barbares.
(in Coup d'encensoir de la fin! Une derni6re fleur jetee sur la tombe de la
role de St-Domingue.
11. P.
DE LA SOLIDARITY HUMANE
chairtement rentrer d'un seul bloc dans le n6ant; que St-
D1nmingue allait mourir tout entier, qu'il n'en resterait
bient6t rien, plus rien, s'il ne se hWtait de dresser, pour les
successeirs du moribon, une sorte d'inventaire de la
maison.
(( II semblerait, dit-il, dans sa preface, que cet Hercule
< colonial, efit 6t6 destine a n'1ire plus un jour qu'un sque-
< lette d&charn6.
< Cette opinion ffit-elle fonde,...... pourquoi la peinture
fideledecequ'6tait nagu6reencorecette colonie... ne serait-
< ellepaspr6sentee, du moins come n monumenten quel-
< que sorte historique, et come un chapitre d meiditer par
a tous ceux qui ont part au gouvernement des Etats?
SII avait raison. St-Domingue ktait perdu, perdu pour
I'elernit6. L'HIercule colonial avait le ecoeur rong6 par le
cancer colonial. 11 se mourait de la peste de l'esclavage.
Le livre de St-MaRY part en 1797. St-Domingue expirait
sept ans apres; et, le 'cr Janvier 41804, un nigre ignorant,
ii ancien esclave, une ancienne victiine de 1'orgueil des
colons, JEAN-JACQUES DESSALINES, poussadu pied la charo-
gne et la langa dans ['oubli 6ternel.
Connait-on quelque part un esclavagiste, je n'entends
point, par ce mot, I'homme indifferent aux chosess qui
I'eitoiirent, qui les accepted saniis les examiner,, parcequ'il
(,st venu les trouver ainsi et que son 6goisme n'est pas
directementinteress6; bien moinsencore voudrais-je parler
d'un hlomme de coeur come JEFFERSON, par example,
subissant une horne national pour saver la paix de son
pays, dans l'esperance que la raisonfinira par 'emporter,-
inais le vrai esclavagiste, l'hoinine qui croit juste et bien
que des hominmes soient eselaves; qu'il y air des ktres hu-
mains innocen-ts de tout crime, de tout p6ch., don't la part
de bonheur en ce mond'e soit confisquie; dans le coeur
desquels l'esp6rance soil detruite pour le present et pour
I'avenir, dans leur personnel et dans leur descendance; qui
soient condamnis sans accusation, sans jugeinent, a subir
la peine afflictive de l'eselavage, des travaux forces a per-
petuit6, ainsi que la peine infamante du pr6jug6de couleur,
DiE LA SOLIDARITEI 11UNMAINP
qui prend-un innocent, un home pur de tout crime, de
tout dlit, de tout pech6 et le jette dauts la soci.le an rang
des criminals echappes du bagne, quo I'on fruit, quee 'on
6vite, que 1'on chasse, come les pestifmres duivice, les
lepreux, les gangrenes don't le contact serait avilissant
pour nos aines ou dangereux pour nos corps,; quedesetres
humans soient plong6s vivants dans la damnation 6ter-
nelle? Connait-on un hoinme qui croie tout cela just et
bien et qui ne soit pas lui-mOine un esprit born, une
intelligence atrophiee, une AIme uni-rei.,e? Qu'on me le
montre! C'est un rara avis.
Je n'ai jamais connu, et nul n'a trouv6 que je sache, ni
un vrai savant, ni un pote., ni un ecrivain, ni un orateur,
dans la peau blanche, rouge ou noire, d'un, ennemi du
genre human, d'un persecuteur de l'innocence.
Leplomb qui ecrase la pense de I'esclavagiste, I'empeche,
tout en se reclamant. de la societl, de l'aristocratie, de
s'6leveralasimple hauteur des convenances qui.s'imposenti
a l'homme on la feminme de bonne compagnie. C'est tou-
jours un itre hargneux, grossier, farouche, bon a jeter a
la porte de Loute society distingu6e, a chasser de toute
compagnie de gens bien Mleves. Les pauvres.aveugles! Its
entrent sans s'en apercevoir dans le temple-des chr6tiens,
oCt Jrsus crucifi offre son sang pour cimenter l'amour
entire les hominmes, et ils se croient dans un lieu: oft il leur
serait permis de se repatre, sous l'oeil du diable, de leur
haine contre des innocents.
a Arri6re n6gres! disent-ils, jo ne sais pas prier et je ne
a veux pas hurler des hymnnes pres de toi; je to hais plus
<( que je n'aime D1)EU!
Lafemmeelle-mimne, et'tre fait de gra'ces, de tend:resse,
don't le sourire semble destiny a porter le rayon de I'esp6-
rance jusqu'au ceur du coupable touched par le repentir,
la femme elle-mOme, quand elle s'enr6le dans la criminelle
cohorte de l'eselavage ou du prejug6, perd aussit6t tous
les charmes de la f6minite; ses yeux, son front, ses levres
percent le sourire, cette ktincelle qui ne jaillit que d'une
ame innocent, d'un coeur just et bon; et hideuse, f6roce,