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HREPUBLIQUKE D'iAITU

DEPARTMENT DU TRAVAIL
ET DU BIEN-ETRE SOCIAL

ACTES
DU

PREMIER CONGRESS NATIM1L
DU TRAVEL

1I" MAI 1949

COLBERT BONHOMME
SECRETAIRE tD TAT
1"" MAI 1958

IMPRIMERIE 0E L'&TAT

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Son Excellence Monsieur DUMARSAIS ESTIME
Ex-President de la Republique

Sous le Haut Patronage de qui s'est derouie
le Premier Congri's National du Travail.

:~

Son Excellence Docteur FRANCOIS DUVALIER
President de la Ripublique

PRESENTATION

Au moment oi sur la demand express de Son Excellence le
President de la Republique nous inaugurons notre premier Con-
gres Ouvrier Paysan il nous a sembl opportun de publier les actes
de notre premier Congres National du Travail de Mai 1949.
C'est une excellent occasion de proposer a la meditation de nos
compatriotes les divers aspects des problemes du travail, problems
qui manifestent les preoccupations de notre elite a 1'egard de ses
obligations d'instaurer dans les faits une vraie democratic politique
et social, soucieuse d'amdliorer les conditions de vie de ces l16-
ments 6conomiquement faibles que constituent les ouvriers haitiens.
A la R1volution de 1946 qui s'est accomplie dans l'explosion des
revendications revient l'honneur d'avoir institu6 tout un system
16gislatif axe sur le respect de la dignity de l'ouvrier et le souci de
lui assurer les meilleures conditions pour son 6panouissement et
la conquete de ses droits. Toutes les communications publiees dans
ce livre s'inspirent de ces preoccupations.
Les institutions et les lois ne suffisent pas pour changer un
ordre de choses; il faut un novel esprit generateur de sentiments
nouveaux, il faut des ap6tres et de leaders pour precher le nouvel
6vangile et l'implanter dans les coeurs et les consciences. En rita-
blissant les liens spirituels de I'action des gouvernements de 1946
et de 1957 par rapport a leur politique des problems ouvriers nous
esperons maintenir le climate favorable au relevement de notre
classes laborieuse.
Ce n'est pas par pur hasard que l'un des organisateurs du Con-
gres de 1949 soit actuellement, President de la Republique et pre-
mier ouvrier de la Nation.
Les idees portent en elles memes les forces capable d'assurer
leur propagation et leurs succes, c'est ce qui explique bien des
ev6nements don't le d6veloppement 6tonne parfois les plus avertis.
En publiant ce document qui fait revivre le ler Congres National
du Gouvernement du 16 Aout, nous entendons r6affirmer les idWes
sociales issues de la Revolution de 1946 et faire un acte de foi dans
l'euvre de liberation et de justice qu'ont entreprise les hommes de
ma generation.
COLBERT BONHOMME
Secretaire d'Etat du Travail
et du Bien-Etre Social.

COMITE D'ORGANISATION DU CONGRESS

PRESIDENT D'HONNEUR:
S. E. M. Louis BAZIN, Secretaire d'Etat du Travail.

PRESIDENT:
S. E. M. le Docteur Francois DUVALIER, Sous-Secretaire d'Etat
du Travail.

VICE-PRESIDENT:
M. Clement JUMELLE, Directeur G6n6ral du Bureau du Travail.

SECRETAIRE:
M. L. Max FOUCHARD, Chef de l'Inspection Generale du Tra-
vail.

MEMBRES:
M. Francois LATORTUE, Chef du Service des Statistiques au
Bureau .du Travail;
M. Max PIERRE-PAUL, Chef du Service des Organisations So-
ciales au Bureau du Travail;
M. Milien JOSUE, Pr6sident de la F6deration Haitienne du Tra-
vail;
M. Lyd6ric BONAVENTURE, President du Syndicat des Chauf-
feurs de Port-au-Prince;
M. Maximilien ROSEMBERG, President du Syndicat des Ou-
vriers et Travailleurs de la Hasco;
MM. Emile HAKIME, Justin JUST, Gilbert DORISMOND.

COMITE DE RECEPTION DU CONGRESS

M. Andr6 LOUIS, President de la Commission Communale de
Port-au-Prince;
MM. LIonce QUALO et Fernand MAGLOIRE, Membres de la
Commission Communale de Port-au-Prince;
M. Lamartini6re FIDELIA, Chef du Service Administratif au
Bureau du Travail;
Mile. Janine LAFONTANT, Charg6e du Service de la Femme
et de I'Enfant au Bureau du Travail;
M. Hebert PIQUION, Inspecteur en Chef du Bureau du Travail
du Cap-Haitien;
M. Camille LARGE, Inspecteur en Chef du Bureau du Travail
de Jer6mie;
Mme. Lonie COICOU-MADIOU, Inspectrice au Bureau du Tra-
vail;

Messieurs:
Leon THEBAUD, Dorl6ans THOMAS, Nemours DENIZE, Mlle.
Octavie STEPHEN, MM. Emile ROY, Sylvestre JEAN-BAPTISTE,
Lafontant JEAN, Charles PRESSOIR, Gesner THOMAS, Denis
JEAN-JACQUES, Rodrigue DELVA, Max A. ANTOINE, Michel
AUBOURG.

COMITE DES TRAVAUX DU CONGRESS

ORGANISATION DU TRAVAIL:
M. Francois LATORTUE, Chef du Service des Statistiques au
Bureau du Travail;
M. Emile LEGROS, Inspecteur en Chef du Bureau du Travail.
de Port-de-Paix;
M. Milien JOSUE, President de la Fed6ration Haitienne du Tra-
vail;
M. Constant ISIDORE, Pr6sident du Syndicat des Ouvriers d'Im-
primerie;
MM. Marc BRUTUS, Otto MADSEN, Mmne. James EWALD.

CONDITIONS DE TRAVAIL:
M. Dantes COLIMON, Inspecteur Gen6ral du Travail;
M. Nerva LARRIEUX, Inspecteur en Chef du Bureau du Travail
des Cayes;
M. Berthon PIERRE-LOUIS, Pr6sident du Syndicat des Ouvriers
de Construction de Port-au-Prince;
M. Dacius BENOIT, Pr6sident du Syndicat des Travailleurs des
Agencies Maritimes;
M. Raymond L. ROY, Directeur de 1'Usine ;
M. Hyppolite JEUDY.

SECURITY SOCIAL ET LEGISLATION DU TRAVAIL:
M. Max PIERRE-PAUL, Chef de Service des Organisations So-
ciales au Bureau du Travail;
M. Camille LARGE, Inspecteur en Chef du Bureau du Travail
de J6r6mie;
M. Milfort JOSAPHAT, President du Syndicat des D6bardeurs
de Port-au-Prince et du Syndicat des Planteurs de Varreux et Li-
lavois;
M. Joachim OGE, President du Syndicat des Coiffeurs;
Dr. Lafontant JEAN, M4decin de la plantation < M. Claude ETIENNE.

PROGRAMME DU CONGRESS

Le 27 Avril:

Ouverture du Congres a 5 heures de l'apres-midi:-

1) Arrivee de Son Excellence le Pr6sident de la Republique;
2) Chant de la Dessalinienne et de l'Hymne du Travail;
3) Manifestation du Front du Travail;
4) Message de Son Excellence le President de la Republique;
5) Discours du Secr6taire d'Etat du Travail;
6) Remise des prix aux gagnants des concours pour le choix de
l'Hymne du Travail (Paroles et Musique);
7) Citation A l'ordre du jour des meilleurs ouvriers presents
par le patronat;
8) Lecture du programme de l'Ordre du jour des travaux du
Congres durant la journ6e du 28 Avril;
9) Chant de la Dessalinienne et de 1'Hymne du Travail;
10) D6part de Son Excellence le Pr6sident de la R6publique.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 19

MESSAGE
DE S. EXC. M. LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
AU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL
27 AVRIL 1949

Mes hers amis,
Au moment o I PiumanitA se remet p6niblement des effroyables
bouleversements de la guerre qui vient de finir et don't les horreurs
se prolongent douloureusement dans les esprits et dans les coeurs,
oui retentissent dans certaines regions du monde des menaces de
mort et des clameurs de haine, oii des honanes s'acharnent a d6-
truire le sens chr6tien de la vie, en soulevant les instincts mauvais,
a grand peine refoul6s par l'action bienfaisante des siecles de civi-
lisation, ceux qui restent encore attaches aux principles sup6rieurs
qui font la grandeur et la beauty de notre 6poque doivent sentir la
n6cessit6 de se grouper pour fixer les normes d'une action appel~e
a dliminer les d6s6quilibres et les injustices a travers lesquels cher-
chent a s'infiltrer les doctrines qui combattent les formes les plus
hautes de consolation et d'esp6rance qui aient jamais 6t6 proposees
a l'homme.
Au mat6rialisme dess&ehant et sterile, il faut opposer la force de
nos principles chr6tiens, si riches de moyens propres a r6duire le
plus possible, le lot de miseres et de souffrances r6serv6 jusqu'ici
un trop grand nombre d'hommes.
Le Congres que nous inaugurons aujourd'hui n'a pas un autre
but. A l'appel du D6partement du Travail, patrons et ouvriers, in-
tellectuels int6ress6s aux multiples problkmes que posent les rap-
ports de travail se r6unissent pour rechercher en commun les prin-
cipes d'une cooperation f6conde qui garantira en meme temps que
la prosp6rit6 des entreprises, un peu plus de bien-ftre et un peu
plus d'espoir a ceux qui selon le mot combien saisissant du Pr6si-
dent Wilson < selle>.
II me plait d'adresser mes plus vives felicitations & tous ceux qui,
A un titre quelconque, contribuent au sueccs d'une si g6n6reuse ini-
tiative et je garde 1'espoir que les discussions qui vont s'ouvrir ser-
viront A enrichir et A consolider les precieuses acquisitions r6alis6es
dejA par vos jeunes organizations et ne seront point sans effet sur
vos rapports futurs.

20 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

Dans son encyclique <> don't les admirables prin-
cipes garden, au milieu du desarroi des temps actuels, une inesti-
mable valeur de v6rit6, le grand Pape L6on XIII affirmed l'in6vi-
table solidarity de tous les facteurs de la vie 6conomique, engages
dans une oeuvre commune de prosp6rit6 g6n6rale, de civilisation
et de justice. < n6es par la nature a s'unir harmonieusement, A se tenir mutuelle-
ment dans un parfait 6quilibre. EUles ont un imp6rieux besoin l'une
de l'autre; il n'y a point ,de capital sans travail, ni de travail sans
capital>>.
Le developpement de la vie 6conomique postule ainsi une colla-
boration qui sauvegarde les l6gitimes intr&ets de tous, en s'inspirant
de la justice, indispensable a la stability social.
Les progres immense des sciences, en multipliant les moyens de
communication, ont provoqu6 entire les hommes de necessaires rap-
prochements. II n'est plus un coin du monde ofi un ktre human
soit condamn6 a l'isolement. < la nuit, il reste li6 a son semblable>.
Des problemes nouveaux ont 6tW cre6s par cet 61largissement de
nos soci6t6s, et cette ampleur inouYe de I'activit6 humaine. II de-
vient impossible a l'individu isol6 de les resoudre. Pour se mainte-
nir, se d6fendre, et donner au sein de la soci6te, le maximum d'effi-
cacit6 et d'&nergie, la n6cessit6 s'est fait sentir aux hommes de
s'associer, de s'organiser, substituant ainsi a la pr6carit6 de leurs
int6rets individuals, la force plus grande d'un int6ret collectif.
C'est dans les rapports de travail plus que partout ailleurs, parce
qu'ils mettent mieux en evidence les in6galit6s de la condition hu-
maine, qu'apparait plus imp6rieusement la n6cessit6 d'un ordre qui
integre les int6r&ts particuliers dans une conception plus g4nerale
et plus vaste.
En se groupant dans les organizations professionnelles les ou-
vriers ont, partout dans le monde, obtenu des conditions de plus
en plus humaines pour l'exercice f6cond de leur activity. C'est par
elles aussi que les patrons ont assure la plus grande prosp6rit6 de
leurs entreprises.
Elles apparaissent come les plus solides assises des libert6s, et
les conditions indispensables du progres social. Elles assurent non
seulement l'immediat souci des am6liorations mat6rielles, mais les
possibilities d'une civilisation plus haute, accessible a tous.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 21

Elles apportent cette confiance en soi, cette acceptation optimiste
du risque qui font la force de la grande ,d6mocratie americaine qui
offre au monde i'un des plus beaux exenmples de prosp6rit6 6cono-
mique et de stability social.
Et surtout, en mettant plus de fraternity et de conscience dans
les rapports humans, elles consolident la paix et la tranquillity
social, centre l'assaut des forces de haine et de destruction.
Chez nous, a la faveur du movement de Janvier 1946, les asso-
ciations ouvrieres, quand elles 6taient uniquement pr6occup6es de
leurs int6rets professionnels, ont r6alis6 de s6rieux et ia portants
progres.
Allant au devant de leurs l6gitimes aspirations, le Gouvernement
a institu6 tout un ensemble de lois fixant le salaire minimum, ac-
cordant les cong6s pays, r6glementant les heures de travail, assu-
rant la protection de la santa de l'ouvrier, le garantissant contre les
risques et les accidents, sauvegardant sa s6curit&, reglementant les
conditions qui 6tablissent un meilleur rendement des entreprises,
uniquement attentif A preserver, en toutes circonstances, au-dessus
des int6rets particuliers, l'int6ret g6n6ral et la stability social qui
sont les conditions du d6veloppement 6conomique.
Dans cette tAche, il s'est sans doute heurt6 a des incompr6hen-
sions parfois irr6ductibles, n6es des impatiences dangereuses et des
farouches resistances que la nouveaut6 de ces probl&mes rendait
in6vitables pour des esprits qui n'6taient pas encore habitues a les
consid6rer.
Devenus plus avertis et plus conscients, patrons et ouvriers, com-
prendront le sens des reformes qui s'imposent et trouveront eux-
m&mes, j'en veux garder l'assurance, les conditions d'un 6quilibre
plus harmonieux entire leurs int6rets, de rapports plus fraternels
et plus humans.
C'est l'int6r&t et la port6e des reunions come celles auxquelles
vous allez participer, de cr6er l'atmosphere de collaboration qui
permet, loin des apres batailles de la vie quotidienne, de poser les
bases d'une cooperation profitable a tous, sous le triple signe de la
Libert6, de l'Ordre et de la Justice.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 23

DISCOURS DU SECRETAIRE D'ETAT DU TRAVAIL
M. LOUIS BAZIN

M. le President de la R6publique,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Chers Congressistes,

Il y aura bient6t trois ans, le 16 AoCit prochain. obeissant autant
aux convictions qui ont imprdgn4 toute Votre vie qu'aux exigences
de la RAvolution, Vous prononciez, a occasion de la c6rdmonie de
Votre prestation de serment, les paroles suivantes qu'il ne nous
semble pas inopportune de rappeler ici: < d'Organisation seront encourages afin que le sol enrichisse celui
qui le cultive et non les interm&diaires. Les Syndicats ne seront
jamais opprimds dans leurs revendications, car ils sont la garantie
que le travailleur ne sera pas soumis au bon plaisir du patron>.
On ne peut pas dire que la politique suivie depuis trois ans pres
par Votre Excellence soit contraire aux lignes generales de ce pro-
gramme.
Chacun sait que parmi les grandes initiatives et les beaux mou-
vements que Vous ne cessez jamais d'environner de Votre sympathie
et de Votre g6ndrosit6, le Syndicalisme occupe une place de choix.
Jamais Vous ne Vous d6robez a faire le moindre geste qui puisse
signaler, d'une maniere particuliere, la part que Vous entendez
prendre a son orientation et a son d4veloppement.
On sait aussi, Excellence, que toutes les measures que Vous avez
d6ja prises (lois sur le salaire minimum, la durde et les conditions
de travail, mise de locaux h la disposition des syndicats pour des
course du soir ,etc...) et uniquement inspires par Votre remarquable
sens de 1'6volution et de justice social, ne sont que le prelude, 1'a-
morce d'un vaste project qui viendra fixer les conditions generales
du travail dans chaque branch de 1'activitk national et s'adaptera
cette fois autant que possible aux ndcessitks du milieu, a la forma-
tion et h l'6ducation de nos masses.
Comment ne mentionnerais-je pas aussi au passage Votre tries
louable intention d'abriter dignement notre Bureau du Travail et
la nouvelle voie dans laquelle vient de s'engager Votre politique
de progres social en demandant aux Cooperatives, don't malheureu-

24 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

segment 1'organisation nest pas encore parfaite, leur aide et leur
collaboration en vue du nouvel management de l'une de nos den-
rees de base?
Tant d'attentions et de sollicitudes manifestoes envers ces asso-
ciations naissantes et qui n'ont jamais pour consequence je m'em-
presse de .le dire de porter quelque atteinte que ce soit a leur
liberty, et a leur ind6pendance, nous imposaient l'imp6rieuse obliga-
tion de Vous associer a cette f&te et de la placer sous Votre haute
et bienveillante autorit6. Mais comme si ce n'6tait pas assez d'une
presence qui pourtant, a elle seule, suffirait pleinement a nous ho-
norer et a nous satisfaire, Vous avez bien voulu nous accorder
encouragement hautement expressif de Votre parole.
Que Votre Excellence veuille bien agr6er, avec nos remerciments,
1'assurance de notre respectueuse reconnaissance.

Chers Congressistes,
C'est pour nous un motif de satisfaction de vous voir rdpondre
avec un 1elan si admirable a notre invitation.
Ceux d'entre vous -- et c'est le plus grand nombre qui sont
venus de tous les points du Pays et ont momentanement abandonne
leurs occupations pour pouvoir participer A ces assises fournissent
incontestablement la preuve de ce que peuvent 1'effort et la bonne
volont6! En vous remerciant de ce d6vouement qui nous touche pro-
fond6ment, nous croyons fermement que dejA vous ne regrettez pas
d'etre venus, car si 1'on en juge par les communications riches et
varies don't est rempli, pour trois jours pres, 1'ordre du jour de vos
sections, par la quality des sp6cialistes et militants qui se front
entendre a ce Congres et 1'enthousiasme d6lirant qui se manifeste,
l'on peut augurer du plein succes de vos travaux.
Plus d'une fois l'occasion a 6t6 fournie a ceux qui sont continuelle-
ment aux prises avec le probleme du travail de constater que Fune
des causes, sinon la cause essentielle de lanta'gonisme existant entire
le patronat et le salariat trouve son origine dans l'isolement oi 1'un
et 1'autre sont confines. En effet, 1'activit# de ces deux forces se
developpant jusqu'ici dans des reunions o0 ne sont souvent discut6es
que les questions se rapportant A leur organisation interieure, ja-
mais ne s'est fait sentir la n6cessit6 d'une prise de contact pouvant
susciter entire eux des changes de vues, provoquer les communi-
cations de leurs experiences reciproques; toutes choses susceptible
dans une large measure de contribuer a 1'amnlioration de leurs rap-
ports et A 1'abaissement de certaines barrieres. I1 nous a sembl6

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 25

alors que notre tache a nous, du Departement du Travail 6tait de
vous offrir la possibility de contacts v6ritables et d'essayer de crier
la liaison necessaire, indispensable meme. C'est a cette prloocupa-
tion qu'ont repondu les Organisateurs, particulierement mon 6d-
vou6 collaborateur, le Docteur Duvalier qui n'a 6pairgne ni son
temps ni sa peine pour la r6ussite de cette manifestation en vous
riunissant ici dans le cadre majestueux de 1'Hotel de Ville si gra-
cieusement mis a notre disposition par le distingu. Maire Andrb
Louis.
Nous avons pens6 qu'un Congres comme celui-ci peut &tre pour
tous ceux qui y participent une merveilleuse occasion de se con-
naitre, de prendre conscience de leurs responsabilites et des ser-
vices appr6ciables qu'ils peuvent rendre A la communaut6 natio-

En effet, que de difficulties qui aujourd'hui paraissent les plus
ardues seraient vaincues, que de dissensions ,disparaltraient si, au
lieu de concentrer notre int6rit suir notre seul problem, nous con-
siderions les choses d'un point de vue large, human!
Que de conflicts seraient regl&s par des solutions d'apaisement et
de conciliation si tous, par vertu civique, nous acceptions de sacri-
fier ce que nous avons de plus cher A la communaute de notre
destiny!
Que de haines engendr6es par une veritable incomprehension
reciproque seraient rendues imnpossibles si des rencontres comme
celles-ci pouvaient se multiplier!
<(Les exigences de notre 6poque sont telles qu'il n'y a plus d'ac-
tion possible sur le plan de l'individu, il n'y a plus que des groups
travaillant en commurn.
Cette v4riti profonde exprim 6e djiA en 1l898 ne perd rien au-
jourd'hui de son sens et de sa valeur.
UI apparalt veritablement de phus en plus que les problemes A r4-
soudre sont d'une telle complexity, d'une telle ampleur que l'on
risque de ne rien realiser sans les soumettre A l'examen et A un
regime de libres discussions.
Evidemment, de multiples obstacles peuvent se dresser de part
et d'autre devant la r6alisation de cette id0e de fusion impose ce-
pendant plus que jamais par les circonstances du moment.
Mais vous pouvez atteindre ce r6sultat si vous voulez apporter
dans vos debats un large esprit de sacrifice et d'abnfgation.
Vous y parviendrez si vous vous soustrayez A 1'emprise de pas-
sions 6troites, deprimantes et si vous pouvez vous lever A une

26 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

conception sup6rieure ou la matiere n'est rien, mais ou seules do-
minent les id6es de justice, d'amour et de progress.
La Patrie, dit Michelet, c'est la grande amiti6 qui content toutes
les autres. Et le grand historien ajoutait: l'homme. Se hair, c'est s'ignorer.
Puisse le Premier Congres National du Travail vivifi6 par la cha-
leur de la sympathie, la flamime de la solidarity et le souffle de la
fraternity, vous inspire, Messieurs les Congressistes. le sentiment
de vos destins rapproches!

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 27

L'APPRENTISSAGE ET LA CONTRIBUTION
DU GOUVERNEMENT

Par Eugene GEORGES

Les quelques minutes qui nous sont assign6es suffisent a peine
pour effleurer un sujet aussi vaste et aussi complex. S'agissant d'a-
bord de l'apprentissage, il convient de dire brievement un mot de
son origine, de son developpement historique, de sa port6e social,
6conomiq'ue et politique, de ses avantages et desavantages et du ca-
ractere specifique qu'il rev6t chez nous.
L'apprentissage a 6te des l'apparition de la socite lah plus primi-
tive, le moyen par excellence de transmission de 1'h6ritage cultural,
de generation a generation. Dans son aspect pragmatique il a 6t6 la
reponse aux exigences imperieuses de cette lutte pour 1'existence
confronted par l'individu et la society don't la survivance est assu-
r6e par la conservation, la propagation et l'application des experien-
ces vitales accumul6es...
Dans toutes les soci6tes, la transmission des acquisitions cultu-
relles, l'initiation des Jeunes ou novices a l'utilisation des instru-
ments d'adaptation, la transformation de la matiere en vue de la
satisfaction des besoins, ont 6t6 le fruit de l'apprentissage sous line
forme ou l'autre.
Dans les soci6tes statiques ou quasi-primitives, l'apprentissage a
toujours 6t6 une activity familiale; les experiences ancestrales se
transmettent de pere en fils par limitation et l'entrainement. Rien
ne le distingue alors des autres connaissances acquises au sein de la
famille et dans le milieu environnant.
L'apprentissage a 6t6 des 1'origine un puissant moyen d'avance-
ment social. II est bas6 sur un concept moral: la preparation de 1in-
dividu en function de sa responsabilit6 dans la vie. II se confond
dans ses buts essentiels avec cette Institution Moderne indispensa-
ble, l'Ecole don't la mission n'est pas toujours aussi bien r6alisee. Il
a 6t6 d'ailleurs, jusqu'au 19e. sickle le seul agent d'Education for-
melle pour les artisans dans les pays avanc6s.
Quand la n6cessit6 se fit sentir, daus une societ& devnue de plus
en plus complex, de la division du travail qui engendra la sp6ciali-
sation, I'apprentissage prit un aspect particulier et plus rationnel
qui le distingue nettement des autres activists familiales. L'adoles-
cent ou novice fut des lors confi6 a un maitre pour etre initie iA un

28 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

m4tier ou a une sp6eialit]. Comme cette situation l'loignait souvent
de son foyer familial, il devait trouver aup;&s de son maitre ou ins-
tructeur la protection et les moyens de substance nicessaires. Ce
qui cria entire Maitre et apprenti des relations 6troites consacres
par des engagements r4ciproques qui fixaient les obligations respec-
tives des parties relativement a la duree de l'apprentissage, A 1'en-
tretien de Papprenti, A ses devoirs & 1rgard du maitre, etc.
Ce mode de contact a 4te le caractere dominant de 1'apprentissage
en France jusqu'A la grande R&volution.
Mais l'apprentissage n'4tait devenu une institution serieusement
organise qu'avec le d6veloppement des corporations artisanales au
moyen Age. Les artisans groups en corporations pour se defendre
dans les villes fixaient par des codes rigides le statut des membres,
les conditions de P'apprentissage 6taient nettement stipulees; Pen-
trainement de 1'apprenti ne pouvait plus d6pendre du caprice du
Maitre auquel il etait confi6. Son travail 6tait supervise par la cor-
poration qui y avait un int6ret objectif. Au sein de la corporation,
l'apprenti trouvait 1'6mulation. le gout de l'ordre, le respect de la
discipline, une 4thique professionnelle imposee, un cadre pour se
developper et la r&xompense des avantages et prerogatives accor-
dis selon la hierarchie artisanale. Il est opportun de souligner ici
le caractere politico-social de cette organisation; c'est qu'elle ouvrit
un horizon jusque-la inconnu aux fils des paysans auxquels elle as-
surait un pied a terre dans les centres urbains au sein des corpora-
tions. Elle favorisait la d6congestion des centres ruraux. Elle cr6ait
1'esprit de corps. Elle facilitait la continuity dens la transmission des
techniques ainsi que le renouvellement des cadres et l'interp6netra-
tion des couches.
L'importance de l'apprentissage comme une institution de haute
port&e social a 4t6 si bien reconnue qu'en Angleterre une loi fut
vote en 1601, the Poor Law, Loi des Pauvresv, imposant des taxes
sp6ciales, sur les propri4tbs pour l'apprentissage des enfants du pro-
16tariat.
La loi faisait obligation au maitre, non seulement d'enseigner son
m6tier A P'apprenti, de lui donner une instruction g6ndrale, morale
et religieuse, mais aussi de le placer comme producteur dans 1'exer-
cice du metier et de le guider dans la vie. Conception qui reprdsente
de nos jours et dans tous les pays avances 'id64al de I'orientation
professionnelle bien comprise.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 29

Et l'on peut inf6rer sans contest que ces measures et 1egislations
lib6rales furent parmi les inspirations du grand courant humanitaire
et civilisateur des siicles derniers qui s'est cristaUlis en ce slogan
Pour former les Prisons, il faut ouvrir des icoles.
La R6publique d'Haiti a 6t6 1'un des premiers pays a adopter ce
concept en le mettant au service de ses ideaux dkmocratiques par
r'tablissement des &coles gratuites A tous les degr6s supporters par
la collectivity.
Dans le domaine de I'apprentissage, il est interessant de noter la
loi du 28 novembre 1846 qui stipule dans son article premier: &Une
maison central destinee a 1'Etablissement d'atelier pour leb con-
damn6s sera 6tablie A la Capitale et successivement dans chaque
chef-lieu de D1partement>. Cette institution a 6t6 transform6e par
la loi Hyppolite d'octobre 1893 comme il est dit dans son article pre-
mier, en maison d'6ducation correctionnelle pour 1'enfance vicieuse
et abandonn6e. C'est de nos jours la maison central des Arts et M&-
tiers.
La necessity de nouvelles institutions pour l'apprentissage se fit
sentir des le debut du siecle dernier comme consequence de ce qu'on
appelle la R6volution Industrielle.
Cette R6volution industrielle don't 1'essence est la grande produc-
tion et 1'utilisation des machines, a port un coup terrible a la struc-
ture de 1'apprentissage tel que nous l'avons constat6 auparavant.
Les machines ont 61imin6 un grand nombre de techniques qu: rele-
vaient de la dexterit6 humaine et les ont remplac6es par des opera-
tions m6caniques a base de r6p6tition.
Les ouvriers au lieu de dominer 1'ex6cution integrale d'un pro-
duit sont confines dans 1'ex6cution d'une de ses parties. L'6loigne-
ment du centre de production du foyer de l'ouvrier, sa d6pendance
des patrons, propri6taires des machines et capitaux ont modified son
mode de vie, et son attitude, les rapports entire maitres et apprentis
ont Wte altar6s et le statut de ce dernier a Wte modified.
Dans une telle situation les artisans ne possedant pas les moyens
de production, louent leur service a un patron. Us ont done Wte con-
traints de se grouper en syndicats pour se proteger. Par le Collec-
tive bargainingg> ils ont pu d6fendre leurs int6rets. Mais grand
nombre de ces syndicats ont perdu de vue l'obligation qui leur in-
combe de se renouveler, de s'am6liorer au point de vue quality en
organisant leur propre apprentissage. Et nous touchons ici & un as-
pect crucial du probleme de l'apprentissage chez nous.

30 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

Ce problkme s'avyre tres complex a 1'analyse des organizations
industrielles don't le fonctionnement et les objectifs envisages sou-
vent du point de vue du patron et de l'apprenti posent des solutions
divergentes et souvent opposes. Les entreprises artisanales o0u le
maitre domine 1'exdcution des travaux et qui constituent des ate-
liers id6aux pour l'apprentissage des jeunes deviennent de plus en
plus rares du fait de la concurrence de la grande production a
base de capitaux et de machines.
La question de l'apprentissage ne peut etre de nos jours consi-
d6r6e et r6solue en bloc, chaque group d'activit6s industrielles a
ses exigences et ses objectifs. Voilt pourquoi ailleurs des efforts
ont kt6 faits pour les analyser et les classer. Et, ce n'est que quand
ce travail d'analyse et de classement aura 6t; fait chez nous, que
les conditions de 1'apprentissage auront W6t 6tudi6es pour chaque
cat6gorie d'occupation, que l'on pourra envisager les solutions sp6-
cifiques ad6quates.
La loi du 9 Octobre 1946 sur l'apprentissage en Haiti envisageant
dans ses consid6rants que, < prentissage, le jeune travailleur ne peut faire que bien rarement
1'etude rationnelle, progressive et complete du metier entrepris;
que 2eme 1'Ftat de fortune de ses parents ne doit pas etre un obsta-
cle A son perfectionnement professionnel>, est sans contredit la
plus louable measure envisage pour reglementer l'apprentissage.
Sa haute port6e d6mocratique et humanitaire est 6vidente.
Cependant en d6finissant 1'apprentissage dans son article ler
comme suit: < personnel ou un 6tablissement en change d'une instruction profes-
sionnelle donnee par ceux-ci ou par un tiers dans un art, une pro-
fession ou un m6tier et de la retribution convenue qui pourra etre
inf6rieure au salaire minimum et etre fournie en argent ou en na-
ture ou sous les deux formes>, cette loi ne considere qu'une cat6go-
rie bien distinct d'activit6s o0i cette definition s'applique A 1'ap-
prenti.
Elle implique: lo) que l'apprenti fournit un travail ayant une va-
leur r6elle, 2o) il recoit en retour une instruction professionnelle, et
30o) une certain retribution l1gitime.
La premiere condition d'oii decoulent les deux autres n'est vraie
que dans certain m6tiers ou professions et seulement a un certain
stade de 1'apprentissage.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIl 31

Elle est vraie surtout pour certain m6tiers come la magonnerie
par example qui comporte une s6rie d'op6rations de manutention
accessoires qui ne se rapportent aucunement aux techniques du m6-
tier, l'apprenti, dans cette condition, est utilis6 comme a- de ou nceuvre>> purement et simplement. Cependant que pour le nctariat
I'apprenti peut des le premier jour copier des actes. Ce qui con'stitue
un travail utile profitable au patron. Cela n'est pas du tout vrai pour
les maisons de coiffure par example oh c'est le maitre qui travaille
pour l'apprenti en lui fournissant les explications necessaires.
Pour la coiffure de m6me que pour la coupe 1'utilisation du service
de l'apprenti avant un certain temps serait cofiteux et meme dange-
reux car il s'agirait d'exposer entire des mains inhabiles les mat6-
riaux, des machines, des outils et la clientele. Le r6sultat serait de-
sastreux.
Dans la plupart de ces metiers, le service de l'apprenti n'est < ment valuable que quand il n'est plus un novice> C'est a dire qu'il
est devenu presqu'un ouvrier et peut alors s'engager utilement
dans le m6tier. Son apprentissage strict n'a 6t6 d'aucun profit pour
le maitre, puisque l'article 12 de cette meme loi stipule qu'il ne
pourra contraindre F'apprenti a effectuer des travaux domestiques
ou tous autres travaux ou occupations strangers h sa future pro-
fession.
Dans un grand nombre de cas. c'est le maitre qui merite d'etre r&-
compens6. C'est pr6cisement parce que certain metiers du point de
vue economique ne peuvent pas 6tre enseignis par l'apprentissage
ordinaire que les ecoles professionnelles ont 6t6 et doivent 6tre or-
ganisees.
Cependant dans aucun pays du monde. les ecoles professionnelles
les inieux organisees ne pourront jamais int6grer dans leurs pro-
grammes toutes les activities qui sont a la base du progres industrial.
D'autres agents tels que les syndicats.. les grandes entreprises indus-
trelles Joivent dans leur interet propre s'occuper de 1'apprentissage
dans certain domaines avec la collaboration du Gouvernement.
ACTION DES SYNDICATS DANS L'APPRENTISSAGE
Aucun organisme ne peut continue a vivre s'il ne s'alimente et
,, se renouvelle. Aucun corps ne peut se developer s'il ne s'amr-
liore constamment a sa base. s'il ne s'adapte aux conditions de i 6vo-
lution. Les syndicats encore jeunes chez nous constituent sans con-
teste une force economique et politico-sociale n6cessaire. En face
des abus, ils se sont dresses pour formuler leurs revendication-. C'est

32 ACTS DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

j.uste. Doivent-ils seulement constituer des entit6s agressives ou onl-
ils aussi une mission de progres li4e A leur conception du devenir
national conditionne par l'effort constant dans la r6alisation du
inieux dans leurs domaines respectifs. Et puisque le caractere d'un
groupeinent est le reflet du caractere de ses membres, les syndicats
ne seront jamais que ce que sont leurs membres du point de vue
professionnel et moral. Et s'il en est ainsi, a l'instar des corporations
artisanales de jadis, iUs ont pour obligation morale de veiller a l'ap-
prentissage de leurs membres, ce sera la premiere concretisation
d'une ethique syndicale. Car a la verite, un ouvrier syndiqu6 incom-
petent n'est pas une bonne r6clame pour le syndicate. Un camionr.eur
du C. D. T. S. D. C. malhonnte n'augmente pas le prestige de la fe-
deration ni la force de ses revendications. Or, competence profes-
sionnelle, honn&et6, desir de progres sont des qualities qui peuvent
et doivent ktre inculquees a nos travailleurs. Le meilleur moyen d'y
arriver, c'est 1'apprentissage. Aux Etats-Unis d'Am6rique, les deux
plus grandes federations du monde IA. F. of Labor et la C. I. 0. b3-
sent leurs revendications sur les qualifications de leurs mermbres.
L'A. F. of Labor, f6d6ration des metiers organisms surveille 6troite-
ment l'apprentissage et garantit 1'efficience de ses membres ; la
C. I. 0., federation des travailleurs des organizations industrielles
adopted et fait appliquer un barme de salaire bash sur une 6chelle
d'efficience.

INFLUENCE DE L'INDUSTRIE ET DES GRANDES ORGA-
NISATIONS SUR L'APPRENTISSAGE
Nous savons bien que le caractere essential de l'industrie io-
derne est la production rapide.
Les patrons ne sont pas n6cessairement des sp6cialistes, cc soul
souvent des honmmes d'affaires, ce qui les int6resse au premier chef,
c'est la quantity selon un standard convenu. Pour faciliter la produc-
tion, il est devenu convenable de s6rier la production en occupations
oL chacun est place pour realiser ce qu'il fait le mieux et le plus ra-
pidement. Le patron n'a pas de temps A perdre, il pr6fere utiliser
des ouvriers d6ej entraines qui lui fournissent inmmdiatement Je
produit desire avec le moins de perte possible de mat6riaux. Une
telle condition n'est pas favorable A l'apprentissage des novices
Cette condition est celle qui se rencontre plus couramment dans no-
tre petite industries et qui est connue en Angleterre sous le nonr de
*Cottage system. MVme si l'apprentissage 6tait desirable, il ne se-

ACTS DU PFRE9IER CONIORES NAflONAL DU TRAVAIL 39

rait que pr&caire car les techniques d'exection varient constam-
ment avec la nature des types commands. L'apprentissage ainsi se-
rait indMini. Pour obvier a cela, un moyen fort simple s'est impose:
la classification des operations par ordre, du plus simple an plus
complex, en rapport avec une iehelle de salaire correspondante
Le novice connmence au has de l'echelle. II a int&kt a apprendre de
lui-m&me les autres operations qui correspondent a un defgr plus
61ev6 de I'6chelle des salaires. Les questions importantes ,pi se po-
sent ici sont: l'~chelle de salaire est-elle judicieusement tabfie, les
operations sont-elles scientifiquement ivalukes? Autres hoses dans
la fixation des salaires et qui ne doivent pas etre perdues de vue,
sont les conditions et les exigences physiques du travail en dehors
de sa simplicity ou de sa difficult technique.
Ainsi dans la petite industries, teimdre la pite parait une- activity
rudimentaire a c86t des autres operations come la couture, le tis-
3age, le montage, etc. et est par consequent moins bien cot6 que ces
derniers dans l'6chelle des salaires.
Cependant, c'est une operation non seulement fatigante mais dan-
gereuse du fait que l'on travaille 1'eau bouillante. II serait bon que
le Service de la petite industries, de concert avec les patrons arrivent
chaque saison A ktudier les operations et a fixer P'chelle de salaire
convenable en tenant compete de tous ces facteurs- Souvent e'est a ce
genre de travail que l'apprenti est assign pendant longtemps' au
debut.
L'APPRENTISSAGE
DANS LES USINES ET GRANDES COMPANIES
L'apprentissage dans les usines ou comnpagnies utilisant de& ma-
chines compliqu6es ne peut 6tre donned que sur place, cet apprentis-
sage est sp6cifique parce qu'il ne se rapporte qu'aux machines en
question. II s'agit de l'entrainement n6cesaire a la condition de
ces machines. L'apprenti, dans ces conditions, ne peut etre embau-
che qu'A titre d'employ6 avec l'engagement de d montrer ion effi-
cience apres avoir recu les instructions splcifiques n6cessaires d'up
expert de la compagnie dans un temps fix6.
Pour cheque s6rie d'op6rations formant une tape dans Ia produc-
tion une 6chelle de salaire devrait etre 6tablie, l'apprenti debuterait
au bas de l'Echelle.
DMs que le standard d'efficience serait atteint et dans les limits
de temps fix6 a l'avance, l'apprenti devrait etre considc&6 comnme

34 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

ouvrier ou operateur avec le salaire correspondent; quite a recom-
mencer un nouvel apprentissage pour la maitrise d'une operation
plus compliqu6e conduisant a un salaire plus blev6.
De ce qui pr6ecde d6coule la nicessitk:
1") de d6nombrer et de classer les activities artisanales et :.dus-
trielles dans le pays;
2") de fixer leur capacity d'apprentissage en tant qu'organisa-
tions techniques;
3") de determiner les conditions du march du travail en vue de
l'orientation de I'apprentissage.
Ces 3 n6cessit6s requierent la collaboration ktroite des maitres et
industries, des syndicats et du Gouvernement, qui tous y ont inte-
rkt: Les industries ont besoin d'ouvriers et de specialistes comp6-
tents, les syndicats de se d6velopper par l'efficience de leurs mem-
bres; le Gouvernement, serviteur du public, y a un int6ret patrir.-
lique.
ACTION DU GOUVERNEMENT

Recommendations :

lo) Une commission Nationale de l'apprentissage devrait etre or-
ganis6e A la capital avec des sous commissions qui en d6pendraient
dans les principles villes de province.
2o) Ces sous-commissions seraient composes de sp&cialistes de
i'Education professionnelle, de membres du D6partement du Tra-
vail, de membres de syndicats, de representants de 1'industrie et
d'autres personnalit6s locales.
3o) Le but de ces sous-commissions serait de travailler en 6troite
collaboration avec les patrons, les syndicats, la section de !'Ensei-
gnement professionnel, et le D6partement du Travail. en vue -Je
r6soudre les probl&mes de l'apprentissage.
4o) Elles auraient pour mission d'6tudier les conditions de l'ap-
prentissage dans les diff6rentes industries et ateliers.
a) De contr6ler et de d6terminer le nombre d'apprentis n6ces-
saires dans chaque industries et dans chaque locality.
b) De d6celer les d6ficiences individuelles dans l'apprentissage.
c) De recommander au D6partement de l'Education Nationale la
creation de course sp6ciaux ou compl6mentaires dans les 6co'es pu-
bliques pour les apprentis.
d) De contr6ler l'apprentissage dans les ateliers et usines du point
de vue hygiene et comfort.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 35

e) De faire contr6ler 1'apprentissage technique par des specialis-
tes de 1'enseignement professionnel dans les localit6s oui existe une
ecole professionnelle.
f) De travailler a une legislation, recommandant l'application
d'une taxe sur une licence annuelle pour tous les travailleurs syndi-
ques ou non devant servir A 1'organisation de l'apprentissage courses
complamentaires, soins m6dicaux a 1'apprenti, achat d'outillage pour
son placement, etc.)
g) D'organiser un service de placement et de statistique, etc.
Les travaux et recommendations de ces commissions seraient
communiques sous forme de rapport ou memorandum au Departe-
ment du Travail pour les suites necessaires.
Puissent ces modestes recommendations etre chez nous, le point
de depart vers une amelioration methodique de l'apprentissage qui
est sans contest l'une des bases du progres national tel qu'il est
congu et formula par le Gouvernement du 16 Aofit et don't le D6par-
tement du Travail et les manifestations du jour sont la plus haute
expression.

.36 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

FORMATION PROFESSIONNELLE
Communication presented par M. CLOVIS R. CHARLOT
de I'Enseignement Professionnel

L'acquisition d'une profession entire toutes les formes varies par
lesquelles elle a passe A travers l'histoire a connu chez nous si l'on
peut dire, deux tapes pr6liminaires: 1'enseignement familial dans
lequel le jeune homme 6tait initi6 par l'exemple et la pratique du
metier que son pere avait acquis dans les memes formes et maniere
que lui et I'apprentissage artisanal sans plan ni programme et re-
glementation et qui est une prolongation a l'ext6rieur de 1'organisa-
tion familiale, de 1'Mducation professionnelle. L'examen de cette foi-
me de preparation professionnelle vient d'etre abord6 par M. Geor-
ges dans la communication prec6dente.
Nous nous proposons dans cette communication d'analyser la for-
mation professionnelle en Haiti A son stade de developpement tech-
nique, rationalism et impose par les conditions presentes de la vie
moderne.
La formation professionnelle depuis la guerre a 6t6 conque ail-
leurs comme une discipline d'ajustement du march de l'emploi aux
exigences imm6diates de la production. L'essor prodigieux de l'in-
dustrie m6canisee, la specialisation et ]a division du travail moderne
ont provoqu6 une demand de technicians et d'ouvriers de produc-
tion don't la formation bien que hftive 6tait n6cessaire aux besoins
nouveaux des economies nationals. En plus de cela, elle 6tait con-
sid6ree comme offrant des opportunities possibles de lutte centre le
ch6mage et de renouvellement 6ventuel de 1'embauchage. Chez
nous, la formation professionnelle est un besoin d'imp6rieuse neces-
sit6 qui r6pond A une demarche de notre vie national autrement
profonde et decisive que les terms d'une simple tape de d6velop-
pement industrial.
L'inexistence d'une classes de professionnels qualifies de l'Agricul-
ture, du Commerce, de l'Industrie, consciente de sa position et de
son r6le dans la communaute national, est la pierre d'achoppe-
ment de notre evolution vers le Progres et la D6mocratie. Notre
histoire politico social est l'histoire non v6cue, non 6crite de la
classes de ces professionnels qui, dans toute d6mocrat-' vraie, cons-
tituent la charpente de l'6difice social et assurent l'aisance des col-
lectivit6s. Ceci d6finit son r6le 6conomique. Dans ce monde domino
par la Science et la Technologie don't l'expression est la syntbese

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 37

meme de la vie industrielle moderne, aucune nation n'a de chance
de survive que si elle poss&de la formule d'6quilibre d'une 4conomie
base sur une combinaison de la production industrielle et de la
production agricole. L'un de ces terms a toujours fait d6faut ou
plut6t a toujours 6t6 affect du plus petit coefficient dans 1'6qua-
tion de la vie 6conomique national.
La recherche de cet 6quilibre devra done ktre forcdment dirig6e
vers un apport rationnel d'une production de nos industries locales.

L'industrie de la pite, du coton, de l'acajou et de nos autres bois
precieux, la transformation de nos denr6es agricoles et de certainez
autres mati&res en products alimentaires et de contort, 2jout6es a
l'appropriation de certaines techniques et disciplines industrielles
d'amblioration, de creation, d'adaptation de certain biens et ser-
vices dconomiques, representent a peu prbs les seuls 614ments de
cet apport industrial.
Ces facteurs ne nous ont jamais manque. L'absence seule de la
technique scientifique de leur appropriation, c'est a dire du facteur
human, de 1'dlite de technicians et d'ouvriers qualifies, prepares
pour cette appropriation, est responsible de leur moins value.
La carence de bons ouvriers en Ebenisterie, en Petite Industrie,
en Cordonnerie, en Forge; de mecaniciens, de magons, de charpen-
tiers, de tailleurs, de chauffeurs et de tant d'autres encore dipl6mes,
a paralys6 a travers toute notre histoire, notre evolution economique
en r6duis'ant presque a n6ant les possibilitis de nos industries lo-
cales et en assujettissant aux seules resources agricoles notre des-
tin de people libre. Cette inappropriation de la richesse industrielle
a. contribu, a perpetuer jusque de nos jours le mythe de la richesse
piesqu'indpuisable de notre Agriculture en face de la reality des
forces de destruction qui nous rdevlent chaque jour la faussete de
ce Credo.
Notre vie politique et social n'est pas moins affect6e par 1'ab-
sence d'une ,lite ouvricre et artisanale cansciente de ses droi.ts et
obligations en tant que classes. C'est un lieu commnun que de parler
du fosse existant entire nos elites et nos masses. La Democratie ve-
ritable ne peut fleurir dans le vide etanche entretenu jusqu'A l'heu-
re qu'il est chez nous par la stratification en deux camps opposes de
notre intellectuality urbaine et de notre proletariat rural. Le fone-
tionnement de nos institutions politiques se ressent de cette imper-

38 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

meabilit6 de nos couches sociales, par cette absence des classes pro-
fessionnelles moyennes qui, par leur r6le dans la vie national, as-
- surent le jeu du rechange social.
Si les 6lites intellectuelles sont appelees A cr6er et a d6fendre
les formes de la culture national, c'est par les classes ouvrieres que
cette culture se propage et se developpe. La formation profession-
nelle est un facteur de progres social et cultural dans la measure, .oi
,bien- comprise, elle se presente come une opportunity d'6largisse-
ment de connaissances particulieres A une activity manuelle d6ter-
min6e dens le cadre d'un enseignement general plus 6tendu. C'est
rattach6e au movement g6n6ral du progres et de la culture qu'on a
pu dire d'elle que < dans l'industrie moderne>.
.. A un point de vue plus en rapport et en harmonies avec le but et
le lieu de ces assises, la formation professionnelle de la Classe ou-
vriere et artisanale haitienne se justifie pleinement par la presence
du movement syndical dans la vie national et par la creation d&-
finitive du Bureau du Travail.
Le movement syndical repr6sente l'une des acquisitions les plus
heureuses de la R6volution de Janvier 46 pour la cause de la De-
-mocratie en Haiti. Cela n'a pas emplch6 pourtant et n'emp&che pas
encore qu'il connaisse toutes les vicissitudes et miseres provenant
du manque de formation professionnelle parmi les ouvriers des di-
*vers groupements artisanaux qui composent les dyndicats. La for-
mation professionnelle en criant une classes consciente d'ouvriers et
d'artisans 6duques, en la pourvoyant aussi d'opposrtunit6s pour sa
propre em6lioration et transformation permettra au movement
syndical d'etre a la hauteur des responsabilites qui lui incumbent
et de jouer avec succes et bonheur son r6le social et 6conomique
dans la communaut6 national.
La formation professionnelle a une grande contribution A appor-
ter a l'organisation definitive du Bureau du Travail en Haiti. Des
problemes tels que ceux de l'embauchage, de la resorption du ch6-
mage et de l'analyse de ses incidences sur les ph6nomenes de pro-
duction et d'6change, celui des salaires, de l'optimum du standard
de vie diff6rentiel, le probleme des ph6nomenes sociaux que crke
le marchM du travail, celui des rapports de l'employeur avec l'ou-
vrier sont autant de discussions qui entrent plus directement dans
les attributions du Bureau du Travail. Les conclusions auxquelles

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL W9

elles aboutissent peuvent etre les heureux effects d'une collabora-
tion avec certaines donn6es d'une formation professionnelle, tells
que celles sur l'orientation professionnelle g4neralisee, I'adapta-
tion aux besoins normaux de l'industrie, la mobility de la main-
d'ceuvre en relation avec les fluctuations futures de la demand
sur le march de l'emploi, I'acces efficace des dipl6mes aux em-
plois, 1'organisation 6conomique du ch6mage, etc Quoi qu'il en soit,
il doit etre tenu pour induscutable que la formation et la pr6pa-
ration d'ouvriers sp6eialis6s et qualifies don't 1'existence en classes
pose deja le probleme de l'existence vraie du Bucaau du Travail
sont, de toute n6cessit6, appel6es h aider A la recherche des solu-
tions les plus heureuses a ces problemes.

De tout ce qui precede, il s'ensuit, d'une part, que la formation
d'une classes de professionnels de nos arts et m6tiers manuels est uin
fait essential de l'6conomie national qui, par consequent, devra etre
integr6 dans le d6veloppement de notre vie economique; que d'au-
tre part, rattach6e au movement g6n6ral du Progre: et de la D4-
mocratie, et en offrant cons6quemment a l'ouvrier un champ de phis
en plus 61argi de connaissances, la formation profess innelle est un
facteur essential du d6veloppement social et cultural de la commu-
naut6 haltienne de meme que du d6veloppement de .a vie politique.
Si les buts ainsi attribu6s a la formation professionnelle sont
vrais et valables, il est essential qu'un systeme, d',s m6thodes, des
disciplines et des moyens ad6quats et appropri6s lui soient donn6s
pour atteindre ces fins.
La question ainsi posee se ramene & savoir coy ,iment organiser la
formation professionnelle ou en d'autres terms, 1'6ducation ma-
nuelle des arts et m6tiers devra-t-elle se faire i. 1'atelier ou A l'6cole
professionnelle ?

Nous n'aborderons pas ici le detail des discussions qui, pendant
longtemps, ont pris place dans les pays strangers autour de la que-
relle dite de l'atelier et de l'6cole.
Bien que cette question ainsi qu'il a 6t6 dit ne puisse etre
resolue dans l'abstrait et qu'aucune position extreme d'un cote ou
de l'autre ne puisse justifier la v6rit6 dans ce domaine, il est inde-
niable cependant que le manque de traditions professionnelles suf-
Fisantes, de maturity industrielle ne saurait faire de 1'apprentissage-
atelier, 1'6l6ment essential d'un systeme de formation.

40 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

Les organizations de centres ou d'ateliers priv6s d'apprentissage
des arts et metiers ont presque toutes 6t6 et des tentatives avortees
et des ou la routine, l'empirisme, le traditionalisme ser-
vile 6taient la r6gle et servaient de monnaie courante. Combien d'a-
teliers priv6s d'Eb6nisterie, de Menuiserie, de Forge-Ferblanterie
pour tout le pays qui peuvent se revendiquer d'une tradition glo-
rieuse dans le .mtier, ou d'avoir fait ecole et de la bonne? Quel est
le nombre de nos tailleurs, cordonniers, mecaniciens, masons qui
sont a meme de faire 6tat d'une formation professionnelle digne
d'un apprentissage qualifi6?
Nous savons dans la majority des cas ce que vaut la <> en
arts et metiers de chez nous. Si de nos jours encore une certain
-opinion qui a ses adeptes m&me dans les spheres Gouvernementaics
veut que nos ouvriers des divers ordres de metiers qui ont W6t for-
mes a I'atelier d'apprentissage de un tel et un tel valent
rmieux que nos rares technicians des mimes categories ceci n'est que
I'effet d'un certain esprit de cabotinage et de d6magogie et traduit
l'indiff6rence profonde de l'haitien en g6n6ral, a l'fgard de ce qui
est rationnel, methodique et scientifique.
C'est donc aux 6coles professionnelles particulibrement qu'il nous
taut confier l'organisation definitive de la formation de nos elites
des arts manuels et industries.
Ces 6coles existent et cela depuis plus d'un quart de siecle bien
qu'en un nombre vraiment d6risoire, puisqu'il n'y en a que onze
pour toute la R6publique don't cinq A Port-au-Prince seule. L'oeuvre
qu'elles ont accomplie est valeureuse et doit servir de stimulant A
leur 6panouissement future si l'on en juge par les tragiques perip&-
ties qu'elles ont connues et qu'elles connaissent encore.
En depit de la menace qui, chaque jour, se precise davantage si-
non de leur suppression mais de leur absorption, il nous faut arri-
ver a la r6forme de sauvetage et d'organisation des 6coles profes-
sionnelles que la parties honn&te et saine de notre peuple attend.
Cette organisation de la formation professionnelle par les Ecoles
professionnelles doit ktre une oeuvre coordonnee des efforts des
autorites scolaires du Gouvernement, de l'opinion publique et de
l'initiative priv6e.
Pendant les vingt cinq annres de son existence. 1'enseignernent
professionnel en Haiti a &t6 l'objet de vives critiques qui preten-
dalent etre justes. On a prdtendu que ces ecoles, ktant tres cofiteuses

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 41

ne donnent pas un rendement en proportion des d6penses occasion-
n6es par leur fonctionnement; que le nombre des dipl6mbs sortis
ne sont pas en nombre appreciable et n'ont pas une preparation
adequate; que les professeurs dans la majority des cas ne sont pas
qualifies, tout cela peut 6tre vrai. Ces critiques lorsqu'elles sont
formulkes par des porte-parole officials ne sont que des excuses aux
conditions d'inefficience des ecoles professionnelles qu'ils ont eux-
mlmes contribu6 i creer par ignorance, ineptie, absence de patrio-
tisme, bigoterie ou mauvaise foi.
Un bref apercu historique de l'enseignement professionnel rev&-
lera l'attitude des pouvoirs publics a 1'6gard de cette organisation.
En 1927 les 6coles industrielles sont cr66es par le Service Techni-
que d'Agriculture et de l'Enseignement professionnel. Elles sont
pourvues d'outillage complete et de personnel competent. Le service
de contr6le est organism en D6partement avec un Directeur General.
un Assistant des inspecteurs sp6cialistes d'arts manuels, inspecteur
de l'enseignement du dessin, inspecteur de course classique, etc. Cha-
que cole fonctionne avec deux sections, l'une prevc.cationnelle,
['autre professionnelle. Le Departement co:nprend aussi une Ecole
Normale pour la preparation des professeurs d'arts manuels. Des
bourses d'6tudes a 1'6tranger sont prdvues au programme.
En 1931, a 1'haltianisation, le nom d'Ecoles industrielles est chan-
g6 en Ecole professionnelle. La Section normal est supprimee.
En 1934 ,le bureau central est d6sorganis6, les appointments du
personnel des 6coles sont r6duits et tout moyen de se perfectionner
lui est retire.
En 1938, une politique de formation de cadres pour F'enseigne-
ment professionnel est amorcee mais d6clina bient6t sous la poussee
de compressions budg6taires.
En 1941, les sections pr6vocationnelles sont supprim6es dans les
6coles, de m4me peut-on dire les course classiques surtout pour les
rares 6tablissements de province les salaires sont encore diminu6s
et apres quelque vingt ans les machines et outils ne sont pas renou-
velAs. Les boursiers sont recrutes sur une base politique plut6t que
sur une base d6mocratique et professionnelle. Et plus tard, le D6-
pai tement p,:ofessionnel disparait pour faire place A la Section rat-
tach6e ddsormais A 1'Enseignement Urbain. Et depuis I'haitianisa-
tion, l'attitude du 16gislateur s'est toujours affirm6e dans le sens
d'une diminution progressive du budget de l'Enseignement profes-
sionnel.

42 ;ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

*L'opmion publique n'a pas moins une grande part de responsabi-
lite dans le declin des ecoles professionnelles et la faillite de leur
mission d'organiser la formation professionnelle. Cette attitude tient
a. des causes d'ordre psychologique, cultural et social. En premier
lieu l'aversion, voire le m6pris du people haitien a l'gard des arts
manuels dits services don't 1'enseignement et l'acquisition sont con-
sid4res comme des concessions condescendantes faites aux masses.
Chez nous, pour parodier quelqu'un, le plus infime huissier, fon-
d6 de pouvoir ou clerc; le plus fam6lique et crasseux rond de cuir,
rat de cabinet ou de d6partement; le plus indigent des instituteurs
se jugent d'une caste fort sup6rieure a celle d'un industrial ou
d'un artisan bien que ceux-ci gagnent davantage et executent des
travaux exigeant beaucoup plus d'intelligence, Allez dire a la
moindre petite grimelle d'ecritoire de nos ddpartements ministeriels
et des offices priv6s que son admirateur 6ventuellement est un
ebeniste, mecanicien ou cordonnier, elle aura le m&me choc en re-
tour que connut une < d'une maison bourgeoise, le
lendemain d'un soir de bal quand elle s'apergut que le partenaire
de la veille qui pour la circonstance s'etait present en ouvrier des
T61egraphes et avec qui elle godita bien des d6lices, n'etait qu'un
shine, un cireur de bottes, le mien.
En deuxieme lieu, dans les spheres plus hautes de notre culture
le duel est encore vivant entire la pensee scientifique et la pensbe
abstraite represent6e par la conception medievale de la culture qui
etablit et maintient toujours une difference entire les arts manuels
et les arts dits liberaux. Ces derniers, identifies a la culture littte-
raire sont jugs par consequent seuls dignes d'1lever 1'homme a la
connaissance et au Progres.
En troisieme lieu, et commune consequence de cette philosophies
F'opinion publique, l'initiative priv6e, s'est toujours 6vad6e de la
responsabilit6 d'aider, de d6fendre et d'organiser 1'6ducation profes-
sionnelle. Le Commerce, la grande exploitation agricole privee, nos
quelques entreprises industrielles non seulement n'ont jamais ac-
cord6 la moindre attention et assistance a 1'oeuvre national qui s'6-
bauchait en faveur de la formation professionnelle. mais se sont tou-
jours refuse a faire appel aux 616ments haltiens dipl6mbs de nos
6coles professionnelles.
En conclusion, nous pensions que si la responsabilit6 de toute ini-
tiative de formation professionnelle doit ktre laiss6e aux ecoles pro-

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 43

fessionnelles, ces dernieres devront etre mises en measure de remplir'
cette grande mission dans la communaut. ....

Aux autorit6s scolaires, A l'opinion publique, aux entreprises pri-
vees et a vous ouvriers syndiques, est d@volue la responsambiite
de cette imp6rieuse obligation.
Aux uns et aux autres, il est n6cessaire de rappeler qu'une ceuvre,-
un movement, une idee n'est grandiose que par les germes de cr&-
ation, d'expansion et de transformation qu'ill porte en Iau. L'oeuvre
que l'Enseignement professionnel a en vue, c'est a dire celle de for-,
mer la classes de nos elites professionnelles. des arts industries ett
commerciaux serait irmmnritoire, si elle doit continue Ak te vconsi-.
der6e comme une superfetation A un enseignement former quelcon-r
que. Son enseignement rationnel doit etre 1'expression .de ce, que,-
la Science et la Technique pour la validity du Progres, posent en!
terms d'abolition du conflict et de l'opposition seculaire qu'on .per--
p&tue encore chez nous entire l'enseignement dit liberal et 1'ensei-
gnement des arts manuels. Car, pour autant que cette distinction
persiste a exister, la D6,mocratie scciale se trouvera touj'ours en pe-
ril avec nous.

L'enseignement professionnel devra 6tre organism pour lui-meme
et en function du r6le social et 6conomique qui lui est fix6 dans la
vie national. L'ouvrier de demain devra 6tre pr6par6, non point
seulement pour etre un ouvrier, c'est-a-dire un individiu arm6 pro-
fessionnellement pour d6fendre ses int6r&ts matdriels et satisfaire
ses propres besoins. II doit etre aussi muni d'assez de connaissances
g6n6rales pour ne pas etre seulement un porteur de techniques sp&-
cifiques, mais etre A la hauteur du Progres, et etre un agent Dropa-
gateur de toutes les forces de la culture national auxquelles il
aura access.

Les pouvoirs publics devront mettre les 6coles professionnelles en
measure de promouvoir un systeme et un programme d'enseigne-
ment technique et classique qui r6pondent aux buts vis6s. II ne s'a-
git plus de les traiter comme des pis-aller ou en parents pauvres.
Une philosophie constructive de l'Education professionnelle, de ses
buts et de son r6le, devra reposer sur une politique financibre ferme
et consistante appel6e A lui permettre de se r6aliser.
L'initiative priv6e en donnant aces de ses ateliers et de ses en-
treprises industrielles aux 61ves des 6coles professionnelles; en of-

44 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

frant aux mieux doues des opportunities de se perfectionner en fai-
sant appel aux ouvriers qualifies et dipl8mbs contribuera largement
a I'ceuvre de la formation professionnelle.
II doit en ktre de meme des syndicats et du Bureau du Travail
qui devront en tout premier lieu aider A 1'organisation du service
de 1'orientation professionnelle, de celui de la preparation et de 1'a-
m6lioPation des ouvriers adults non sp6cialis6s; du problme de
1'embauchage et de la mobility de la main d'ceuvre.
Nous ne terminerons pas sans f6liciter le D6partement du Travail
pour cette important initiative de l'organisation du ler Congres
National des Ouvriers et Artisans Haitiens. Comme nous 1'avons dit
plus haut, une oeuvre, un movement, une id6e est grandiose par
les germes de creation, d'expansion, de transformation qu'il porte
en lui. Je suis assure que ces assises porteront des fruits dignes de
la Revolution qui fit naltre le Mouvement Ouvrier et le Syndica-
lisme Haitien.

CLOVIS R. CHARLOT

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 45

DE LA NECESSITE
DE L'EDUCATION DE L'OUVRIER HAITI EN
Communication du Docteur LYS L. TALLEBAND
Membre actif de I'Association des Medecins Haitiens
Medecin en Chef de la HASCO
Avril 1949

Monsieur le Secr6taire d'Etat,
Messieurs les Membres du Bureau du Travail,
Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs,

En ma quality de membre actif de l'Association des M6decins
Haitiens, en ma quality de Vieux Medecin d'usine, me basant sur
des experiences personnelles, et, profitant de ce premier Congres
National du Travail, permettez-moi de vous faire une suggestion;
celle de la n6cessit6 de 1'6ducation de l'ouvrier haitien.
Pourquoi l'ouvrier haitien a-t-il besoin d'etre 6duqu6? Il y a 145
ans depuis que nous avons pris notre Independance. Depuis, l'ou-
vrier haitien est rest le meme; il est m6fiant vis a vis de ses sem-
blables, il a peur de son entourage et de sa propre personnel. De-
puis 15 ans que je suis medecin d'usine et d'une mnme usine, j'ai
constat6 ceci: le journalier qui gagnait 0,80 centimes de gourde,
monnaie haitienne, qui a gagne ensuite une gourde et demie, puis
deux gourdes et, actuellement cinq gourdes et meme davantage, ce
journalier, dis-je, n'a pas beaucoup change dans sa condition d'hom-
me: il porte encore des sandales en detresse, des vetements sales,
les cheveux non coiff6s. Cependant qu'avec ce m&me dollar par
jour, nous voyons des jeunes gens et m&me des peres de famille
mener une vie plus d6cente. se vktir plus proprement, se mieux
nourrir. C'est que l'ouvrier haitien ne se reconnait pas le propre
auteur de son mal. II pense et il pensera longtemps encore. si nous
ne faisons rien pour changer sa mystique, que celui qui est A c6td de
lui A l'atelier, lui veut du mal, que celui-la est jaloux de lui et qu'il
fera son possible pour lui faire perdre son djob ou tout au moins
pour qu'il depense mal son argent. Et notre ouvrier depensera r6el-
lement son salaire en vain, car il lui faudra aller, lui aussi, chez le
hougan pour parer aux coups de son voisin.
Que faut-il pour que l'ouvrier ait cette sensation de security;
pour qu'il devienne plus conscient de sa personnel, de sa valeur, de
son r8le social ?

46 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

Cet homme doit savoir, qu'avant de se rendre le matin au travail,
il doit se laver, se v6tir proprement.
II doit savoir qu'il a une heure pour entrer a l'atelier. Mais sur ce
point, nous n'avons pas a nous inqui6ter, car il le sait, les sanctions
ont deja porter fruits.
Il est & l'atelier: il doit savoir que 1'ouvrier qui pair tage sa besogne
(ordinairement haltien comme lui) nest pas un ennemi; i1 doit, au
contraire, s'entendre avec lui, dans 1'ex6cution de cette besogne,
ce qui certainement simplifiera sa tache.
A I'atelier, cet ouvrier doit savoir qu'il doit travailler dans les
meilleures conditions possibles; qu'il doit, pour cela, r6clamer de
son chef d'atelier I'amblioration de ces conditions de travail: par
example, porter des verres contre les grains de poussiere, des 6clats
metalliques; des gants contre certaines infections, intoxications ou
16sions cutankes; des masques et m6me des vktements speciaux dens
-des cas de scurdure, etc. Outre que le patron ne dolt pas ignorer
que ces precautions sont normales, l'ouvrier, lui-meme ne doit pas
craindre de demander. Pour faciliter ces relations entire ouvriers et
ouvriers, entire ouvriers et patron, il n'y a que 1'6ducation qui soit
capable de le faire. II faut se rappeler ici que si la fagon de donner
vaut mieux que ce que l'cn donne. la facon de demander fail obte-
nir parfois davantage que ce que 1'on demand. Le patron est sou-
vent plus accommodant qu'on ne le pense.
Au course des huit heures de travail. il est fait obligation au pa-
tron d'accorder A l'ouvrier une heure de repos. L'ouvrier doit sa-
voir, qu'il doit non pas faire le bon ap6tre, mais profiter de cette
heure pour prendre son repas et se reposer effectivement; aprbs 4
a 5 heures de travail continue. 1'esprit est fatigue et les accidents se
montrent A partir de ce moment avec une fr6quence croissante.
Les huit heures de travail termin es, l'ouvrier regagne sa maison.
Va-t-il consacrer les seize heures qui lui restent a dormir, ou va-t-il
les employer uniquement a ses plaisirs? L'ouvrier doit savoir qu'il
lui faut huit heures de sommeil. Que les huit heures qui lui restent,
doivent 6tre partag6es entire ses plaisirs et certaines occupations
lui permettant d'augmenter son standard de vie. Ainsi l'ouvrier doit
savoir qu'il doit s'instruire. S'il ne sait pas lire, que perdra-t-il &
fr6quenter une cole du soir? S'il le sait d6ja, pourquoi ne cherche-
ra-t-il pas & sortir de la routine en pregnant des course de perfection-
nement?

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 47

L'ouvrier doit enfin savoir comment d6penser ce salaire qu'il a
gagni apres de durs labeurs, car le bien-etre de sa famfile en
depend.
Maintenant comment arriverons-nous A enseigner A 1'ouvrier ce
qu'il doit faire? II m'est parvenu qu'& la Compagnie d'Eelairage
Electrique, une compagnie A main d'oeuvre exclusivement haitienne,
le patron institute chaque semaine des meetings pour tout le per-
sonnel. C'est un moyen d'action vraiment d6mocratique d'instruire
et d'6duquer l'ouvrier. Aussi dans cette compagnie, les accidents
sont relativement inexistants et les relations- entire otwiers et ou-
vriers, entire ouvriers et patron, sont des plus cordiales. Depuis deux
ans environ, on a commence, par des propagandes assez actives, 1'&-
ducation de la masse. Ces moyens d'action bien qu'insuffisants, don-
neront cependant de bons r6sultats. Dans le meme ordre d'idee, le
D6partement du Travail ne pourrait-il pas, d'accord avec les pa-
trons, instituer au sein meme des ateliers et usines, des meetings
hebdomadaires, en creole, d'une duree de trente A soixante minutes,
au course desquels on enseignerait Il'ouvrier les divers points 6nu-
meres ci-dessus. C'est la suggestion que je suis venu faire cette
apr&s-midi. Je souhaite de tout mon cceur qu'elle soit prise en con-
sid&ration.
Mais je ne terminerai pas sans 6mettre au nom de 1'Association
des M&decins Haitiens un Voeu: celui que le Departement du Tra-
vail nomme un m6decin, et un m6decin haitien, comme inspecteur
de ces ateliers, usines ou manufactures, pour d6celer et prevenir
certaines maladies professionnelles ignores en notre pays et, par-
faire, dans un sens l'oeuvre meme de ce D6partement. Cette sugges-
tion est motivee par certaines constatations faites dans notre pra-
tique.
1) L'un d'entre nous eut a examiner un jeume homme qui pr6-
sentait des troubles respiratoires. Or, ce gargon travaillait dans la
c6ramique, industries nouvelle chez nous. Cette industries a laquelle
il faut souhaiter un grand essor, entraine, cependant, l'absorption
de poussikre par les voies respiratoires.
2) Dans le dispensaire d'une oeuvre qui, sans bruit, fait beaucoup
de bien, un confrere rencontre un enfant qui pr6sente des points
blancs h la gorge. 11 s'agit d'l1iminer la diphterie. Or, la mere pre-
tend qu'il lui est impossible d'amener 1'enfant A l'h8pital, parce
que ses heures de travail 1'en empechent. Ce cas n'est pas unique:
des ouvriers ne vont pas au m6decin, parce que, A tort ou A raison,

A8 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

ils craignent de perdre leur job en sollicitant des permissions de
leur patron meme pour des cas aussi graves. Des consultations du
soir pour ouvriers et ouvrieres seraient donc de toute utility, sinon
de toute n6cessiti.

3o) 1I arrive parfois qu'un medecin appel a soigner un ouvrier
aux frais de l'entreprise, se voit solliciter un certificate de sant6 de-
vant servir en justice centre le patron.

.Ces quelques observations bien qu'insuffisantes constituent. ce-
pendant, autant de problemes qui, pour leur solution, reclament la
creation au Bureau du Travail d'un organisme medical dirig6 par
un midecin haltien.

Dr. LYS TALLERAND

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 49

COMMUNIQUE DE M. ARTHUR BONHOMME
Directeur du Bureau d'Education des Adultes et Representant du
Gouvernement Haitien attache a 'Experience-Temoin de Marbial
Deux grandes erreurs psychologiques ont constamment domino
et handicap des tentatives sinceres vers une Haiti meilleure: d'a-
bord la m6connaissance total des conditions de vie primitive du
people reel et ensuite la croyance fausse qu'il fallait copier les
belles choses r6alisees ailleurs par des groupements super civilises,
parce que leur litt6rature 6tait la piture quotidienne ou sporadi-
que de notre elite intellectuelle.
L'6ducation purement theorique, consistent dans ce bourrage de
crAne de donn6es 6trangeres a notre communaut6 et inapplicable a
nos realit6s, a poussk notre intellectualit& h s'&vader de la vraie na-
tion pour vivre dans un monde illusoire comme ces fous en hail-
lons qui, se croyant roi, s'imaginent poss6der ces richesses don't ils
ne cessent de parler a bouche pleine.
Cette deformation mental, au lieu de faire de nos elites des 6du-
cateuirs rationnels de la masse, des instruments r6fichis de progres
et de perfectionnement de la Communaut6, en ont fait des para-
sites honteux de leur race et de leur people, s'empresant, tout en
pompant d'un sang appauvri, de s'isoler dans la tour d'ivoire d'une
vie artificielle malhabilement imit6e.
Et c'est pourquoi la R6volution de 1946 a confronted le Departe-
ment du Travail de la R6publique avec les problemes d'une main-
d'ceuvre nullement prepare, don't le recrutement equitable et la
garantie de shcurit6 sont a cr6er, d'un bien-etre ouvrier qui se
meut encore dans les nuages de 1'esp6rance.
Et c'est a leur solution que vise ce congres qui, d'un regard r6-
trospectif sur les efforts tents depuis 3 ans veut susciter ensemble
et la vision de l'oeuvre A poursuivre et a achever, et la volonte d'en
venir a bout et l'6bauche du plan A d6velopper.
Nous nous bornerons A rappeler en quoi le Bureau d'Education
des Adultes du D6partement de I'Education Nationale a contribu6
dans sa sphere d'action A aider A la solution de ces probl6mes.
La clef de beaucoup de difficult6s se trouve dans l'6ducation. Le
patron qui a 6t6 habitu6 par la coutume et le statut social A exploi-
ter la main-d'oeuvre, continuera A le faire et poussera de hauts cris
quand on voudra delivrer sa victim. Mais si par des precedes Edu-
catifs dont le meilleur est l'experience-t6moin le module, on hlui
prouve qu'une coHaboration humane avec une main-d'oeuvre edu-

50 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

quee lui assurera de meilleurs et plus durables avantages, il s'em-
pressera d'adopter, des habitudes nouvelles plus justes et plus ho-
norables.
11 se trouve done que 'effort diucatif doit surtout se porter sur
la classes ouvriere plus disposee A se laisser enseigner et justement
la plus a plaindre, parce que la plus necessiteuse.
II reste acquis que beaucoup de formes d'exploitations et de pre-
jug6s naissent d'une difference de puissance entire deux individus
ou deux groups parce que l'un d'eux est ignorant, tandis que l'au-
tre emploie ses connaissances pour opprimer. L'ignorance, la mala-
die, I'analphabitisme et la pauvret6 ont toujours constitute des ter-
rains ideaux pour les champions de 1'exploitation.
Aux Etats-Unis, le prejug6 contre les noirs recule partout oi l'6-
ducation eleve le m6pris6 a la hauteur humaine de son offenseur.
Selon un document remarquable pr6par6 par les specialistes de
1'UNESCO, 1'6ducation a pour but de permettre aux hommes et aux
femmes de mener une vie plus pleine et plus heureuse en harmonie
avec 1'6volution de leur milieu, de d6velopper les meilleurs 6l1-
ments de leur culture national et de leur faciliter l'acces a un ni-
veau 6conomique et social superieur qui les mette a meme de jouer
un r6le dans le monde moderne. Elle vise a permettre aux hommes
et aux femmes comme travailleurs de dominer leur milieu materiel
At de conserver et d'exploiter les resources naturelles de la terre,
afin d'6lever leur niveau de vie comme citoyens, de vivre c6te a
c6te en harmonie dans leurs communautes: famille, group, nation
et finalement dans une society universelle; come individus, de
d6velopper ce qu'il y a en eux de meilleur en vue d'obtenir la sant6
physique et d'acquerir avec le respect de soi-meme l'aptitude A un
progr&s spiritual, moral et intellectual et enfin d'avoir de nobles
aspirations et de les realiser.
Comme on le voit, l'Education des travailleurs urbains et ruraux
peut vraiment aider a resoudre nos problkmes.
Le Bureau d'Education des Adultes a pens6 que, pour les deux
groups, le premier pas A realiser 6tait l'alphabetisation qui, en leur
donnant conscience de leur personnalit6 d'hommes capable comme
les plus favorises, d'acqu6rir des connaissances, par consequent de
s'6lever, de se perfectionner, leur permettrait de pouvoir librement
utiliser les clefs qui leur ouvriraient les prisons que constituent
l'ignorance, la pauvrete et la maladie.
Et nous ne nous 6tions pas trompes.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 51

Dans les agglomerations populaires urbaines nous avons note
qu'avec Papprentissage de la lecture, des sciences sooiales, de l'hy-
giene, du calcul, une prise de conscience s'etait manifest6e et que
sans aucun effort special de notre part, le statut social s'etait am&
lior6 en meme temps que le statut 6conomique. Nous avons eu a
noter la difference.de comportement, de prosperity, de sante entire 2
commnunautes situbes A 5 minutes d'auto 1'une de 1'autre par suite
d'une champagne educative sommaire de trois ann6es seulement me-
n6e dans 1'une d'elles.
L'enseignement de m6tiers nouveaux, parfois sur une simple d&-
monstration de propaganda et la distribution d'une feuille expli-
cative, a suscit6 des ouvriers nouveaux qui vivent de ces m6tiers.
L'emploi des cooperatives comme centres d'enseignement de m&-
tiers ou de perfectionnement a donn6 des r6sultats inesp6rbs, parce
que s'adaptant mieux comme cole a la liberty don't doit disposer
l'adulte A l'apprentissage.
Mais lI oh les experiences ont &4 les plus int6ressantes, c'est
dans les communautes rurales ou le meme paysan est A la fois pro-
pri6taire, producteur et vendeur. Pendant que le maria cultive et
6elve, la femme vend.
Et la terre que l'erosion emporte, c'est le capital qui s'en va, lais-
sant le capital human malade, effam6, ext6nu6. Ici, on peut dire que
ce n'est pas simplement un probleme de rapports d'employeur A
employee qui se pose. C'est le sort de la richesse m&me et de l'homme
son consommateur qui se jouait.
II fallait recreer le capital: la terre et le b6tail.
II fallait recr6er 1'agent, qu'il ffit patron ou ouvrier. Car en fin
de compete a la champagne, avec 1'rrosion, tous les patrons devien-
nent des ouvriers sans emploi qui 6migrent massivement vers Port-
au-Prince.
Le taureau a 6t6 done saisi par les cornes. Le paysan ne peut 6tre
sauv6 dans sa participation volontaire effective et perseverante.
D'abord des secours pour agriculture: semences et outils lui par-
viennent. MWdecin, infirmier et drogues permettent a la clinique
d'extirper vers, malaria, pian, syphilis. Mais l'rducation doit jouer
en meme temps: 2 paysans s'entratmeront come infirmiers.
Et puis pour recevoir les semences et utiliser les outils, il faut
apprendre A travailler ensemble, a unir les efforts. La combite, le
groupement geographique, le groupement social deviendront coope-
rative; mais ce ne sera pas encore cette cooperative canadienne ou

52 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

ambricaine qu'on nous a decrite dans son plein 6panouissement. Ah!
non, ce sera la cooperative primitive mitig6e qu'impose la necessity
immediate. N6cessite de letter contre 1'6rosion de la terre, la ma-
ladie des corps, 1'ignorance intellectuelle. Et 1'UNESCO elle-.mme
sera membre de cette cooperative de salut qui peanettra au group
d'etre plus tard producteur, consommateur, professionnel et mutua-
liste.
Pour le moment il s'agit d'avoir d'autres semences, d'autres ou-
tils, d'autres m6dicaments et, par la route.
Un technician, des fonds pour la nourriture, des outils seront la
participation de I'UNESCO. Les bras, 1'enthousiasme, le d6vouement
seront celle des marbialais et en deux mois la route mettra Jacmel
A 35 minutes de Marbial et les paysans connaltront la technique de
la construction d'une piste voiturable sommaire. Et ce movement
se poursuivra tout seul vers l'interieur, vers Petite Riviere, vers
Fond Melon, vers Cap-Rouge et vers l'exterieur, vers L6ogfne, vers
Port-au-Prince.
Mais tous ces el6ments don't on fait l'iducation cooperative doi-
vent bient8t changer de comportement a bon escient. Le plus grand
travail consiste a les affranchir du complex d'inf6riorit6, a libcrer
leurs facultes paralysees, A leur insuffler l'esprit d'invention et de
perfectionnement.
Le meilleur moyen sera de leur enseigner a lire et a 6crire, car
c'est 1A le vrai levier qui d6gage la conscience de la personnalite hu-
maine et de son potential de progres. Et c'est aussi le moyen d'ac-
quisition. de comprehension et d'acceptation de toutes les connais-
sances qu'ils devront s'approprier theoriquement et pratiquement
pour se transformer en une communaute 6volu6e et prospere.
10 centres, puis 17 fonctionnent dans les 7 sections rurales du
Project groupant chacun de 30 a 100 clients. 2 leaders paysans cons-
truisent la tonnelle, les bancs, la table et enseignent avec les lives,
cashiers, tableaux et autres fournitures classiques donnies par r'U-
NESCO. En quelques mois, des centaines savent lire. Ils apprennent
alors a passer au francais. D'autres imprim6s sur 1'hygiene du corps,
l'hygiene de la maison, 1'hygiene alimentaire, 1'arithm6tique, l'agri-
culture, 1'6levage dans ce qu'ils ont de pratiquement applicable
dans leur vie quotidienne, leur sont distributes. Et le journal 6crit &
la main, puis mim6ographi6 de ces leaders paysans que sont les Lo-
hier est lu dans chaque famille et connait une vogue immense.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 53

Ces leaders des centres d'alphab6tisation deviennent les chefs de
secteurs qui avec le malarialogiste apprennent A controller scienti-
fiquement la malaria, les marriages, les naissances et les d6ces, la
fouille et la construction des w. c., le captage des sources. Ils vont
aussi A la clinique g6n6rale pratiquer les premiers soins. A la cli-
nique vt6brinaire, ils apprennent a traiter le cheptel. Ils suivent des
course de l'agronome, du technician en p6dagogie, du malarialogiste,
du mldecin.
Les enfants groups A 1'6cole primaire avec des professeurs pr6-
par6s apprennent A lire dans leur langue; puis ils acquikrent des
connaissances adapt6es a leur vie et font I'apprentissage rationnel
du frangais. Une cantine supple a la d6ficience de la dikte pay-
sanne.
Et come il faut un centre pour se rmunir, s'instruire, discuter,
s'amuser, vite la maison communautaire s'616ve: roches, sables,
chaux, blocs de ciment fabriques sur place sont utilis6s par tous les
magons de l'endroit diriges par un technician de Port-au-Prince. De
meme pour la charpente.
Les techniques nouvelles sont aussit6t utilisees dans les 9 mai-
sons priv6es qui sont construites apres par les paysans: le mortier
de sable et chaux a d6finitivement remplac6 la boue et la demeure
maintenant est spacieuse avec 3, 4 pieces. La cuisine et le W. C. se
dressent dans le voisinage. L'all&e bord6e de roches blanchies A la
chaux est luimineuse. Fil A plomb, metres en bois et m6tres m6tali-
ques, lignes tirees au cordeau, voila des acquisitions nouvelles. D&-
sormais, les autres constructions de 1'UNESCO sont laiss6es a la
charge des cooperatives: rotonde pour le cinema, hangar de c6rarni-
que, cole primaire.
L'hygiene est 6corchie vive avec ces marches a meme le sol ou
dans la riviere. Les forcess laiss6es par la scierie ne seront plus brCi-
lies. Elles s'ajoutent aux poteaux et voila des .taiages so'lides, 61-
gants, aligns. Voila un abattoir en plein air, des allies de gravier,
une cloture en bambou, une fosse A fumier.
L'6quipe d'hygiene est lA pour la propret6 de la rue, du maich6,
le nettoyage de la source capt6e. Car l'eau de la riviere pollute doit
6tre bannie de la boisson. Un drain, un couvercle de beton, un robi-
net et voila la fontaine publique oi s'abreuve desormais toute la
population. Et les autres sections reclament aussi leur drain.
Le forage d'un puts permet d'avoir l'eau dans une citerne-dou-
che, arrosage des p6pinieres de caf6, de plants ornementales, de 16-

54 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

gumes et des pelouses sont le r6sultat. Mais il faut que le paysan
produise. U faut que la terre soit retenue, plantee, rebois6e, arro-
s6e. Voila des demonstrations de masse, de canaux, de contour de
terrasses, de murs sees, de barrage de ravine, de barrage de prote--
tion centre les eaux de la rivibre, de prise sur berge et de canaux
d'irrigation. Formule nouvelle, la fosse A fumier fait son apparition
et se multiple. Les essences de reboisement sont r6pandues. D6sor-
mais un paysan apres une pluie torrentielle vient reclamer de suite
le concours de la cooperative pour aller prot6ger sa terre et petit A
petit comme le sarclage, la protection du sol entire dans les habitu-
des agricoles individuelles, un A un surgissent du sol les travaux de
conservation.
L'atelier de vannerie, de tissage de coton et de pite, de c6ramique,
de travaux de come, lentement mais surement, enseigne A l'enfant
de 1'6cole, A la jeune fille, au jeune home a confectionner ses us-
tensiles de table, de toilette et de cuisine, ses toiles, ses tapis, ses
couvertures, ses chapeaux, ses peignes, broches et boucles. L'6quipe
de pedagogues, 6crivains et iliustrateurs pr6parent les livres pour
enfants et adults et les rayons de la bibliothbque-mus6e s'empli-
ront bient6t.
L'appareil A cinema est Ia et les films 6ducatifs locaux sont pr6-
par6s par des technicians haitiens.
L'6criture creole, le passage au frangais, la grammaire sont scien-
tifiquement pr6par6s par un sp6cialiste international.
Et quand le Delco fait jaillir la lumiere 6lectrique, les deux plus
proches voisins viennent reclamer leur prise.
Bient6t Marbial sere un village civilis6 avec des routes propres,
des maisons d6centes, environn6 de beaux jardins et de magnifiques
plantations de cafe, de coton, de cocotiers, de bananiers, de cacao,
de ch6ne, d'arbres fruitiers, de mais, de pois, de riz, de petit mil.
Qui peut arreter ce fleuve d'esp6rance qui charrie toutes les 6ner-
gies vers la civilisation, cette incontr6lable Gosseline spirituelle qui
contr6lera la Gosseline g6ographique et en fera un course d'eau r6-
gulier, source de fraicheur et de vie en toute saison?
Oui, comme le demandait le Professeur Tannenbaum aux centai.
nes de membres des cooperatives rassembl6s sur 1'esplanade de la
rotonde en d6cembre dernier. Nous croyons A ce beau jardin, &
cet Eden qui, defendant du ciel, monte de la terre, des cceurs et
des cerveaux.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 55

LE COMITE D'ENTREPRISE
ET LE COMITE INTER-ENTREPRISES

Par le Dr. JEAN PERMIN

Le cr6e en France par une Ordonnance
du 22 Fevrier 1945 modifi6e par la Loi du 16 Mai 1946, est un orga-
nisme paritaire, ouvrier et patronal, qui siege dans toute entreprise
occupant au moins 50 salaries. Compos6 du Chef d'entreprise et de
representants 6lus du personnel (employes cadres et ouvriers), il est
Al image de l'entreprise elle-m6me. Sa signification est tres impor-
tante en ce sens qu'elle traduit 1'6volution social actuelle du monde
du travail qui tend a faire de l'ouvrier un associ6 de 1'entreprise
et non plus un salari6. Sans doute est-on encore loin de ce stade,
dans les entreprises priv6es qui caracterisent l'6conomie dite ca-
pitaliste>, mais tout montre que, m8me dans ces entreprises, on
s'en rapproche progressivement. Le simple fait qu'il puisse exis-
ter, dans 1'entreprise, un organisme (et jneme des organismes, car
il en existe plusieurs) paritaire, eit sembl6 revolutionnaire voici
quelques dizaines d'ann6es. Et, de plus, le Comit6 d'Entreprise
n'est pas un simple Comit6 Consultatif. II possede des pouvoirs
particuliers, qui m l'origine, 6taient le fait du chef d'entreprise seul.

C'est dire qu'il y a 1l une occasion de conflict entire le personnel
et le patron, en raison des d6saccords qui pourraient se manifester
au sein de ce Comit6 d'Entreprise. Aussi, le 16gislateur, pour 6vi-
ter toute possibility de pression de la part du patron, a-t-il 6dict6
des prescriptions qui protegent les repr6sentants ouvriers qui sib-
gent au comit6 centre un licenciement 6ventuel.

Ceci pos6, quel est, dans l'entreprise, le r6le de ce Comite? Son
r6le est avant tout social. On sait que la Loi, dans de tres nom-
breux pays, impose au patronat certaines charges sociales, donL les
plus nettes sont celles resultant de 1'obligation d'organiser des ser-
vices < du travail qui sont charges de veiller sur la San-
t6 des travailleurs. Ainsi, les obligations dites caractere d'obligation, rien ne s'opposait A ce que leur gestion fit
assure par un organisme mixte, ouvrier et patronal. Bien au con-
traire, comme ces obligations s'exercent au profit des travailleurs,
il apparait comme souhaitable que ceux-ci aient leur mot a dire A
leur sujet.

56 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

C'est pourquoi, le Comite d'Entreprise est avant tout le grant
de toutes les oeuvres sociales de 1'entreprise, qu'elles solent obli-
gatoires de par la loi, ou b6n6voles. Cette gestion fait tomber sous
le contr6le entier de ce Comit6 des fonds important, car, en Fran-
ce tout au moins, les fonds affects aux oeuvres sociales d'entre-
prise sont souvent consid6rables. Les obligations 16gales sont im-
portantes, et de plus, des patrons de plus en plus nombreux font
pour les ceuvres sociales bien davantage que la loi ne leur impose.
Par philanthropic peut-etre, ou par un interet bien compris, car il
est a remarquer que la productivity d'une entreprise, sa tranquil-
lit6, son came en p6riode d'agitation social, sont en raison di-
recte de 1'importance des realisations sociales de cette entreprise.
Et puis aussi peut-4tre en vertu d'une disposition heureuse de no-
tre fiscalit6 qui admet comme deductibles des b6nefices realises
les sommes consacrees aux oeuvres sociales. Comme d'autre part,
l'imposition sur les b6n6fices industries et commerciaux est ra-
pidement progressive, il vient un moment ou le patron ne travaille
plus guere que pour le fisc. A ce point, 1'esprit de clocher, pour-
rait-on dire, se manifesto, et le patron pr6fere consacrer une part
de ses recettes i l'am6lioration du sort de ses ouvriers, plutSt que
de la verser au Tresor Public, et la voir disparaitre dans ce qu'il
considere comme des d6penses inutiles.

Le Comit6 d'entreprise dispose done de fonds important. Vo-
yons maintenant 1'emploi qu'il en fait.
Tout d'abord, il finance le Service M6dical et Social d'entreprise.
Ce service comprend, au moins, un M6decin et une Assist-ante So-
ciale h temps partial don't i1 faut assurer la r6muneration. Dans
certain cas, le Medecin travaille a temps complete, aid6 d'un nom-
bre plus ou moins important d'infirmieres, de femmes de manage,
cependant que 1'Assistante Sociale en chef a aupres d'elle des ad-
jointes et des secr6taires. Cela est valuable naturellement dans les
entreprises tres importantes.

En second lieu, il gere le materiel de ces services, et, la aussi,
les frais investis peuvent &tre considerables. Ajoutez toute une se-
rie de frais annexes, comme ceux que n6cessitent certain examens
speciaux, come les radioscopies pulmonaires, les examens de
sang, etc... qui, le plus souvent, ne peuvent etre pratiquies au ser-
vice medical d'entreprise, et les frais d'assistance social tels que
deplacements, secours ,etc... Vous voyez done que le budget d'un

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 57

Comite d'Entreprise, suppose, a ne considarer que les depenses
obligatoires, une comptabilit6 particulierement serieuse et impor-
tante.

Je ne m'6tendrai pas plus longuement sur ce point, pour vous
parler maintenant des depenses sociales que suscitent des oeuvres
bln6voles, non ordonnmes par la loi. Ces oeuvres sociales possibles
sont multiples. La premiere d'entre elles est celle qui s'adresse a
1'alimentation des travailleurs. On na saurait trop insisted sur son
importance. Le probleme de l'alimentation des travailleurs est I'un
des plus urgents si l'on veut conserver intact le capital travaib,
@as6 non seulement sur la surveillance medical des travailleurs,
mais aussi, et surtout, oserai-je dire, sur leur alimentation. Dans les
pays heureux oi les vivres sont abondants, sains et bon march, la
question perd peut-6tre de son importance. Mais dans les pays pau-
vres, sous alimentes, et surtout pendant les periodes de disette et
de restriction qu'emmnnent les guerres, cette question de l'aliiaen-
tation des ouvriers ne saurait etre n4gligee. En France oi l'on vivait
bien, la guerre et l'occupation ennemie ont incite de tres nom-
breuses entreprises a crier des cantines, et des cooperatives de ra-
vitaillement. Les avantages de ces r4alisations, que le personnel a
hautement apprkciks dans les moments difficiles, font qu'elles ont
tendance non settlement A survive aux heures sombres, mais en-
core a se developper davantage. A leur credit, il faut inscrire le b&-
ndfice financier r el qu'elles apportent aux ouvriers, tant du fait
lu plus bas prix des vivres fougrnis que de r'conomie des transports
occasionn6s par les repas. I1 faut aussi y ajouter un autre advantage,
qui se manifeste sur le plan physique et sur le plan moral: c'est que
1'ouvrier qui mange en cantine n'est plus press par le temps. II pro-
fite int6gralement de son repas, pris posement a une heure fixe, et
dispose de surcroit d'une utile periode de repos.

L'ouverture d'une cantine, puis d'une cooperative vivrikre n'est
qu'un stade. Bient6t, en effet, les ouvriers eux-memes reclament
que la cooperative s'6tende et leur fournisse des objets d'usage cou-
rant au prix cottant. Et ainsi, le Comit& d'entreprisz se voit deve-
nir grant d'un restaurant, d'une epicerie et d'un magasin. Progres-
sivement il tend A contr8ler toute l'activit6 commercial du group
human qu'est 1'entreprise.
L'action social ne saurait se border aux seuls salaries et bientSt
oherche A s'itendre A leur famille. L'oocasion la plus frequente, c'est

58 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

'bvYnement familial par excellence: la naissance d'un enfant Sans
doute, la mire, au titre de la Securite Sociale a-t-elle droit A divers
avantages (indemnites, soins gratuits...) mais 1'entreprise fait plus
encore. Le Service Social, alert, enqukte sur la situation du menage.
et attribue un secours appropri6. Ce secours est soit en argent, soit
en nature, et je me souviens d'une entreprise don't j'tais m@decin
jui possldait un stock de layettes bleues et roses prates pour toute
naissance de garcon ou de fille. Les secours en nature, en pareil
cas sont plus varies qu'on ne pourrait croire au premier examen.
Outre la layette, il y a toute la question des laits condenses et des
aliments de bebis, toute la question des medicaments coiteux et
non rembourses par la Securite Sociale don't la maman ou le bebe
pourraient avoir besoin.

L'action social sur les enfants ne s'exerce pas qu'a leur nais-
sar-ce. En Europe, c'est devenu une coutume que toute entreprise
offre. au moment de No6l, un goiter, souvent avec spectacle, aux
enfants de ses ouvriers et des jouets. Cette f&te de l'Arbre de Noel
de 1'entreprise est vraiment une joie pour tous, et personnel, le pa-
tron tout le premier, ne s'abstient d'y venir. Au moment des va-
cances annuelles, il se pose, dans les pays ouvriers, une grave ques-
ticn pour les parents. Oi envoyer les enfants en vacancies? Et com-
bien cela va-t-il cofiter? Ces deux questions, bien terre a terre, ce
sont deux questions sociales, et c'est pourquoi, tries souvent le
Comite d'Entreprise y r6pond. II loue une propriet6, en general
assez loin de la ville, mais aussi assez pres, ram6nage (c'est-a-dire
y install des dortoirs, un r6fectoire, des cuisines, recrute le per-
sonnel necessaire, assure l'hygi6ne et la surveillance m4dicale). C'est
la Colonie de Vacances de l'Entreprise. Et, come les vacances ne
durent pas toute l'ann6e, les autres mois, bien souvent le Comitk
d'Entreprise organise ses Jeudis pour enfants, car, les homes et
les femmes qui travaillent ne sont pas le Jeudi ; la a maison pour
s'occuper de leur petite famille.

A 1'autre extreme de la vie, il y a la vieillesse, et tous ses pro-
blames. Les comites d'entreprises 16galement eonstitu&s sont trop
jeunes pour que leur action aupres des vieux ouvriers ait pu se
faire pleinement sentir. Cependant on peut se reporter, pour pr6-
juger de leur r61le, aux activities des comit&s bknokles qui existent
depuis longtemps dans de trop rares entreprises dirighes par des
hommes pe1ntres de leur responsabilite envers leurs sembkiables.
L'Entreprise, conque comme une comnnnau~b, et e'est pr6cisw6ent

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 59

14 l'esprit du Comit4 d'Entreprise, ne saurait abandonner ses vieux
travailleurs. Lorsque pour eux est arrive le jour tragique of ils doi-
vent cesser de travailler, la question se pose si ce n'est pas le jour
de mourir qui se live alors. Le Plan Franqais de S&curite Sociale
pr6voit une retraite pour les vieux travailleurs. Cette retraite existe
dfja, mais elle est d6risoire. Le plan frangais prevoit la capitalisation
d'une parties de la cotisation de S&curit6 Sociale pour assurer le
risque-vieillesse. A mon avis, cette solution est une erreur. Je m'ex-
plique, et cela surtout pour ceux qui n'auraient pas relevi au pas-
sage dans mon expose le mot capitalisationw. Ce mot vent dire
que l'on versera, come .pension de retraite aux vieux travaileurs
l'argent qu'ils auront 4pargnk, grossi, de ses intbr&ts, et eventue1e-
ment de la part rendue disponible par tous ceux qui seraient morts
trop t6t, c'est-a-dire avant la date que les statistiques de mortality
permettent de prevoir. On leur versera l'aigent. Mais cet argent
perd sa valeur, du moins en Europe. J'ai vu la generation de mes
parents et celle de mes grands parents ruin6es par deux guerres,
en l'espace de chacune desquelles les prix des denries ont 6t6 mul-
tiplies par 10. J'ai le droit de me demander ce que m'assurera le
plan de S6curit6 Sociale Frangais (car j'y suis astreint comme tout
le monde), apres la troisieme guerre mondiale, si j'en rkchappe? Je
ne vou'drais pas vous laisser sur une critique faite sous Pangle de
l'humour et de 1'6gocentrisme, aussi vais-je revenir au fond m&me
de la question des vieillards. Leur existence, en fait, n'est assure
que par la production de leurs successeurs. Autrement dit, la capi-
talisation n'est qu'une formiule, qui se voudrait id6ale, de la cripar-
tition. II est bien evident qu'un vieillard mangera ce que ses en-
fants ou ceux de ses contemporains auront product, qu'il se vetira
des 6toffes sorties des metiers que conduit la generation qui lui
suocede... Autrement dit, le probl6me vieillesses n'est pas un pro-
blkme de domain, c'est un problnme d'aujourdlhui. Nous avons au-
jourd'hui nos vieillards A nourrir et domain, nous serons les vieil-
lards que nos enfants auront A nourrir. Tout ceci pour vous dire
que je pense que c'est au Comith d'Entreprise qu'incombera la
+darge effective de ses vieux travaileurs. L'Entreprise, vaste com-
munaut6, doit computer avec ses vieillards come efle compete avec
ses enfants. C'est d'ailleurs ce qu'avaient compnis les rares entre-
prises don't je vous parlais plus haut qui aidaient de leurs secours
les vieillards devenus incapables de travailler.
Jusqu'A present, nous n'avons parilM que du caurs normal de la vie,
celle des adults produc-tifs, celle des enfants, celile des vieillards.

60 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

II reste cependant une 6ventualit6 tres important, sur laquelle je
voudrais m'6tendre un peu plus longuement: celle de la maladie.
L'ouvrier, le travailleur agricole, doit toujours computer avec la ma-
ladie possible. Pour lui, c'est souvent, toujours le disastre, car il
vit au jour le jour. La condition de salariat a en effet icela de tra-
gique qu'elle suppose, dans ses meilleures formu'les un home sain
gagnant tous les jours un salaire journalierm qui lui permet de
sent eten:r en bonne forme pour reprendre le travail le lendemain.
On ne saurait soutenir que cet ouvrier ait la possibility quelconque
de constituer par lui-m&me des reserves lui *permettant de faire
face a la maladie, c'est A dire de payer son m6decin et son pharma-
cien tout en donnant a l'epouse de quoi aller faire son march.
M&me dans les pays consid6r6s comme , la formule < rance-maladies, qui repartit le risque individual sur la collectivit6
s'est impose dans le milieu ouvrier, par necess!te, et dans le milieu
bourgeois par economic. Et encore pourrait-on multiplier les exem-
ples d'ouvriers qui ne peuvent meme pas satisfaire A la n&cessit6,
et qui. de ce fait, rendent compete de l'existence encore a l'heure
actuelle, de services hospitaliers d'indigents. En tant que m6decin
aussi bien qu'en tant qu'homme, ces services d'indigents sont pour
moti un des signes de ]a faiblesse de notre organisation sociale,'en
?e sens qu'ils consacrent cet 6tat de fait monstrueux qu'un home,
dans un sikcle qui se dit de progres, est laiss6 incapable de faire
face a ce risque inevitable: le risque maladie. D'y faire face a lui
seul, par ses propres moyens. Cette pensee n'est pas nouvelle, aussi
bien a-t-on pens6 parer a ce risque, indgal entire tous, par la for-
mule collective d'assurance, soit qu'il s'agisse d'assurance priv&e,
soit qu'il s'agisse d'assurance social. Les deux formules ont chacune
leur valeur et leur inconvenient. Parlant ici du Comit6 ,d'Entreprise,
qui repr6sente une collectivit6 restreinte et qui penche vers la for-
mule de I'assurance privee, je me dois de me faire 1'6cho de la
pensee de cet organisme en face de l'assurance social. L'assure
social, moyennant paiement de cotisations, se voit garantir le rem-
boursement, parties ou total, de ses frais de maladie. II peut se faire
soigner ou bon lui semble, par qui lui plait. En fait, en France, o0&
la S&curit6 Sociale est quasi universelle, on assisted au fait suivant:
le patient souffrant d'une maladie se fait soigner ohes
lui par le medecin de son choix. Les visits sont rembours6es selon
un tarif fix6, les m6dicaments 6galement, compete tenu qu'il existe
diverse categories, les unes remboursees a 80%, les autres a 70;'i,
les autres a 60;(, etc... Tel qu'il est, le systeme fonctionne, en gros

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 61

d'une maniere satisfaisante, si toutefois les m6decins savent ne pas
stre trop gourmands et ne pas depasser le tarif au delA des limits
raisonnables. Le malade souffrant d'une maladie chirurgicale> se
trouve place dans une condition bien didffrente. II est pratiquement
condamn6 h aller a 11h6pital public, oi les manieres sont restees
celles de l'h1pital d'indigents ne pouvant fire 1'excedent de d&-
penses que n6cessiterait le sejour dans une dlinique priv6e. Autre-
ment dit: soins sensiblement identiques A ceux d'un malade payant
lorsqu'il s'agit d'un cas cmedicab, soins d'indigents lorsqu'il s'agit
d'un cas echirurgilcalh. La faute n'en income pas seulement au
systene d'assurances sociales, elle income aussi aux administra-
tions hospitalibres et aux m6decins d'hbpital trop lents a s'adapter
a-u systeme nouveau. Mais, quel que soilt le responsible, c'est le
malade qui en fait les frais. 11 y a 1l quelque chose de choquant, et
c'est ce qui explique que le Comit6 d'Entreprise ait pens6 interve-
nir. Comment? En organisant des cliniques, surtout chirurgicales
qui seraient a mi-chemin entire P'hpital d'indigents et la super-
clinique pour malades gros payants et ceci dans le cadre des pres-
tations assurees par les Assurances Sociales. En pratique, ces cli-
niques ne sont que le prolongement, sur le plan professionnel, des
(Mutuelles>> de soins. Elles s'administrent elles-m6mes, et exploitent
a prix coitant, comme les mutuelles, elles travaillent sur conditions
de r6muneration fixes par la Loi sur les Assurances Sociales. Elles
passent avec administration des Assurances Sociales des coin-
ventions> identiques a celles que passent les h&pitaux publics, ce
qui les assure de pouvoir computer sur le remboursement automa-
tique des frais qu'elles facturent au tariff des Assurances Sociales.
La formule est tres souple et permet a une entreprise d'assurer,
dans le cadre de la Loi g6nerale sur la S&ouriti Sociale, des soirls
meilleurs et plus attentionn6s a ses ouvriers. 11 n'est d'ailleurs pas
exclu que 1'entreprise ne mette de sa poche pour amrliorer le ni-
veau de la clinique qu'elle a fondue.
J'espere, par ces examples qui sont loin de representer toutes les
activities possibles du Comit6 d'Entreprise, vous avoir montr6 1'am-
pleur de son r6le. Une telle ampleur peut effrayer, car on congoit
mal tous les Comites et surtout ceux des petites entreprises abor-
dant une tache aussi lourde. II y a, a cette objection, une reponse,
que le LIgislateur, en France, a faite 1ui-mnme. C'est que les Co-
rnits de petites entreprises peuvent se grouper, cela est m6me re-
conmmand6. Ainsi, elles organisent en commun non seulement leur
service medico social obligatoire, mais aussi toutes les oeuvres qui

62 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

appartiennent encore A l'initiative privie. Le groupement ainsi cons-
titu6 prend le nom de 4ComitC Inter-entreprises*. II est g6r6 par
une d61lgation des divers membres des comitis parties qui le cons-
tituent Ses resources sont assurees par des contributions patro-
nales proportionelles au nombre des ouvriers de chaque entreprise
Participate. Pour faciliter leurs operations de gestion, ces Cbomites
Inter-entreprises jouissent dans la Loi Frangaise, de la personnalith
civil.
Dr. Jean PERRIN

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 63

COMMUNICATION
DU SYNDICATE DES TRAVAILLEURS-DEBARDEURS
ET TRIEUSES DES CAYES

Pour la premiere fois dans les annales haitiennes, un Congres
National du Travail r6unit les travailleurs de tous les points de la
Republique. Si passionne que l'on soit, l'on ne peut nier qu'un grand
changement s'est oper6 dans nos moeurs.
Et lorsque a la faveur de ce m&me Congres National du Travail
on constate autour d'une mnme table de discussion l'employ AL c6te
de l'employeur, on saisit toute la portee de l'am6lioration qui s'est
produite dans les rapports du salariat et du patronat.
La Revolution de 1946 en posant les principles de liberty et d'af-
franchissement de l'individu a lib&re le travailleur haitien de son
servage s6culaire et lui a donnk une autre conception de son utility
et de son importance dans l'ordre social.
La Revolution de 1946, original en ce sens qu'elle n'a ni fait cou-
ler de sang, ni pouss6 A des exc6s regrettables, a apport6 en elle
un mode de penser et de croire different des credos d'hier, si pleins
d'injustices, si remplis de pr6jug6s, si hostiles A l'6volution des
classes laborieuses. L'esprit nouveau qui determine le comportement
de l'ouvrier ou du travailleur actuel est une prise de conscience qui
1'6claire sur sa propre force et lui fait comprendre ce qu'il repre-
sente en tant que facteur social. Aussi, c'est pour consolider sa
nouvelle position qu'il a fait de la liberty syndicale l'un des prin-
cipaux desiderata de la Revolution de 1946.
Mais que penser de notre syndicalisme naissant?
II 6tait de toute evidence qu'il connaitrait une p6riode de titon-
nements. A l'instar de toute oeuvre jeune, nouvelle, il manquait
d'exp4rience et ne pouvait computer sur l'exp6rience des pays plus
avanc6s et don't les problemes ne se posent point de la m6me faqon.
Sa propre experience etait done necessaire et ne pouvait lui 6tre
acquise que par le temps. A c68t de ses propres difficulties, le syn-
dicalisme haltien devait confronter d'autres difficulties n6es de
1'esprit r4actionnaire d'un patronat arcbout& encore A ses privileges
et qui n'entendait pas se dipartir d'une longue habitude qui en
faisait un maitre absolu don't la fantaisie ou les ordres avaient force
de loi. Qu'on ne s'4tonne done point d'avoir observe tant de conflicts
entire patrons et salaries durant ces derniers temps. La lutte qua
les engageait 6tait souvent Apre de toute l'intransigeance des con-

64 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

cepts qui les divisaient. Car, le sens contraire des tendances qui les
animaient ne pouvait laisser aucune place A un reglement pacifique
des problkmes qui les Qpposaient.
Le Gouvernement du 16 Aofit, fils de la R6volution de 1946, a
affirm son esprit r6volutionnaire en instituant 1'organisme du Bu-
reau du Travail et en cr6ant toute une legislation du travail qui
est venue marquer le nouveau rapport du patronat et du salariat,
en leur offrant une collaboration basee sur le respect mut-uel oil
ne s'exclut point le sens de la dignity humaine.
Mais, notre syndicalisme a-t-il au course des vicissitudes de sa
jeune existence acquis dejA l'exp6rience ndcessaire au processus de
son evolution normal?
Je n'hesite pas a r6pondre non. Il faudra encore au salariat haltien
beaucoup d'efforts, un esprit de discipline don't il ne fait pas abso-
lument preuve jusqu'ici et oil ne serait pas tapi le sens de i'interet
personnel, si peu propice au plein d6veloppement des organizations
a caractere social. Ainsi done le problem d'ucatif se pose en pre-
mier lieu. Le syndicat dans ses rapports avec le travailleutr doit pen-
ser a l'6ducation de celui-ci, A sa formation morale et intellectuelle,
a sa preparation technique A la grande lutte syndicate, seule A r&me
de lui assurer la p6rennit6 des positions que lui a acquises la Revo-
lution de 1946. Ceci suppose une oeuvre de longue haleine et de
toute aussi longue patience. L'effort A accomplir est grand, la thche,
ardue; mais que represente cet effort, cette tAche A c6te du. rsultat
escom pt6? L'enjeu vraiment est d'inmportance et merite qu'on s'y
interesse.
En attendant ce moment encore lointain qui verra l'6panouisse-
ment de notre syndicalisme appuy6 sur une conscience collective
6clairee qui en fera une vraie force de travail, n'y aurait-il pas
lieu de penser A une amelioration des rapports du syndiicat et du
patronat?
Une conception erronee, heureusement, veut voir dans ces deux
facteurs sociaux deux ennemis irr&conciliables don't les int6rets op-
poses ne s'accommoderont jamais d'aucun rapprochement. 11 y a 1A
un prejug6 don't la persistence ne peut 6tre que prejudiciable a
l'int6ret national. Mais cette fagon de penser ne se trouva pas seule-
ment d'un c6te, et la routine de 1'entendre est telle qu'on a fini par
la croire une v6rit6 transcendentale.
Si A un moment donni la lutte synd.cale a k6t si vive entire le
salariat et le patronat, il faut en accuser les -deux. Le patronat, le
seigneur d'hier, retranch4 derriere les murs de ses anciens privi-

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 65

leges, n'entendait point s'aocommoder des inimpratifs de la Rlvolu-
tion, et fort de ces nouveauix droits, le salariat n'entendait rien pe-
der. Y a-t-ifl maintenant une detente?

Il est que maldeureusement cet 6tat d'esprit demeure encore chez
beaucoup de patrons. Le nouveau rapport entire salaries et em-
ployeurs, n6 des normes de la R6volution de Janvier, n'est pas de-
finitivement accept par le patronat qui semble y trouver une vio-
lation de ses droits les plus l6gitimes. Ainsi s'expliquent ces derniers
soubresauts politiques qui ont eu ,pour but le renversement d'un
ordre de choses qui ne pouvait rencontrer i'adfh6sion d'une classes
patronale si jalouse de ses privileges. Un tel climate d'opposition et
de mefiance pouvait-il engendrer entire ces deux classes une .at-
mosphere favorable a la solution des probl6mes susceptibles de les
diviser?

L'intransigeance d'un patronat cramponn6 aux debris d'un codn-
cept desuet qui lui reconnait des privileges don't il est loin d'oublier
les avantages demesures, est incapable d'aplanir les difficulties qui
peuvent surgir entire salaries et employers. Bien des fictions se-
ront 6vit6es du jour ou le patronat acceptera I'ordre de choses ins-
taurees par la Revolution, qu'il ne lui r6pugnera pas d'entendre- et
d'examiner les dol6ances du salari6, acceptera sans contrainte -
comme aujourd'hui de s'asseoir avec lui autour de la table de
discussion et de rechercher ensemble, dans une s6r6nit6 de bon
aloi, la solution qui s'impose aux problems ou aux questions d'int&-
rkt general. C'est cet etat d'esprit qu'il imported de creer et de ia-
voriser.

La Revolution a donn6 au travailleur des droits auxquels il ne
renoncera pas. Toute reaction, tout 6tat d'esprit tendant a les lui
enlever ne fera que provoquer sa propre reaction et rendre impos-
sible ce climat d'entente si necessaire a l'6volution de la comnnu-
naut6 haitienne.
Notre devoir est de cr6er ce climate et de rechercher ensemble,
dans une atmosphere de paix et de concorde I'union dans le tra-
vail cette tranquillity des consciences qui semble fuir aujourd'hui
le monde et le laisse expos A la folie destructrice d'une humanity
od ne se trouveraient plus des homes de bonne volnt&. Notre
pays, plus que les autres, a besoin de paix: notre production est
insuffisante, notre industries embryonnaire, notre activity econp-
mique si an6mique que la sous-alimentation qui mine nos popula-

<66 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

tions se constate sur le visage du monsieur qui passe, du gosse don't
le regard terne, inexpressif, devoile tout le drame de sa jeune vie
de martyr...
Les promoters de ce Premier Congrbs National du Travail au-
ront fait oeuvre utile. Des suggestions des d6l6guis, des comimuni-
cations de nos spec'alistes des questions du travail, auront enrichi
motre experience personnelle, et contribute peut-4tre a une meil-
leure adaptation de notre charte du travail.
Que dire de notre nouvel organisme du Bureau du Travail?
Le Gouvernement du 16 Aofit en ajoutant a nos institutions natio-
nales ce nouvel organisme, a, des le debut meme de sa constitution,
affirmed sa fer.ne vclont6 de changer le statut des classes laborieuses.
Cette affirmation s'est manifested A une 6poque oii les tendances
s'entrechoquaient encore, creant A travers le pays, une situation
politique chaotique. Et c'est au beau milieu de ce chaos que fut
ins cii le Bureau du Travail et compl6tee une legislation du travail
tendant A la normalization des rapports du salariat et du patronat.
Le Syndicat des Travailleurs, Debardeurs et Trieuses des Cayes,
don't j'ai l'honneur de presider la Dl66gation a ces importantes as-
sises. dans ses rapports avec le Bureau du Travail des Cayes n'a
point manque d'apprecier toute 1'utiliti de cet organisme devenu si
p-pclaire qu'il nest pas un coin de la region oi l'on ne vienne lui
soumettre ses dol6ances.
De date r~cente, cette institution, j'ose dire, a deja affirm6 son
importance et sa n6cessit6 i un point tel que sa disparition serait
consid6r6e a l'6gal d'une calamity. C'est une des oeuvres les plus
en6ritoires du Gouvernement du Pr6sident Estim6. AppelM a veiller
A l'application des lois et reglements relatifs au travail et aux con-
ditions du travail en Haiti, il s'est jusqu'ici acquitt6 de sa tMche
dans un sens d'objectivit6 qui lui fait honneur.
Le Bureau des Cayes n'a pas un seul jour demnrit6 de la faveur
populaire et si d'un autre c6t6, on hui fait grise mine, il nest pas
difficile d'en concevoir la cause: la routine d'un ktat de choses donne
les droits les plus lgitimes A sa perpetuation, peuvent en croire
les 6ternels beneficiaires.
On permettra au Syndicat des Travailleurs, Debardeurs et Tri-
euses des Cayes de rendre un homage merit6 a 1'oeuvre de Justice
social du Gouvernement du Pr6sident Estim46. Ce Gouvernement
ne s'est pas departi de la ligne de conduite qu'il s'est tracAe d'es le
debut de sa prise du pouvoir. La promesse du Chef de l'Etat de

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 67

ne porter aucune atteinte a l'exercice des liberties democratiques
n'a pas 4t6 un seul instant dementie. Si les circonstances de la vie
politique de ces derniers temps l'ont oblige a deriter 1'rtat de
siege, seuls en sont responsables ceux-Ia qui ont voulu croire que
des limits de la liberty, ils s'aventureraient jusqu'aux frontieres
de la licence et de l'anarchie, ou qu'ils pousseraient leur humanisme
si loin que leur conception de la patrie se serait amenuisbe au profit
d'un concept plus large qui l'6tend a toute 1'humanite.
Le President Estimn a affirm- que les syndicats ne seront jamais
opprimns dans leurs revendications, c'est une forte garantie que le
travailleur continuera de jouir de son nouveau statute tout au course
de son mandate presidentieL N'incombe-t-il pas aux travailleurs de
le soutenir, de se rallier autour de Son Gouvernement et de Le
defendre contre les forces de la reaction. Qu'on se dise que !'interkt
d-i salari6 est en forotion de la stability de l'ordre de choses institu6
par les CINQ GLORIEUSES, et que tout movement n'a d'autre
but que celui d'enlever aux travailleurs les droits que leur a re-
connus la R6volution.
Sonthonax, a dit Madiou, en remettant un fusil a un nouveau
libre, disait: < rendre esolave>>.
Je vous dis moi-m&me, travailleurs, mes frires: vcelui qua voudra
le renversement de l'ordre actuel voudra vous rendre esclave6>.

68 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

GARANTIE DE SECURITY DE L'EMPLOI

COMMUNICATION DU SYNDICATET DES EMPLOYES D'HOTELS,
CAFES, RESTAURANTS, etc..
Par M. VILVERT MEROSIER, Tr6sorier

Monsieur le President du Congres,
Messieurs les Membres du Bureau,
Camarades-Congressistes,

D6e1gu6 special du SYNDICATE T DES EMPLOYES D'HOTELS,
CAFES, RESTAURANTS, etc.> a ces importantes assises nationals
de ce Premier Congres du Travail, don't les grandes lignes reposent
sur l'axe fundamental du Droit et de la Justice, pr-conises par cette
Politique du Pouvoir que le Gouvernement Progressiste du 16 Aofit
1946 a inauguree au seuil meme de son mandate et qui reste une
des plus solennelles manifestations de I'Esprit Panambricain de la
DWmocratie Occidentale, je manquerais a un devoir precieux si, au
nom de l'Organisation que je represente officiellement ici et en mon
nom prcpre. je n'adressais. tout d'abord, des remerciements au Co-
mite d'Organisation de ce Congres pour l'insigne honneur qu'il nous
a fait, a nous tous de la classes ouvriere, en nous conviant a cette
Fraternelle Reunion de I'Esprit et du Coeur. Un grand merci aussi
au Bureau du Travail et, particulierement a son Titulaire. Une pen-
see special a Son Excellence le President de la Rkpublique sous la
Presidence d'honneur de qui est plac6 ce Congres et qui le rehausse
de Sa presence. Celui dont la haute conception politique a permis
la realisation de ce project. Et, dans un sentiment de profonde gra-
titude, j'associe a ces remerciements et a ces hommages sinceres
la F&edration Haitienne du Travail a laquelle j'appartiens aussi.
par droit de filiation, et je prie son President, ici present, le cama-
rade Milien JOSUE de bien vouloir accepter les compliments du
< don't je
suis le fiddle interprete, compliments qui sadressent aussi au Ca-
marade-Secrktaire, Moliere Jh. COMPAS, actuellement A Monte-
video oi il participe, en quality de representant de la Classe Ou-
vriere, A la IVe. Conference Interam6ricaine du Travail.
Maintenant, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers Cama-
rades, avant de deposer cette non moins important communication
sur les bureaux du Congres, au nom du Syndicat que nous avons
I'honneur de representer en cette enceinte, nous allons t&cher, A la

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 69

lumiere de la Raison et de l'Exp&rience, de d6finir ses grades lignes
et de soumettre le developpement A la haute appreciation de l'As-
semblie.
Cette communication a pour thbme: LA GARANTIE DE SlCU-
RITE DE L'EMPLOI, theme choisi par le Syndicat, pour marquer,
d'une fagon effective, sa participation rhedle a ce Premier Congres
National. Ce theme rApond bien A l'aspiration l1gitime de ses mem-
bres don't nous faisons parties et qui r6alisent, en consequence, rim-
portance de leur r6le et de leur mission dans 17volution de la classes
a laquelle ils appartiennent et restent attaches par des liens natu-
rels aussi solides que durables.
Nous pensions qu'il est indispensable pcur les organizations syn-
dicales de garantir la p6rennit6 de cette oeuvre et de travailler, en
commun, au plein 6panouissement de ses ideaux.
En 6tudiant A fond les principles essentiels qui sont a la base de
cette Institution, le Syndicat des Employes d'H-tels, Caffs, Restau-
rants, etc.* croit devoir souligner 1',conomie que represente pour
la Nation une discipline bien ordonnke au sein des Syndicats. Cette
discipline suppose la strict application et l'observance reguliere des
lois morales, axles sur une Nouvelle Philosophie Politique A base
de comprehension mutuelle et d'entente r6ciproques. La loi de l'offre
et de la demand qui vient 1'rencontre de tous principles de Mono-
pole cree certaines obligations 6conomiques et morales qui lient
6troitement le Consommateur et le Producteur. Ce qui explique
assez clairement le r6le devolu au Patronat et au Salariat qui se
doivent A eux-memes de collaborer A cette Union indispensable A la
sauvegarde de l'Economie Nationale.
Le Mouvement Social qui s'est d6velopp6 dans le monde et qui
s'affirme davantage, pose le principle mIme de la Securit6 de l'Fm-
ploi, devant &tre garantie, pour la protection des interets communs
de l'Employeur et de l'Ermploy6. L'ouvrier ne doit plus etre exploits
par le patron. Et cette exploitation, croyez-le bien, Mesdames, Mes-
demoiselles, Messieurs, ne cessera d6finitivement que quand le
Patronat aura bien compris son rdle vis A vis du Salariat, quand
il n'y aura plus de Maitres, mais des Associ6s, ayant des initrets
communs A defendre et les memes obligations envers la Soci6td,
arvec cette difference que l'un a invest dans l'Entreprise qu'il dirige
un capital liquid et que 1'autre y apporte, en collaborant, le capital
de ses bras et de son courage tout aussi necessaire au suceZs et A
la prosp6rit6 de cette Entreprise.

70 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

La vraie garantie de cette security dans 1'Emploi reside dans le
respect reciproque des parties et des engagements qu'ils ont eus ou
auront librement contracts entire eux. II imported, et c'est 1'essen-
tiel, que des protections de plus en plus large soient accordies a
rouvrier, A PlArtisan Haitien qui est un auxiliaire precieux du Pa-
tron, qu'une Commission spiciale soit formte au sein de la F6d6ra-
tion HaYtienne pour 6tudier Ils modaiit&s de cette garantie, en
function des intr&rts syndicaux et des membres qui le composent
et trouver une solution plus appropri6e aux problemes que pose
cette faculty d'embauchage laiss e aux soins des patrons, bien que
contr6ke par 1'Etat et r6gularisee par la loi sur le Travail et sur
les contestations ouvrieres.
Cette commission sera compose d'autant de membres qu'il y aura
de Syndicats de la Capitale affilies A la F&dIration Hiaitienne du
Travail et si6gera, toutes les fois qu'il sera n6cessaire, sous la presi-
dence effective du Pr6sident de cette Centrale Ouvriere. Elle aura
pcur mission de proceder A 1'embauchage des 614ments que les as-
sociations interesees lui auraient recommand6s et qu'elle doit re-
commander A son tour au Bureau du Travail qui en fera definitive-
ment le n6cessaire. Elle aura le soin de contr6ler, les formalit6s
prLrminaires une fois remplies, si I'Entreprise a observe les dispo-
sitions de la loi r6glementant le Travail et si 1'embauch6 a requ
toutes les garanties de s6curit6 A son emploi. Car toutes les measures
doivent 9tre prises, au pr6alable, et avant m6me que l'ouvrier soit
embauch6, pour que les obligations verbales ou 6crites contracts
soient respect6es de part et d'autre, pour que 1'entente et la bonne
harmonies r6gnent entire ces deux Associ6s que sont le Patron et
l'Ouvrier.
C'est dans ces sentiments, Messieurs de l'Assembl6e, et voulant
etre utile a la Communaut6 ouvriire don't nous faisons parties que
le SYNDICATE DES EMPLOYES D'HOTELS, CAFES, RESTAU-
RANTS, etc.) a I'honneur, par notre organe, de d6poser sur les Bu-
reaux du Congres, avec l'espoir que cette important Communica-
tion saura retenir votre attention.
Nous souhaitons, tant au nom du Syndicat qu'en notre nom per-
sonnel, tout le succ&s possible a ce Premier Congres National du
Travail, persuade que de ces Assises sortira un bien-4tre de plus
en plus grand pour la classes ouvriere et pour le pays tout entier.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 71

CARACTERISTIQUES ECONOMIQUES
DANS LA LISTE MINIMUM DU RECENSEMENT
DE 1950

Par le Dr. LUCIEN HIBBERT

Tout d'abord en quoi consiste le riques>>.
Voici, pour vous 6clairer IA-dessus, le texte de la Resolution vote
par le premier Congres D6mographique Inter-Am6ricain, tenu a
Mexico dans le courant du mois d'Octobre 1943:
Le Premier Congres D6mographique Inter-Am6ricain recom-
mande:
Que les Gouvernements Am4ricains prennent les measures neces-
saires pour raliser, dans le courant des ann6es 1950 et 1951 un
Recensement du Continent Am6ricain; et que, en plus de 1'aspect
purement d6mographique, ce Recensement permette de dkerire aussi
complZtement que possible, 1'Economie Sociale des Pays de l'Am6-
rique suivant le plan de base qui sera 6labor6 par l'Institut Inter-
Am6ricain de Statistique et approuv6 par les Gouvernements Am&-
ricains, sans prejudice du fait que chaque Etat puisse donner a
l'op6ration ci-dessus mentionn6e toute l'amplitude qu'il jugera d6-
sirable, et cela en accord avec ses n6cessit6s administrative int6-
rieures et son experience national propre>.
La Resolution du Premier Congr6s D6mographique Inter-Ameri-
cain fait done appel par designation directed & lInstitut Inter-Am.ri-
cain de Statistique pour 6tre le Centre de Coordination de 1'effort
demographique des Etats Ambricains. C'est l'Institut qui est invest
de la responsabiilit6 des measures a prendre pour que les divers d6-
nombrements nationaux devant etre r6alis6s dans le courant des
ann6es 1950 et 1951, soient conduits suivant des m6thodes suffisam-
ment uniformes et suffisamnment comiparables pour qu'il soit pos-
sible de les grouper en un Recensement d'ensemble unique du Con-
tinent intitul6 Maintenant que vous ktes inform au sujet du 1950 des Amnriques*, il apparait oomme indispensable que vous
preniez contact avec l'Institut Intbr-Am6ricain de Statistique qui
est l'organisme charge de la r6alisation de cette grande entreprise.
L'Institut Inter-Am6ricain de Statistique a Wt6 cr66 le 12 Mai 1940
& Washington par le huitieme Congres Scientifique Am6ricain. Ses
buts ont Wte precis6s par le Congres lui-mirme dans l'ordre suivant:

72 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

a) Aider a l'amelioration des Mfthodes de rocueillement des don-
neas statistiques, de leur mise sous forme de tableaux, et aussi des
mithodes 'analyse et de publication des Statistiques officielles et
non officielles;
b) Encclrager toutes les measures susceptibles de rendre large-
ment disponibles les statistiques 6concmiques et sociales des diff4-
rentes Nations Americaines et sous une forme qui permette une
comparaison facile;
c) Faciliter la collaboration professionnelle entire les Statisticiens
de 1'himisphbre;
d) Coop0rer avec les organizations nationals et internationales
en vue de 1'avancement et de 1'extension de la Science Statistique.
Une fois invest du mandate donnd par le Congres Demographique
Inter-Am6ricain de Mexico, I'Institu't Inter-Am6ricain de Statistique
s'est attelk a la besogne qui lui avait kt6 assignee. Il incorporait A
son programme d'activites le Projet de Recensement des Nations
Am6ricaines, et en Janvier 1946, A Rio de Janeiro, A la deuxieme
Session de son Comit6 Ex6cutif, le Comitk du Recensement de
1950 des Ambriques, itait cr66, Comit6 que l'on dcsigne aujourd'hui
-d'une maniere courante come le COTA ou le (Census of the
Americas>.
Le Comiti du Recensement de 1950 des Amiriques>, le COTA,
est formn4 d'un Repr6sentant de chacune des 22 Nations Americaines,
le Canada compris; de pref6rence ce Representant est le teehnicien
responsible de la preparation et de la conduit du Recensement de
1950 dans son Pays d'origine. La premiere Session du COTA s'est
tenue a Washington du 2 au 16 Septembre 1947. Le travail realis6
s'est condense en 16 Resolutions, toutes votees en seance plkniire.
Des 16 Resolutions, nous nous arrkterons aujourd'hui seulement
A la deuxieme. Elle est intitul6e sement Inter-Americain de Populations. Cette Resolution est tres
important et le mieux est de vous donner la traduction de son
texte:
Washington, D. C., du 2 au 16 Septembre 1947, decide:
I. D'adopter comme ment Inter-Americain> en dehors des demands usuelles concernant
le nom, l'adresse, etc., les questions suivantes:
1. Relation par rapport au Chef de mason;
2. Sexe;
3. Age;

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 73

4. Statut matrimonial;
5. Lieu de naissance;
6. Naturalisation;
7. Lecture et "criture;
8. Niveau d'instruction;
9. Langue maternelle:
10. Population r4muneree:
a) Occupation individuelle;
b) Branche d'activit& 6conomique;
c) Categorie de l'emploi.
II. De soumettre pour uine 6tude ditaillee au Bureau de
Coordination> du riques> les points suivants, en tenant compete dans cette etude
des opinions exprimbes durant les debats, des rapports 6tablis par
les Sous-Comites sp&ciaux et des changes de vues avec les Repr&-
sentants des Organismes nationaux et internationaux.
1. D1finitions et normes de classification au sujet des points
ci-apres faisant parties du programme minimum:
a) Relation avec le du Recensement;
b) Statut marital;
c) Niveau d'6ducation;
d) Langue maternelle;
e) Population remuneree.
2. Possibilit6 d'ajouter au programme minimum les questions
qui suivent:
a) Nationality;
b) Revenu provenant des salaires et appointments;
c) Fertility;
d) Caract6ristiques culturelles;
e) Donn6es sur les maisons d'habitation;
f) Population urbaine et population rurale;
g) Population d.pendant 6conomiquement de l'Agricul-
ture>.
Il y a encore deux paragraphes dans la deuxieme resolution que
nous ne citons pas, leur contenu ne se rattache pas au sujet qui est
traits ici. Du questionnaire deji adopt par COTA, c'est la 0lme.
question qui nous int6resse directement et dans la liste suppl6men-
taire encore a 1'examen, seule la question (b) a 6ga'lement pour
objet les caract6ristiques 6conomiques de la population.

74 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

La 106me. question vise essentiellement au denombrement de la
population qui travaille, c'est-a-dire la parties de la population total
qui est rdmuneree, qui regoit comme prix de son effort une com-
pensation en especes; tandis que la Question (b) de la liste suppl&-
mentaire vise de son c6te, a faire 1'inventaire des revenues prove-
nant des salaires et des appointments pays aux personnel denom-
braes sous le couvert de la Question 10.
Arretons-nous d'abord A la 10e. Question. Elle est la traduction
directed du concept du travailleur remunedr ou en anglais le worker concept>. Un travailleur remunire est une personnel qui
usuellement ou pendant la plus grande parties de l'annje ex&,ute un
travail qui lui rapporte une compensation en argent ou un revenue
equivalent A de l'argent, ou une perso'nne qui prete une assistance
r6tribuee a la production de biens qui se vendent. Le concept du tra-
vailleur qui regoit une remuneration, le
ne considere pas l'dpoque precise pendant laquelle la personnel a
6t6 employee, il ne demand m&me pas si la personnel travaille ou
ne travaille pas au moment du Recensement. Le but fundamental de
ce concept est de determiner le chiffre de la population qui travaille
pOUT de I'argent; la personnel est comiptee comme travailleur r6mu-
nbr6, soit qu'elle travaille effectivement, soit qu'elle recherche un
travail r6mun6r6 mais se trouve momentandment sans travail. La
measure au course d'un Recensement de la population qui travaille
en adoptant la notion du conduit A formuler trois
questions distinctes dans le Questionnaire du Recensement:
Premiere Question. -
Occupation. A cette fin, il existe une classification des occupa-
tions individuelles en preparation par l'Office international du tra-
vail.

Deuxieme question. -
Branche d'activit6 6conomique. Ici, il existe deja pour servir
de guide une activities 6conomiques>> publiee par les Nations Unies.
Troisieme Question. -
Categorie d'emploi. a) Employes; b) Employeurs; c) Personne
travaillant pour son propre compete; d) Membres de la famille qui
travaillent sans i-6mun6ration directed.
Dans les feuilles imprimbes, 6tablies par notre Bureau de Recen-
sement et qui ont servi au Recensement de la Ville de Port-au-

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 75

Prince, ce sont les questions 28, 29 et 30 qui concernent les tra-
vailleurs r6mun6ers:
28. Profession ou m6tier;
29. Industrie;
30. Type d'emploi.
elles 6taient destinies A fixer le chiffre de la classes du vGainful-
workers.

Jusqu'ici le Bureau de Recensement n'a pas fait conhaitre les
r6sultats obtenus; seuls le chiffre total pour Port-au-Prince, le chif-
fre de la population mile et le chififre de la population femelle ont
Wt6 donn6s. Nous attendons avec int6rgt la publication des nombres-
trouv6s par sexe pour la population qui travaille. Je rappelle les
chiffres deji connus:

Population total
Hommes et Femmes............................ ..... 142.108
Population total Hommes.......................... 60.788
Population total Femmes........................... 81.320

Total ............................. .............. 142.108 142.108

Toutefois, la proportion des hommes par rapport aux femmes,
telle qu'elle resort du Recensement apparait comme assez faible;
elle est de 74,75 homes pour 100 femmes ou environ 75 homes
pour 100 femmes; ce qui est particulihrement bas.

Le < m.6rer tous ceux qui participent quotidiennement, ou tout au moins
pendant la plus grande parties de la semaine, aux activists 6cono-
miques du pays. Est consid6r6e comme < toute per-
sonne qui travaille contre r6mun6ration au moins pendant une
journee chaque semaine. L'exp6rience a montr6 que le worker concept> permet une classification nette et bien definie de
95c% de la population au moins. Les 5% de la population, pour les-
quels il se pr6sente des difficulties, comprennent le plus souvent
les personnel qui travaillent une tres faible parties de leur temps,
ou encore les 6tudiants, les maitresses de maison, les personnel qui
travaillent sans retribution sur la ferme familiale, faisant A la fois
du travail domestique et du travail productif, et enfin les
personnel A la retraite mais qui ont une tendance A indiquer leur
ancien emploi actif. L'existence de ces groups de personnel, que

76 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

1'on peut appeler des groups marginaux, ne fausse pas beaucoup
la c.assification faite suivant le cGainful worker concept; et le pour-
centage d erreur provenant de cette classification, n'est pas supe-
rieur au pourcentage que ron constate au sujet d'une classification
aussi courante que celle qui vise a cc:rpter les lettr-s et les illettris,
dans le cadre de la Question 7. minimum dfjA adopt6e.
L'autre concept en competition avec le est le <. Le cLabor forces, c'est-Ah-ire le group
des personnel eifectlvement au travail. <(LS Labor force concept>
consil1re 1'actlvita cde la personnel dencmbr6e pendant une court
periode prec6dant le jour fix6 pour le Recensement et ne tient au-
cun compete de la notion d'activit6 usuelle de la personnel qui est
directement a la base de l'idee du < Le eLabor force concepts conduit A poser six Questions pour le
Recensement au lieu des trois du Premiere question. -
La personnel a-t-elle travaille pour un salaire ou une r.&mun6ration
durant la semaine, de telle date a telle date? Rhponse: Oui ou
non.

Deuxieme Question. -
Si la personnel n'a pas travaille, cherche-t-elle un travail? Oui ou
Non.

Troisieme Question.-
Si la personnel n'a pas travaille et ne cherche pas un travail, avait-
elle un employ? Oui ou Non.
Quatrieme Question. -
Occupation (mrme sens que pour le c(Gainful worker>).

Cinquieme Question. -
Branche d'activit6 b.conomique (mime sens que pour le worker>).

Sixieme Question. -
Categorie d'emploi (mime sens que pour le ).
Done, deux fois plus de Questions que pour le Gainful worker
concept. Mais, alors que le quement a la measure de la population 6conomiquement active, le

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 77

dtabor force concepts donne la possibility d'aller pius loin. Les
Questions du Recensement qui traduisent ce dernier concept per-
mettent de denoanbrer s6par&nent les personnel employees et les
non employees; et c'est l'addition de ces ,deux categories qui don-
nent le cLabor force. Mais les diffioulths de classification qui sur-
gissent dans le Recensement du faith des trois (3) Questions suppl&-
mentaires qu'exige le ont jusqu'ici retarded son emploi g6nrahais6, et laiss6 la preference
au . Seulfs les Etats-Unis d'Ambrique ont
dejA utilis6 le Labor force concept en lieu et place du cGainful
workers au course d'un Recensement National: le Recensement "Na-
tional de 1940.
Le Questionnaire du Recensement de Port-au-Prince a choisi le
28. Profession ou Metier;
29. Industrie;
30. Type d'emploi.
II a ajout6 la Question 31:
31. Combien de semaines avez-vous travaill6 durant les douze
(1V2) derniers mois.
Cette derniere Question represente une tentative de mesurer la
population active ou non employee, s6par6e de la population active
employee. Les resuiltats obtenus n'ont pas W6t encore publics.
Et nous arrivons a la Question (b) de la liste suppdlmentaire
encore A 1l'tude et non encore approuvde par le censement de 1950 ides Ameriques>>. La Question (b) de la liste
suppl6mentaire est ainsi libell6e:
b) Revenu provenant des salaires et appointments.
Les Etats-Unis, le Canada et Cuiba sont les seules Nations de 1'h6-
misphere cjui aient jusqu'ici introduit dans leur Recensement une
demand concernant le revenue. Les autres Nations Americaines
paraissent beaucoup hesiter a placer une tell Question dans leur
Questionnaire. Et le Bureau de Coordination du censement de 1950 des Ameriques> au course de sa Session tenue a
Washington en Septembre 1948 a laisse toute liberty aux Nations
amiricaines d'inclure ou de ne pas inclure information sur le Re-
venu dans le Recensement de 1950 .du Continent Amricain.
La Question 31 du Formulaire du Recensement de la Population
de la Ville de Port-au-Prince:

78 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

Question 31. Approximiativement combien d'argent avez-vous
gagn diurant ces douze (12) derniers mois?
Est un essai de mesurer le revenue de la population 6conomique-
ment active de la ville de Port-au-Prince. II ne semnble pas que les
reponses A cette Question aient Wte faites avec la sinmerit& qui aurait
permis de considerer les donnees reoueillies come formant une
enquete statistique valuable sur le revenue de la population active
de Port-au-Prince au sens du cGainful worker concept*.
Pcur conclure, nous exprimons le souhait que le Dlpartement du
Travail et le Bureau de Recensement collaborent le plus 6troite-
ment possible, en vue du Recensement de 1950 de la Population de
la Republique qui devra permettre d'evaluer avec une certain
precision sur la base du eGainful worker concept* la portion de la
Population total d'Haiti qui forme la population active recevant
une remuneration en argent pour son travail.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 79

STATISTIQUE DU TRAVAIL

Par MARCEL DAUMEC
Sous-Chef de Service au D6partement des Finances
Attache an Bureau de Recensement

Messieurs les Secrltaires d'Etat,
Mesdames,
Messieurs,
A l'Apoque ou nous 6tudions les Sciences Economiques et la Sta-
tistique aux Etats-Unis d'Am6rique, un de nos professeurs nous
r6p6tait souvent, afin de nous stimuler, cette r6flexion d'un grand
6conomiste amricain: < il est presque certain, du train ou va la Mkthode, que lhistorien
averti en commengant par l'6re de la vapeur, vantera celle de l'@lec-
triciit et etonnera ses lecteurs lorsqu'en parlant de celle que nous
vivons actuellement, il la proclamera comme 6tant celle de 1'atome
et des Statisticiens>.
D'aucuns trouveront peut-etre dans cette reflexion un reflet de
l'hiumour de nos voisins d'Amerique. Nombre d'aiutres pourtant y
dcl61eront, avec raison, la grande importance que lon accordle outre-
mer aux daits prlsent6s sous forme de tableaux ou de graphiques,
d'une facon claire et precise. A I'heure actuelle, lon petut avancer
sans crainte de se trooper, que la conduite des affaires de I'Etat,
d'une Industrie ou d'uin Commerce ne se concoit pas sans la statis-
tique. Chez nous oil les probklmes de toute collectivity se posent,
sinan avec la m6me acuite, du moins dans les mimes formes, il se
constate, heureusement depuis quelques temps, un interet grandis-
sant pour ,cette m6thode scientifique, tant dans les spheres adminis-
tratives que dans les millieux commerciaux, industries ou culturels.
Repmndant A l'aimable invitation de l'Hanorable Sous-Secrtaire
d'Etat du Travail, je vous entretiendrai brievement de la Statis-
tique de l'emploi, du chamage et de la main-d'oeuvre, de l'aide que
vous, Industriels, Commergants, Employes, Artisans et Choneurs,
pouvez apporter a l'Administration dans IlEtablissement de ces sta-
tistiques et du profit que vous en tirerez.
Je ne vous apprendrai pas grand chose en vous disant que la sta-
tistique du Travail n'a jamais exists chez nous. Les donnies que
dans le pass l'on pouvait obtenir sous ce rapport n'etaient que de
pures estimations, sans aucune base scientifique s9rieuse. Ce n'est

80 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

que depuis le fonctionnement effectif du DEpartement du Travail, il
y a un peu plus de deux ans, que des efforts tres dignes et tries
louables ont &t6 faits pour F btablissement de ces statistiques, no-
tamment par la preparation dans des centres avances, tels que
Washington, d'un personnel qualifi4 et entraine.
Pour etablir la statistique du Travail, et d'une fagon speciale pour
obtenir des donn-es de base pr6cises concernant 1'emploi, le ch6-
mage et la main-d'oeuvre, dans toutes les branches d'activit6 6cono-
mique, commercial, industrielle ou agricole, il est indispensable
d'entreprendre le recensement methodique de la population.
Sans le recensement, toutes les donn6es que 1'on pourrait recueil-
lir par 'd'autres moyens ne peuvent pas ktre utilisees avec certitude
car le pourcentage d'erreurs et d'omissions, dans ces cas, serait
trop 6leve.
Le recensement permettra lui seul de savor exactement quel
est, a un moment d6termind le nombre de personnes qui travaillent,
la branch de l'Industrie dans laquelle ils travaillent, leur profession
ou metier et le nombre de ceux qui ne travaillent pas.
Des renseignements de premiere main sont ainsi recueillis pour
les principles regions et les centres de population, pour les diff6-
rents groups professionnels et la situation professionnelle, en ge-
neral, pour chaque sexe selon 1'etat matrimonial et pour les diff&-
rents groups d'age.
Les statistiques que l'on obtiendrait de ce fait, engloberaient donc
toutes les branches d'activite 6conomique et tcutes les situations
professionnelles et des donn6es precises sur la puissance de travail
de la Nation seraient 6galement obtenues. II sera aussi possible
d'evaluer le rendement probable -de chaque region du pays. de cha-
que group professionnel et de chaque group d'Age.
L'Administration, les Patrons, les Chefs d'entreprises commer-
ciales, industrielles ou agricoles, trouveront a la publication des
r-sultats. des renseignements inappr6ciables qu'ils seraient dans
I'impossibilite de trouver par eux-memes sans le recensement, en
vue de I'l1aboration rationnelle d'une politique kconomique et du
Travail, de 1'extension et de l'amnlioration des entreprises dfja exis-
tantes ou de la creation de nouvelles dans les regions oii la main-
d'oeuvre, abondante et qualifi6e, offre plus d'avantages.
Ainsi. pour la ville de Port-au-Prince, don't un recensement d'essai
a eu lieu, il y a A peine trois mois on peut deja dire en attendant la
publicatibn prochaine des r6sultats detaill6s, que le nombre total de
peYsbrines ages de 14 a 50 ans a la Capitale est de 87.895 personnel

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 81

soit 36.488 Homnmes et 51.407 Femmes. En mettant de c6te les 6lkves
des 6coles, les 6tudiants, les mattresses de maisons, les infirmes et
les malades, on peut estimer la puissance de travail de la Capitale
a 55.000 personnel environ.
II est done de votre inter6t bien compris, employers et employes,
de favoriser par tous les moyens en votre pouvoir une pareille ini-
tiative de 1'Administration don't vous serez les premiers A tirer
profit.
Ce premier travail de base rlalise, les donnies ainsi recueillies
devront &tre renouvel6es a des intervalles determines, par des
series courantes trimestrielles ou annuelles.
Un des moyens les plus efficaces pour le renouvellement de ces
chiffres est l'&tablissement du systeme des Assurances Sociales,
dans toutes les branches d'activit6 commercial, industrielle et agri-
cole. Nous ne ferons pas 6tat des avantages sociaux, trop sociaux,
trop ividents par eux-m&mes, que comporte pour le travailleur et le
patron, un tel systeme qui fonctionne dans la plupart des pays, ni
n'entrerons dans le detail de son organisation 6ventuelle qui in-
combe plutSt aux specialistes du Departement du Travail, disons
seulement que, du point de vue qui nous occupe, l"4tablissement
en Haiti du systeme des Assurances Sociales obligatoires pour tous
les travailleurs, constituerait la source courante la plus sfire pour
le renouvellement des statistiques completes sur 1'emploi, le ch6-
mage et la main-d'oeuvre car l'Institution qui en serait chargee pos-
s6dant urne fiche d6taill6e de chaque travailleur serait a meme de
fournir des chiffres exacts sur l'emploi et la main-d'oeuvre.
Par ce system, comme vous le savez, toute personnel, quelle que
soit la branch dans laquelle elle tra-vaille, serait assure obligatoire-
ment. Une contribution qui serait de 31' du salaire du travailleur,
comme dans la phroart des pays, alimenterait la caisse de cette Ins-
titution et serait verse par l'Etat, le travailleur lui-mPme et le
patron.
Le contr6le du ch&mage se ferait par des Bureaux de placement
souch6e au D6eartement du Travail. Ces Bureaux. outre leurs at-
tributions regulieres, auraient pour tache d'entreprendre des son-
dages periodiques dans les principaux centres de torulation. La
6&me. Conference Internationale des Statisticiens du Travail, tenue
h Montreal en Aofit 1947 recomimande d'utiliser, a defaut de sources
completes comme celles mentionnees plus haut, les 6tats de ehcmage
dresses par les Syndicats et montrant le nowmbre de personnes en
quAte d'un emploi qui n'ont pas Wtd places. Nos Syndicats qui n'ont

82 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

pas encore etabli au profit de leurs Membres de pareils itats, ent
certes, maintenant l'opportunitk d'y penser, ce qui aiderait 1'Admi-
nistration a obtenir des chiffres approximatifs pour le ch6mage.
Un autre moyen employee pour le renouvellement des Statistiques
du Travail est le system des rapports periodiques volontaires faits
a I'Administration par les Chefs d'entreprises commercials, indus-
trielles et agricoles. Ce Systeme qui. a la rigueur. peut etre employee
chez nous. convient surtout aux pays fortement industrialists: il
permet non seulement d'avoir tous les details concernant le travail
et la main-d'oeuvre. ma:s des renseignements sur le taux de pro-
duction. la moyenne hebdomadaire des heures de travail dans les
Usines et les Ateliers. la movenne des salaires. etc.

Disons enfin pour terminer qu'en vue d'assurer la comparability
ds Statistiques de 1'emploi. du ch6mage et de la main-d'oeuvre entire
les divers pays. il serait utile que soient adoptees les definitions et
les classifications-types recommandees par la 6mrne. Conference
International des Statisticiens du Travail tenue a Montral sous
les auspices du Bureau International du Travail, en Aoit 1947.

Marcel DAUTMEC

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 83

TROIS ANS D'EXPERIENCE
DES PROBLEMS DU TRAVAIL

Par DURESNEL DELPECHE

SECTION A. -Organisation du Travail
La renaissance social 4bauchee depuis longtemps, et d6finitive-
ment consacree, en 1946, par l'organisation du travail, s'est adclom-
pagnee d'une renovation fort appreciable. Mais cette organisation
n'assure pas encore la conservation et la retribution proportionnelle
des capitaux.
Sans doute, on a enregistr6, au d6but, un progres rapide du
syndicalisme: mais .par suite des modifications apporties & la loi
sur 1'organisation syndicate, ce progres decline et semble donner
une impression d'instabilit6 au movement.
Ce ddlin r6suite de deux causes: dune part, rignmirace des tra-
vailleurs et la mauvaise foi des patrons, d'autre part, la situation
6conomique.
En effet, la classes laborieuse compete dans son sein tres peu ou
pas d'616ments capable de discuter les problkmes 4conomiques avec
le Patronat.
Celui-ci n'a jamais pu voir dans les justes et aveuglantes reven-
dications ouvrieres aUtre chose que de 1'anarchisme. C'est un re-
proche adress6 fr6quemment aux syndicats, par les patrons, que
celui de substituer A l'agitation syndicate, l'unit6 'du movement
politique pour consolider le pouvoir d\n Gouvernement qui rave
le bien-ftre de tous. Et le Patronat lui-m&ne, quand il se trouve
accul1, va souvent A la recherche du ,concours des Magnats pour
d6tourner de leurs buts les revendications des Travailleurs.
Ces derniers ne se plaignent jamais contre cette manoeuvre d&-
loyale.
Les Patrons ont toujours peur des graves, mais ne font jamais
aucun effort pour s'entendre avec les forces ouvrieres qui, toujours
recherchent le terrain de 1'entente.
Et par ainsi la lutte fut, on le sait, toujours tr&s dure et trbs vive
entire Salariat et Patronat. Celui-ci vouidrait confisauer le mouve-
ment syndical A son profit, et les syndicats se cabrent toujours
centre cette pretention des patrons, car ils ne voudraient jamais se
laisser domestiquer.

84 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

Alors PEtat, facteur de contr8le, tenant compete des droits d6riv6s
du travail, de meme que des r6alites haltiennes, a jugi necessaire
et opportun de prendre des lois pour juguler les luttes et les ma-
laises sociaux. De cete fagon, il a pu orienter l'aotion des individus
et des Pouvoirs Publics, humaniser le capital, comime 6tant la meil-
leure formula d'equi',bre entire les forces concurrentes de l'econo-
mie.
En l'ooourrence, il serait tout aussi bon de doter le pays d'uu
Code du Travail qui aiderait mieux le Bureau du Travail dans
1'accomplissement de sa tache.
La loi portant A Gdes 3.50 le salaire minimum n'est profitable
qu'aux journaliers, d6bardeurs et portefaix. Elle a sensiblemnent
am6lior6 la condition mat6riele des Employes de Commerce. Dans
la pratique, bon nombre de ces emnploy4s pergoivent encore moins
le salaire minimum. Et ils se trouvent dans i'impossibilit6 d'avouer
manifestement ou m&me en a part>>, le montant reel et exact de
leurs appointments, et cela, pour ne pas courir le risque d'etre
victim des repr6sailles de la part des patrons.
En principle le Bureau du Travail ne peut rien tenter pour obvier
a cet inconvenient, car Particle 52 de la loi sur la dur&e du travail
permet de payer par unit- de temps.
Il s'ensuit done que cette categorie de salaries n'est pas garantie
assez par la loi. II faut trouver un moyen permettant aux agents
compktents ,de contr6ler le paiement effectif de ces employs.
Pour vaincre cette difficult, il serait necessaire, come il avait
6t6 demand par un des ministres du Travail dechu. que les em-
ployeurs 6mettent des ch6ques en faveur de leurs employes, mais
que ces ,cheques soient delivr6s aux destinataires par le Bureau
du Travail.
Cooperatives. Quant aux associations cooperatives bien en-
tendu celles de ma region elles demeurent a l'etat embryon-
naire et tendent meme a disparaitre, parce que inefficientes.
Une bonne organisation s'imnpose dans ce genre d'association.
Il serait tout aussi bon d'ameliorer la condition materielle et le
standard de vie des associations dites cEscouades>>.
Ce serait de bonne politique de crier, au Bureau du Travail, une
section de propaganda pour donner un rYel essor au movement
coop6ratif. Cette section aurait aussi pour mission de preparer quel-
ques 614ments d'4lite de la classes paysanne, et de les placer A la
tate de ce movement.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 85

Cette maniere de faire reussirait mieux aupres des paysans don't
l'enthousiasme cooperatif n'a pas an potential tres Olev&. En g&nr-
ral, les h6sitants opposent plus de resistance devant un intru que
devant un group d'hommes choisis dans leur sein.
La carnpagne, surtout peut tier de grands avantages dans le suc-
ces ,coopratif.
Nous constatons, en effet,. ine augmentation de fainbants dans
les campagnes, et aussi une migration intense de ces individus vers
les centres urbains. Cette cat6gorie de gens abandonnent leurs ter-
res pour ne se livrer qu'A une seule speculation, celle des petitess
loteriesi.
Ce qu'il faut souhaiter, devant un tel 6tat, c'est qu'un &quilibre
plus reel s'etablisse entire les gens des villes et ceux des campagnes.
Non pas 1'uniformitk des conditions, elle n'est ni desirable ni pos-
sible, mais une organisation social qui rende moins sensibles les
carts entire les genres de vie et le standard de vie qui sont la v&-
ritable cause du depeuplement des campagnes. On aura beau lancer
les appeals les plus patb tiques, tant que les agriculteurs compare-
ront leur vie difficile et incertaine aux sfiretds et aux agrrnents
qu'ils croient d4couvrir A la ville, ils seront ddcus, et par cons&-
quent, perdus pour les champs.
Des propos d6sobligeants et certaines falcons d'exploiter le travail
des cultivateurs font de cruelles blessures a la classes laborieuse.
Ces manques de tact, je m'emnpresse de le dire sont moins
le fait des vrais leaders toujours en communication avec le people
d'ofi ils sont issues, que de certain commercants et fonctionnaires
malhonnktes qui exploitent sans scrupule 1'ignorance de la gent
paysanne.
Nous devons nous efforcer a r6soudre ce problem, pour le mo-
ment, par une organisation m6thodique et rationnelle des associa-
tions cooperatives.
L'Angleterre nous offre un bel example. Le movement coope-
ratif a pris une rapide croissance, grace aux efforts d6ployes par
les Denison Maurice, Charles Kingsley, Thomas Hughes et John
M. Ludlow, pour fonder la Cooperative Wholesale Society en 1863.
et la, Cooperative Union en 1869.
En 1935, ces Coop6ratives totalisbrent plus de sept millions de
membres, r6alisant un chiffre d'affaires depassant plus d'un million
de dollars. Et aujourd'hui ce chiffre d6passe quatre-vingt treize

86 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

millions. A elles seules, ces organizations emploient plus de 14.000
employes.
Nous ne devons pas oublier, non plus, le concours efficace donn6
par les L6gislateurs Anglais, A ces associations.
Si tous les Pouvoirs se mettent d'aceord pour doter nos associa-
tions de lois adlquates, nous pourrons pousser A l'avant ce monde
des campagnes.
Apprentissages. La seule constatation que permette l'examen
de la loi sur Papprentissage, c'est que les avantages qu'elle offre a
I'apprenti ne sont qu'apparents et pr6caires.
D'abord le chef d'atelier haitien n'est pas en measure de donner
une formation technique A son eleve, sauf quelques rares exceptions.
II est pour la plupart du temps de mauvaise foi. 1l voit tolujours
dans son 6lve un future concurrent, et par consequent n4glige de
lui apprendre tous les details du m6tier. Ft aussi pour ne donner
aucun encouragement p6cuniaire A son esclave, il le retient capri-
cieusement sous sa tuteUe et ne lui d6livre, et ne peut lui d6livrer,
aucun diplbme.
A la v6rit6, un tout jeune enfant ne devrait pas Atre admis dans
un atelier priv4 pour y faire son apprentissage, parce que le milieu,
bien souvent, est d1ifavorable et meme dangereux pour sa forma-
tion. Pour ma part, en attendant une formation plus substantielle
de la classes artisanale, il convient mieux d'envoyer tous les ap-
prentis de 14 ans & l'Ecole Professionnelle oil ils pourront sucer une
6ducatic- au triple point de vue technique, intellectual et moral.
Si le D6partement de l'Education Nationale dotait les Ecoles Pro-
fessionnelles d'un course de perfectionnement technique pour les &l&-
ments les plus avanc6s de la classes artisanale, il aurait travaill &a
la rehabilitation des artisans depourvus de toute notion de tech-
nique dans 1'exercice de leur profession.
Education. Le veritable probleme du Patronat et du Salariat
HaYtiens, c'est celui de l'dducation de I'homme, de sa formation in-
tellectuelle ou morale, en un mot de son education .
Ripudiant toute solution de violence, nous avons A nous rappeler
que tout progres dans les institutions n'est que la consequence
d'une transformation dans les esprits et dans les coeurs.
L'Id6al A atteindre est nettement pos6: Education du Salariat,
Education du Patronat, afin que capitalistes et salaries s'accou-

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 87

tument A substituer les solutions de la force a celles de la raison
pour les problems qui se posent devant eux.
Cette education peut aider au dkveloppement 6conomique et a
1'exercice de la profession. Elle peut 6galement apprendre a l'une
et l'autre classes A dgendre pacifiquement leurs intlr&ts.
Le problem Mtant pos6, il reste, maintenant, de fair le point et
de chercher dans quelle measure cet ideal doit passer dans la r6alit4.
Nous laissons ce soin au Bureau du Travail?

Duresnel DELPECHE
Leader du Mouvement Syndical aux Cayes
25 Avril 1949.

88 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

LE LOGEMENT OUVRIER
Par 1'Architecte MAX EWALD

Avant de traiter le sujet qui m'ir.combe, je tiens a remercler la
Direction du Departement du Travail de m'avoir fait 1'honneur de
me .choisir parmi les architects priv&s a l'occasion de ce premier
Congres National du Travail pour l'4laboration de ce sujet qui est
un des plus important, des plus passionnants et en meme temps
des plus nobles qu'un architecte puisse traiter, si l'on pense b la
magnifique repercussion 6conomique et social que peut engendrer
le logement ouvrier rationnellement compris.
Ce sujet ne sera que sommairement analyse ici ou je prisenterai
les icdes directrices fondamentales tcut en touichant A quelques
details.
Dans cette communication, nous allons essayer de passer en re-
vue les prircipaux aspects d'une question urbaine des plus impor-
tantes Je nos jours, si l'on tient compete de l'ordre dans lequel doit
evoluer tcute cite organis6e: celle du legement ouvrier.
Contrairement a ce que lfon pourrait attenidre, nous ne devons
pas ncus attarder ici sur le type de construction d'une mason ou-
vriere, sur sa distribution int6rieure ou sur scn architecture prcpre,
rmas bien consid'6rer le logement ouvrier sous un angle plus large
en 6tudiant les moyens de le promouvoir d'une fagon rationnelle
et equitable en l'inserant dans un tout don't l'agencement et ]'or-
donnance lui permettront de jouer un r6le reel dans l'rvolution
urbaine.
Consid6rer la maison de F'ouvrier seule, independante, quelque
part dans la cit6 sans faire parties d'aucune collectivit6 organis6e,
serait tne faute, ce serait admettre qu'il se suffit a lui-meme pour
son 6volutic'n en se pasant de l'aide et des conseils de ses conci-
toyens, en un mot, ce serait re pas penser a 1'6vclution sur laquelle
pourtant est base en grande parties I'Economie du pays.
La facon ]a plus rationnelle de concevoir le logement ouvrier est
de consid6rer qu'il fasse parties d'uin project d'ensemble miinutieuse-
ment concu et au sein duquel l'int6ret collectif qui en 6mergera,
cr66 par des besoins communs, sera un des facteurs les plus efficaces
a promouvoir son evolution Nous voulo.ns parler de la vrire>> don't la fncessit6 est trop universellement reconnue pour
6tre inexistante chez nous oi li'vclution actuelle dicte l'urgence de
sa r6alisation.

ACTS DU PREMIER CONORES NATIONAL DU TRAVAIL 89

L'ouvrier ftant plac6 dans ui centre oh il devra (virre> apres
avoir travaillim, un centre qui, par sa conception propre et ses
organismes internes, devra rbveiller en lui le sens du comfort, le
besoin du mieux, la necessit6 du oprogreso; n:cessite qui ne saurait
omettre en outre I'amelioration et le perfc-.c*cnement de ses con-
naissances; lesquelles phases de son evolution qu'il consiadra d'a-
bord cormme une obligation puis graduellement et insensiblement,
comme un devoir A remplir envers la collectivit6 et envers son
pays qui aura su le comprendre et le mettre en measure de r6pond -e
efficacement A I'aide qu'il attend de lui dans le domaine de son
Economic.
Pour rapondre a la portee d'une telle conception, oh devra se
trouver la cit, ouvriere?
Elle devra etre aussi Oloignee que possible du lieu de travail de
l'ouvrier, afin que le cadre oi il est appeal a vivre ne rappelle en
rien celui de son travail quotidien; il doit ktre avant toute chose
un rappel au repos et non un souvenir du travail. L'Uloignement
pour la citL ouvriere ne doit pas etre une question devant handi-
caper sa localisation, la premiere condition a remplir devant etre
de lui donner les facilities de transport necessaires 1 Ia vie quoti-
dienne de l'ouvrier.
La cite telle que nous la comprenons devra avoir sa vie propre,
rdgie par les organismes internes precedemment mentionmns qui
repondront aux besoins des ouvriers sans pour cela qu'ils aient a
en sortir pour se les procurer.
Elle comportera: Un Bureau de Direction ou se trouvera le g4-
rant et le representant de leur syndicate. Ce Bureau devra avant
tout veiller aux interets collectifs et .ndividuels, chercher a con-
naitre 'les besoins de l'ouvrier et a y r6pondre. II comportera en
outre:
Un service de tel6phone;
Un service postal;
Un centre d'alimentation;
Un bazar oi les families ouvrieres pourront faire leurs emplettes;
Une cantine pour les ouvriers chlibataires;
Un centre r6cr6atif ou ils pourront se reunir le dimanche et les
autres jours de fetes et ou auront lieu des seances einematogra-
phiques et des conferences d'une portee hdicationnelle et instruc-
tive;
Une place ou terrain de jeu pour enfants;

90 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

Un dispensaire qui leur procurera les soins necessaires et veillera
A l'hygiene gen4rale de la cit6;
Une garderie oui seront laisses les enfants des ouvriers pendant
leurs heures de travail;
Une cole de gargons et de filles;
Les cultes;
Un centre sportif oui les ouvriers et les ouvrieres ainsi que leurs
enfants pourront s'adonner a leurs sports favors.
Le terrain choisi devra r6pon'dre avant tout aux conditions de
salubritk requises, soit naturellement, soit en y faisant effectuer les
travaux sanitaires reconnus n6cessaires, notamment les travaux de
drainage indispensable en notre milieu.
L'6tude du lotissement, les arteres de circulation, les places, v&-
ritables reservoirs d'air de la cit6, le type des lots ainsi que celui
des maisons, alli6 a leur architecture propre, tous ces 4lments sont
autant de facteurs a consider comme devant converger vers une
donn6e capital: Celle de cr6er un ambiance agr6able, came et re-
posante, celle que doit retrouver I'ouvrier apres sa journZe de
travail. Le type des lots devra etre 4tuidi de fagon A ce que chaque
maisonnette puisse avoir son jardin et son lopin de culture. A pre-
miere vue, la forme la plus adequate est la forme rectangulaire
allong6e qui permet d'avoir les trois (3) parties A consider sur
une facade restreinte: le petit jardin de facade, la construction, et
le jardin potager ou autre a 1'arriere.
Les maisons elles-memes seront de types varies r6pondant aux
diff6rentes conditions sociales de l'ouvrier; ce sont:
Type 1- Maisons independanites pour la famille ouvriere com-
portant parents en enfants;
Type 2 Maisons pour couples sans enfants qui peuvent etre de
deux types: ind6pendantes ou jumelees;
Type 3 Maisons pour c6libataires qui peuvent etre aussi de
deux (2) types, ind6pendantes et de deux chambres
ou a chambres multiples jumelees.
En outre du confort a prbvoir dans ces diff4rents types de cons-
truction elles devront etre d'une structure r6clamant le moins d'en-
tretien possible et permettant de la maintenir facilement propre.
Elles seront d'une architecture simple mais gaie et mettant autant
que possible en valeur les mat6riaux locaux. La distribution intk-
rieure et l'ameublement symboliseront au depart le minimum de
comfort, les besoins primordiaux de 1'ouvrier, qui doivent etre com-

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 91

pl6tes par son evolution propre au sein de la cite oui il sentira
grandir en lui cette sensation du chez soi, du auquel il s'attarchera avec autant plus d'amouir et de force, s'il sait
que cette maison peut lui appartenir A 1'avenir. Nous entrons dans
la phase la plus important de cette analyse: sous quelle forme doit
etre conque la cite ouvribre? Pair qui doit-elle 6tre entreprise et
quelles sont les conditions A r6aliser pour y parvenir?
La forme d'entreprise la plus logique et la plus adequate est celle
qui permettra A Pouvrier d'acqu6rir sa maison sans avoir de capital
a verser: c'est celle de la don't le principe rend
possible l'acquisition de la maison par des versements mensuels a
long terme dites mensualit6s et ligerement superieurs aux loyers
courants; project auquel nous avons eu Poocasion d'aipporter notre
collaboraticrn ure tres longue et minufruse 6tude d'un ordre plus
general et aujourd'hui achevee. Partir de ce principle est dbjA tendre
a aider l'ouvrier A atteindre son ideal.
La ciit ouvriere ne devra pas n6cessairement etre rialis6e par
'Etat, elle devra etre entreprise plut6t par une society privde de
Construction forme docation vented avec la collaboration de 'Etat.
La Societ6 pourra prendre A sa charge:
Le financement et 1'execution de la cited d'apres les plans approu-
vds par 1'Etat.
La Direction et les frais de fonctionnement des organismes intc-
rieurs.
L'entretien des constructions.
Certains services d'un ordre collectif, combines avec les services
de 'Etat tels que:
Service sanitaire;
Entretien des routes de lotissement;
Fonctionnement du dispensaire;
Fonctionnement de l'6cole, etc...
Apres avoir eu soin de reconnaitre l'organisme de la Soci4t6
d'utilit4 publique, 'Etat interviendra en pregnant A sa charge ou en
favorisant notanmment:
L'acquisition du terrain qui pourra etre un terrain de l'Etat;
L'assainissement de la region ou la saluhrith du terrain choisi;
La route d'aoces;
L'alimentation en eau;
L'dtablissement du r4seau dlectrique;

92 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

La sanitation (evacuation des eaux nmnageres et des eaux usees,
collection des immondices, etc...);
L'entretien des routes de lotissement.
Consid6rant le diveloppement des cit6s ourvrieres comme une
necessity national, le fonlctionnement permettant la location ou
l'acquisition des maisons per roumier devra 6tre pr6vu avec le con-
cours simultan= de I'Etat, de .1'ouvrier et du patronat envers les
Socift6s de Construction.
Le r6le de l'Etat sera de promouvoir efficacement la creation des
cites ouvrieres par des moyens qui restent de son resort tels que:
En facilitant l'obtention des mat6riaux import s, necessaires aux
constructions, par 1'exoniration des droits de douane come deji
prevue dans un autre domain.
En concidant aux entreprises un taux r6duit d'assurance contre
inicendie afin d'encourager l'investissement des capitaux dans de
tels projects.
En prevoyant pour la caisse syndicale et a cette fin come nous
le verrons tout a 1'heure un taux lui aussi
reduit s'engageant ainsi a aider cette caisse surtout dans les d-buts
au cas oil son actif depasserait son passif. I devra nommer une
commission special dans le cadre du service competent, dont le but
sera de d6celer les demeures dites en effectuer leur expropriation rationnelle pour le grand bien de
la collectivity en les dirigeant vers les nouvelles demeures de la
cite ouvriere avec 1'aide et la collaboration de leur syndicate.
L'Etat ,devra surtout ouvrir uine champagne 6ducatrice du loge-
ment sans laquelle tout project de cette envergure risque de d6g6ne-
rer en faillite et par laquelle, elle aidera au maintain de la cite
sur un pied qui lui permettra de vivre et de se developper. Rappe-
lons-le ici, r'oeuvre continue de I'Educateur a cette fin est primcr-
diale et doit etre adroitement et consciencieusement menke.
Le r6le de 1'ouvrier dans le fonctionnement de ce prcjet sera celui
que pourra remplir la caisse syndicale alors chargee de prelever
entire autres valeurs, les primes ed'assurance accident> mentionnees
plus haut et don't la perception devra l'aider dans une certain me-
sure a louer ou A acquirir sa maison, si 1'on tient compete d'une
statistique minutieusement 6tablie qui pourrait r6v6ler que ces
fonds resteraient en grande parties disponibles.
Les demands de location, ou d'acquisition, sollicit6es par les
ouvriers se front par 1'intermndiaire de leur syndi'cat qui 6tablira

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 93

les contacts nicessaires avec la compagnie et qui nommera son
representant aupris d'elle pour la perception des loyers ou des
mensualiths, le syndicate restant seul responsible de 1'acquittement
de ces loyers ou de ces mensualites auprls de la compagnie.
Le Patronat, courant quotidiennement et souvent sans s'en douter
les risques des accidents en course du travail, accidents don't il reste
responsible A moins de measures prises au pr6alable, en sera soulage
en versant A la caisse syndicale et par le truchement du Bureau
des Contributions qui en gardera un droit de control, le taux r6-
duit cd'assurance accident) mentionni plus haut et pr6vu par 1'E-
tat. Cette prime sera pr61levie sur une valeur d&larie sur une
forme pr6paree A cette fin par le dit service de I'Etat. Le patronat
tout en se garantissant des risques accidents apportera ainsi sa
part de collaboration.
Nous croyons avoir 6l1bor6 sommairement les phases principles
de cette important question, qui devront 6tre complitees par ceux
qui en auront la charge a 1'avenir. II est a souhaiter que I'Etat
encourage l'initiative priv6e dans ce domaine oui il peut lui apporter
une part de collaboration pr6cieuse dans le programme qu'il s'est
trace. La creation des cit6s ouvrieres est une &tape des plus inpor-
tantes de l'organisation 6conomique d'une nation; de ces groupe-
ments organisms Amergent les besoins sociaux: la recherche du per-
fectionnement, le sens de 1'int&frt coilectif qui est le seul et v6ri-
table tremplin de tout progres et de toute evolution urbaine.
Tout project d'une port6e national similaire A celle de la creation
des cites ouvrieres mirite 1'attention particulibre de l'Etat, sa r6-
sultante normal 6tant l'amilioration des conditions de vie de rou-
vrier qui elle-mgme ne peut qu'engendrer a son tour une amelio-
ration des conditions sociales et 6conomiques de la Nation, 1'ouvrier
rtant alors imbu de son devoir envers la collectivit6 et envers son
pays.
Max EWALD

94 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

LE LOGEMENT RURAL EN HAITI
Par ANDRE DUMESLE, Agronome

Un sujet come celui que j'a'borde et que je me propose de d6ve-
lopper pour vous doit paraitre s'carter des buts que se sont assi-
gnus ces Assises: I'Expos6 de DANS L'ORGANISATION DU TRAVAILS.
J'6prouverais, A n'en pas douter, une certain timidity A entre-
prencre le d-cveloppement du theme: Broblkme du Logement
Rural, si mon initiative ne visit precis6ment a introduire dans les
debats la question paysanne. Je reste ainsi d'accord avec le Bureau
International du Travail qui, non seulement embrasse les questions
syndicales, ouvrieres et citadines, mais encore reglemente les loisirs
et le bien-6tre rural. Ce probl-me merite de retenir notre attention
en ce qu'il permet de maintenir la main d'oeuvre fixee a la terre
tout en rendant la champagne normalement habitable.
Je suis heureux de computer au nombre des demarches actuelles
du Pouvoir une tendance a mener une discussion vers un commen-
cement d'execution du probleme du logement dans les campagnes.
La champagne, chez nous, voyez-vous, n'est pas tellement dloignee
de la ville et les montagnes ne constituent pas un obstacle serieux
& I'exode rural. Que de fois n'entendons-nous pas dire que les ru-
raux nous envahissent!... C'est IA un 6tat symptomatique, expli-
quant avec des effects heureux ou malheureux que la champagne reste-
la grande pourvoyeuse des villes et que la vie agricole rurale est
dependante de la vie citadine. 11 est vrai de dire, cependant, que
bien souvent les ruraux 6prouivent le besoin de s'6vader de la ville
pour gagner la champagne, terre promise, un milieu oil, en
contre-partie A la trepidation des villes, la vie semble plus facile,
la terre plus feconde, l'effort plus fructueux et le repos permanent.
Si nous voulons que nos milieux ruraux r6pondent pleinement A
notre attente par la manifestation d'une action bienfaisante qui ne
soit pas une illusion, nous devons les preparer a nous recevoir et
a dispenser une existence decente A ceux qui y vivent.
II a &6t prouv6 que l'exode rural, motive par des circonstances
6conom(iques et familiales, peut Stre aussi cause en grande parties
par les mauvaises conditions du logement et ses consequences fa-
tales: les maladies.
Le logement rural est un problkme d'une haute portte social.
Quend nous pensions. en effet, que pour se maintenir, le rural doit

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 95

satisfaire comme tout individu a ses besoins dits primaires: se nour-
rir, s'habiller, se loger, nous rialisons aism&ent que le probleme est
d'actu.alit6 et de duree et qu'il vaut d'etre traitS. En rialisant que
le logement est un.besoin et un facteur fundamental dans le main-
tien, non seulement de la sante corporelle mais aussi de la sant6
morale, nous aiderons A creer pour le rural un meilleur climate et
une meilleure atmosphere de vie de famille. Et nous ajouterons,
pour sepeter un auteur que: ont pour la soci 6t des consequences qu'on ne peut mesurer et qui
se r6percutent de generation en g6neration7.
Je vous disais tout A l'heure que le Gouvernement avait pens6
au problem du logement rural don't un commencement d'ex&cution
a lieu a Baptiste, je reviendrai dans un instant sur cette parties du
sujet. Maintenant, en analysant le probl&me du logement je vais
essayer de jeter un rapid coup d'oeil sur le panorama que forme
I)ensemrble de ces questions qui intdressent le monde, afin de les
consider sous l'angle des r6alites locales.
Apr6s la Grande Guerre de 1918, au rang des questions qui r6-
olamaient une solution urgente se trouvait au premier plan, celui
du logement. La devastation cause par les diff6rents engines des-
tructeurs necessitait de cdl6res reparations, tant dans les villes que
dans les bourgs et les campagnes. C'4tait, en d'autres terms, le
logement pur et simple celui du citadin comme celui du rural
- qui demandait d'etre refait. Evidemment, les classes ouvri6res
furer:t les plus atteintes par cette penurie d1habitations: des te,.-
tatives s6rieuses ou sporadiques furent, en consequence, conduites
dans le but d'att6nuer la crise. C'est alors que, par le truchement
de I'Organisation Internationale du Travail, le Bureau International
du Travail publia, en 1924, une 6tude sur les problemes dui loge-
ment en Europe et en 1925 une autre sur les conditions du loge-
ment aux Etats-Unis et plus tard encore, en 1938, celle relative aux
conditions diu logement dans certaines Republiques Latino-Ameri-
caines.
Ces 6tudes g6nrales, v6ritables inventaires sur les resources
financi&res, la situation fcncibre et les conditions de vie des ressor-
tissants de ces Etats, embrass&rent les milliers d'ouvriers des villes.
des bourgs et des centres ruraux.
Dans les armees qui suivirent celles de 1938, la politique du loge-
ment entreprise par le B. I. T. s'amnplifia et ce dernier remplaqa les
measures transitoires et hitives par des measures d6finitives, orien-

96 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

tant ses prospections dans les Etats avec le concours de leurs Re-
plisantarts. A cet effet, la Fraice, la Grande Bretagne, les Etats-
Unis, la Hollande, la Suede, le Danemark, la Norvege, la Finlande,
l'Italie, la Pclogne, la Tch6choslovaquie, le Mexique, le Br6sil, la
Colombie et plus pres de nous: Cuba et Porto-Rico b6n6ficierent de
ces 6tudes et commencerent des travaux dignes d'attention dans le
sens d'un meilleur logement pcLr les pzuplcs dCs villes et _e la
champagne.
Au course d.'une de ces reunions internationales, le Bureau Inter-
national du Travail, dans un rapport motive sp&cifia dans un de ses
consid6rents ee qui suit: < et de la collectivit6 toute entire de favoriser tout ce qui est de
nature a assurer un developpement harmonieux dans la famille
ouvriere: que le meilleur moyen de prot6ger les travailleurs contre
les dangers signals est de mettre a leur disposition un foyer con-
venable; aussi la Conf6rence recommande-t-elle la multiplication
avec le concours, au besoin, des Administrations Nationales et Lo-
cales, d'habitations saines partout, remplissant les conditions essen-
tielles de salubrit6 et de confort, soit dans des cites-jard..ns, soit
dans des agglom6rations urbaines, soit dans des campagnes isolies.
Vous voyez par lA que la politique du logement excusez-moi
d'employer cette expression, elle est passe dans l'usage du sujet
que je traite est en pleine evolution dans le monde; il m'a semblk
utile de l'analyser, car elle cherche sa voie dans un ensemble
complex de problems pour 1'6tendre a Haiti qui a besoin d'une
documentation precise, avec comme theme de comparison des mo-
nographies rzgionales 6trangeres. Seuls ces rapports comparatifs
utiles permettront ,de tirer sur le terrain des conclusions pratiques.
La litterature r4ferant au logement rural chez nous est peu volu-
m!neuse: cette question ayant int6ress6 certain ecrivains plut6t
comme ur' sujet ne pr6sentant pas assez de corps pour 6tre abord6
de plein pied.
Dans un substantial rapport fait au Gouvernement Haitien sur
le probleme du logement et duquel je tirerai l'essentiel de ce cane-
vas. Monsieur Philip W. BOURNE, Housing Consultant du D6parte-
ment d'Etat des Etats-Unis, declare que: n;icessitent un meilleur logement en Haiti>. Le Rapporteur a visit
certaines regions du pays au course d'un mois de sejour, de Mai A
Juin 1948, pendant lequel il auirait travaill6 en collaboration avec
le Bureau de Jacob GREEN, Assistant A l'Administration a la Hou-
sing and Home Finances Agency. Bien qu'il manifesto un esprit

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL .07

scientifique tres pouss6 sur 1'ampleur de cet important .problrnme
et qu'il h6site sur les modes d'approche et les 6tudes a entreprendre
pour le mener a bonnes fins, j'estime que son s6jour a 6t6 trop
court pour un travail de cette envergure. 11 suggere qu'un Orga-
nisme special soit cr6i et soit charge de d6finir au Gouvernement
un programme de logement. 11 considere son rapport quant a F'or-
ganisation, au nombre de maisons a bftir, a la facon de les* cons-
truire, comme une simple illustration de faits qui r&clamerait ce-
pendant une minutieuse consideration de la part de cet Organisme.
La geographie de 1'habitation doit suivre 6troitement la d&i6o-
graphie d'ui pays et si nous nous ar, _tons, pour fixer les id&es, a
quatre millions le chiffre de la population d'Haiti, avec une moyenne
de cinq a sept personnel par famille, cela amrne a une estimation
de huit cent mille families. 11 a 6t6, d'autre part, 6tabli que. dans
les regions tropicales et semi-tropicales, environ un milliazrd d'indi-
vidus 6difient leurs propres demeures et que les-familles qui com-
posent ce chiffre vivent dans des huttes, des maisonnettes, des
cases, des ajoupas et d'autres types de constructions insalubres. II
est bien difficile de reduire en classes ou g_'upes les maisons pay-
sannes, vu qu'elles varient suivant les D6partements et les localit6s.
Un programme de logement a longue haleine doit n6cessairement
prevoir et contr8ler le taux d'accroissement de la population "en
tenant compete des resources locales. Ces particularites s'avyrent
importantes, 1'experience des constructions faites aux Colonies A-
gricoles de Saltadere, Billiguy, D'Osmond, Morne des Commissaires,
Mont-Organis6, Grand Bassin, ayant r6v616 la necessit& de bonnes
resources en materiaux et autres avant d'entamer un pareil travail.
On se souvient qu'en 1938, apres les vepres dominicaines, le
Commissariat G6neral des Colonies Agricoles entreprit la construc-
tion de plusieurs centaines de maisonnettes d'un type g6n6ral. Ces
constructions, en consid6rant les rapports d'alors, devraient suren-
ch&rir, quant aux conditions d'hygibne, sur celles dites paysannes
existantes. Une fois le lotissement des terres fait, on proc6da a 1'6-
dification de la maisonnette. Le type de construction adopted fut
cekli d'un habitat rustique ayant 6 m. 60 de long, 3m. 60 de'large
et 3m. 40 de haut; il comportait, en outre, six (6) overtures: portes
et fenetres pour en assurer 1'a6ration. La charpente 4tait de bois
dur 6quarri, assembly par des clous. Le Morne des Commissaires
except, ou la t6le ondul6e fut employee, partout ailleurs les toi-
tures furent en chaume ou en

98 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

cisses ou bousilles; les poteaux ide charpente poses directement en
terre et enrobes dans un soubassement en magonnerie; les parquets
ktaient paves ou b6tormis quand les pierres n'etaient pas suffisantes
dans la region. L'allocation par maisonnette variait entire Gdes. 3.00
a Gdes. 5.00.
La besogne pressait, il faillait cofite que cofite loger les rfugies;
-on d6cida de la construction de ces maisonnettes sur la base d'une
organisation en sbrie comportant: charpente, clissage et bousillage,
soubassement et pavage, couvertures, portes et fenetres. Cepen-
dant, malgr6 les avantages saisissants que ces constructions avaient
sur celles de certaines autres regions, elles n'etaient pas v6ritable-
ment le type qui r6pon'dait a l'idial pour la solution meme partielle
du problme du logement rural.
D'ailleurs, le cofit estimatif 6tait trop bas, les materiaux fournis
a la hate ne convenient pas aux exigences d'un travail durable;
ensuite, le travail en s6rie et le manque d'entrainement des ouvriers
achevaient de compromettre la valeur de cette premiere experience.
D'une brochurette intitulee: j'ai tire, comme suit, la description d"une habitation rurale dans la
Va1Iee de il'Estere: < hameaux se succedent a peu de distance. Dans ces hameaux, la
demneure du paysan a garden sa rusticity traditionnelle: gendralement
c'est un rectangle de 3 A 4m. de long et de 3m. au plus de large; gles
pans) sont forms de poteaux verticaux entrelac6s avec des gaules
poses horizontalement. Ce clayonnage recoit sur chaque face un
enduit de 4cms. d'6paisseur former d'argile p6trie avec de la paille
de riz. Ces constructions sont g6neralement basses (2m. 50 au plus
sous plafond). Le sol est en terre battue, le toit a double pente est
corstitue generalement d'herbes, de paille de riz, de tiges de ma'is
ou de petit-mil>.
les pieces d'habitation, la lumiere et F'air, ces puissants facteurs
d'assainissement, ne peuvent pas pendtrer facilernent: les ouvertures
sont constamment fermees>>.
N,':s avons d6crit deux (2) types de maisori: un type tradition-
nel e' un type invent: le second montrant un advancement sur le
premier.
D'une facon gdnerale, le paysan haitien construit sa maison. Son
re',-e.- e tant tres bas, il utilise a cette fin le concourse des voisins,
apr6s avoir proc6d6 au rassemblement de ses mat6riaux.

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 99:;

On exag6rerait en Haiti en parlant de type d'habitation. I1 y a:
vraisemblablement une vari&t dans les formes de 'habitation qui.
diff6rencie celle des planes d'avec celle des montagnes. Mais mes
observations ne m'ont pas permis de voir qu'il y ait un type. Et il
est A remarquer qu'il n'y a pas une liaison simpliste de la maison
et du milieu. A preuve, dans certaines hauteurs depourvues d'eau,
la citerne-reservoir attenant A la maison presente comme une addi.
tion a l'habitation. Toutefois, aucune invention n'a preside directe-
ment aux constructions r4gionales, qu'elles soient dispersees ou ag-
glomnries et seules de lgeres modifications, simples dispositifs de
details, les separent: le mode de couverture d'un toit, le nombre de
fenetres, le nombre de pieces, l'orientation d'une galerie, etc..., i
Si, dans certaines localit6s les rurau:: ont niglig6 dans l'6tabliss*-
menit d'un logement decent, dans d'autres une evolution marque
est a noter. A ce compete, les confins du Nord-Est n'offrent rien de
remarquable et dans le Nord les planes plantees representent seules
un. site propice pour de bonnes maisonnettes. Le Sud, de son c6te,
repondant aux m&mes conditions que 1'Ouest, montre les plus belles
et les plus riches constructions dans les mornes. Celles des hauteurs
de Petit-Goave, de Pourcine, de Camp-Perrin et meme de certaines
planes de Torbeck, de Mersan, pourraient ktre cities come exem-.
ple de bons habitats ruraux.
Le President Dumarsais ESTIME, en creant la ville-frontiere de
Belladere, favorisa l'6rection d'une Ccdonie-Agricole type. celle de
Baptiste. Sans analyser les causes qui emnpch&rent le developpe-
ment des anciennes colonies sus-mentionnees, il est encourageant
de rnoter que ces fautes servirent en permettant d'amplifier au courS
de 1'6tablissement de la nouvelle. Cela s'av6rait d'autant plus facile
que la population trouvee dans les hauteurs de. Baptiste: Liane-
Panier, Boulaye-Voleur ftait devenue sedentaire. Ainsi, toute idee
de press pouvait etre 6cart&e au moment de la mise en train des.
travaux. Tout ceci m'amene A vous parler de la maison du colon a
Baptiste.
Le logement est moderne et suffit A une famille paysanne. Elle
peut etre decrite comme ci-apres: Une clAambre a coucher de 3m. 20
sur 3m 20; une chambre de d6barras pouvant encore servir de
chambre a coucher de 3m. sur 1m 80, un vivoir ou
de 4ym. sur 3m. 20; un office de 2m 50 sur 2m. et deux galleries: une
sur chaque facade. Elle comporte, en outre, treize (13) ouvertures
don't six (6) portes et sept (7) fen6tres. Le parquet est en beton :t'

100 ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL

le plafond en celotex. Les portes et les cloisons sont peintes ainsi
que la toiture. Une latrine est attenante a chaque maisonnette, fai-
sant office d'une indispensable di6pendance.
Bien que ce ne soit pas un type ideal, cette maison represented
copendant un s6rieux effort vers une substantielle amelioration
pour plus d'aeration, plus de saluhbrit6, plus d'hygiene, en un
mot plus de comfort.
Je devrais m'arreter aux descriptions que je viens de vous fire
des divers types de constructions paysannes et soumettre a votre
appreciation une esquisse de programme comme approche vers la
solution du probleme du logement rural, mais je m'apergois avoir
laiss6 de c6t6 l'ouvrier agricole proprement dit. A mon avis, il y a
une profonde difference entire le paysan travailleur de son lopin
de terre ou de sa ferme et le paysan appele a fournir ses services
dans une exploitation agricole quelconque. Si je persiste A r&clamer
une habitation saine pour le premier et sa famille, a plus forte
raison insisterai-je pour le second qui est assimil6 a l'ouvrier des
villes.
La renovation des milieux paysans r6clame une serie de measures
pratiques de longue haleine, telles: la reorganisaticn fonciere, 'e-
quipement rural, le logement sain, etc..., mais elles ne peuvent
avoir de suite heureuse que si les Directeurs d'entreprises situees
dans les agglomerations rurales realisent I'homme-paysan. leur Ou-
vrier Agricole>.
Des cites-jardins trouveraient dans les environs des plantations
de Dauphin, Mont-Rouis, Phaeton, Derac, Jacquesy, une place de
choix. Elles creeraient comme un depart pour 1'ouvrier, entire l'usine
et ses fatigues I'ardeur du soleil brulant et ses souffrances, vers
une oasis oil demeurerait sa famille. II est vrai de dire que certaines
de ces usines et plantations ont cr66 des villages pour un personnel
specialist: m6caniciens, chauffeurs, contr6leurs, etc.... cependant
que l'ouvrier agricole proprement dit s'abrite encore sous le caille-
jardin> ou ajoupa: sorte de petite hutte basse en forne de toit,
faite de quelques petits pieux et couverts de feuillages. Mais il ne
s'6vidente pas moins d'un autre c6te que c'est l~ un effort digne
d'etre cite.
Amliorer les conditions de vie du people en 1'aidant a disposer
d'une sant6 6conomique, si vous vouilez me permettre ces deux rnots,
telle devra 6tre la nouvelle conscience de tous. A ce propos, BOUR-
NE recommande des leaders possldant une vraie conscience social,

ACTES DU PREMIER CONGRESS NATIONAL DU TRAVAIL 101;

qui montreraient une organisation pour les etudes, etant donni,
poursuit-il, qu'il faudra tenir compete des traditions, des resources
physiques, du climate et des acquisitions nationals. Aussi, il est
d'opinion qu'en ce moment beaucoup plus d'attention doit etre por-
tke vers plus d'habitudes d'hygiene et in meilleur sens de l'utilisa-
tion des matkriaux, pour une elevation graduelle du standard de
vie rurale.
D'autre part, M. BOURNE, Rapporteur sur le probl&me du loge-
ment en Haiti, estime que 10.000 families peuvent etre loges eon-
venablement en cinq (5) ans; en participant, premierement, aix tra-
vaux d'itablissement des habitations et, deuxidmement, en acceptant
du Gouvernement un emprunt payable sur 15 ans aux taus de 7%
pour I'amortissement et 3/; pour les intkrets annuels Pour y arri-
ver, le Gouvernement n'aurait qu'A fire une provision budgitaire
annuelle d'environ un million de gourdes (G. 1.000.000), soit 1.5%
du budget de 1'exercice 48-49, qui est de Soixante Cinq Millions de
gourdes.
On a beaucoup romance la mansarde paysanne, cette hutte de
chaume des tropiques, mais nous savons, A en juger du point de vue
human, qu'elle est plus prosaique que ne la suppose une vaine
po6sie; A nous Ie devoir de la changer.

En esquissant cet aperqu devant vous, j'ai essayv de vous dmnon-
trer la profondeur et I'ampleur des etudes qu'il faudrait rdaliser
pour embrasser en un tout le probleme du logement rural en g6n&
ral et celui de l'ouvrier agricole en particulier. Si vous rialisez que
les grandes lignes d'un programme peuvent etre dans l'lducation,
la cooperation, le financement d'Etat et votre contribution person-
nelle, vous aurez donned une orientation de plus a ces presentes
Assises.
Me-ci...
ANDRE DUMESLE

26 Avril 1949