LOUIS E. ELIE
Le President Boyer
et
l'Empereur de Russie
Alexandre ler.
(Une
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Mission diplomatique Saint-Pitersbourg
en 1821.)
Imprimerie du Collage Vertiares
Port-au-Prince, Haiti. Prix : G. 2.50
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LOUIS E. ELIE
e President Boyer et
l'Empereur de Russie Alexandre ler.
( Une Mission diplomatique
& Saint-Pitersbourg
en 1821.)
Imprimerie du Collcge Vertibres
Port-au-Prince, Haiti. Prix : G. 2.50
Port-au-Prince. le S0 Mars 1942
Son Excellence
Monsieur Elie LESCOT,
President d'Haiti.
Palais National.
Monsieur le Prdsident,
Les documents ingdzts on devenus trs rares qui constituent le fond de cette 6tude serviront peut-6tre, unjour, d l'examen de divers probl~mes .,
Et parce que vous aves l'esprit politique tris lucide et tris clair, tout me fait espgrer que ce petit ouvrage peut aider d prdciser l'dtat actuel et l'avenir probable de certaines questions dconomiques.
Je vous l'offre avec plaisir, Monfieur le President ; accepted en la didicace comme un hommage d vos qualitis de decision et de virility.
Jai l'espoir qu'il ne sera pas trop indigne d'un si grand parrain.
Veuillez agrger, Monsienr lI Pr6sident, l'expressio n de ma respectueuse gratitude.
Louis E. ELIE.
La Revolte des Esclaves
Aprbs l'assassinat de Vincent Og6. les blanchelandistes, au tant que les grands planteurs exercerent les plus abominables cruaut6s sur les gens de couleur r~volt6s contre le gourvernement. Ils poursuivirentde leurhaine les infortunds esclaves qui, ponr avoir 6eout6 les mulAtres qui s'6taient engages A conqu6rir pour eux des droits A la liberty, les avaient suivis un peu partout, A la Gde Rivibre du Nord, au Dondon A Saint Raphael etc.
Les blanchelandistes arrat~rent de nombreux esclaves dans les mornes du Cap et ailleurs; ces malheureux furent conduits dans la savane de la Fossette; 14 on les obligea i creuser d'immenses fosses pouvant contenir plus de vingt cadavres, ensuite on les fusilla tous A bout portant.
Ces monstruosit6s jet~rent naturellement la consternation dans les ateliers, l'esprit de rdvolte y passa comme une trombe, d6chatnant la colbre partout. Boukmann incarnera le peuple en r6volte; il 6tonnera Saint Domingue par sa voix formidable et sa haine explosive. Hideux, terrible, il se baignera dans le sang comme le dragon dans la flamme. Et I'on verra autour de lui cent mille eselaves, hagards, farouches, mais grands comme la vengeance. Oui, les esclaves se lev~ront A leur tour pour demander leur part de jouissaces et de liberty; leur revendication sera terrible. Car pour conqu6rir des droits de citoyen, pour avoir une personnalit6 d'homme, ils transformeront Saint Domingue en une terre d'6pouvante ot le massacre, l'incendie, I'effroi de la mort d6racineront jusqu'au souvenir de l'esclavage.
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On sait, par tous les vieux documents du temps, que les esclaves dtaient h peine consid6r6s comme homme. puisque tout leur 6tait interdit, A part I'horrible corvde de travailler jour et nuit. Les distinctions les plus atroces les condamnaient A l'dtat de victimes 6ternelles sans qu'ils eussent rien
fait cependant pour m6riter le sort qui les accablait. Leur crime, leur seul crime fut d'avoir vu le jour sous le ciel maudit de l'Afrique. Or ce n'4tait pas 1 assur6ment une raison pour justifier les odieuses persecutions dont ils furent accablds,de la naissance A la mort. Aprbs avoir 6t refoulds dans leur pays d'origine par des tribus plus fortes, le hasard de la guerre les faisait 6chouer sur d'autres terres oil recommenqait le ,mme calvaire. Comment s'4tonner alors qu'ils aient conserves 6 St Domingue leurs moeurs incultes et leur grossibre ind6pendance. A Port au Prince, au Cap, A Jacmel, partout, leur vie se passait dans l'attente de la guerre. Soupqonneux et toujours d6fiants contre les blancs, ils atten daient cette guerre, elle leur 6tait n~cessaire, elle seule pouvait briser leurs carcans et' leurs chaines.
En se rdvoltant contre la M6tropole, les grands planteurs donn~rent assur6ment un exemple assez dangereux aux esclaves; ils 6tablirent un precedent qui devait leur porter malheur,
"Pourquoi n'imiterai-je pas le maitre qui refuse d'obdir aux lois de son pays dira l'eselave courb6 sous le bAton; pourquoi continuer A souffrir les abominables cruaut~s d'un blanco qui ne veut pas se soumettre lui-m8me aux ordres de ceux A qui il a toujours obdi ? Le monde a donc change ?"
Ainsi, sous l'influence de son frbre multre qui blargira son esprit en faisant clater les ferments de rivolte sculairement accumulds dana son coeur, l'esclave sera rebelle.
"Les mulAtres se font les missionnaires de la rdvolte" avons-nous lu dans les Lundis R~volutionnaires.
Ils parcouraient, en effet, les ateliers, excitant les noirs et leur faisant entrevoir cette terre promise de la liberty aprbs laquelle ils soupirent depuis leur naissance, malgr6 l'abrutissement sous lequel on les a places.
On a toujours dit que les soci~t~s de danse : Vaudou, congo, pdtro etc. servaient A St-Domingue pour propager les ides de liberty.
Le fait est vrai, il est du reste d'accord avec la psychologie sociale des africains.
Les n~gres, pas tous dvidemment, ne s'engagent jamais dans une affaire politique ou commerciale, sans consulter leurs loas; il leur faut les c6rdmonies grotesques, inqui6tantes, sinistres m~mes; il leur faut le langage incomprehensible et bizarre du papa-loa; autrement ils sont pleins de mfiance et de mdpris; et c'est pour cela que le Vaudou a plus d'adorateurs en Haiti que le Christ. Malheureusement. Ainsi, c'dtait pour se conformer A des habitudes anciennes, et pour autre chose aussi que les esclaves domestiques s'& taient r~unis clandestinement au bois Caiman (tout pras de l'Acul du Nord) la nuit du 23 au 24 Aofit 1791.
A la lueur des torches, ils organisre leur premiere assemblde politique au so et e ilomine une
vaste plaine. Autour dew gn. t ila foule innombrable des esclaves Ajan g~l~~elevait un amas de fusils, de pics dur~ de hAches et de coutelas.
Le groupe 6tait immobile; on aurait pu le prendre pour un ensemble de corps p6trifids, Mais non, les yeux 6tincelaient sur ces visages noirs et l'on sentait venir les gestes barbares.
Tous ces corps admirablement muscl6sattendaient I'ordre du Chef pour agir et pour punir, Oui les brutes h6roiques dtaient l, prates A se lancer sur les champs de bataille, sans organisation, demi-nus, farouches, hostiles aux blanes jusqu'd la sauvagerie. Un orage dpouvantable dclate ce jour I&, pur effet du hasard assur6ment. (1) "
"Ce fut au bruit du tonnerre et A la lueur des eclairs, dit Schoelcher, que nos premiers ind~pendants firent le solennel serment de vivre libres ou de mourir. Les coups d'orage ont dit vivement impressionner ces hommes fanatiques qui virent IA assur6ment une preuve de l'intervention de leurs dieux "
Boukmann que l'on considdrait comme sorcier parcequ'il avait la plus grande influence sur les ateliers, invoque les dieux africains, il chante en illumin6 qui croit A la puissance surnaturelle des ancitres :
(1) D'ailleurs l't60 sous les tropiques est fertile en orages imp6. tueux autant que soudains.
Bon did qui fait soleil qui claird nous,
Qui soulev4 lan mer,
Qui fait grond6 l'orage; et que zott tout tand6.
Bon did 1. cach6 lan nuage.
Et 1~, la p6 gadd nous.
Li ouais tout
Bon did blanks mandd crimes
Pou tout bienfaits nous faits yo.
Bon did pa nous mand4 vengeance.
Li va conduit Irs 'u ;
Li va bannou courage;
Li va assist nous.
Jet6 portrait bon Dieu blanco,
Car li fait d'lo couri lange nous.
Coutd la liberty
Qui parld nan coeur nous.
Apris cette pribre ou plutat apris cette invocation, Bouk" mann fit jurer aux esclaves de se venger de toutes leurs ann6es de souffrance, d'6gorger leurs bourreaux impitoyablement et jusqu'Au dernier,
Deux cents usines A sucre et six cents plantations de cafM furent d~truites par les esclaves r~voltds. Cinq cents millions de livres tournois disparurent dans les flammes; et sur tant de ruines accumuldes on entassa les cadavres des colons massacres.
Malgrd ces 6pouvantables repr6sailles, on vit de nombreux enclaves, au risque d'6tre abattuscomme traitres par les chefs de l'insurrection, se d~vouer pour sauver les colons qui avaient 6td bons pour eux. Aprds avoir conduit ceux-ci a bord des navires mouills de ci de IA dans la rade du Cap et ailleurs, ces enclaves revenaient se placer sous les ordres de leurs chefs.
Ces hdros avaient du respect pour les chefs et ce respect sera inaltdrable, malgrd les allures violentes d'un Boukmann, malgrd les instincts de domination d'un Jeannot ou d'un Candy.
Ces eselaves 6taient capables d'aller au meurtre, au vol, au mensonge pour rendre hommage A la supdriorit6 des chefs qu'ils avaient eux-m~mes choisis; et quand le chef se nommera Louverture, Dessalines, Capois-la-Mort, leur respect prendra la forme d'un culte. Le sauvage d'hier ira jusqu'aux dernibres limites du sacrifice pour voir grandir son chef, quitte A 6tre d6vord plus tard par le dominate n choix
Les blancs, revenus de leur dp te r -rent fie garde nationale quifutencadree d a 'j troupe zgulires; ensuite, on marcha contre vot qui furent d6faits
dans des batailles souvent s- sanglantes.
Les colons victorieux allbrent au d6la de la vengeance qu'avaient exercee les esclaves durant la r~volte; ils d~passhrent les cruautds des noirs. Trois dchafauds furent dresses sur la place d'armes du Cap, et l'on planta au coin de presque toutes les rues les tates des principaux chefs de I'insurrection.
Tous les chemins dtaient bordds de pics au bout desquels grimagaient des totes d'esclaves, avoue le pbre Constantin de Luxembourg, prdfet apostolique des capucins du Nord.
"Quinze potences et trois roues servaient aux 6x6cutions presquejournalibres des insurg6s faits prisonniers...
"J'ai conduit comme Ministre de la Religion tous les auteurs de la Rdvolution au supplice"
Le phre Constantin affirme aussi dans une lettre dat6e du 9 Avril 1799, qu'il adressa A l'Abb6 Grdgoire, avoir connu Toussaint, n~gre esclave A l'Hopital des pbres de la Charit6 oa il me servait i table quand j'y allais diner"
"Quand les dchafauds et les potences 6taient occup6s, on attachait les eselaves r~voltds sur des 6chelles et on les fusillait AL bout portant. On les fusillait aussi dans ls bois."
Des millies d'eselaves se rdfugibrent au coeur des forts d'od ils devaient revenir, peu de temps aprbs, pour venger leurs frbres sacrifids.
Le terrible Boukmann sera tu4 tout au d6but de l'insurrection et sa t6te place au bout d'une pique que l'on plantera sur la place d'armes du Cap, avec cet cderiteau : Titede Boukmann, Chef des rdvoltas"
Mais cette tWte conservera la plus tragique expression; les yeux grands ouverts du chef redoutable semblaient encore ordonner aux r6voltds le signal du massacre et la continuation des forfaits.
En effet, on verra, comme une troupe de lions et de tigres alt6rds de sang, des milliers d'autres esclaves, repartis par pelotons, se jeter sur les colons sans m6fiance. Biassou, chef supreme de l'insurrection, sera A leur tte. II a fait l'6pou vantable serment d'dgorger tous les blancs,
La plaine du Nord ne sera dclair6e le soir que par la flam. me qui sortira des usines embrasies. ,Durant des jours, on n'entendra que le rugissement des fauves, que des chants de guerre d6moniaques qui feront brandir les carabines comme des 6tendards. Car c'6tait le d61ire collectif, l'hypnose guerriore, la dimence d~sespdrde qui s'6taient empar6s de cent mille hommes.
Toutes les tribus s'6taient r~concilides pour d6fier le colon sanguinaire. La formidable voix des ancetres semblait sortir de terre, les cadavres aussi, avec leurs blessures et leurs mutilations, pour former la conscience h6roique des esclaves et lancer les ateliers & l'assaut des habitations Toussaintsortiradel'ombre. Aprbs le d6dain le plus m6prisant, apr~s la souffrance dans la boue, Toussaint sortira de sa caverne de fauve, et ce sera, de 1791 A 1802, une existen ce prodigieuse. fulgurante, faite d'6pop6es et de triomphes. La volontd d'un homme allait triompher du hasard des choses. Avec Toussaint, c'est la marche triomphale vers l'ind6pendance. C'est la foule hurlante des braves se profilant dans les hauteurs de la Crete & Pierrot, carabine au poing.
C'est aussi la longue file des heroines de 1802 se mouvant dans la plaine de l'Artibonite ou dans les hautes herbes de Vallibres ou du Mont Organisd, la houe & la main, pour nour rir et fortifier les cent mille combattantf de 1803.
1I
"Et si Dessalines r~alisa son oeuvre prodigieuse, comme vient de 1'4crire Placide David, c'est qu'il avait en main l'arm6e noire de St Domingue, cet outil patiemment forg4 par Toussaint."
Louis E. ELIE
En Marche vers
l'Ind pendance
Le colon sanguinaire a fait travailler l'esclave toute sa vie, sans presque le nourrir, Et l'esclave a pleur6. .. Et ses larmes ont could tristement sur le bord de ses cils. Le chagrin a p~n6tr jusqu'au fond de son Ame, car il n'a jamais requ une caresse, un mot aimable, ni un sourire, ni une joie de qui que ce soit. ....
Un derivain russe de grand talent : Vladimir Korolenko a fait un tableau saisissant de la vie d'un paysan sib6rien, dans un conte c6lbre qui a pour titre : Le rave de Makar; je ne connais pas, en v6rit6, de protestation plus vdhdmente contre le pouvoir et la richesse. Le paysan de Korolenko est sombre, il a les yeux ternes, et ses habits sont d~chirds. Ses bourreaux ont le regard clair, car ils se lavent avec des parfumrns chaque jour; ils n'ont jamais vers4 autant de larmes que ce malheureux . .
Ce paysan 4tait pourtant n6 avec un regard clair pouvant rdflechir le ciel et la terre, comme les autres hommes. II 6tait n6 avec un coeur pr~t A s'ouvrir A tout ce qu'il y a de beau au monde. Mais il arriva un jour ohi ce malheureux ne s~t qu'une chose, c'est que la patience 6tait 6puisde dans son coeur. II arriva un jour que son esprit, tout rempli d'un ddsespoir aveugle, ne voulut plus supporter son horrible fardeau; une 4toile avait brill6 devant lui: l'espdrance. Alors, la colkre se ddchaina dans son Ame; comme latempete dans une nuit sombre, elle 6clata furieusement, et ce fut le salut.
En 1802, e'est le m~me rave h~roique et brutal que l'ontrouve dans le coeur des esclaves de Saint-Domingue. Le terrible Dessalines a lane les mots d'ordre sanguinaires et triomphants : Coupez totes : boulez cailles : Libertd ou la Mort "
D~s lors les villes haltiennes flambbrent comme des torches. De 1802 A 1803, on vit d6ferler des mers de feu partout, comme A Moscou, dix ans plus tard.
Saint Domingue devint un immense brasier. Les vents furieux des tropiques soulevaient des tourbillons de flamme qui montaient sinistrement dans l'air et retombaient sur le sol en cascades d'6tincelles. De tous c6tis, on ne voyait que d'4normes tisons s'abattant sur les maisons coloniales qui brasillaient. A Port-au-Prince, au Cap, aux Gonaives, A Saint Marc, partout, on n'entendait que l'6croulement des murailles, l'dclatement des balles et le sinistre sifflement des tourbillons de feu. Fracas horrible, 6pouvantable, qu'augmentait la formidable detonation des canons. Et Dessalines, au milieu de cet enfer, dtait debout, grand comme la Vengeance. Cent mille guerriers en haillons le suivaient.
LibertU ou la Mort!
XXX
Le 18 Novembre 1803, le g6ndral en Chef de l'Arm4e Indighne s'engage dans une manoeuvre ddsespdrde pour rompre le front ennemi et culbuter Rochambeau definitive ment. II faut qu'il s'empare du Cap, supreme retraite de
'armde frangaise.
Ses soldats sont affamds, hallucinds mame aprbs des mois
de combats et de marches p~nibles. Leur passage A travers les villes d6j4 conquises : Port-au-Prince, Mirebalais,SaintMarc, Gonaives, etc, est marqu6 par des tAches de sang que laissent aux pierres de la route, leurs pieds blesses. Les visages sont gris de poussibre et de boue dess6ch6e. Pour toute nourriture: un dpis de mais par soldat. Mais ces lutteurs en haillons sont pr~ts au supreme sacrifice de la vie: ils sont pr~ts A l'assaut, car il s'agit pour eux de montrer aux haltiens A naitre la mesure deleur ddvouement ]a cause nationale de l'Ind6pendance. Hommes nouveaux surgis dans une tempete r~volutionnaire, ils sont prets & faire 6clater devanrrt l'ennemi leur 6ternel et tenace besoin de liberty.
Libert6 ou la Mort!
Dessalines reconnait que, pour affaiblir et d6moraliser I l'arm6e de Rochambeau, il lui faut transformer la guerre
en 6pouvantable terreur. Il se rend compte qu'il lui faut constammenr.t maintenir son armde par la parole et par l'action, sur le plan infernal. La forme la plus efficace de faire
la guerre, selon lui, c'6tait de la rendre aussi effroyable que possible. Coupez tdtes, boulez cailles "
Le 18 Novembre 1803, Dessalines, A la tte de 15,000 hommes, fait attaquer les forts et les blockhaus qui d~fendent le Cap, dernibre place forte occupde par les franCais.
" Je veux, s'6crie le gdn6ral en Chef, que le drapeau indighne flotte sur le butte de Vertibres, duss&-je voir disparaitre numbro par num6ro tous les bataillons. "
"Grenadiers, A l'assaut s'dcrie A son tour Capois la Mort. Qa qui mourri zaffair A yo. Lan point manman, lan point papa. Grenadierrs, A l'assaut "
Et Capois s'dlance contreVertiares. II 6cume de rage. La mitraille dcrase ses soldats en marche. Mais il ajur de culbuter la garde nationale du Cap et les regiments de ligne qui d~fendent le fort. Un boulet renverse son cheval. Tout couvert de poussibre, il se relive, le sabre A la main et continue sa marche victorieuse sous les triomphales acclamations des soldats frangais 6tonn6s. Les obus 6clatent autour de lui, les balles sifflent partout, et Capois, de sa terrible voix de fauve, s'6crie toujours : Grenadiers A l'assaut. "
C'dtait la foudre sur le champ de bataille. Et c'dtait aussi la victoire, car trois sideles d'esclavage finissaient IA
Le coup de tonnerre de Vertibres avait sauv6 le pays. Aprbs la charge h6roique des grenadiers de Capois, Rochambeau sentit que la valeur et le d6vouement des soldats frangais ne pouvaient plus rien accomplir de grand A Saint-Domingue. Et pour dviter le sacrifice inutile des debris de son armde, il proposa un accord A Dessalines. Mais comme celui-ci venait de le battre en rase campagne, l'6vacuation du Cap fut 6xig6e, la capitulation militaire absolue 6galement, Dbs lors, le canon cessa de tonner de part et d'autre.
Saint-Domingue sortait enfin d'un cauchemar. Et ce cauchemar avait dur6 trois sidcles. (1502-1803). Haiti est & nous s'6cria Dessalines au moment oil le dernier soldat frangais s'embarquait dans la rade du Cap (24 Novembre 1803).
Apr6s, c'est le triomphal difil des soldats de l'Ind6pendance, victorieux A Vertibres. On vit flotter d'innombrables drapeaux au haut desidifices comme une attestation de la force et de la joie universelle. Et quand les 6tendards de la 6e demi brigade, noircis par la poudre, ddchiquet~s par les balles, s'abaisshrent devant le gan6ral en Chef qui les saluait de son dp6e, un immense frisson secoua la foule. La multitude barbare d'autrefois, gris~e par le carillon triomphal des clo. ches, acclama le Librateur : Libert6 ou la Mort Gloire A Dessalines cris farouches, voix irrit~e et vindicative, mais confiante quand mime et qui ressemblaient au colossal hurlement des fauves. Tous les visages 6taient tendus par i'enthousiasme, La grande place d'armes du Cap s'6tait transform6e en une immense forkt de drapeaux, de fusils et de baionnettes. II en sera ainsi jusqu'au premier Janvier 1804.
Le ler. Janvier 1804, c'est l'apothdose.
Pour frapper l'imagination des soldats et tuer la pitid dans le coeur du peuple, Dessalines fit r~diger, A la hate, la terrible proclamation que l'on connait. Ensuite, ce fut le cri farouche et inhumain :" Il reste encore dans cette Ile des personnes qui ont contribute A faire noyer, suffoquer, assassiner, pendre, fusiller plus de 60,000 de nos frbres sous le youvernement militaire de Leclerc et de Rochambeau . Haitiens votre pays ne peut exister qu'en criant "Aux Armes! de six mois en six mois . Oui, nous avons rendu A ces cannibales guerre pour guerre, crimes pour crimes, outrages pour outrages .. Oui j'ai sauv6 mon pays, j'ai veng6 l'Ambrique. Mon orgueil est dans l'aveu que j'ai fait A la face des mortels et des dieux. Qu'importe le jugement que prononceront sur moi les races contemporaines et futures "
Le tigre, en effet, avait arm6 ses soldats de couteaux pour la tuerie gndrale des colons frangais. Crimes pour crimes, outrages pour outrages.
Louis E. ELIE
Boisrond Tonnerre
-1
Le ler Janvier 1804, ce fut !a continuity dans le souvenir et dans l'espdrance.
On entendit ce jour lA, sur laplace d'armesdesGonaiyes, une voix puissante, sonore comme l'airain. C'6tait la. voix de Boisrond Tonnerre hurlant les strophes guerribres de la terrible proclamation. On eut la sensation que la plume de cet homme 6tait v6ritablement une baionnette et qu'i l'avait trempde dans la lave ardente d'un volcan pour dcri re le plus prdcieux document de notre histoire.
Le baptistaire des haitiens est sortide la fournaise des batailles comme la foudre sort de l'immense brasier des nues.
Qui 6tait Boisrond Tonnerre ?
Une force de la nature qui portait en lui les dons miraculeux du voyant, un g6nie inconscient qui dcrivait des lettres. des m6moires et des proclamations entre deux ivres ses... Sa vie de d6pravation met encore sur son front cornme une couronne d'impuretd. Mais le forgeron des actes officiels de 1804, malgr6 ses misbres morales et sa manibre de vivre presque d6mente fut, A coup siar, le plus 6blouissant des officiers d'6tat-Major de Dessalines. Et c'est aussi pour cela que, dans cette glorieuse galerie du souvenir oa sont rassembl~s depuis plus de cent ans les figures les plus vivantes, les plus rdelles de notre 6popde, parmi tous ces giants de l'histoire que la reconnaissance populaire a sauv6 de la mort, le fougueux secretaire de Dessalines parait 6tre celui qui, v6ritablement, avait allumb son Ame A l'Ame volcanique du Libdrateur.
Par la vigueur expansive et le fulgurant dclat de son style,-unique en Haiti,- par sa phrase Apre, for te, toujours pleine d'indignation, de m6pris et de colbre,
par toute l'amnplear tragique de ses d6clamations militaires, I'on voit bien que cet homme 4tait nd avec le don fatal d'6blouir.
Lisez Chardron, lisezChanlatte, Etienne Mentor, Carbonne, Dupuy, tous, secretaires aussi de Dessalines, et vous verrez une pompeuse forme vide qui donne A leurs nar rations je ne sais quelle continuity monotone et triste. La phrase de Boisrond Tonnerre est charge d'6tincelles 6lectriques; elle est surtout chargde de toute la vague de sensations rdvolutionnaires qui tourmentait sa grande Ame agitie. Cet homme s'animalisait en dcrivant. Comme l'autre, il dcrivit une langue barbare pour I'6ternit6, Boisrond Tonnerre 4tait la bate farouche : lion ou tigre. exprimant avec une pl6nitude extraordinaire les frissons de revolte de Dessalines, de meme que la pensde et l'dmotion de toute l'arm6e. Ses mots dtaient des sons, des sons vibrants, c'est A dire de v~ritables cris ddmoniaques qui faisaient passer le contagieux frdmissement de son coeur dans le coeur des dragons, des grenadiers et des tirailleurs qui n'avaient qu'une volontd, l'universelle volont6 de vivre ou de mourir. "LIBERTE OU LA MORT."
On semble entendre encore ses rugissements de fauve.
-1 1
On reproche & Boisrond Tonnerre de manquer de finesse et de grace. Un lexicographe francais .Claude Boiste s'est moqud de lui t propos des verbes lugubrer et brutifier. Oui, Boisrond Tonnerre n'avait pas la grace dans l'expression; il ne l'avait pas non plus dans le caractare. "Sa phrase sent le clairin "dit Guy Joseph Bonnet qui ne l'aimait pas.
Que pouvaient faire, A la vdrit6, sur des soldats qui sentaient la poudre, la finesse des mots et cette quality charmante du style que l'on appelle la grace ? Oui, la grace est grecque et frangaise tout ensemble; elle donne A l'expression cette aimable fluidity que nous observons chez Coriolan Ardouin, Ignace Nau, Alfred Simonise. Ducas Hyppolyte. etc; mais ce rythme berceur, cette houle parfumde qui s'adap tent si bien aux ondulations du rave ne sont pas la source de I'inspiration guerribre. La grAce est certainement plus belle
que la beauty; devant le sourire de la Joconde, les hommes n'ont pas encore fini de raver. La grAce ne gagne pas les batailles. Lorsque devant Pergame en feu, l'agile Diombde blessa V6nus dans les t6ndbres, Jupiter alarm s'6cria: "Vous tes faite pour I'amour, et non pour la guerre ma fille."
Boisrond Tonnerre, lui, 6tait soldat; il 6tait officier sup6rieur attache A l'Etat-major de Dessalines; il ne pouvait donc s'exprimer qu'en formules 6clatantes et barbares. Au reste. il n'est pas le seul derivain qui se soit servi de mots nouveaux pour exprimerdes sensations nouvelles. Prenez le livre qui ale plus contribu6 A crier la prose frangaise classi que au XVlle sibcle et de qui Bossuet disait: J'aimerais l'avoir fait", c'est A dire Les Provinciales et vous verrez les mots violement, tuable, etc, par lesquels Pascal incriminait les J6suites et leur trop grande indulgenee pour les faiblesses humaines. Baudelaire se souciait maladivement de la perfection littdraire; Les Fleurs du Mal, aprbs avoir rajeuni et renouvel6 la podsie au XIXe sibcle, reste encore la forme la plus savante et la plus curieusement travaill~e peut-ftre du vers franqais; or nous y trouvons le mot fraternitaire. Dans ses Petite pokmes en prose 4galement.
Hugo inventa le mot oiselle et, pour s'amuser, il a fait du g~ndral Trochu le participe pass du verbe tropchoir. .. Lon Daudet inventa le mot moitrinaire. J'ai lu immaeulable dans une traduction frangaise des Perses d'Eschyle et le verbe brissoter dans le journal de Camille Desmoulins :"Les Rvolutions de France et de Brabant."
En somme, on doit se rappeler que Boisrond Tonnerre avait pass la plus intdressante partie de sa jeunesse A Paris et A Nantes. A Nantes, il eut pour professeur, dit-on, l'oratorien Fouch6 qui sera surnommd plus tard le mitrailleur de Lyon.
II n'est done pas 6tonnant que Boisrond Tonnerre ait eu tous les d~fauts de ce famenx XVllle si~cle qui s'acheva dans la plus sanglantedes orgies. Ce Bibclel'avait vivement intdress6; la p6riode de tourmente r6volutionnaire surtout. Pour cette raison bien simple que les 6crivains de ce temps, pr6occup6s avant tout de l'6dification d'un monde iddal (par
la destuction de l'ancien) voulaient cr6er l'homme nouveau compl6tement dchainD contre la servitude et les privileges qu'avaient 4tablis la plus choquante des in~galitis sociales. Et c'est pricisdment pour cela qu'il se fit, d~s son retour A St Domingue, un des soldats de cette lutte colossale oi les passions et les dynamismes politiques eurent, comme la foudre, un retentissement si prolong. Son style eut toute la vitality exub~rante du revolutionnaire mais c'6tait pour marquer la volont6 de fer de Dessalines. "Au premier coup de canon d'alarme, les villes disparaissent, et la Nation est debout:"
On reproche enfin A Boisrrond Tonnerre d'avoir t querelleur, licencieux et incr~dule; d'avoir surtout trop aim6 la d~6hauche et la griserie des tripots. C'est entendu. Ce justiciable de l'Histoire ne fut tourment6 r.ellement que par deux grandes passions: "L'EMPEREUR ET LA GLOI. RE."
Louis E. ELIE
N.B. Boisrond Tonnerre mournt assassin, le 18 Oct4bre 1806, A l'age de 29 ans. II mourut dins la 2e chambre du ler carr6 de la prison de Port-au Prince, m'a dit, un jour, son neven :Boisrond Canal jeune. Boisrond Canal jeune est le grand pare, par alliance, de Monsieur N. J ROUDE, consul de Yougoslavie en Haiti, mais RUSSE de naissance.
Le President Boyer
et I'Empereur de Russie
Alexandre ler.
(Une mission diplomatique Saint-P6tersbourg en 1822)
Geffrard arriva au pouvoir entour6 de toute une phalange d'hommes nouveaux, intelligents et patriotes dans un moment oi le pays semblait se ramasser pour un supreme 6lan vers le progrks et la civilisation. Geffrard donna le branle & l'instruction publique qui a fait de la gdndration actuelle (celle de 1889) une pdpinikre d'hommes instruits et pensants, n'ayant besoin que de rompre avec la politique machav41ique du passe pour marcher a la gloire et au relivement de notre chre Haiti.
FIRMIN.
Le 19 Septembre 1792, le jour de son installation au Cap comme Commissaire civil du gouvernement frangais, le jacobin L6ger F61icit Sonthonax disait pdremtoirement h l'As sembl6e coloniale: Nous d6clarons que l'esclavage estndcessaire a la culture et A la prosp6ritd des colonies, et qu'ii n'est ni dans les princines, ni dans la volont6 del'Assemblde Nationale de France de toucher, A cet 6gard, aux prdrogati. yes des Colons ".
Je ne oonnais pas de declaration politique plus formelle que celle-ld. Cependant, un an aprbs, le 29 Aoilt 1793, Son-
thonax, d6bord6 par les tragiques 6v~nements de l'heure, dtait oblige de proclamer la liberty g~nbrale des eselaves. La violence guerribre des partis politiques avait bris6 l'orgueil du jacobin.
Le 24 Fdvrier 1794, ia Convention Nationale sanctionnait par un D6cret la decision du Commissaire civil francais. C'etait la consecration l6gale et definitive d'un 6tat de fait qui, A la v6rit6, existait A Saint-Domingue depuis la terrible r~volte des esclaves du Bois Caiman.
Au mois de Mars 1814, c'est-A-dire dix ans aprbs l'6blouis" sante dpopde de Dessalines, Louis XVIII veut ressaisir la souverainetd sur Saint-Domingue; un article secret du Trait6 de Paris lui en donnait le droit. Voici'cet article :" Dans le cas oi Sa Majestd Chretienne (Louis XVIII) jugerait convenable d'employer quelque voie que ce soit, m~me celle des armes, pour rdcup~rer Saint-Domingue et ramener sous son obdissance la population de cette colonie, Sa Majest6 Britannique (Georges IV) s'engage A ne point y mettre ou permettre qu'il soit mis, par aucun de ses sujets, ni directement, ni indirectement obstacle.. "
Pour replacer Saint-Domingue, 9 ce moment, sous la domination de la France, il faudrait recourir aux armes; or, les Haitiens 6taient pr6ts A la guerre.
En tous cas, il est clair que le royaume de France, tout occupy A une nouvelle organisation politique, issue des guerres napol~oniennes, n'6tait pas prdt A ressaissir, par la violence militaire, son ancienne colonie. L'emploi des forces majeures (le mot est du Ministre Malouet) 6tait pres. que impossible en ce temps-ld. On recourut done A des pro. c~dds tortueux, A la finasserie et au mensonge pour capter la confiance de Christoqhe et de Pdtion, les deux seuls maitres de l'autoritd executive en Haiti A ce moment. Une mission diplomatique fut confie A trois Commissaires: DauxionLavaysse, Dravermann et Franco de Mddina, Mais les propositions qui furent faites par ces Commissaires au Prdsident P6tion se heurtarent A l'in6branlable volont6 de ]a nation de vivre libre ou de mourir. Le peuple d'Haiti veut 6tre libre et inddpendant; je le veux avec lui. Voilh la cause de mon refus, de ma resistance."
Christophe, lui, camp dans son orgueil farouche, ddaigne toute n6gociation. Sa declaration est formelle : reconnaissance absolue de l'Inddpendance d'Haiti. Liberty ou la mort!
Deux ans aprbs l'6chec de Dauxion-Lavaysse, Dravermann et Franco de Mddina, Louis XVIII cconfcre une nouvelle mission au Vicomte de Fontanges, au Conseiller d'Etat Esmangart, au Capitaine de vaisseau baron Du PetitThouars et au sieur Laujon, ancien membre du Conseil sup6rieur de Saint-Domingue, A titre de Commissaires suppliant, le roi de France avait nomm6 leColonel d'infanterie Jouette, le sieur Cotelle-Labouterie, procureur du tribunal de premire instance de Gien. C'6tait au mois d'Octobre 1816.
La nouvelle mission dchoua comme la premiere. L'inddpendance d'Haiti, d6clara P6tion le 25 Octobre, a t solennellement jurde sur les restes de nos infortunds compatriotes par les guerriers qui venaient de la conquirir, Ce serment sacr6 n'a jamais cess6 de retentir dans tous les coeurs; chaque ann6e if est renouvel6 avec un nonvel enthousiasme. Le r6tracter serait un d6shonneur, une infamie dont aucun Haitien n'est capable. Pour nous enlever notre ind6pendance, il faudrait nous exterminer tous "
XXX
Dbs la prise de possession du pouvoir (ler Avril 1818) le president Jean Pierre Boyer pensa consolid~r la Rdpubli. que, fondue en 1807 par le magnanime Alexandre Ption.
Voici ce que pense A ce propos un 6crivain haltien de grand m~rite: Alexandre Lilavois.
"Mais si l'avenir de la Nation 4tait assure l'int~rieur, le Chef du gouvernement ne pouvait se dissimuler que la grande question ext&rieure de son autonomie complete n'avait encore requ aucune solution.
"Aussi, pour la preparer, il n'hisitera pas A crder A la Rdpublique de nouvelles relations politiques afin d'arriver b contrebalancer l'influence de l'ancienne m6tropole en Haiti et A faciliter sa tgche dans les nouvelles n6gociations
A entreprendre en vue de la reconnaissauce de l'ind6pendance par le gouvernement frangais.
" C'est ainsi que le President s'est rappel6 qu'il pouvait employer l'intermidiaire d'un ancien officier supdrieur de l'exp~dition Leclerc (en 1802) le G~ndral Jacques Boyd, pour faire des propositions au Gouvernement Russe.
"L'homme que Boyer avait choisi dtait ce moment au service de l'Empereur Alexandre et habitait St Petersbourg avec sa famille; il ne pouvait avoir une pens~e plus heureuse, le G6ndral Boyd ayant dt6 son protecteur sous le regime de sang du fdroce Rochambeau. (1)
Pour comprendre maintenant pourquoi le Pr6sident d'Halti fit choix d'un g6n6ral franqais comme Pl6nipotentiaire A la Cour de Russie, reproduisons ce texte de Beaubrun Ardouin :
"Quelques semaines aprbs la prise d'armes de Ption, Jean Pierre Boyer fut arratd A Port-au-Prince oi il 6tait sans emploi : son intimit6 avec Ption en 6tait la seule cause. II fut mis en prison, et dans la nuit on le conduisit A bord de la frigate La Poursuivante oa il rencontra, 4galement arrt&, Moreau et Marc Coup6 ; ce dernier, ex aide-de-camp de Toussaint Louverture, revenait du Sud oa des affaires de famille l'avait appel6. De la frigate tous les trois furent embarqu6s sur une petite goalette qui les amena au Cap; Rochambeau s'y 6tait d6ji rendu. Le Capitaine de cette goalette eftit des 6gards pour Boyer et Moreau, non pas pour M. Coup6 qui probablement, lui avait 6t0 ddsign6 comme ayant servi pris de T. Louverture. Du Cap ils furent conduits au bureau de la place, de l1 en prison et mis au cachot : peu d'heures apras on les transf~rait A bord du Duguay-Trouin que montait l'amiral Latouche Tr6ville; ils y trouvarent Maurepas, sa famille et d'autre prisonniers.
1 tant en prison, Boyer dcrivit & Jacques Boyd, adjudant g~ndral et ancien colonel de la Lgion de l'Ouest. Cet officier
(1) Alexandre Lilavois La ranion de l'Ind6pendance.
(Extrait de Haiti commerciale et Industrielle. Annie 1921).
aimait les hommes de couleur et les noirs; il vint sur le vaisseau et recommanda Boyer aux officiers et m~me A l'Amiral. Le malheureux Coup6 fut npyd, peu d'instants aprbs Maurepas.
" Des femmes indighnes du Cap venaient assez souvent A bord du vaisseau apporter des provisions aux prisonniers ; Boyer pria l'une d'elle d'aller raconter ces faits A Jacques Boyd ; elle revient lui dire que celui-ci allait s'occuper de suite de le faire mettre en liberty : ce qui eut lieu dans la journde. En descendant au Cap, son premier soin fut d'aller remercier son protecteur, son ancien ami qui le fit loger chez un officier du genie et lui recommanda de ne pas trop se produire dans la ville.
n Cet officier le pr6senta an colonel Morelut, chef de ce corps, qui l'accueil]it bien.
* C'4tait un homme fort dclair6 et de beaucoup d'humanit6 Boyer continua de rdsider au Cap sans 6tre inquiet, (Baubrun Ardouin. Histoire d'Haiti. tome IX.)
*
**
Le 5 Mai 1821, le President d'Haiti donnait A Jacques Boy6, g~ndral francais, les pleins pouvoirs pour n6gocier avec la France. Cette fois, un traits de commerce 6tait envisage, avec pour base la reconnaissance absolue de l'Ind6pendance d'Haiti.
Jacques Boy6 eut A Bruxelles et en Hollande diverses conferences A ce sujet avec Esmangart, On ne put pas s'entendre, comme avant, et les n~gociations furent rompues A nouveau. Alors, pour contre-balancer Is politique franqaise en Haiti et l'influence de l'ancienne mtropole, le President Boyer chargea le g~ndral Jacques Boy6 de nouer des relations commerciales et autres avec la Russie.
L'Empereur de Russie assistait alors au Congrds de Laybach. A la v6rit6, ce fut avec plus de surprise que de joie qu'il apprit la proposition imprivue que le Comte de Capo d'Istria, qui dirigeait alors son Ministare des Affaires Etrangbres, dtait venu soummetre & son agr6ment. I1I ne s'agissait de rien moins que de signer un traits de commerce avec Haiti.
Sur le sajour de Jacques Boyd 4 Saint Ptersbourg, comme sur les pourparlers avec l'Empreur Alexandre ler, nous. ne redirons pas ce que l'on connait ddja, Nous voulons seu. lement ajouter des details nouveaux aux intiressants r~cits de Beaubrun Ardouin et d'Alexandre Lilavois.
La mission confide par le Pr6sident d'Haiti A Jacques Boyd, diplomate improvise, comportait un programme prdcis. II s'agissait de dissiper le long malentendu qui, de 1814 b 1821, avait empich6 tout rapprochement, politique ou commercial, entre la France et son ancienne colonie, d'emp8cher de se tourner en hostility la tris grande froideur des peuples de l'Europe envers Haiti, Il s'agissait surtout d'6tablir entre la Russie et la petite Rdpublique antildenne un veritable traits de commerce afin de neutraliser, de contrecarrer m~me la funeste influence de la France.
A cette oeuvre vraiment difficile, le plInipotentiaire halemploya de son mieux toutes les ressources de son intelligence et de sa bonne foi. Au d6but, la rdussite de la mission pariat si douteuse que le comte de Divoff, titulaire du Ministare des Affaires Etrangdres en l'absence de Capo d'Istria, essaya de d~courager le g6ndral Jacques Boyd en termes assez cat6goripues; il signala le risque que courait la Russie de compromettre son prestige, sa dignity m~me par une intervention hasard6e A un moment surtout oil le traits de Paris de 1814 dtait remis & l'ordre du jour au Parlement francais.
Mais Jacques Boyd n'dtait pas homme & se d6courager au premier 6chec. Et comme il 6tait d~cid6 & mener l'affaire & bonne fin, il joua de courtoisie, d'6lgance et d'esprit aupros d'Alexandre ler qui, lui-m~me, dtait un homme aimable et infiniment d'esprit, quoique maitre d'un pouvoir absolu et sans contr6le. Le gouvernement russe 6tait alors, comme b toutes les 6poques dd son histoire, exclusivement conduit par la personnalit6 toute puissante du Czar. Et c'est pr~cis6ment pour cela que Jacques Boyd mit toute son intelligence & conqu6rir l'affection du maitre, autant qu'il mit toute la souplesse de sa diplomatie i gagner le comte Capo d'Istria, le plus capricieux et le plus vaniteux des Ministres. ( Capo d'Istria 6taitde Corfou. En 1831, il pdrira assassind & Nauple comme dictateur de la Grace imancip6e.)
Donc, en Mars 1821, Jacques Boy6 soumit au Czar le trait qui assurait aux marchandises russes des avantages singulibrement pricieux; il insista mime pour faire jouir le commerce moscovite de tous les privileges dont la France avait jusqu'alors profit&.
Cependant, si importants que fussent les avantages offerts A la Russie (l'entente commerciale A 6tablir cachait si mal l'entente politique entre les deux pays, la veritable en r~alitd) le czar eut la loyaut6 de d6clarer au diplomate haitien ceci: "La France et Haiti sont deux pays predestin6s a s'u''nir. Comme signataire du Trait6 de Paris conclu entre les "quatre grandes puissances de l'Europe, je ne peux pas m'op"poser A ce qui a dt6 d6ja d6cid6. Cependant, je ferai de "longs efforts pour arriver au grand r6sultat que souhaite le "Pr6sident Boyer."
C'6tait lb un dchec dvidemment; mais Alexendre ler, par des entretiens d6cisifs avec le Comte de Gabriac, alla au del& du cadre 4troit d'une affaire commerciale. La molle et timide inertie du Comte Pasquier, Ministre des Affaires Etrangares de Louis XVIII, il la transforma en acceptation decisive du principe de reconnaissance de l'Ind~pendance d'Haiti. D'un ctd, il y eut assur6ment 6chec, mais de l'autre, c'dtait le triomphe complet du point de vue haitien, grAce Alasurprenante grandeur d'ame d'un Empereur que plus de trois mille lieues de distance s6paraient de nous.
Entrons plus avant dans les details de I'affaire. Le ler Mars 1821, le Comte de La Ferronays 6cerivait au Baron Pasquier exactement ceci: "Une nouvelle communication que je viens de recevoir du Ministre russe m'oblige d'appeler, encore une fois, l'attention de Votre Excellence sur cette affaire... "Quel que soit le parti auquel Votre Excellence s'arrte, je prendrai la liberty de lui faire observer que les Ministres de Sa Majesty Impdriale (Alexendre ler) regardent comme trs urgent que cette decision soit prise le plus promptement possible. ils ne m'ont pas dissimuld que si aucun arrangement ne devait se conclure entre la France et son ancienne colonie (Saint Domingue), I'Empereur ne pouvait pas priver son peuple des avantages considdrables qu'on lui ofre et qui, e son
refuse, ne seraient peut-dtre pas ggalement rejet8 par toutes les autres puissances."
Le 2 Mars suivant, le Comte de La Ferronays fixait nettement la position du gouvernement russe dans le rbglement de cette affaire. Son langage est precis; il affirme de manibre absolue, sans dquivoque, avoir eu, au Congrbs de Laybach, un entretien personnel avec l'Empereur deRussie. Voici ses propres paroles: "Dans la conversation que j'aie eue aujourd'hui avec l'Empereur, Sa Majest6 m'a entretenu longtempsde Saint Domingue. Elle pense que le seul parti que puisse prendre la France est celui de reconnaitre l'Inddpen. dance d'Haiti."
Comme on le voit, rien nest plus clair, rien nest plus for mel que cela.
Voici maintenant ce que disait le comte de Gabriac, Ambassadeur francais i Saint Ptesbourg, au baron de Pasquier, Ministre des affaire Etrangbres de Louis XVIII:
Lettre date de Saint Pdtersbourg (ler Avril 1821)
Mr. le Baron,
"Pendant que j'avais l'honneur de transmettre A Votre Excellence, en date du 3 Mars, les avis que Mr de Divoff me donnait touchant 'avantage que la France trouverait A tirer parti de ses droits sur Saint-Domingue, plut6t par la voie d'une n~gociation que par la chance fort incertaine des armes, le Ministre Imperial donnait connaissance A nos Pl nipotentiaires et, par leur intermddiaire, i Votre Excellence. des ouvertures faites par Mr. le gdndral Jacques BoyO.
"La politique gdndreuse et loyale qui a dictd la r~ponse faite par Mr. le Comte de Capo d'Istria A Mr. de Divoff sur ce sujet et dont je joins ici copie, parait faire d~sirerau gouvernement imperial que des ndgociations puissent s'ouvrir, ici, sons ses auspices entre la Mgtropole ( la France ) et cette colonie ( Saint Domingue).
".... Mr. de Divoff, paraphrasant la lettre de M. le Comte de Capo d'Istria, croit qu'il serait trbs avantageux si l'on adoptait le projet d'entrer en n6gociations avec Saint
Domingue, de I'6x~cuter ici, loin des influences trs pr6judiciables que de grands intir~ts et des passions trbs vives ne manqueraient pas d'exercer sur la marche d'une pareille affaire, si elle se traitait A Paris.
"Mr l g-a&ral Jacques Boy6 m'a communique les pleins pouvoirs qui lui ont 6t0 adress6s par le Pr6sident d'Halti et dont j'ai 6galement I'honneur de joindre ici les copies i tout hasard, quoique je pense que Votre Excellence les aura d6j. entre les mains ainsi que celle de la lettre de Mr. le Comte de Capo d'Istria par l'interm~diaire de Laybach. "
Alexandre Lilavois, dans son commentaire sur I'intervention du gouvernement russe dans cette affaire de reconnaissance de l'ind6pendance d'Haiti, 6crivait ceci dans le No. 52 (4 Juin 1921) de la revue hebdomadaire "Haiti Commerciale et Industrielle :
"Il ne peut 6tre d6fendu, quand on a lu avec attention ces pr6cieux documents, de penser que lesd~marches actives et empressdes de l'Agent officiel de la R6publique d'Haiti n'aient abouti A ce que l'on dolt consid6rer comme un succbs. En effet, la suggestion qu'ostensiblement Sa Majest6 Alexandre ler. et ses Ministres ont faite au Gouvernement de S. M. T. C. par l'interm6diaire soit d'un de ses Plnipotentiaires (Capo d'Istria) au Congras de Laybach, soit de l'Ambassadeur du Roi de France (le Comte Gabriac) pros la Cour de Saint-P6tersbourg sont la preuve. A n'en pas douter, que le gouvernement russe ne se ddsinterressait pas de la cause juste de notre ind4pendance.
" C'est 6videmment sous I'inflence du sincere ddsir manifestd par Sa Majeestg Impiriale Alexandre ler que le Cabinet frangais, prhsid6 alors par le duc de Richelieu, tentera avant longtemps d'engager de nouvelles n~gociations avec le Gouvernement haitien . . Il emploiera par la suite des Agents secrets ou offlcieux pour preparer la voie & un arrangement qui pourra sauvegarder sa dignity et lui laisser les meilleurs avantages tirer des relations amicales avee la jeune Rdpublique ".
Ces nouvelles negotiations aboutiront l'ordonnance du 17 Avril 1825, consequence naturelle de la pression exercee par l'Empereur de Russie sur le Cabinet franqais. Une chose est A noter la fin de cette 6tude, c'est que l'Empereur de Russie, dans ses longs efforts en faveur d'Haiti, n'envisagea jamais le principe de l'indemnit6 de 150 millions de francs au profit des colons franCais depossdd6s. L'Empereur de Russie ne paria jamais non plus d'octroi injurieux de notre ind6pendance par simple ordannance royale ...
Voici les propres paroles du Czar rapportdes par le Comte de La Ferronays lui mime dans le post-scritum de sa lettre au baron Pasquier Laybach, 2 Mars 1821. La France doit faire valor cette reconnaissance de l'indipendance d'Haiti, de laquelle depend entibrement celle des autres Puissances, et s'en privaloir pour obtenir de grands avantages de com. merce. Y
Aucune allusion donc i la fameuse indemnity de 150 millions qui pasera d'un poids si lourd sur le destin d'Haiti. LA encore le grand Empereur donnait A la France esclavagiste d'alors une legon de pudeur et de morality politique. (1)
(1) Est-elle inconnue du grand public, cette page de notre histoire diplomatique ? Peut-6tre oui. Une chose, en tout cas, est significative, c'est que cent vingt ans aprbs la g~ndreuse intervention de la Russie en faveur d'Haiti, il s'esttrouv6 A Port-au-Prince un Russe dc naissance et de conviction, Mr. N. I. Roude (Consul de Yougoslovie) qui, par sa culture et ses qualit6s charmantes d'homme du monde, fait grandement aimer ici son pays. Depuis quelque temps, en effet, le peuple haitien et c'est un plaisir pour moi de lui rendre ce public hommage s'associe g~ndreusement au grand r~ve patriotique de Mr. Roude qui s'efforce de faire fleurir sur notre sol une Are de collaboration, d'entente, d'amiti6 agissante et productive entre la grande Russie, presque victorieuse de l'hitl~risme et la vaillante petite Republiqee d'Haiti. Souhaitons que cela dure, car nous avons un grand intir~t 6conomique A r~aliser le plan conqu par Boyer en 1821. La Russie, point d'exportation pour nos denrdes, ne doit pas 6tre d6daignd, apr6s la guerre . .
Pensons-y srieusement.
Comment exprimer notre
reconnaissance envers la Russie?
***
La matibre historique sur laquelle j'ai travailld, je la considered surtout par rapport A ses repercussions futures, par rapport aux actes qu'elle peut provoquer, un jour, dans le sens de nos relations commerciales avec la Russie.
Nous donnons A nos rues et A nos dcoles, et cela pour marquer notre admiration et le sentiment de reconnaissance que nous'6prouvons pour tel ou telpersonnage ... les noms de X. Y. Z....
Je trouve strange cependant que nous n'ayons pas encore rappel6 le souvenir d'un dvenement historique aussi impor tant que celui du mois d'Avril 1822. Oui, il est bizarre que l'on dresse pdriodiquement chez nous des autels A tel ou tel stranger qui n'a jamais rien fait pour nous, que l'on sculpte pour l'4ternitM telle ou telle figure quand notre histoire est pleine de grands noms que la reconnaissance a pour devoir de sauver de l'oubli. Et c'est picisdment pour cela que je me permets de proposer au gouvernement de mon pays de c6l6brer, le 2 Avril prochain, le souvenir d'Alexandre ler Car cet Empereur fut le seul protecteur r6el de notre malheureuse petite r~publiques durant les tragiques tractations politiques de 1822. Sans lui on ne sait jamais ce qui serait advenu de deplorable pour nous.
Rendons hommage A qui hommage est dil.
Evidemment il nous sera impossible (le pays est si pauvre ..) de sculpter dans le marbre ou le bronze la grande figure hdroique du Czar, mais il y a divers autres moyens d'6tre reconnaissant, diverges fagons de transmettre A la post~ritd le souvenir d'une belle action. A d6faut du monument qui embellirait une de nos villes, nous pouvons donner A une rue de Port au Prince le nom d'Alexandre ler. A une place publique vaudrait assur~ment mieux.
On pourrait aussi faire imprimer un timbre poste comm6moratif dont la vignette repr6senterait I'Empereur Alexandre, les presidents Boyer et Lescot et les dates historiques: Avril 1822-Ayril 1942.
Et puis, ne croit-on pas qu'il serait n~cessaire d'dtablir & Moscou un Charg6 d'affaires haitien permanent? Le gouvernement russe y verrait 16 certainement un tdmoignage effectif de notre reconnaissance et de notre sympathie. En tout cas, je soumets toutes ces idbes la g~ndrense appreciation du President Lescot. Noblesse et reconnaissance obligent.
XXX
Je n'ai td guid6 que par un seul et grand idal dans la composition de ce petit travail: faire sortir de l'oubli de vieux papiers jaunis; servir mon pays, par sureroft.
Les vieux papiers instruisent et donnent de l'exp6rience A ceux qui n'en ont pas. Ils sont, du reste, les confidents silencieux qui, depuis des anndes, me protogent et me consolent de la politique machiavilique et inhumaine des politiciens.
Louis E. ELIE
Pices Justificatives
Le 20 Janvier 1820, le Pr6sident Boyer adressait
a Jacques Boyd la dfptche suivante:
Liberty Egalit4
REPIBLIQUE D'HAITI
Jean Pierre BOYER, President d'Haiti
A
Monsieur le G6ndral Boyd,
a St. P4tersbourg
Monsieur le G6ndral
Depuis que nous nous sommes s6par6s, j'6tais entibrement priv6 de vos nouvelles. Les qualitis eminentes qui vous distinguait, l'amiti6 qui existait entre nous, les services que vous avez rendus A beaucoup de mes compatriote lorsqu'ils 6taient vouds A la mort par une politique toute barbare, m'ont constamment port6A m'informer de vous avec le plus grand int~r~t, mais toujours je le faisais vainement lorsque ces jours derniers j'ai eu la certitude que vous habitiez St. P& tersbourg, que vous y 6tiez en famille jouissant de la consi duration que vous a m6rit4e vos vertus. Je vous filicite. M. le G4n6ral, de ce que le sort vous ait pr6par6 une vie douce et tranquille, et je suis d'autant plus heureux de savoir que vous 6tes devenu le sujet du vaste Empire de Russie que je crois que vous ne nous refuserez pas h y servir d'une manibre utile et honorable le peuple haitien. Admirateur de S. M. l'Empereur Alexendre dont les exploits, le caract6re et les principes retraces de toute part sont parvenus jusqu'A nous et dont la conduite magnanime
envers les peuples mimes qui ont d6sol6 ses Etats l'61 lve au rang des plus grands Princes. Je n'ai pas manqu6 de m'instruire de tout ce qui regarde la Russie, et la voyant place sur le globe plus avantageusement qu'une autre puissance pour commercer avec le monde entier, j'ai souvent d6sird que les avantages que prdsenterait b l'Empire Russe son commerce direct avec notre Rdpublique, puissent 6tre ports i la connaissance de l'Auguste Empereur Alexandre.
J'6tais dans l'embarras de savoir comment faire parvenir ges informations A la Cours de St-P6tersbourg, lorsque j'ai appris que vous y s~journez. Je ne pouvais souhaiter de trouver personne plus capable que vous, M. le G~n6ral, de remplir la mission importante que j'ai A confier A ce sujet : Vous connaissez nos climats, nos moeurs, notre caractire et nos sentiments; vous connaissez 6galement les ressources de notre territoire et nos besoins, et puisque vous avez habit longtemps parmi nous, vous pouvez aisiment les expliquer.
Les haitiens, en se d6clarant libres et ind6pendants de toute domination trang~re, n'ont t dirigds que qar le besoin de segarantir, ainsi qu'A. leur postirit6, une existent. civile et politique que trop souvent et pendant trop longs temas un machiav6lisme affreux a expos6 aux plus grande dangers, en essyant tant6t de les asservir, tant6t de leur 6ter la vie. L'ambition du pouvoir et de la domination ne nous a jamais guides...... Heureux de vivre chez nous sous la proteotion de nos propres lois, nous avons eu la sagesse de ddcider que le systeme d'aucun gouvernement ne nous occuperait et que nous nous bornerions a cultiver l'amitii de tous, en cherchant d 6tablir avec eux des rapports de commerce.
Depuis dix sept aundes que nous jouissons de l'Ftat que nous nous sommes procure, personne n'a eu se plaindre de nous. Nous n'avons point d6vid de ce que nous nous sommes imposs. .... VoilA la garantie que nous offrons A ceux qui voudraient avoir des rapports avec nous, Je vous autorise, Monsieur le G~ndral, par cette dipiche officielle A presenter ostensiblement, comme Agent de la R&publique d'Haiti dont j'ai l'honneur d'Atre le Chef, A L. L. E. E. les ministres de Sa Tris-Haute et Trbs Gracieuse Majes.
t6 -l'Empereur de toutes les Russies, afin de leur mettre sous les yeux avec invitation de les soumettre A S. M. I. les avantages que les sujets de l'Empire auraient A commercer directement avec les citoyens de la Rdpublique d'Hoiti et de la suplier de faire donner A ses sujets les permissions n~cessai" res. et d'encourager, s'il 6tait besoin, les premieres entreprises, afin de mettre a portde par experiencee, de juger de I'importance, pour la Russie plus particuli6rement, des rela. tions h 6tablir.
Vous ne manquerez pas, Monsieur le Gdndral, de faire valoir que les toileries fabriquies de chanvre et de lin, tant pour voilure de navire, pour sac A caf4 que pour habillement des troupes et cultivateurs; que le fer, les farines de fromant, les viandes sales et fumes, les cordages, les pelleteries, leS marchandises de l'Inde et de la Perse, les suifs, etc. etc. sont, des objets de consommation journalibre dans la Rdpubliquet comme aussi les sucres brut et terr6, les molasses, les eaux de vie de canne, les cafes, les bois d'accajou, de gayac, de campiche, qui se consomment dans I'tendue de l'Empire Russe, sont des objets qui s'exportent de la R6publiqu6 et dont ses ports de commerce sont toujours abondamment pourvus.
Pdn~tr6 que vous ne n~gligerez rien pour attirer attention du Gouvernement de S. M. I'Empereur Alexandre sur les ressources de notre commerce, j'aime 6galement A penser qu'il ne vous sera pas impossible d'obtenir d'Elle, pour le peuple haitien, une portion de Sa bienveillance qu'E'le a rdpandue avec une rare bontA sur les peuples de tous les cli. mats, sans r'arr~ter aux exceptions des d~tracteurs d'une partie de l'espbce humaine.
J'approuve d'avance, M. le g~ndral, les d6marches que yous ferez en vertu de la pr6sente lettre, et je recevrai, avec le plus grand plaisir, vos communications sur les points qu'elle traite.
A toutes ces fins que dessus, la pr~sente, sign6e de ma main, vous est expedi6e en vous faisant parvenir par elle, l'assurence de ma consideration bien distingude.
(Sign6) BOYER
35
Rapport de M. de La Ferronnays, date du ler Mars 1821, et adress4 i M. le Baron Pasquier, ministre des Affaires Etrangeres de Louis XVIlI.
Laybach, ler Mars 1821.
Monsieur le Baron,
J'ai dbji eu plusieurs fois occasion d'entretenir Votre Excellence des communications qui m'ont t faites par les Ministresde l'Empereurde Russie au sujet de Saint-Domingue, N'ayant pas re~qu de reponse formelle A ce que je pouvais mander A cet 6gard, j'ai da croire que le minist&re du Roi jugeait le moment peuopportun pour entamerune affaire dont le succhs, subordonn6 sans doute aux choix de circonstances favorables, devait 4tre compromis par l'essai d'une demarche intempestive ou prnmaturde, Une nouvelle communication que je viens de recevoir du Ministre Russe m'oblige cependant d'appeler, encore une fois, sur cette affaire l'attention de Votre Exellence.
Le Gouvernement de Saint-Domingue, soigneux de profiter de toutes les occasions qui peuvent constater et faire reconnaitre son Independance, a pened qu'en s'adressant directement au ministre Imperial il pourrait par l'appat des avantages reciproques offerts aux n6gociants des deux Nations, l'edcourager A entrer avec lui dans des rapports bases sur une 6galite parfaite et determine officiellement par une Convention de commerce; dans cette vue il resolft d'accrediter un Agent auprbs de la Cour de St-P~tersbourg.
Le President de la R~publique, se trouvait avoir servi sous les ordres d'un gdnbral Boyd qui commandait un Corps dans l'armde de Leclers; il avait meme t trs lid avec lui, et, separ6 par les circonstances, mais ne l'ayant pas perdu de vue, c'est A lui qu'il s'est adress6 pour former des relations qu'il pretend 6tablir avee la Russie.
Il dcrivit donc ce militaire, le 28 Janvier 1820, l'engagea & se charger de d6fendre les int~rats du pays dont le gouvernement lui est confi6 ; et, par une lettre du 4 Aoit
de la mime annie, il l'accr6dite formellement pres de la Cour Impdriale.
Le g6n6ral Boy6 devait s'attacher A faire valoir A St-Ptersbourg les facult6s que la nature des productions des deux pays offrait A leur commerce, et mime proposer formnellement une Convention sp~ciale qui assurerait ces avantages. Monsieur Boyd accepta cette commission, et l'Empreur se trouvant absent lorsque la lettre lui parvint il demanda et obtint un entretien de M. DIVOFF, charge par interim du porte feuille des Affaires Etrangeres. Dans une longue conversation qu'il efit le 22 Janvier 1821 avec le Ministre, il s'acquitta de sa commission, insistant principalement sur l'imposiblit6 que jamais la France put r~tablir sa domination A Saint-Domingue. Monsieur DIVOFF, se trouvant sans ordres de Sa Cour, dit au g4ndral Boy6 qu'il ne pouvait recevoir, que pour les transmettre. les pleins pouvoirs qu'il lui prsentait comme Agent de la Republique d'Haiti: il lui promit de rendre compte de cette conversation et d'assurer le tout A Monsieur CAPO-d'ISTRIA. L'Empreur, ayant pris connaissance de cette affaire a donn6 l'ordre A Ses Ministres d'approuver M. DIVOFF de la reser ve dansla quelle il s'6tait tenu etdeluienjoindredenotifier A M. Boy6 que, quel-que fut le d6sir que le Gouvernement Russe eut de se maintenir en bonne intelligence avee tous les peuples de la terre, I1 se trouvait dans l'impossiblit6 d'accueillir les propositions qui Lui 6taient faites, ayant adhdrd aux Trait6s qui recconnaissent la Souverainetd de la France sur l'Ile de Saint-Domingue.
La d~piche dans laquelle le Comte Capo d'Istria s'acquitte des ordres de l'Empereur a 6te exp6dide aujourd'hui mdme et le Ministre Russe se propose de rendre au Gouvernement du Roi un compte plus d~taill& de toute cette affaire par un courrier qu'il doit exp6dier b Paris en quatre ou cinq jours. J'ai accueilli avec reconnaissance la communication que les Ministres de S. M. Impdriale m'ont faite, ne peuvant que rendre hommage & un proc6d6 dont toutes les Cours n'ont pas imit6 la ddlicatesse, Votre Excellence aura vu, en effet, par la loi sur les Douanes publi6e A Port-au-Prince, le 3 Aofit 1819, que les droits d'importation 4tablis & 12% du montant
de l'6valuation 'sur les marchandises de toutes les nations sont seulement portdes A 7% sur celles de la Grande-Bretagne.
J'ai crA, Monsieur leBaron, devoirvous rendre compte de la Communication des Ministres Russes; si les intentions de Sa Majest6 6taient de donner quelques suites cette affaire, il me semble que nous pourrions nous servir utilement du g~ndral Boyd lui-mdme. Ce militaire, ayant servi dans l'arm6e francaise, en 1812 comme Chef d'Etat Major du Corps de Partounneaux, a t fait prisonnier A la bataille de la B6r6sina; croyant avoir quelque sujet de se plaindre de I'accueil qu'il recut de I'ambassade du RoI, il renonca au service de la France pour servir en Russie, oa iljouitd'une pension de S. M. Impdriale. N6anmoins, les d6marches qu'il a faite en 1815 prouvent suffisament que son premier ddsir eut dt6 de ne jamais se s6parer de sa Patrie. II serait je crois facile de l'y rattacher en lui accordant la d6coration de St-Louis et le grade qu'il sollicitait alors et l'on pourrait profiter avec l'avantage de la connaissance parfaite qu'il a d'un Pays oct il a lui m8me s6journ6 longtemps et de la bienveillance particulibre que lui conserve le Pr6sident de la R6publique d'Haiti, Dans le cas oct votre Excellence croirait devoir employer le Gdn6ral Boy6 il serait n6 cessaire en mime temps qu'elle transmette ses ordres A M. de Gabriac de solliciter de l'Empereur la permission de disposer d'un sujet qui, pass & son service, ne saurait accepter sans son consentement, les Offres que nous pourrions lui faire.
Quel que soit le parti auquel Votre Excellence s'arrCte, je prendrais la liberty de lui faire observer que les ministres de S, M, Imp6riale regardent comme trbs urgent cette d6cision soit prise le plus promptement possible ils ne m'ont pas dissimul6 que, si aucun arrangement ne devait se conclure entre la France et son ancienne colonie, L'Empereur ne pouvait pas priver plus longtemps son peuple des avantages considdrables qu'on lui offre, et qui, son reus, ne serait peut-6tre pas 6galement rejet. par toutesles autres puissances.
J'ail'honneur de renouveler A Votre Excellence l'as. surance de ma respectueuse salutation.
(Signd).. COMTE DE LA FERRONNAYS.
P. S. 2 Mars Dans la conversation que j'aie eu aujourd'hui avec l'Empereur, Sa Majest6 m'a entretenu longtemps de St-Domingue. Elle pense que le seul parti que puisse prendre la France est celui de reconnaitre lind6pendance d'Haiti; mais qu'elle doit faire valoir cette reconnaissance de la quelle depend entibrement celle des autres puissances et s'en prdvaloir pour obtenir de grands avantages de commerce...
Rapport de l'Ambassadeur de France en Russie,
confirmant celui de M. le Comte de La Ferronnays,
adress6 au m~me Ministre.
St. Ptersbourg, le ler Avril 1821.
No. 31
Monsieur le Baron,
Pendant que j'avais l'honneur de transmettre A Votre Excellence, en date du 3 Mars, les avis que M. de Divoff me donnait touchant I'avantage que !a France trouvera & tirer parti de ses droits sur St. Domingue plut6t par la voie d'une ndgociation que par la chance fort incertaine des armes, le Ministre Imp6rial donnait connaissance A nos pl~nipotentiairet par, leur interm6diaire, A Votre Excellence des ouvertures faites ici par Mr. le Gdndral Boyd. La politique g6ndreuse et loyale qui a dict6 la rdponse faite par M. le Comte de Capd'Istria & M. de Divoff sur le sujet, et dont je joins ici la copie, parait faire d6sirer au Gouvernement Imperial que des n6gociations puissent s'ouvrir, ici, sous ces auspices, en tre la Mdtropole et cette Colonie. Dans cette vue M. de Divoff aprbs m'en avoir entretenu, a engage le Gdndral Boyd & passer chez moi trouvant qu'il ne peut n~gocier avec la Russie, M. Boyd serait d'autant plus port & servir d'interm~diaire & une n~gociation avec la France qu'il ne doute pas que le r4sultat d'un accord ne fussent immens6ment avantageux & 'ILE de St. Domiegue dont il se trouve l'agent, aussi bien qu'd la France qu'il considered toujours comme Sa Patrie et dont l'attitude hostile n'a tourn6 jusqu'ici qu'au profit de l'Angleterre dont les marchandises privildgides sont exemptes A leur importation & St. Domingue de la moitid des droits de douane. Les int6rts personnels de M. Boyd ne sont sirement pas non plus entibrement stranger A ces dispositionsRebuter durement, quoique lgalement sans doute, par le Ministre de la Guerre de France et par la grande Chancelle. rie de la Legion d'Honneur lorsqu'il sollicitait de la premiere de ces administrations le brevet de Mardchal de camp, dont
a ce qu'iL assure, il a obtenu le grade en 1812 et rempli des fonctions de la seconde, la decoration d'officier de la Ld 'gion 'cilonneur dont il soutient 6galement avoir requ la nomination par I'intermddiaire, je crois," de Monsieur le Duc de Bellune mais dont le titre ainsi que celuide son grade 'a t dgar6 lorsqu'il fut fait prisonnier en Rusgie, il serait heureux d'avoir une occasion de pouvoir se trouver par cette n6gociation, dans une position qui lui faciliterait l'obtention de ses demandes.... Le Gouvernement de son c6t6 ne pourrait sans doute que trouver avantageux de n6gocier avec un homme qui quoique dtabli actuellement en Russie est devenu phre de famille, recevant, i titre des secours une pension de l'Empereur et pr~t A entrer A son service, il serait cependant, je crois, infinimeni sensible .A toute espbce de faveur de la part de notre Gouvernement qui le mettrait dans le cas de continuer A demeurer franqais et le rattacherait au service de son pays. M. de Divoff en outre, paraphrasant la lettre de M. le Comte de Capo d'Istria croit qu'il serait tt s av'antigeux, si l'on adoptait le projet d'entrer en n~gociation 'avee: ~i' Domingue, de l'ex~cuter ici, loin des influences trbs pr~judiciables que de grands intirits et des passions trbs vives ne mianqueraient pas d'exercer sur la marche d'une pareille af faire i elle se traitait & Paris. M. Boyd m'a cammuniqu6 les Tieinls pouvoirs qui luiont t adressds et dont j'ai 6ga, element l'hioneur de joindre ici les copies & tout hasard, quoqu'je pele que Votre Excellence les aura ddjh entre ses mains ainsiquecelledelalettredeM.le Comte deCapo d!tria ,par l'interm6diaire de Laybach.... M. Boyd ne doute pas qu'il n'obtienne des pouvoirs pour n~gocier avec la France, si nous consentons & traiter avec lui et peut 6tre que la convenance d'dtablir cette nagociation sous les auspices de la Russie, pourrait en effet y determiner facilement le Gouvernement de St. Domingue.
M, Boyd estpersonnellement tris connu de M. le Baretde Portal, Iinistre de la Marine:.... J'ai I'honineur d'Ctre avec respect, M. le Baron, d-e Votre Excellence le trbs humble et trbs obdissant serviteur.
(Signd) LE COMTE DE GABRIA C
Cent ans apres....
Le puissant organisateur de la Sainte Alliance, l'homme qui, en 1814, avait replace les Bourbons sur le tr6ne de France et libdrd du joug napoldonien tant de principaut6s et de royaumes, 4tait, & la v6rit6, une sorte de mousquetaire, un chevalier A panache qui prenait plaisir A parcourir le monde pour redresser les abus et les torts. PM1erin du bon droit cheminant toujours vers le mieux, Alexandre ler portait dans ses fixes prunelles de slave l'inextinguible feu des choses eternelles.
En 1825, l'ann6e mAme de la reconnaissance de notre Ind~pendance, il mourait L Saint P~tersbourg A l'Age de 48 ans.
Mais qu'aurait dit le grand mousquetaire couronni si, cent ans apras sa mort, il pouvait revenir sur terre et constater de ses yeux ce qui a td fait de son oeuvre colossale. Lui qui, peu de temrps avant 1825, avait tant contribu A faire entrer Haiti, -du point de vue international,-dans la grande soci6t6 des peuples ind6pendants, qu'aurait-il pens6 des sinistres qvinements politiques qui mirent notre pays A feu et& sang, de oyer VilbIrun Guillaume.
Oui,,d s que les Haitiens. furent libdr6s de l'inqui~tante perspective d'.une inyasior francaise, toujours imminente avant 1825, ils porthrent toutes legrs passions explosives dans des luttes civiles et militaires sans profit. Les chefs, au lieu d'encourager nos populations & cultiver la terre, a exploiter toutes les richesses d'un sol lgendaire, prf6r4rent cr6er l'insfcurit partout.
Aux incessantes guerres civiles qui pes6rent d'dih si lourd fardeau sur le destin de notre pays et qui l'empdchbrent de prosp~rer, it faut ajouter la profonde ignorance des campagnards, ignorance qui est la consequence de nos luttes fratricides. Nos anciens chefs de gouvernement, au lieu de d~velopper toutes les productions agricoles n~ces-
saires A la subsistance du peuple haitien, enr6lrent plut6t sous les drapeaux des milliers de paysans inquiets; ils en firent des soldats et des meurtriers quand il fallait en faire des cultivateurs et des industriels.
Le pass a d~posd dans nos moeurs, jusqu'en 1915, divers fIdaux destructifs de tout esprit public.
Avec Soulouque, c'est la domination brutale d'un pays dont on redoute le m6contentement. Habitud A ne pas connaitre de bornes A sa puissance militaire, (car il faut attribuer l'inf6riorit6 ind6l6bile de cet homme A l'orientation maladroite de sa vie des camps), le terrible Soulouque obligeait presque tous les Haitiens a se courber devant lui. Avec Domingue, on habitue le people ne plus agir, i ne plus penser, i subir docilement une servitude ruineuse et stup6fiante. Pas de paroles indiscrotes et tracassires. Autreme-%t, c'est le poteau rouge ou l'exil.
Avec d'autres, c'est la prosprit6 factice et le faste trompeur; et c'est aussi la mort, lente et sire, s'infiltrant mystdrieusement A travers les barreaux d'un cachot. Locuste a souvent ragnd en Haiti.
Avec d'autres encore, c'est la paresse incurable ....mais calculde. On s'abstient d'agir pour ne pas froisser les int& rots des uns et des autres ; la consigne est de provoquer le minimum de protestations. Et le plus stir moyen de durer, d'apris ce groupe maudit, est de ne rencontrer aucune rdsistance,puisque le m6contentement nalt gdndralement, bien moins del'inactivitd du Chef que de la maladresse de certaines mesures prises par des personnages en sous ordre. En somme, pour conserver la confiance du peuple it s'agissait de ne rien faire....
Et voilh, de 1804 A 1915, l'Histoire en main, ce qu'on a vu dans ce malheureux pays.
De quelles causes secretes cet 4tat de choses fut-il la suite ? Faut-il, dans le ddveloppement de notre vie sociale, I'attribuer A l'inf6rioritd de nos anciens chefs ? Faut-il plut6t trouver 1'explication de nos 6chees et de nos malhears, (du-
rant les cent dernibres anndes), au choix d6sastreux des collaborateurs fait par tel ou tel president?
Le secret est certainement lI, car, pour avoir bien su choisir, nul gouvernement ne fut plus stable et plus raisonnable que celui de Christophe. On peut en dire autant de Geffrard et d'Hyppolite qui eurent pour collaborateurs, le premier: Plsance, Elie Dubois, Alexis Dupuy, Augucte Elie, Bance, Jean Simon, etc; le second: Ant6nor Firmin, Hugon Lechaud, L6ger Cauvin, Nemours Pierre-Louis, etc. Et c'est pour cela qu'il vaut mieux tre, au regard de l'Histoire. Henri Christophe, Fabre Geffrard, Florvil Hippolyte que Soulouque, Domingue, etc....
XXX
Le savant docteur Nemours Auguste (le phre de l'actuel president du Sdnat) disait en 1904, dans son admirable Rapport sur le projet de loi additionnelle a la loi du 16 Septembre 1870 sur la Chambre des Comptes exactement ceci:
"Les paroles d'anathbme ne gu6rissent pas les maux, ils ne r6parent pas les fautes des nations.
"Ce qui gu6rit les uns et rdpare lea autres, c'est l'dtude de leur gendse et de leur d~veloppement; c'est un regard scrutsteur jet6 sur les souffrances du peuple, c'est une connaissance approfondie de son 6tat mental, une analyse patiente de son caractbre, de sa nature, de ses besoins, comme aussi de ses 4ducateurs envers lui."
Et voici comment le savant docteur, qui 6tait en mome temps un clairvoyant sociologue, a jet6 son regard scrutateur sur l'histoire d'Haiti, des origines A l'av6nement de Nord Alexis :
"Attachd par une tradition s6culaire A la conception du gouvernement d'autorit6, faqonn6 depuis l'origine A l'obdissance passive, et identifiant la notion du Pouvoir A celle de la toute puissance d'un homme, maintenu dans cette direction, ou cette discipline, par un syst~me d'administration militaire olI Pon ne connait de loi que l'ordre dman6 du President d'Haiti, pas assez mir peut-6tre pour -appr6cier les bienfaits d'un gouvernement d'opinion, pas assez
Oclaird pour en suivre le d6veloppement et les phases journalibres; n'ayant gubre de l'ttat que la notion simpliste du Chef intangible, indiscut6, omnipotent, le peuple haitien comprenait mal le phdnomne historique qui se d~roulait devant lui, et dont il 6tait la matibre animde. Plus attach aux luttes locales, il se disint~ressait de la solution du problcme national....
"Il sufflsait qu'un citoyen d6cor6 du titre de Pr6sident d'Haiti dit un mot, que le plus mal qualifi6 de ses Ministres, la plus ple de ses ombres exprimit un de ses d6sirs, on un de ses caprices, pour que le jeu des lois fut arrt, pour que les int& rts de la nation fussent sacrifids. On s'inclinait avec respect, comme un champ de cannes flexibles se courbe au premier souffle de la brise.
"Quelle que fit l'incomp6tence du President ou de ses Ministres, (1) quelle que fOt la gravity des int~rats en d6bat: Budget, Credits extraordinaires ou suppi6mentaires, Emprunts, Dette publique A consolider. Traitdsde Commerce, on s'inclinait toujours plus bas,
Ce fut une gloire de voter sans examen, sans etudes comme pour mieux affirmer l'omniscience des Ministres ou de leur Chef, les yeux fermbs, (pour mieux prouver sa soumission...)
"Un peuple adapte ses lois A ses moeurs, A ses besoins au bien qu'il veut faire, au mal qu'il veut r6primer, A la direction qu'il entend donner A ses affaires. Nous avons fait fausse route en empruntant A nos inspirateurs ordinaires les rigles d'un bon controle. Leur savante organisation financibre diff re trop de notre organisation imparfaite ; leurs moeurs administratives sont trop6loign6es des n~tres, pour "qu'une adaptation Atroite de leur systbme A notre administration produise ici des effets qu'ilproduit lI-bas.
(1) Rivibre H6rard et Lazare par exemble, Lazare ne savait ni lire nl 6orire; I1 fut Ministre pourtant.
"Ne craignons done pas d'entrer tranchement dans une voie nouvelle ; et trappons & d'autres portes, si nous devons trou, ver ailleurs des principeS 6provvds qui rbglent notre conduite..
Et voici la conclusion du copieux Rapport de Nemours Auguste phre: "Vous savez, Messieurs, ce que cofttrent au Days cette soumission et cette aventure: la ruine et la honte, consequence des longs abandons, une dette hors de propor. tion avec nos ressoUrces, et par dessus tout, une d~moralisation profonde, plus douloureuse encore que la perte de notre fortune.
"Voild oi tombe un pays, lorsque, d~sertant la voie lumineuse oil sa destine l'avait engag6,... il livre A la vanity, A la rapacity et A l'ignorance une administration sans contr6le.
"Mais les nations n'ont pas le temps de s'arrater et de gdmir sur les ruines. Les fautes sont comme les grandeurs et la gloire, un legs transmis par les g6n6rations passes; nous avons pour premier devoir. non de nous plaindre, mais de les r6parer et d'en pr~venir le retour... "Les ennemis de l'Etat veillent toujours; nous vous offrons contre eux de nouvelles armes, et les moyens d'arr~ter leurs entreprises,"
Louis E. ELIE
La Nouvelle Orientation Politique
Ne craignons done pas, disait en 1904 le docteur Nemours Auguste, ne craignons done pas d'entrer franchement dans une voie nouvelle, et frappons & d'autres portes, si nous devons trouver ailleurs des principes 6prouv6s qui r~glent notre conduite.
Le president Lescot a frappi b d'autres portes. II a jet6 le cri d'alarme et de confiance, etnous sommes tous obliges de le suivre : ing6nieurs, m6decins, commerqants, historiens, sociologues, industriels et artisans, tous, tous. Le peuple immense des campagnes 6galement car le Chef de l'Etat travaille pour am61iorer le sort de quatre millions d'hommes. Se d6vouer, doit 6tre aujourd'hui le mot d'ordre g6ndral. Pour ma part, j'accepte volontiers donner, dans la lutte qui se dessine, tout mon d6vouement, toute ma bonne foi, non pas pour trouver dans le gouvernement une situation plus commode et plus sfire (mon ind6pen. dance et mon d6sint6ressement sont connus de tout le monde) mais parcequ'il faut, devant l'abime qui s'ouvre devant nous, soutenir loyalement, par la parole et par Faction, tout Chef 6nergique qui prouve qu'il ne veut pas que s'6teignent les capacit6s pouvant honorer et servir utilemeut le pays.
Sur les ruines d'une administration d6cr6pite, le president Lescot fait de longs efforts pour 6difier une politique nouvelle, en rapport avec le d6veloppement toujours accru du panamdricanisme rooseveltien.
Mais pour affirmer l'influence croissante de notre pays au dehors, c'est la hiche qu'il faut porter partout, comme fait un bacheron dans une fort plant6e d'arbres mauvais. C'est la refonte complte de nos moeurs et de nos habitudes, la table rase du pass qui doivent nous pr6occuper et nous dominer. Au farouche vae vctis du r6volutionnaire haitien d'autrefois, nous devons opposer aujourd'hui l'esprit d'union et de fraternity dans le travail bien fait.
Les repr~sentants de toutes les opinions politiques, le president Lescot les appelle au Sinat, dans les administrations locales, partout, pour ne pas 6terniser inutilement dans le pays les forces de haine et de decomposition sociale. I1I ouvre ses bras A tout le monde, il invite fraternellement tous ses concitoyens A l'oeuvre colossale de salut public qu'il veut rdaliser cofite que coite. Homme de volont6 et de grand courage, il est entr6 franchement dans une voie nouvelle, celle de la collaboration loyale avec le grand peuple ambricain, pour assurer le triomphe des ides de progrbs et de civilisation en Haiti. Nous devons le soutenir. Car dans les deliberations se rapportant au plan continental ambricain, Rio de Janeiro par exemple, et tout r6cemment dans l'&clatant Message qu'il adressa au monde entier devant le micro de la National Broadcasting Company il joue l'un des premiers r6les, aussi compl6tement libre dans ses mouvements qu'on peut l'6tre quand on n'a en vue qu'un seul et grand ideal: le salut de sa race.
Mais pour fermer la s~rie de nos erreurs et de nos d~cep. tions, rien ne vaut (A part la substitution du plan continental am6ricain au dogme utopique et illusoire du lib6ralisme haitien) comme la recherche intelligente deshommes . II faut des hommes, dans le sens plein du mot, pour solutionner notre problime national. Pour rompre avec un pass ot[ tout semblait odieux, pour briserles cadres anciens, ii faut ressusciter le patriotisme dans le coeur des Haitiens. II faut donner de la vitality A la generation actuelle. Ace peuple replied sur lui-m~me depuis cent ans et comme an kylos6 par le ddcouragement, il faut qu'on lui ordonne de se lever. Et c'est pr~cisement ce que fait le president Lescot depuis fix mois.
Dans sa marche opiniftre et jamais arrdtde vers le bien, je souhaite qu'il rencontre dans l'Histoire Christophe et Geffrard, les seuls v6ritables civilisateurs de ce pays. Les seuls. Car tout lereste n'est qu'approximation ou pitrerie de paillasse.
XXX
J'ai cit6 tout A l'heure le nom de Florvil Hyppolite. Pr6cisons un peu.
Le president Florvil disait en audiance publique, au mois d'Octobre 1889, mais avec une 6tonnante puissance de con. viction : 11 faut que, sous mon gouvernement, Haiti affirme sa place parmi les peuples progressistes du monde"
Le president Hyppolite a tenu parole; mais en partie seulement. Car, de 1892 & 1896, il eit la malchance de s'entourer de ministres ddpr6dateurs, de directeurs et de contr6leurs de douanes arrogants et pillards. Emissions, emprunts ruineux, taxes et surtaxes sur les droits, tel 6tait alors le plan dconomique facile, (relevant d'une science financibre primitive assur~ment,) quand il fallait prendre pour mot d'ordre: Agriculture, Education rurale, Indubtrie, Standardisation, Ddbouchds. De l'ordre surtout, de la sagesse dans les d6penses.
On connait le mot de Louis XII : "J'aime mieux voir rire mon peuple de mon 6conomie que de le voir pleurer de ma prodigalit "
Sans l'dx6cution intelligente de ces diffrents points, il n'y a rien A faire de grand dans ce pays. Le tout est de trouver aussi des hommes .. (dans le sens. plein du mot)
Or, il y en a .. il y en a encore en Haiti, et semblable. A ceux de Christophe et de Geffrard . .
On en trouvera certainement, et de plus grande valeur. . J'en ai la certitude, une certitude absolue.
Le mdpris de 'argent existe encore dans certaines familles haitiennes. L'orgueil d'une fonction 6galement.
Savoir ce qu'il faut faire, avoir appris longuement, mgthodiquement ce qq'il faut faire, et le faire vite et bien, voild tout le secret de la r~ussite. Economie politique d'a. bord, mais Economie sociale dgalement, ear sans la connaissance approfondie du milieu (et des intrts. . qui regissent ce milieu) on ne peut rien faire.. Ou plut6t on rcalisera une oeuvre, mais cette oeuvre n'aura qu'une efficacit6 imcomplte ou momentande. Un palliatif . en somme.
On sera Florvil Hyppolite, non pas Christophe et Geffrard.
Henry Christophe et Fabre Geffrard sont incontestablement les deux plus grands Chefs d'Etat de ce pays. Tout simplementparcequ'ils avaient en horreur les abominable flatteries des courtisans. Au lieu de s'entourer d'Ames serviles toujours prAtes i les comparer aux plus 6blouissantes figures de l'Histoire: Washington, Napoleon, etc, ils aimbrent mieux faire appel A des hommes nouveaux, intelligents, patriotes, courageux surtout. Ceux-lh seuls peuvent sauver les nations en p6ril, car l'argent pour eux n'est pas le principal but de la vie: ils ont I'orgueil d'une fonction, non pas l'ambition. Et c'est parcequ'on a toujours sacrifid de pareils hommes, dans le pass (au profit des intrigants et des incapables) que notre Histoire est si pleine de tristesse et de honte . .
J'ai parl4 d'hommes nouveaux, eh bien que l'on me permette de rappeler ici un souvenir de famille.
Mon phre dtait un homme nouveau, (malgr6 ses 55 ans) quand il monta au Ministbre des Finances en Aotft 1915. Au service de l'Etat, il voulut mettre ses profondes connaissances 6conomiques, son ddvouement et toute sa bonne foi. Neuf mois aprbs il 6tait oblige de confesser, avec une obstination d6sesp6rante : Nous n'avons faitquechangerdetristesses."
Etait-il donc maudit, ce pays, pour plenger si souvent dans l'amertume et le d6senchantement, ses meilleurs 'serviteurs, c'est-4-dire les plus incorruptibles de ses fils qui vou. aient quand m~me le sauver, et qui, du reste, avaient6tudid pour le sauver .. ,
Aprbs avoir pay6 plus de cinq millions d'effets publics arridrds en neuf mois, Emile Elie s'en alla du Minist~re des Finances exempt de tout reproche, sans une souillure collie A son nom.
Et moi, tout fier de cette attitude, (inaccoutumde en Haiti), je montai chez mon pbre au Bois Verna, le jour de la chidte du Ministare, (7 Mai 1916) et je lui adressai les plus vives felicitations.
L'incorruptible romain me rdpondit en souriant : 1 est naurel d'itre honndte, mon cher Louis, comme il est nature de
respirer. On est honnate par respect de soi-mgme. Et puis, mon but dans la vie n'est pas pricisement de bomber la poitrine comme un ostentateur, mais de ressembler plut6t a mon pbre, a mon grand pare qui furent Ministres aussi et qui ser virent l'ltat, simplement. Allez au cimetibre et vous verrez sur la tombe d'Auguste Elie, numort en 1869, ces paroles sndicatrices: Qne ma recompense soit dans la conduite de mes enfants . "
Et depuis, j'ai refl6chi, . souvent avec stupeur sur Fin. coherence des choses haitiennes et la malfaisance des politiciens. Oui, il est naturel que moi, fils et petit fils de pareils hommes, je sois ce que je suis : un exild dans mon propre pays.
Une chose cependant adoucit l'affliction et les ennuis de ma vie, c'est que, par delA le tombeau, je peux regarder sans humiliation et sans honte des hommes de caractaie et de grande fermet6 d'Ame comme Pldsance, Pouget, Lilavois, Emile Elie, etc.
Oui, c'est une pr6cieuse consolation A n'en pas douter, que d'essayer de ressembler A ces rudes et courageux travail. leurs de la pens~e qui essaybrent d'unir leur maximum d'efforts pour preserver le pays de la brutality des coquins, de la bassesse des adulateurs. Pl6sance, Louis Edouard Pou get, Alexandre Lilavois, Emile Elie, etc, n'ont pas eu la chance d'apporter aux tragiques difficultis du probl~me haitien la solution definitive et permanente. Mais, pour avoir affirm leur determination de preserver ce pays de l'influence malfaisante des arrivistes, ilsresteront aux plus lointaines g6ndrations les plus beaux exemples de propret6 mo rale, de courage politique et de fiert6.
On n'a jamais sauv4 aucun pays de la terre avec la collaboration des intrigants, des flatteurs et des incapables.
xxx
Faut-il croire que nous touchons, A l'heure actuelle, au ternme denos malheurs ? Une telle supposition peut naitre assurdment dans toutes les Ames viriles, mais ce n'est pas
en dix mois que l'on transforme les moeurs et les datestables habitudes d'un pays.
Nous sommes encoreau d6but de la marche vers le progris; ce qui reste A faire dans le sens du bien est immense. Ne ddsesp~rons pas. Nul guide ne peut 6tre plus utile en ce moment que le silence et l'observation clairvoyante .. Et puis, en attendant le refroidissement lugubre du tombeau, qui est peut-8tre la fin de tout, esp~rons, esp&rons. L'espirance est une grande consolatrice,
Le President Lescot nous sauvera. Car, dans une grande Ame tout est grand. Tout doit tre grand.
Aprbs les jours angoissants et tris durs que nous venons de vivre, seuls des hommes nouveaux, intelligents etcourageux, c'est A dire les meilleurs fils de la-Patrie" peuvent sauver le pays.
Il y en a..... Il y en a .... Et qui ont 6tudid dans ce but, longuement, m~thodiquement
Louis E. ELIE
Table des Mathires
Pages
Lettre au President Lescot I.- La rdvolte des Esclaves . . . . 6
II.- En marche vers l'Ind6pendance . . . 12 III.- Boisrond Tonnerre . . . . . 16
IV.- Le President Boyer et I'Empereur de Russie Alexandre ler . . . . 20 V.- Comment exprimer notre reconnaissance envers la Russie ? . . . . 30 VI.- Pi6ces Justificatives . . . . . 32
VII.- Cent ans apris . . . . . 41
VIII.- La nouvelle Orientation Politique . . 4