LA NATION
01O
LA ACE HAITIENNE
F. D.LEGrITIME
PORT-AU-PRINCE -
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SVERTISSEMENT.
A VERTISSEMENT.
S Les quelques lgnes qu'on va lire sont ddtachdes d'un
Srage encore inedit qui aura pour titre la ( POLIIQUE
1 AI-TIENNE.
S Le pays traverse des dvenements qui m'obligent, quoique
d regret, de ddflorer l'ouvrage que je prdfdrerais livrer au
Public dans toule son integrity.
Mais puisque le moment nous impose tous les sacrifices,
fiddle serviteur de la Patriv, je lui apporte mon offrande.
Que les Honorables Constituants d qui le people ddligue
j momentandment l'exercice de sa souvcrainetd, et d qui je dedie'
cet opuscule, veuillent bien lui accorder leur plus sdrieuse
attention.
S'il existail des Idgislateurs qui voulussent Jcrire ou ddcrdter
Sun pacte social sans s'appuyer sur l'autorite de l'histoire, ils
seraient d'avance condamnds d produire une auvre sans valeur.
Le 10 AoNt de cette anne'e, un Chef d'ltat est tombd d(u
pouvoir d la suite d'une double prise d'armes.
Est-ce 1d une revolution, dans la haute acception du term
ou bien n'y a-t-il qu'un citoyen de moils dans le Pays ?
0 La chute du Gendral Salomon est non-seulement la consd-
quence d'une administration inconsciente, mais surtout le
rdsultat fatal de toutes nos turpitudes politiques.
Depuis quatre-vingts ans, nous n'avons su que remplacer
les homes sans jamais chercher d changer, d amdliorer,
la situation 6conomique et social du Peuple.
Done, la vraie revolution, qui en r6alitd ne s'est pas effeclude,
s'impose plus que jamais aujourd'hui d notre patriotism.
F. D. LEGITIME.
O 2Septembre 1888.
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INTRODUCTION.
( SurrE ) "
Les Africains imports en Haiti vecurent plus de deux si.-
cles dans un humiliant esclavage ; mais, an jour marque parla
Providence, ils rompirent leurs chaines et se proclamerent 16-
gitimement people libre et inddpendant. Cette situation, ils l'a.
vaient payee de leurs larmes et de leur sang.
L'oeuvre 6tait colossale ; elle devait, en s'edifiant, broker
malheureusement plus d'ane existence. Parmi les plus il-
lustres victims, on compete, le iib6rateur lui-inme et ses
vaillants pr6curseurs: Toussaint Louverture, au Fort de Joux,
,Beauvais, dans les flots de 1'Oc6an, rendirent leur belle
Ame A Dieu, tandis que Rigaud itait intern en France.
Et Sylla, notre intrepide Sylla, Charles Belair, Sans-Souci,
Lamour Derance et tant d'autres chefs de legions, furent
mdconnus, immoles. II fallut encore, pour triompher de
lpiniktre avarice du colon, que le people r6volt6 ddtrui-
sit en maints endroits tout ce qui se rencontra sur son
passage.
Qui pourrait s'en dtonner ? .. Autrefois, les murs de Jeri-
cho s'dcroulerent d'eux-memes au hruit des trompettes
israglites sonnant ]a charge .
Depuis, un people nouveau est n6 : issu d'une revolution,
1 vient pour ainsi dire du desert come autrefois les Hd-
breux, partant-il fie peut ressembler a ses ain6es, les nations
contemporaines. Mais comme un assemblage de pieces mal join-
tes, il est compose de gens nagu6re ennemis, de families
mal constitutes sur in sol en parties ravage.
IV -
En fait de hi6rarchie et de discipline, ce people ne
connut, a son debut, que celles de l'atelier ou des champs
de' bataille sur lesquels il avait camp pendant quatorze ans.
Le courage ou la fortune militaire distinguait entire eux
les citoyens alors livres A leurs seuls instincts.
Et, en faith de traditions, ce meme people avait unique-
ment celles du regime qu'il venait d'abolir : dans le colon,
il ne haissait avant tout que l'oppresseur.
Mais l'administration colonial avait Rtd un regime d'ex-
ception, et son code rural une atroci!d, car, sous cette ad-
ministration, l'homme et son travail dtaient la proprik6t
Sdu maitre.
Ce fut l~ tout l'hdritage. les seules coutumes laissees a
nos peres pour se gouverner et se constituer en Etat.
ConsiddrB comme nation, l'Haitien etait encore a former:
la diversity d'origine, l'opposition des int6r6ts et la 'dif-
ference dans l'dducation creaient naturellement des obsta-
cles A l'unification immediate. En effet, il se trpuvait en pr6sen-
ce etrecemment milds ensemble, difltrents types d'Africains :
les uns avaient naguere 6et recueillis sur les c6tes occiden-
tales de l'Afrique, les autres sur les cotes orientales, et
depuis, leur contact avec le blanc avait donned lieu i un
mdtissage, formant ainsi un nouvcl Veld;nent de population.
En outre, cet assemblage d'individus format des groups
qui distinctement et successivement avaient. op6rd leurs
movements d'dmancipation sans s'6tre nullement con-
certes ; dans le Nord, l'action commenga le 22 Avril 1792,
dans l'Ouest, le 26 du meme mois.
Vincent Ogd fut le premier qui donna le signal de l'in-
surrection ; mais la declaration categorique qu'il fit fi
I'Assemblee du Cap ne laisse aucun doute sur son ilk,
tention, A savoir que la liberty des esclaves, voire mAme
l'ind6pendance de l'ile, n'ont pas etd le mobile qui le
guidait. Il secontenta de r6clamer enfaveur des affranchis_
l'exercice des droits civils.
Tel est, sous son vri jour, le tableau que present au. :
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-V-
commencement de ce siecle, la troisi6me socie61 (1) qui suc-
cdda A celle des planters de Saint-Domingue. Sortiecom-
me un coup de foudre d'une vigoureuse poussee, elle
part ainsi tout armde aux regards ktonnis da monde.
Quand on c:onnait le temperament de chacune des sub--
divisions de la race noire, et que 1'on se rappelle les luttes
precddemment entretenues entr'elles par la politique colo-
niale ou par des jalousies personnelles, on peut se faire une
just id6e du sentiment qui les animait les unes et los autres.
Combien sommes-nous donc Bloignds des peoples saxonset nor-
mands qui, d&s leur premiere conquete ou au d6but de leur co-
lonisation, se constituerent en communautds exclusives pour
s'dtendre graduellement en provinces, et arriver enfin i se
former en Etat ; rien ne leur a manque, ni I'organisation
du travail, ni la loi morale, ni l'experience necessaire a
l'exercice des droits naturels.
En Haiti, il est done n6cessaire que, par une suite
de transformations progressives, on arrive a cr6er avec ce
people une nationality solid, homog6ne, capable de resister
a tous les assauts et par consequent digne de sa glorieuse
origine. C'est une euvre qu'il q'a 6tW donned jusqu'ici A aucun
gouvernement de realiser. C'est pourquoi dillferente est Ia
voie qui s'ouvre aujourd'hui Acelui que lesot ldsigne pour cet-
l auguste mission.
Comment s'y est on pris dans lo pass, ou plut6t com-
ment aurait-on dt s'y prendre pour oprer ces transformations ?
Dessalines, PWtion, Christophe, s'entendaient-ils pour pa-
rachever l'oeuvre commune?
De quelle maniure le people s'est-ti1 approprid le sol et
les domaines don't il avait chass6 les premiers occupants et que
.lui-mame il avait si longtemps fdcond6 de sa sueur?
o Enfin, la socidtd haitienne, dans sa constitution originelle,
dtait-elle apte A un regime de self-government ?
Telles sont, A notre avis, les questions qu'il imported a
l'historien de resoudre avec les riCiuurs de la mdthode.
(r) Troisieme Socidtd, par opposition a la Premiere compose des bon-
caniers et des flibustiers de la Tortue et ]a second, des colons frangais.
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DE LA NATIONALITY HAITIENNE.
4 Quand certaines iddes ne sont plus
gendralement admises; quand les in-
tertts divergent et se fractionnent;
Squad on ne s'entendplus sui le but
a qu'on doit atteindre par- un effort conm-
Smun, alors la nationality s'affaisse, lan-
guit et meurt. .
B. X.
La chute de 1'Empire fit crouler le syst6me d'union politi-
que que Dessalinesavait fond6 et don't il avait dtd jusqu'au com-
mencement de 4806 le plus fervent ap6tre.-Aussit6t se rap-
pelant leurs querelles, les vieux parties, ou plutot les citoyens un
moment coalises pour la revolution, virent comme un abime
s'ouvrir devant eux. On se retrouvait en Haiti comme aux plus
tristesjours du rIgime colonial: inevitable consequence des
guerres civiles. Et le gouffre resle encore biant A nos yeux.
Maints systems, maintes thdories mis depuis en pratique,
n'or:t pu encol:e en amoindrir le danger. On s'y pr6cipite
au contraire avec une sorte d'affolement. Dieu seul, pout
nous arreter sur la pente fatale, nous inspirera les moyens
de salt qui sont les principles rationnels don't l'application
fait partout la force des peuples, quelqu'en soit le climate et
l'origine.
L'Esprit qui autrefois a couve le monde, qui 1'a faith
sortir du chaos, reconstituera un jour, il faut 1'espdrer, tous
16s debris 6pars de notre society qu'ont disperses les vents
de la discorde. Alors d6gagis des stWriles prdventions,
tous ceux qui aujourd'hui luttent pour l'existence seront,
comme au premier temps de notre histoire, enveloppes dans
une. pensde. commune qui est l'unite national. Ce moment
serra celi de notre resurrection social et une nouvelle phase
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-2-
dle I'lndMpendance haitienne. Alors encore, le pass et I'a-
venir, rallies au present. se donneront pour ainsi dire la
main, et les ossements de nos pores, loin de repousser
les nitres, comme ils le disaient cux-memes, tressailleront
plultL de bonlieir.
L'union fondde sur la couleur, par le libre choix dte la
nature, par calcul ou conseji de la raison, ne suffit pas pour
consolider et determiner ]a nationality haitienne; il faut
I'unitd base sur I'intdret commun et la justice. C'est la these,-
ou pour mieux dire, la verit scien!ifique que nous voulons
demontrer dans ce present chapitre.
Apr6s Jean-Jacques Dessalines, par suite d'insidieuses com-
plications, les gdneraux Henry Christophe, Alexandre Petion
et J. P. Boyer arriverent successivement et meme presque
ensemble au supreme pouvoir. De par leur origine politi-
iuce diffhrente, ils 6taient d6positaires de traditions dilldren-
tes, come aussi ils diffdraient de temperament et de ca-
ractlre. Chacun d'eux avait done sa facon de gouverner et
de risoudre la question social et politique d'Haiti. Quant
i la question de couleur, la plus irritante, la plus absurde tes
questions, les uns voulurent systdmatiquement et brusquement
la rancher par l'dpBe, les autres crurent 1'dtouffer au mt6yen
de subtilit6s ou de fictions constitutionnelles, 6tablissant par
une pr6ponderance effective l'equilibre des membres.
Aussi, ces homes, dans leur oeuvre administrative, n'ont
point rdussi A fonder mieux que Dessalines, 1'unit6 natio-
nale d'Haiti. Au contraire, leurs systems dans lesquels se
trouvent combines, A doses plus ou moins fortes, les moyens
que nous venous d'tnumerer, leurs syst6mes qui sont en-
core de vastes champs d'observations pour le politicierr, le
philosophy et l'historien, n'ont laissd comme resultat que des
prdventions revenues plus irascibles, et par consequent un
ddsir de revendication toouours rdalisable chez les' uns et les
autres, malheureux hMritiers de ces anciens parfis designies
sous la ddnompinatiqp d'aT'ranchis et d' mancipds.
11 ea serait certes autrement, si les homes qyi tour a~/
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-3-
tour sont arrives au pouvoir depuis cette epoque, loin de se
laisser absorber exclusivement par cette polilique intdrieure,
6goiste et mesquine, s'dtaient appliques a administer et A or-
ganiser l'Elat, en suivant les meilleures Iraditions, de fa-
con a creer l'aisance par le travail et 1'dconomie, et A fire
naitre 'iharmonie par l'esprit association bas6 sur la mo-
rale.
De nobles efforts out, il est vrai, etd tenths pour re-
lever le pays des ruines qu'avait flaites la guerrde de I'Inde-
pent(unce. Dans le Nord, le commerce et l'agriculture pros-
peraient ; des ateliers de metiers et des rooles s'organisaient:
enlin pendant onze ans, Christoplih parvint A rdaliser pour
les masses une situation intermeniairc qui n'tdait ni le bien-
ktre, ni la misere. (1) Mais par quels moyens? .... Sous
ce regime, le paysan, non fermier, etait tenu dans un etat
plus dur quo le servage sous le regime fdodal, car le serf
de qui le seigneur exigeait un service qui n'etait qu'une
redevance, recevait. la terre en retour et a titre permanent,
landis que sous Henry Christophe, ii Ctait 'quasi-esclave,
n'ayant come sous Dessalines, que le quart des revenues de
son travail, valeur que le colon lui-mnme dtpensait A peine
pour l'entretien de l'esclave.
On doit toutelois admirer chez Ieniry Christophe I'cs-
;:rit d'ordre et 1'6~ergie morale ; ces granides Iqualitls, i celle
epoque reculke, 1'ont euLrain iiA d lepassecr i:r lheureusmineint la
inesure et ai terO 11011 ps etxcilusirl tii s excessi : l. rigCueir
te son (lespotismc lui dsnfleclioinna leI people et I'armite.
(1) Christophe a laiss6 plusieurs millions dans ls I Irdors lde La-
fTrriure, et Boyer, a sa chute, un million; c'eait bien. Mais, suffit-il
d'accumuler des esp6ces dans les.trdsor. publics et de fair la for-
tune privwe de quelques individus pour croire qu'on fait avancer un
people! Ce qu'il -fat, c'est avant tout l'aisance qui, seule, conduit
les ciloyens a la libere6. Les decrets produisent I'anarchie et non la
vraie liberte-- Dans I'armee du Nord. a part la discipline outrie qui
avait mcontente les soldals, au point de les porter laa revtile. on
arvti, adopl cerlains reglements qui, A notre poim de iv-,-nousa-
r.A'S'enl atour l i inopportuns.
)nL;l.l
" :,_1 7
-4-
Uh exces- d'ordre, come on dit vulgairement, est un dd-
sordre.
Christophe fut un vrai progressisle. Honmme d'une vaste
intelligence, dit Madiou, il 6tait avec i'Pion l'un des plus beaux
officers de son armee et un de ccnx iqui ddsapprouv6rent
le massacre des colons.
e Cependant il avait su toujours conserve 'a l'gard des
Francais une attitude courageuse et pleine de dignity.
Sa famille etait rdgulierement constitutee, et de tous, les
chefs militaires do son temps, il fut le seul peut-6tre qui
ne donndt pas le scandal d'une vie dereglee. Dans -on
Etat, le concubinage etant proscrit, le der6glement des macurs
fut par consequent comprim6. Son language dtait dlev6 et
ses manibres aristocratiques. VoilA l'hornmme que nous trouvons
dan. Henry Chrislophe. Mais il etait de ces esprits qui s'6-
tonnent de rencontrer des ennemis et d'avoir, dans les allhires
publiques, A souffrir la contrAdiction.
Lorsqu'il s'agit de faire tomber Dessalines, les conspira-
teurs, craignant l'insucces, s'appuyvrent sur I'autorit6 du
nomi de Christoplh. Ils avaient cependant, dit encore Ma-
diou, I'arriBre-pensee de. I'ahattre apres le triomphe. En
elfet, la chute de Dessalines dtait A peine consommee, que
Christophe se voyait tromper de la f'aon la plus d6loyale (i).
De lA les col6res, inde irt On ne recula mdme pas de-
vant la basse et ridicule manoeuvre de corronpre les elec-
tions (2).
(1) ( Nous ne vous cachons pas, dignp General en chef, que nous
croons que votre indignation soit au moins gale A la n6ire, et nous
vous proclamons avec joie, et a l'unanimme le chef supreme de l'ilc
sous- quelque'dnomination qu'il vous plaise de choisir; tous les caeurs
sont A vous; nous jurons devant Dieu de vous etre toujours fiddle, de
mourir pour la liberty et pour vous. )
(Extrait de la lettre adressde A Christophe par le chef de l'arme.
rkvolutionnaire : 13.0ctobre 4806. ]
Aucune autre piece n'a pu ktablir la pretendue conspiration Geffrard
et Christophe don't nos historians ont affirmed I'Pxistence. PMtion et:
Lamarre eux-memes qui ont pris part A la revolution, n'etaient que de
chauds adherents.
(2) B. Ardouin Histoire d'Haiti.
Christophe elut pa neanmoins triompher faciletnent de
I'hostilite qu'il rencontra; mais son premi er cri fut une
expression (dl cruelle vengeance
a Petion, Bonnet, Bover, les deuxo fr6res Blanchet, Daumec,
Lys, Caneau, et quelquos' autres de lenrs inffimes complices
viennent de lever io masque ; ils ont mis an jour leurs pro-
jets : ils ,ont en pleino rIvolte control 'autoritl ; i!s veulent
etablir une constitution qui iettra ]e pouvoir entire leurs
mains, et livrera les finances ot les places a ]leur disposi-
Lion. Le gin(ra! en chef vient do donner ''ordre de la m;riho
pour soutenir vos droits et pour maintonir votre libertl que
l'on veut vous ravir .....
< Los facieux out lve 1. '-tedJar:J de la rduolt : il cst
juste qu'ils payment d.:' lcir fortune lears complots funestes.
Le 4llcuae de lons les lieux on les rebellcs sc'onot trouvis vous
est abat)ndoild s(n's resi'tictioni. Mar',chez et la victoire va cou-
rouner la justice de notre cause. ))
Dhs lors, chacui so sentant moniace, et dans sa per-
sonne et (dans ses bioes, on out done pour devoir de rc-
sister jusqu'au doricr hroimme,
Dans la parlie oust deo 1'iie on essava an debt de la
revolution, c'est-a-dire en citte mine annee 1800, doe fai-
re prevaloir I'esprit de 1'antique Ripubliquo romaine. Un
senat quasi-aristocratique fut instituL et se saisit- do tous
les pou:oirs de 1'Eta.t. Daux ans plus Lardl, des terres fu-
rent distributes aux soldats, et 1'on prit enfin, en faveur
des travailleurs,, des measures plus lib&rales que celles ap-
pliquees dans le Nord.
Le quart de subvention ful supprimd et 1'on put ainsi,
par l'adoption du system. dit de moitid ou !e metayage,
assurer aux cultivateurs la moitid de leurs recoltes. (!).
Pkiion fonda un lycee d'oil sortirent la plupart des homn-
(I') C'est le systeme qui prevaut encLic en Dominicanie: le propri6-
taire fournit I'argent n&cessaire au Iravail de la terre et les semen-
ces, e perVoil la moitie du produit de la recolte.
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-* .~:~C~ :*< -* -,, **
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6. -
mes qui, par lenir education, out fait le plus d'honneur
au pays, et le I17 Juillet 1817, on institua un Conseil de
Notables dans thaque ville de la Republique.
Mais, en general, un funeste laisser-aller, cointre-partie
du regime oppose, fit tout p6ricliter dans l'Ouest. Le de-
sordre 6tait dans la rue: on voyait des spadassins se bat-
tre par jactance comme on plein forum. L'opposition s'a-
gitait au Senat, enfin le schisme r6gnait dans ]e petit Etat.
Les g6ndraux Elie Gerin, Yavou, Magloire, Ambroise,-
qui avaient activement countribm aun succes de la rivolu-
fion. devinrent, sous la Re'publique, de v6ritables pierres
d'acloppemient. Par suite do conllits que suscita leur si-
luation ou A cause d'une opinion energiquement soutenue
au Senat dolt ils 6taicnt membrles, ces of'iciers g6ntraux .
succomberent tous successivement.
Position diflicile ldans un pays comme le nutre, que d'V-
tre s6nateur et en inmme temps clief d'un grand comman-
dement, subordonne a I'autoritd militaire Gerin avait 6td
un sadieux candidate a la presidenlce, en quality de chef
do I'Frmde rIvolulionnaire. Ne pouvant se consoler de sa
ldfaile apies l'a'dnciment de Pdlion au pouvoir, il soutint
depuis an Senat le principle d'une decentralisation admi-
nistrative.
Apri''s la mort de cc brave general, suanomme a cause de
son courage, G(rin CGdtes-dc-lF'er, Andre Rigaud, sorti de
l"rance, rentia de nouveau duns le pays. 11 fut cordia-
lement acceeilli par P6lion qui aussitut le nomma com-
mandant du Ddpartement du Suid don't il avait ett le chef
v6endr depuis 4791. Rigaud prolita de cetle situation et de-
cr6ta la scission entire l'Ouest et le Sud, reprenant ainsi
1'euvre commence par Gerin.
eAyez un Senat, si vouslIe voulez, dit-il ; mais que jotre Se--
pjal soit celui de l'Owust. Ayez un President, si vous voutlez,
mais que volre president soit celui de l'Ohest. Le depa'tle-
ment du Sud se r'git par ses proprrc lois, pai' son conseil.
et par son gJ~Aral en chef.
_._ .. (, .
-,,- .
,La Rdpuplique, divisAe par ce faith, ne se soutint plus que
par l'accord entretenu en son sein au moyen de la haine centre
Henry Christophe. Elle eut de plus A contenir les bandes
de Goman qui en rdalit6, furentpresque inoffensives.
Le Presideni Pktion rigna malgre ces conflicts pendant
douze ans, de 1806 A 4818, 6poque de. sa mort ; dans
I'intervalle, la Constitution dut etre plusieurs fois modified
et le Sdnat fut disloqui et'ddpouille de sa toge romaine.
Dc la prdsidence temporaire on 0tait passed A la presidency :
vie sans ministere, avec un privilege pareil i celui de Chris-
tophe, lequel tdait de nommer son successeur. Tout leGou-
vernement done se trouvait rbsumn dans un home que
Dessalines avait surnommd Papa-bon-cctur.
Tel fut le caract6re des deux premiers gouvernemients
qui se partag6rent le pays apr6s la mort de Dessalines.
La situation politique d'Haiti ne se modifia pas, meme.
apris la pacification et I'unilication territorial de I'ile (de
1821 a 4843. ), sous un .seul chef, J. P. Boyer, devenu alors
maitre absolu des destinies de la nation.
Cependant, disons-le, la paix fut maintenue presque cons-
iamment durant les trois longs regimes qui absorbbrent trente
sept anndes de notre existence national. Mais en rdpr iman I :6
verement les conspirations qui troublaient le p:tvy, il so coln-
mit de grands cxces quo l'historien a pour devoir di ibhi-
mer avec non moins de sdveritl.
. . . ........ . ... . .
Que signifient, en dedinitive, tous eo clihss6s-urois6s de
la politique haitienne 9 lUs ne rvelcnt qu'une chose i les
inltrlts coilpromis clierchant lear satisfaction.
Done l'interdt qui est comme on (lit le mobile de l'actioni
devient, en. politique, l'un des principles de l'unitH national.
Mais, audessus 4de !'ini6rt n)altrjil, jI existed poir IS. .
-S -' "
IS,~~t~s ~ l ;:L- :-
-8-
socidtes un intehrt supkrieur, la justice, inter6t malheu-
reusement incoripris et que, en Haiti, on a toujours fait
ddvier, au profit des personnel et au profit des parties. II
S'ensuit, dans les idees, dans ley sentiments, une vdrita-
ble anarchie morale, un non-sens polilique qui a un mo-
ment donnd devient un 'vritable danger. Tous. nous sen-
tons cela, c'est tangible ; mais personnel, paraft-il, ne son-
go A en deliver le Pays.
Dessalines, nous l'avons vu, soldat heareux devenu empe-
reur-plus prioccupd de rfaie la guerre que d'aministrer le
Pays, ne pouvait concevoir la pens6e, ni sentir la nkcessite d'at-
tacher fortement la population au sol. Son systeme, au con-
traire, consistait en ces quelques mots empreints d'une fa-
rouche, energie : < Au premier coup du canon d'alarme,
les villes disparaissent et la nation est debout Sous lIi,
I'faitien, essentiellement soldat et agriculteur, manquait done
ide stability. C'dtait logique. Aussi Dessalines, home d'E-
tat, loin de chercher ai satisfaire les esprits en crdant la
solidarity d'interkts qu'il 6tait facile de greffer sur la com-
munautd de sentiments existent depuis la guerre pour 1'In-
dependance, Dessalines s'est empress de satisfaire plutlt les
sens en travaillant au melange des couleurs. II fiihait de la
fusion sans port&e, car on ne peut de la sore accorder, con-
cilier serieusement des iddes et des tendances, dedj par trop
divergences.
Enfin, cet administrateur inhabile s'dgara de plus en
plus en se livrant aux plaisirs : cela semblait natural A son
education.
Henry Christophe et Petion, plus instruits que Dessa-
lines, ayant pour l'art politique des aptitudes dminentes,
se sont appliques pendant leur rbgne, et avec la meilleure
intention, le premier, a r6aliser des rdsultats dconomi-
ques imm6diats en imposant des conditions plus dures
que le servage; le second, a faire prddominer l'esprit ,des
lois i l'encontre des mceurs et de la tendance, ambiimeuse
SMsres ivaux. -,.
L -'* "
9 -
SOr, ni 1'un ni l'autre de ces deux hommes ne pouvait
obtenir, a part les rdsultats administratifs, un success posi-
tif et durable sous le rapport social ou politique.
Toutefois, la violence du syst6me applique dans le Nord
devait preparer le triomphe du syst6me plus doux inau-
gure dans I'Ouest et dans le Sud.
Jean-Pierre Boyer en profit et devint ainsi le plus
omnipotent de tous. les chefs d'Etat haitiens. Pendant
son r6gne |de 25 anndes, se sont dvanouies toutes
les difficulties que, avant et apr6s lui, d'autres ont connues
et 6prouvees. Les forces de la R6publique semblaient
a .lors se concentrer dans la personnel de son premier Ma-
gistrat: c'6tait la Rdpublique autoritaire et sans vie. -
Le Pays en mourait.
Louis XIV d'un nouveau genre, Boyer prepara lui-m6
me sa chute et vit 6clore la revolution faite au nom de
libertis publiques; mais, ii faut en convenir, ces liberty
n'avaient encore exists sous aucune forme en Haiti.
On sait ce qu'a produit dans notre pays cetle crise
politique : 'arbre est jugs par ses fruits.
................................... .. ...
A Ldogane vint s'dvanouir la derniere esperance du Pr&-
sident Boyer, lorsque, apres un supreme engagement, la
fusion s'opdra entire les troupes de la garden et cells de la rd-
volution.
C'6tait le 12 Mars, date A laquelle le vieux gdndral La-
Szare, commandant l'aile droite de l'arm6e populaire, venait
de faire, aux Cayes, jonction avec les troupes de Rivi6re H6-
)rard.
A la nouvelle de la defection des -siens, le President
Boyer s'empresse W'abdiquer le pouvoir, et le lendemain,
13 Mars, s'embarque pour l'Etranger.
'-La revolution avait triomph6. Determine par une im-
iperiqse n4cessit& politico-sociale, et commence sous les
pl. -. l be'ueureu auspices,_ elle n'allait malheureusemerit tre,:
1x -- -. "
". 1" "i : '" -." .' j..t" ''*
.4s
10 -
toute proplortidn gardte, qu'une faible parodie de cele
accomplie en France dans l'annde 1830; mais la France
6tait la nation riche de'-suvenirs et de meilleti-es traditions,
la France forle et toujours pleine d'elle-meme.
En Haiti, au contraire, les homes qui se sont empares
de administration, A partir de 1843, n'apportaient aux af-
faiires que des theories. D'observations historiques et locales
point Is ne s'en souciaient nullement, se complaisant
plutot dans la philosophic du droit. Moins sages que leurs
prdddcesseurs et n6gligeant autant qu'eux les rgles de la po-
litique scientifique, ils s'l6ancrent conliants dans l'inconnu
Its promirent beaucoup : la liberty politique et toutes les
liberts ; la richesse et l'abondance. Mais de leur pompeux
programme, rien ne se r6alisa, rien n'6tait en voie de se
realiser. Aussi la revolution de 1843 ne tarda-t-elle pas A
faire regretter le regne de Jean-Pierre Boyer. Le nouveau
Gouvernement que, apres huit mois de tAtonnements, elle
avait ddifid s'6cioula. II avait suffi de quatre autres mois
d'une mauvaise administration pour que Charles Hdrard aine
lui-mime suivT en exil le Pr6sident son pred6cesseur.
II est done evident que les theories politiques, pour 6tre
appliquees avec profit, ont hesoin de s'appuyer sur des don-
nees certaines: une erreur qui faith devier entraine A des
consequences regrettables"
Quel avait Wtd cependant le programme des rdvolution-
naires de 1843 ? Deux mots le renferment : un gouver-
nement civil et temporaire avec la Commune libre, le tout
base sur le sens electoral. . . .
/~.it Pour fonder un gouvernement tipublicain, democrat et
Slib6ral, pareil A celui que preconisaient les homes de la
revolution, ilnesuffitpas d'en photographierl'image en quelque
part; a l'ezemple diu peintre on du statuaire, on doit d'a-
bord4'e prtciser les dimensions, en tracer les contousii plis '
4'eae wain habile, fair sortir dans leb(Wa iAr
t-.
1'oeuvre projetee. L'artiste qui broie les couleurs sait par
des el'ets harnmonieux d'ombre et de lumiere ;donner la vie
a la matiere. On ne coniprit point qu'il falait ainsi procdder,
apres la chiite de la R6publique csarienne de Boyer.
L3s associations, les assembl6es populaires, intermnddiaires
nicessaires entire le pouvoir et le people, les associations,
les assembles primaires oi so condens. et so forme l'esprit
public, qui se rdflete ensuite dans le parlement, n'exis-
tent jussqu'a present nulle part en Haiti : or elles n'6taient
pas, en 1843, en 6tat de se former.
Et quels sont aujoud'hui encore les intdrets a dtfendre,
les draits A rdeamer, la justice A rdtablir ? Sphinx que tout
cela pour les rdvolutionnaires de cette dpoque Or, la revo-
lution, qui se connaissait si peu elle-mime, 6tait un pri-
sent funeste] fait au Pays par J. O. Boyer, car comme du
fabuleux cheval de bois, il en sortit l'ennemi de notre
nationalitA, c'est-a-dire I'anarchie. La parties de 1'Est, en-er-
fet, se detacha aussitdt de la Rdpublique haltienne, et l'Etat
depuis s'amoindrit, so disloqua et so ruine. Tel .est le bilan
de la revolution dite de 1843.
Tout cela s'explique; mais pour qu'on puisse s'en faire une
idee bien plus exacte, il ne sera pas inutile de descendre
dans quelques details.
Rdsumons-lee en peu de mots:
Dans la rdforme nouvelle introduite en 1843 dans la poli-
tique d'Haiti, si, a propos de ddmocratie, on entendait la
necessitf de rdserver I'administration des affairs politiques
aux homes instruits, rdputds les plus capable, comme c'en
esi le principle, on serait amend logiouement, vu le peu d'a-
vancement de l'61lment populaire de cette dpoque, A instituer
deux castes dans la nation, deux castes avec un gouverne-
ment aristocratique, dvoluant d'un systeme de decentralisa-
tion administrative vers un systeme de fiodalite bourgeoise.
Ceut. 6t.d a duality constitutionnellement dtablie entire deux
classes ou deux families de m4me origine, qu'un accident de
uBealjsgJq'kix difl8rencides. Monstrueux eelh!t
-42-
A la vdrite, apres .39 anndes environ d'inddpendance,
Haiti n'6tait ni mnfre, ni organis6e pour accueillir favo-
rablerent cette reforme aux apparences libdrales.
De tout ce qui prdc6de, nous pouvons donc,-conclure
que le r6sultat de la politique haitienne a dtd nul dans
le pass tant au point de vue social que politique. En
eflet, rien d'essentiel n'y avait Wtd fond6. Les terres
-distribubes en parties sous PWtion, A la fin du regne de Chris-
tophe et- au commencement du r6gne de Boyer, n'ont point
servi a amdliorer notre 6tat. Au contraire la population qui
n'est point implanted d'une manibre serieuse, voit le foyer
et l'atelier rural a la mer'i de tous ceux qui veulent les
avoir et peuvent les payer, et cela au moment m6me de
la decadence de l'industrie agricole et du commerce.
Aussi tout notre rouage administratif s'en ressent-il.
On comprend dis lors l'impossibilit6 matdrielle qui rdsulte
de cet etat de choses pour celui qui veut introduire -dans
nos campagnes un systnme d'6ducation convenable. Le
paysan haitien, sous un tel regime, est rest dans les t6-
nebres jusqu'au jour oh le gouvernement du Prdsident Gef-
frard fit pndtr!er dans ce milieu social un premier, mais
mince rayon te lumi6res. intellecti;!les.
L'institution des ecoles rurales doit au gouvernement
du 22 Decembre son origine en Haiti. C'est une fort bonne
et belle chose ; mais, pour produire d'heureux effects, elle
a besoin d'etre appuy'e. sur les principles de -respect et
sur la garantie de la .p'opridt6, sur la famille r6gulierement
coustitude, sur le ddveloppement de la richesse publique,
et au-dessus de tout, dominant 'tout, comme couronnement
de 1'rdifice social, sur 'enseignement religieux sdrieusement
inculqud.
Cet enseignement, on se le rappelle, avait Wt6, jusqu'en
1860, 6poque de la. signature du Concordat avec le Saiant
Siege, confi A une lclerg6 irr6gulier, recrut6 par ta fantaiwi
et don't les mceura compromettaient la Religion et 'nuti
saient i l'influence de sa morale, -
"~~ ~ *' ^. v-*^'*''
13 -
Avec un plan ainsi conu uile trantisfrdnation meilleure
s'obtiendra progressivement avant un sikclc, come cela
s'est vu en Angleterre et en Allemaigne, oi les premiers
habitants comme partout, d'ailleurs, avaient did barbares.
Tel est le chemin t suivre et non pas celui ou I'on vait
l'homme poliique se poster dais'un carrefour, les bras blendus
comme un poteau indicateur, et crier aux gens affolds : 11
faut l'instruction publique, I'instruction publique gratuite et
obligatoire e!
Jusqu'ace quecette rdfoimes'accoimplisse, u nue peut al'firner
que le people haitien ola la famille se.leforme, se d6sorganise
et don'tt le.i classes lev6ie, les citoyens instruits no s'en-
tendent pas cux-memes sur le but .i atteindre, nul ne pent
affirmer que le p3uple haitien constitute deja une solid natio-
nalitd.
Comme d6mocratie on Etat propre an regime de self-
government, Haiti ost encore moins avancee que l'Allc-
magne, la nation arme, I'Allemagne, la plus aristocratique,
la plus monarchique des peuples civilis6s aprls la Russie.
-Les masses haitiennes, qui forment les troisquarts au moins
de la population sont, en effect, loin de ressembler A cells
du people germain, fagonn6es A administration ide leurs af-
faires rurales on communales; les premieres ont toujours
6tW n6gligdes et vivent commedes ilotesdans un pays soi-disans
de liberty ; obeissant au moindre signe d'un chef de section
elles restent 4trangeres ou indifferentes aux Assembl6es pu"
bliques, ces premieres representations populaires. Ellcs n'ont"
encore d'aspirations que pour la musique et la danse, seull
horizons of se borne sa pensde depuis la Colonie et of
les ont maintenues systimatiquement jusqu'ici les Gouverne-
ments felons.
Poser la question, c'est en m6me temps la resoudre d'une
fabon radical, nette et precise, si !'on se rappelle nos d6-
ceptions depuis 1843.
Les Haitiens, qui entendent sinc6remeit Tonaer leur' na-
"- *" ,
ik ..... t M"' ~' '-
tionalit'- sur, des principles d'une vraie d6mocratie, doivent
commencer par se donner les mmours de la liberty et se gar-
.der des scandals par lesquels se rivelent les mauvais gou-
Ternements. En distribuant la justice dans toutes les cou-
ches sociales, ils auront bientot fondd leur unit national, avan-
ce eux-mumes A pas de giant dans la civilisation et, finale-
ment la gratuit6 des charges, en bieu des functions, -
remplacerait dans ce pays un fonctionnarisme absorbant.
Loin de cet ideal, on ne peut recourir qu'aux expedients,
faisant ainsi de ]'opportunisme a outrance. VoilA pourquoi,
cepuis 85 ans d'inddpendance et malgrd les plus nobles
ell'ors, nous n'avons pu rien encore organiser. La solution que
nos homes d'Etat ont cherch6e dans la lettre d'une cons-
titution on dans la conclusion brutale.logique, d'un jour
le ])ataille, c'est A la science politique qu'il 4tait r6serv6
de la dinontrer.
Do 1813 A 1879, Haiti orompte trois revolutions ou grands
liouleversements politiques: cellequi renversa Faustin Sou-
louque du pouvoir; celle qui eut pour r6sultat 1'excution
de Sula\ve et cello du 30 Juin 1879. Toutes ces revolutions,
et les prises d'armes auxquelles elles out donn6 lieu, n'ont
did que la resultante de nos folies, de nos haines et de nos
colcres. Lner enchainement s'explique dans notre principal
ouvrage. ('
Nous avons beau nous remner pour une forme de gouver-
nement on pour une autre, il est evident que, de 1804 i
ce jour, nous n'avons raussi A 6tablir qu'une I)ictature plus
ou moins parlementaire, decoree tantot du titre de Monar-
chie et tantot de celui de Republique. La forme imported
peu, c'est le fond que, en cela, il faut consider.
Relativement A la propridtd, nous sommes encore l' 'cole
de Brissot, le constitutionnel qui, avant la Revolutiop!francaise,
a formula, une doctrine en ces terms: c Tousles corps vivants
ont le.droit de se ddtruire les uns les autres pour se conserver.v
(') La Politique Haitienne.
S..... .
- 15 -
On comprend done pourquoi les families se ruinent, se db-
molissent en Haiti, par I'alidnation deleurfoyer, et commentde
consequence en consequence, on est arrived a l'aide d'une pa-
reille doctrine a jtistifier I'anthropophagie et ces perpdtuelles
guerres civiles si funestes a l'humanitd, puisque pour sa con-
servation, chaque corps ou parti politique 6prouve une volupt6
extreme A dgtruire le parti qui lui est oppose et que chaque
propridtaire veut absorber le domaine de son voisin.
Que r6v1le ce deplorable Mtat de choses ?
Une desorganisation social qui rend obligatoire la politique
de clan que nous suivions si aveuglement, politique de ruse
et d'audace.
C'est en ce moment que des esprits aventureux, dedaignant
I'observation rigoureuse des faits, osent parler de politique
expirimentale, ce qui signifie rait que la regle en mantilre de gou-
vernement serait de varier simplement les experiences, et de
les rdpdter an hasard. Qucl p6ril pour un pays de tomber en
de telles mains !!!
La science politique a une former, au conlraire, plus ma-
thdmatique. Sa mithode consiste a partir d'un faith reconnu
vrai, pour demontrer une v6rilt ;i l'aide d'autres faits ou
(ides intermidiaires.
Ainsi, quand on dit : Les sociidts d familles-souches cons.
tituent seules les nationalittds unies, stables, libres, heureuses
et puissantes, on embrasse du coup ou plut6t on ddduit
dans sa pens6e tous les phlinomines sociaux, administiatifs,
6conomiques, internationaux et moraux don't la combmai-
son est absolument ndcessaire Ai former cette solide united
social. II y a lM, en effect, comme un vrai probl6me de ma-
thdmatique.
Tandis que si, per fas et nefas, on fait de la politique expd-
rimentale come onl'entend, c'est-a-dire en voulant ddcouvrir
Sales lois sociales par induction, et remonter des effects aux
causes, il y a sorenient risque de s'dgarer, car on ne peut
r",oir. dasw-leurs rapports imm&dials (out L'esemblede is
I p... .. .. 7 . ..
tY/
16 -
Par example, si nous recherchons, d'apr&s les indications dt.
la raison, ce qui peut constituer une solide nationalist ii
est p)'.rier que sur dix mille individus aussi. instruits les-
uns que les autres, cinq n'arriveront pas A cette mtnme et simple
Conclusion qui est la famille-souche.
En accumulant meme les ph6nom6nes que nous venons
d'dnumdrer plus haut, sans en omettre un seul, il est encore
difficile d'arriver unanimement A trouver la definition don-
n6e, et c'est 1 pourtant la seule veritd cherchde et recher-
chde jusqu'ici en science social.
Done, concluons en a'firmant que la politique expirimen-
tale, si tant est qu'elle puisse s'appeler ainsi, ne saurait 6tre
une politique d'action on de r6sultats positifs. Elle est tout
simplement un moyen de contrdle par le libre examen et
la libre discussion; c'est, en un mot, la philosophies politique
et non la science politique. A ce point de vue, si l'on tient.
compete des notions premieres qui doivent 6clairer : et des indi-
cations de la vraie mithode d'observation, la politique expe-
rimentale devient necessaire pour d6fendre contre 1'abus du
pouvoir, la justice et les int6r6ts sociaux. Cest a1, toutq,
sa raison d'etre et ce qui constitute le propre regime parle-
menlaire ou le regime liberal, mclant ainsi l'esprit nouveau
Sl'esprit de conservation.
Mais autrement la politique exp6rimentale, mise en pra-
tique, come moyen de gouvernement, est plutdt une cause
de retard que d'avancement, par rapport aux contradictions
naturelles qu'elle souleve, aux folies qu'elle engendre et a l'a-
narchie qu'elle ddchaine. Nous avons, pour example, le gou-
vernement de A. Petion, celui qui fut non le plus .patriote
mais le plus sage de tous nos chefs d'Etat,
Que dans un pays si mal organism socialement, il se ma-
nifeste des tendances liberales, cela se conoit, car les
intelligence, en se developpant, int6rogent tout e* qui les
Saffecte et qui provoque leur jugement. Et- ii seo troivera
tonjours des ames g6ndreuses, ddvou6es aux intrfits publics,
partout oi laie dfense des droiLs lde 1he oawe .dan bonjmae
- '-, -K
17 -
opprime sera conisidr'ee comnine une noble mission. Ceux-li,
nous l'avons lit ailleurs, lorment une dlite: ils sont des
!enllemen come on les nonone dans la liUre Albion.
Mais qu'ilsj veuillent, ces hlommes, se former en part
exclusif, avec tendance A la centralisation, la ddsorgani-
lion, c'est non-s-uleiient donner dans un non-sens politi-
que, mais agir a contre-sens, car le people qui danse et
,qui fume sa pipe au coin des carrefours, et A qui il n'a dt6 en-
. core enseignd aucune idee ju'ste des choses qui l'intdressent,
ce people a les col6res d'un enfant, la violence d'un orange ;
il n'dcoute que ceux qui savent parler A son instinct, et
1it ou tard fait sentir le poids de sa main d"s que la pas-
sion on un interkt immddiat le pousse.
Et quel disarroi, lorsque, t cette population de rudes et
intdressants tiavailleurs, vient se miler un ieement de cor-
eruption, gens de toutes couleurs, vagabonds de metier, dd-
class6s ou fruits sees de I'ecole, se rdclamant eux aussi du
people et se faisant un drapeau des loques de la mis6re
publique! !! N'en croyez lien; cette mascarade est faite plu-
t6t pour dominer, asservi le people et s'en faire une sorte
,l'6pouwntail.
Le people hailien est sur une pente fatal; un souffle
mystdrieux, implacable, pareil A celui qu'a decrit le Dante,
entraire, pousse les g6ndrations vers un gouffre: jeunes et
vieux, bons et merchants, ignorants et savants s'y pr6cipitent.
(''et comme un vent de contradiction qui depuis Dessalines
rbgne sur l'ile entire. Si Dieu n'arrkte pas ses habitants
dans cette course 6chevelee, inconsciente, la nationality p6
rira en s'abimant d'un coup.
PORT-AU-PRINCE,
1888
LA NATION
01O
LA ACE HAITIENNE
F. D.LEGrITIME
PORT-AU-PRINCE -
-mnp. LTIIHA ASEI LIFORPST
Rue Courbe
A F.*.
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SVERTISSEMENT.
A VERTISSEMENT.
S Les quelques lgnes qu'on va lire sont ddtachdes d'un
Srage encore inedit qui aura pour titre la ( POLIIQUE
1 AI-TIENNE.
S Le pays traverse des dvenements qui m'obligent, quoique
d regret, de ddflorer l'ouvrage que je prdfdrerais livrer au
Public dans toule son integrity.
Mais puisque le moment nous impose tous les sacrifices,
fiddle serviteur de la Patriv, je lui apporte mon offrande.
Que les Honorables Constituants d qui le people ddligue
j momentandment l'exercice de sa souvcrainetd, et d qui je dedie'
cet opuscule, veuillent bien lui accorder leur plus sdrieuse
attention.
S'il existail des Idgislateurs qui voulussent Jcrire ou ddcrdter
Sun pacte social sans s'appuyer sur l'autorite de l'histoire, ils
seraient d'avance condamnds d produire une auvre sans valeur.
Le 10 AoNt de cette anne'e, un Chef d'ltat est tombd d(u
pouvoir d la suite d'une double prise d'armes.
Est-ce 1d une revolution, dans la haute acception du term
ou bien n'y a-t-il qu'un citoyen de moils dans le Pays ?
0 La chute du Gendral Salomon est non-seulement la consd-
quence d'une administration inconsciente, mais surtout le
rdsultat fatal de toutes nos turpitudes politiques.
Depuis quatre-vingts ans, nous n'avons su que remplacer
les homes sans jamais chercher d changer, d amdliorer,
la situation 6conomique et social du Peuple.
Done, la vraie revolution, qui en r6alitd ne s'est pas effeclude,
s'impose plus que jamais aujourd'hui d notre patriotism.
F. D. LEGITIME.
O 2Septembre 1888.
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INTRODUCTION.
( SurrE ) "
Les Africains imports en Haiti vecurent plus de deux si.-
cles dans un humiliant esclavage ; mais, an jour marque parla
Providence, ils rompirent leurs chaines et se proclamerent 16-
gitimement people libre et inddpendant. Cette situation, ils l'a.
vaient payee de leurs larmes et de leur sang.
L'oeuvre 6tait colossale ; elle devait, en s'edifiant, broker
malheureusement plus d'ane existence. Parmi les plus il-
lustres victims, on compete, le iib6rateur lui-inme et ses
vaillants pr6curseurs: Toussaint Louverture, au Fort de Joux,
,Beauvais, dans les flots de 1'Oc6an, rendirent leur belle
Ame A Dieu, tandis que Rigaud itait intern en France.
Et Sylla, notre intrepide Sylla, Charles Belair, Sans-Souci,
Lamour Derance et tant d'autres chefs de legions, furent
mdconnus, immoles. II fallut encore, pour triompher de
lpiniktre avarice du colon, que le people r6volt6 ddtrui-
sit en maints endroits tout ce qui se rencontra sur son
passage.
Qui pourrait s'en dtonner ? .. Autrefois, les murs de Jeri-
cho s'dcroulerent d'eux-memes au hruit des trompettes
israglites sonnant ]a charge .
Depuis, un people nouveau est n6 : issu d'une revolution,
1 vient pour ainsi dire du desert come autrefois les Hd-
breux, partant-il fie peut ressembler a ses ain6es, les nations
contemporaines. Mais comme un assemblage de pieces mal join-
tes, il est compose de gens nagu6re ennemis, de families
mal constitutes sur in sol en parties ravage.
IV -
En fait de hi6rarchie et de discipline, ce people ne
connut, a son debut, que celles de l'atelier ou des champs
de' bataille sur lesquels il avait camp pendant quatorze ans.
Le courage ou la fortune militaire distinguait entire eux
les citoyens alors livres A leurs seuls instincts.
Et, en faith de traditions, ce meme people avait unique-
ment celles du regime qu'il venait d'abolir : dans le colon,
il ne haissait avant tout que l'oppresseur.
Mais l'administration colonial avait Rtd un regime d'ex-
ception, et son code rural une atroci!d, car, sous cette ad-
ministration, l'homme et son travail dtaient la proprik6t
Sdu maitre.
Ce fut l~ tout l'hdritage. les seules coutumes laissees a
nos peres pour se gouverner et se constituer en Etat.
ConsiddrB comme nation, l'Haitien etait encore a former:
la diversity d'origine, l'opposition des int6r6ts et la 'dif-
ference dans l'dducation creaient naturellement des obsta-
cles A l'unification immediate. En effet, il se trpuvait en pr6sen-
ce etrecemment milds ensemble, difltrents types d'Africains :
les uns avaient naguere 6et recueillis sur les c6tes occiden-
tales de l'Afrique, les autres sur les cotes orientales, et
depuis, leur contact avec le blanc avait donned lieu i un
mdtissage, formant ainsi un nouvcl Veld;nent de population.
En outre, cet assemblage d'individus format des groups
qui distinctement et successivement avaient. op6rd leurs
movements d'dmancipation sans s'6tre nullement con-
certes ; dans le Nord, l'action commenga le 22 Avril 1792,
dans l'Ouest, le 26 du meme mois.
Vincent Ogd fut le premier qui donna le signal de l'in-
surrection ; mais la declaration categorique qu'il fit fi
I'Assemblee du Cap ne laisse aucun doute sur son ilk,
tention, A savoir que la liberty des esclaves, voire mAme
l'ind6pendance de l'ile, n'ont pas etd le mobile qui le
guidait. Il secontenta de r6clamer enfaveur des affranchis_
l'exercice des droits civils.
Tel est, sous son vri jour, le tableau que present au. :
-
Fa ~ ~ .
'4
-V-
commencement de ce siecle, la troisi6me socie61 (1) qui suc-
cdda A celle des planters de Saint-Domingue. Sortiecom-
me un coup de foudre d'une vigoureuse poussee, elle
part ainsi tout armde aux regards ktonnis da monde.
Quand on c:onnait le temperament de chacune des sub--
divisions de la race noire, et que 1'on se rappelle les luttes
precddemment entretenues entr'elles par la politique colo-
niale ou par des jalousies personnelles, on peut se faire une
just id6e du sentiment qui les animait les unes et los autres.
Combien sommes-nous donc Bloignds des peoples saxonset nor-
mands qui, d&s leur premiere conquete ou au d6but de leur co-
lonisation, se constituerent en communautds exclusives pour
s'dtendre graduellement en provinces, et arriver enfin i se
former en Etat ; rien ne leur a manque, ni I'organisation
du travail, ni la loi morale, ni l'experience necessaire a
l'exercice des droits naturels.
En Haiti, il est done n6cessaire que, par une suite
de transformations progressives, on arrive a cr6er avec ce
people une nationality solid, homog6ne, capable de resister
a tous les assauts et par consequent digne de sa glorieuse
origine. C'est une euvre qu'il q'a 6tW donned jusqu'ici A aucun
gouvernement de realiser. C'est pourquoi dillferente est Ia
voie qui s'ouvre aujourd'hui Acelui que lesot ldsigne pour cet-
l auguste mission.
Comment s'y est on pris dans lo pass, ou plut6t com-
ment aurait-on dt s'y prendre pour oprer ces transformations ?
Dessalines, PWtion, Christophe, s'entendaient-ils pour pa-
rachever l'oeuvre commune?
De quelle maniure le people s'est-ti1 approprid le sol et
les domaines don't il avait chass6 les premiers occupants et que
.lui-mame il avait si longtemps fdcond6 de sa sueur?
o Enfin, la socidtd haitienne, dans sa constitution originelle,
dtait-elle apte A un regime de self-government ?
Telles sont, A notre avis, les questions qu'il imported a
l'historien de resoudre avec les riCiuurs de la mdthode.
(r) Troisieme Socidtd, par opposition a la Premiere compose des bon-
caniers et des flibustiers de la Tortue et ]a second, des colons frangais.
*
l^- ,. ^ & / *."'*:.I> :v. ^.* :.; --, :.
'.i
r:-
DE LA NATIONALITY HAITIENNE.
4 Quand certaines iddes ne sont plus
gendralement admises; quand les in-
tertts divergent et se fractionnent;
Squad on ne s'entendplus sui le but
a qu'on doit atteindre par- un effort conm-
Smun, alors la nationality s'affaisse, lan-
guit et meurt. .
B. X.
La chute de 1'Empire fit crouler le syst6me d'union politi-
que que Dessalinesavait fond6 et don't il avait dtd jusqu'au com-
mencement de 4806 le plus fervent ap6tre.-Aussit6t se rap-
pelant leurs querelles, les vieux parties, ou plutot les citoyens un
moment coalises pour la revolution, virent comme un abime
s'ouvrir devant eux. On se retrouvait en Haiti comme aux plus
tristesjours du rIgime colonial: inevitable consequence des
guerres civiles. Et le gouffre resle encore biant A nos yeux.
Maints systems, maintes thdories mis depuis en pratique,
n'or:t pu encol:e en amoindrir le danger. On s'y pr6cipite
au contraire avec une sorte d'affolement. Dieu seul, pout
nous arreter sur la pente fatale, nous inspirera les moyens
de salt qui sont les principles rationnels don't l'application
fait partout la force des peuples, quelqu'en soit le climate et
l'origine.
L'Esprit qui autrefois a couve le monde, qui 1'a faith
sortir du chaos, reconstituera un jour, il faut 1'espdrer, tous
16s debris 6pars de notre society qu'ont disperses les vents
de la discorde. Alors d6gagis des stWriles prdventions,
tous ceux qui aujourd'hui luttent pour l'existence seront,
comme au premier temps de notre histoire, enveloppes dans
une. pensde. commune qui est l'unite national. Ce moment
serra celi de notre resurrection social et une nouvelle phase
Ik *: "- ; *'
S -~ -.; -
i
C
v. t -;. c~a-~ui
-2-
dle I'lndMpendance haitienne. Alors encore, le pass et I'a-
venir, rallies au present. se donneront pour ainsi dire la
main, et les ossements de nos pores, loin de repousser
les nitres, comme ils le disaient cux-memes, tressailleront
plultL de bonlieir.
L'union fondde sur la couleur, par le libre choix dte la
nature, par calcul ou conseji de la raison, ne suffit pas pour
consolider et determiner ]a nationality haitienne; il faut
I'unitd base sur I'intdret commun et la justice. C'est la these,-
ou pour mieux dire, la verit scien!ifique que nous voulons
demontrer dans ce present chapitre.
Apr6s Jean-Jacques Dessalines, par suite d'insidieuses com-
plications, les gdneraux Henry Christophe, Alexandre Petion
et J. P. Boyer arriverent successivement et meme presque
ensemble au supreme pouvoir. De par leur origine politi-
iuce diffhrente, ils 6taient d6positaires de traditions dilldren-
tes, come aussi ils diffdraient de temperament et de ca-
ractlre. Chacun d'eux avait done sa facon de gouverner et
de risoudre la question social et politique d'Haiti. Quant
i la question de couleur, la plus irritante, la plus absurde tes
questions, les uns voulurent systdmatiquement et brusquement
la rancher par l'dpBe, les autres crurent 1'dtouffer au mt6yen
de subtilit6s ou de fictions constitutionnelles, 6tablissant par
une pr6ponderance effective l'equilibre des membres.
Aussi, ces homes, dans leur oeuvre administrative, n'ont
point rdussi A fonder mieux que Dessalines, 1'unit6 natio-
nale d'Haiti. Au contraire, leurs systems dans lesquels se
trouvent combines, A doses plus ou moins fortes, les moyens
que nous venous d'tnumerer, leurs syst6mes qui sont en-
core de vastes champs d'observations pour le politicierr, le
philosophy et l'historien, n'ont laissd comme resultat que des
prdventions revenues plus irascibles, et par consequent un
ddsir de revendication toouours rdalisable chez les' uns et les
autres, malheureux hMritiers de ces anciens parfis designies
sous la ddnompinatiqp d'aT'ranchis et d' mancipds.
11 ea serait certes autrement, si les homes qyi tour a~/
-. -- ,M -' *' .,. .-* /
-3-
tour sont arrives au pouvoir depuis cette epoque, loin de se
laisser absorber exclusivement par cette polilique intdrieure,
6goiste et mesquine, s'dtaient appliques a administer et A or-
ganiser l'Elat, en suivant les meilleures Iraditions, de fa-
con a creer l'aisance par le travail et 1'dconomie, et A fire
naitre 'iharmonie par l'esprit association bas6 sur la mo-
rale.
De nobles efforts out, il est vrai, etd tenths pour re-
lever le pays des ruines qu'avait flaites la guerrde de I'Inde-
pent(unce. Dans le Nord, le commerce et l'agriculture pros-
peraient ; des ateliers de metiers et des rooles s'organisaient:
enlin pendant onze ans, Christoplih parvint A rdaliser pour
les masses une situation intermeniairc qui n'tdait ni le bien-
ktre, ni la misere. (1) Mais par quels moyens? .... Sous
ce regime, le paysan, non fermier, etait tenu dans un etat
plus dur quo le servage sous le regime fdodal, car le serf
de qui le seigneur exigeait un service qui n'etait qu'une
redevance, recevait. la terre en retour et a titre permanent,
landis que sous Henry Christophe, ii Ctait 'quasi-esclave,
n'ayant come sous Dessalines, que le quart des revenues de
son travail, valeur que le colon lui-mnme dtpensait A peine
pour l'entretien de l'esclave.
On doit toutelois admirer chez Ieniry Christophe I'cs-
;:rit d'ordre et 1'6~ergie morale ; ces granides Iqualitls, i celle
epoque reculke, 1'ont euLrain iiA d lepassecr i:r lheureusmineint la
inesure et ai terO 11011 ps etxcilusirl tii s excessi : l. rigCueir
te son (lespotismc lui dsnfleclioinna leI people et I'armite.
(1) Christophe a laiss6 plusieurs millions dans ls I Irdors lde La-
fTrriure, et Boyer, a sa chute, un million; c'eait bien. Mais, suffit-il
d'accumuler des esp6ces dans les.trdsor. publics et de fair la for-
tune privwe de quelques individus pour croire qu'on fait avancer un
people! Ce qu'il -fat, c'est avant tout l'aisance qui, seule, conduit
les ciloyens a la libere6. Les decrets produisent I'anarchie et non la
vraie liberte-- Dans I'armee du Nord. a part la discipline outrie qui
avait mcontente les soldals, au point de les porter laa revtile. on
arvti, adopl cerlains reglements qui, A notre poim de iv-,-nousa-
r.A'S'enl atour l i inopportuns.
)nL;l.l
" :,_1 7
-4-
Uh exces- d'ordre, come on dit vulgairement, est un dd-
sordre.
Christophe fut un vrai progressisle. Honmme d'une vaste
intelligence, dit Madiou, il 6tait avec i'Pion l'un des plus beaux
officers de son armee et un de ccnx iqui ddsapprouv6rent
le massacre des colons.
e Cependant il avait su toujours conserve 'a l'gard des
Francais une attitude courageuse et pleine de dignity.
Sa famille etait rdgulierement constitutee, et de tous, les
chefs militaires do son temps, il fut le seul peut-6tre qui
ne donndt pas le scandal d'une vie dereglee. Dans -on
Etat, le concubinage etant proscrit, le der6glement des macurs
fut par consequent comprim6. Son language dtait dlev6 et
ses manibres aristocratiques. VoilA l'hornmme que nous trouvons
dan. Henry Chrislophe. Mais il etait de ces esprits qui s'6-
tonnent de rencontrer des ennemis et d'avoir, dans les allhires
publiques, A souffrir la contrAdiction.
Lorsqu'il s'agit de faire tomber Dessalines, les conspira-
teurs, craignant l'insucces, s'appuyvrent sur I'autorit6 du
nomi de Christoplh. Ils avaient cependant, dit encore Ma-
diou, I'arriBre-pensee de. I'ahattre apres le triomphe. En
elfet, la chute de Dessalines dtait A peine consommee, que
Christophe se voyait tromper de la f'aon la plus d6loyale (i).
De lA les col6res, inde irt On ne recula mdme pas de-
vant la basse et ridicule manoeuvre de corronpre les elec-
tions (2).
(1) ( Nous ne vous cachons pas, dignp General en chef, que nous
croons que votre indignation soit au moins gale A la n6ire, et nous
vous proclamons avec joie, et a l'unanimme le chef supreme de l'ilc
sous- quelque'dnomination qu'il vous plaise de choisir; tous les caeurs
sont A vous; nous jurons devant Dieu de vous etre toujours fiddle, de
mourir pour la liberty et pour vous. )
(Extrait de la lettre adressde A Christophe par le chef de l'arme.
rkvolutionnaire : 13.0ctobre 4806. ]
Aucune autre piece n'a pu ktablir la pretendue conspiration Geffrard
et Christophe don't nos historians ont affirmed I'Pxistence. PMtion et:
Lamarre eux-memes qui ont pris part A la revolution, n'etaient que de
chauds adherents.
(2) B. Ardouin Histoire d'Haiti.
Christophe elut pa neanmoins triompher faciletnent de
I'hostilite qu'il rencontra; mais son premi er cri fut une
expression (dl cruelle vengeance
a Petion, Bonnet, Bover, les deuxo fr6res Blanchet, Daumec,
Lys, Caneau, et quelquos' autres de lenrs inffimes complices
viennent de lever io masque ; ils ont mis an jour leurs pro-
jets : ils ,ont en pleino rIvolte control 'autoritl ; i!s veulent
etablir une constitution qui iettra ]e pouvoir entire leurs
mains, et livrera les finances ot les places a ]leur disposi-
Lion. Le gin(ra! en chef vient do donner ''ordre de la m;riho
pour soutenir vos droits et pour maintonir votre libertl que
l'on veut vous ravir .....
< Los facieux out lve 1. '-tedJar:J de la rduolt : il cst
juste qu'ils payment d.:' lcir fortune lears complots funestes.
Le 4llcuae de lons les lieux on les rebellcs sc'onot trouvis vous
est abat)ndoild s(n's resi'tictioni. Mar',chez et la victoire va cou-
rouner la justice de notre cause. ))
Dhs lors, chacui so sentant moniace, et dans sa per-
sonne et (dans ses bioes, on out done pour devoir de rc-
sister jusqu'au doricr hroimme,
Dans la parlie oust deo 1'iie on essava an debt de la
revolution, c'est-a-dire en citte mine annee 1800, doe fai-
re prevaloir I'esprit de 1'antique Ripubliquo romaine. Un
senat quasi-aristocratique fut instituL et se saisit- do tous
les pou:oirs de 1'Eta.t. Daux ans plus Lardl, des terres fu-
rent distributes aux soldats, et 1'on prit enfin, en faveur
des travailleurs,, des measures plus lib&rales que celles ap-
pliquees dans le Nord.
Le quart de subvention ful supprimd et 1'on put ainsi,
par l'adoption du system. dit de moitid ou !e metayage,
assurer aux cultivateurs la moitid de leurs recoltes. (!).
Pkiion fonda un lycee d'oil sortirent la plupart des homn-
(I') C'est le systeme qui prevaut encLic en Dominicanie: le propri6-
taire fournit I'argent n&cessaire au Iravail de la terre et les semen-
ces, e perVoil la moitie du produit de la recolte.
,- ..:. ..,
-* .~:~C~ :*< -* -,, **
-, -
6. -
mes qui, par lenir education, out fait le plus d'honneur
au pays, et le I17 Juillet 1817, on institua un Conseil de
Notables dans thaque ville de la Republique.
Mais, en general, un funeste laisser-aller, cointre-partie
du regime oppose, fit tout p6ricliter dans l'Ouest. Le de-
sordre 6tait dans la rue: on voyait des spadassins se bat-
tre par jactance comme on plein forum. L'opposition s'a-
gitait au Senat, enfin le schisme r6gnait dans ]e petit Etat.
Les g6ndraux Elie Gerin, Yavou, Magloire, Ambroise,-
qui avaient activement countribm aun succes de la rivolu-
fion. devinrent, sous la Re'publique, de v6ritables pierres
d'acloppemient. Par suite do conllits que suscita leur si-
luation ou A cause d'une opinion energiquement soutenue
au Senat dolt ils 6taicnt membrles, ces of'iciers g6ntraux .
succomberent tous successivement.
Position diflicile ldans un pays comme le nutre, que d'V-
tre s6nateur et en inmme temps clief d'un grand comman-
dement, subordonne a I'autoritd militaire Gerin avait 6td
un sadieux candidate a la presidenlce, en quality de chef
do I'Frmde rIvolulionnaire. Ne pouvant se consoler de sa
ldfaile apies l'a'dnciment de Pdlion au pouvoir, il soutint
depuis an Senat le principle d'une decentralisation admi-
nistrative.
Apri''s la mort de cc brave general, suanomme a cause de
son courage, G(rin CGdtes-dc-lF'er, Andre Rigaud, sorti de
l"rance, rentia de nouveau duns le pays. 11 fut cordia-
lement acceeilli par P6lion qui aussitut le nomma com-
mandant du Ddpartement du Suid don't il avait ett le chef
v6endr depuis 4791. Rigaud prolita de cetle situation et de-
cr6ta la scission entire l'Ouest et le Sud, reprenant ainsi
1'euvre commence par Gerin.
eAyez un Senat, si vouslIe voulez, dit-il ; mais que jotre Se--
pjal soit celui de l'Owust. Ayez un President, si vous voutlez,
mais que volre president soit celui de l'Ohest. Le depa'tle-
ment du Sud se r'git par ses proprrc lois, pai' son conseil.
et par son gJ~Aral en chef.
_._ .. (, .
-,,- .
,La Rdpuplique, divisAe par ce faith, ne se soutint plus que
par l'accord entretenu en son sein au moyen de la haine centre
Henry Christophe. Elle eut de plus A contenir les bandes
de Goman qui en rdalit6, furentpresque inoffensives.
Le Presideni Pktion rigna malgre ces conflicts pendant
douze ans, de 1806 A 4818, 6poque de. sa mort ; dans
I'intervalle, la Constitution dut etre plusieurs fois modified
et le Sdnat fut disloqui et'ddpouille de sa toge romaine.
Dc la prdsidence temporaire on 0tait passed A la presidency :
vie sans ministere, avec un privilege pareil i celui de Chris-
tophe, lequel tdait de nommer son successeur. Tout leGou-
vernement done se trouvait rbsumn dans un home que
Dessalines avait surnommd Papa-bon-cctur.
Tel fut le caract6re des deux premiers gouvernemients
qui se partag6rent le pays apr6s la mort de Dessalines.
La situation politique d'Haiti ne se modifia pas, meme.
apris la pacification et I'unilication territorial de I'ile (de
1821 a 4843. ), sous un .seul chef, J. P. Boyer, devenu alors
maitre absolu des destinies de la nation.
Cependant, disons-le, la paix fut maintenue presque cons-
iamment durant les trois longs regimes qui absorbbrent trente
sept anndes de notre existence national. Mais en rdpr iman I :6
verement les conspirations qui troublaient le p:tvy, il so coln-
mit de grands cxces quo l'historien a pour devoir di ibhi-
mer avec non moins de sdveritl.
. . . ........ . ... . .
Que signifient, en dedinitive, tous eo clihss6s-urois6s de
la politique haitienne 9 lUs ne rvelcnt qu'une chose i les
inltrlts coilpromis clierchant lear satisfaction.
Done l'interdt qui est comme on (lit le mobile de l'actioni
devient, en. politique, l'un des principles de l'unitH national.
Mais, audessus 4de !'ini6rt n)altrjil, jI existed poir IS. .
-S -' "
IS,~~t~s ~ l ;:L- :-
-8-
socidtes un intehrt supkrieur, la justice, inter6t malheu-
reusement incoripris et que, en Haiti, on a toujours fait
ddvier, au profit des personnel et au profit des parties. II
S'ensuit, dans les idees, dans ley sentiments, une vdrita-
ble anarchie morale, un non-sens polilique qui a un mo-
ment donnd devient un 'vritable danger. Tous. nous sen-
tons cela, c'est tangible ; mais personnel, paraft-il, ne son-
go A en deliver le Pays.
Dessalines, nous l'avons vu, soldat heareux devenu empe-
reur-plus prioccupd de rfaie la guerre que d'aministrer le
Pays, ne pouvait concevoir la pens6e, ni sentir la nkcessite d'at-
tacher fortement la population au sol. Son systeme, au con-
traire, consistait en ces quelques mots empreints d'une fa-
rouche, energie : < Au premier coup du canon d'alarme,
les villes disparaissent et la nation est debout Sous lIi,
I'faitien, essentiellement soldat et agriculteur, manquait done
ide stability. C'dtait logique. Aussi Dessalines, home d'E-
tat, loin de chercher ai satisfaire les esprits en crdant la
solidarity d'interkts qu'il 6tait facile de greffer sur la com-
munautd de sentiments existent depuis la guerre pour 1'In-
dependance, Dessalines s'est empress de satisfaire plutlt les
sens en travaillant au melange des couleurs. II fiihait de la
fusion sans port&e, car on ne peut de la sore accorder, con-
cilier serieusement des iddes et des tendances, dedj par trop
divergences.
Enfin, cet administrateur inhabile s'dgara de plus en
plus en se livrant aux plaisirs : cela semblait natural A son
education.
Henry Christophe et Petion, plus instruits que Dessa-
lines, ayant pour l'art politique des aptitudes dminentes,
se sont appliques pendant leur rbgne, et avec la meilleure
intention, le premier, a r6aliser des rdsultats dconomi-
ques imm6diats en imposant des conditions plus dures
que le servage; le second, a faire prddominer l'esprit ,des
lois i l'encontre des mceurs et de la tendance, ambiimeuse
SMsres ivaux. -,.
L -'* "
9 -
SOr, ni 1'un ni l'autre de ces deux hommes ne pouvait
obtenir, a part les rdsultats administratifs, un success posi-
tif et durable sous le rapport social ou politique.
Toutefois, la violence du syst6me applique dans le Nord
devait preparer le triomphe du syst6me plus doux inau-
gure dans I'Ouest et dans le Sud.
Jean-Pierre Boyer en profit et devint ainsi le plus
omnipotent de tous. les chefs d'Etat haitiens. Pendant
son r6gne |de 25 anndes, se sont dvanouies toutes
les difficulties que, avant et apr6s lui, d'autres ont connues
et 6prouvees. Les forces de la R6publique semblaient
a .lors se concentrer dans la personnel de son premier Ma-
gistrat: c'6tait la Rdpublique autoritaire et sans vie. -
Le Pays en mourait.
Louis XIV d'un nouveau genre, Boyer prepara lui-m6
me sa chute et vit 6clore la revolution faite au nom de
libertis publiques; mais, ii faut en convenir, ces liberty
n'avaient encore exists sous aucune forme en Haiti.
On sait ce qu'a produit dans notre pays cetle crise
politique : 'arbre est jugs par ses fruits.
................................... .. ...
A Ldogane vint s'dvanouir la derniere esperance du Pr&-
sident Boyer, lorsque, apres un supreme engagement, la
fusion s'opdra entire les troupes de la garden et cells de la rd-
volution.
C'6tait le 12 Mars, date A laquelle le vieux gdndral La-
Szare, commandant l'aile droite de l'arm6e populaire, venait
de faire, aux Cayes, jonction avec les troupes de Rivi6re H6-
)rard.
A la nouvelle de la defection des -siens, le President
Boyer s'empresse W'abdiquer le pouvoir, et le lendemain,
13 Mars, s'embarque pour l'Etranger.
'-La revolution avait triomph6. Determine par une im-
iperiqse n4cessit& politico-sociale, et commence sous les
pl. -. l be'ueureu auspices,_ elle n'allait malheureusemerit tre,:
1x -- -. "
". 1" "i : '" -." .' j..t" ''*
.4s
10 -
toute proplortidn gardte, qu'une faible parodie de cele
accomplie en France dans l'annde 1830; mais la France
6tait la nation riche de'-suvenirs et de meilleti-es traditions,
la France forle et toujours pleine d'elle-meme.
En Haiti, au contraire, les homes qui se sont empares
de administration, A partir de 1843, n'apportaient aux af-
faiires que des theories. D'observations historiques et locales
point Is ne s'en souciaient nullement, se complaisant
plutot dans la philosophic du droit. Moins sages que leurs
prdddcesseurs et n6gligeant autant qu'eux les rgles de la po-
litique scientifique, ils s'l6ancrent conliants dans l'inconnu
Its promirent beaucoup : la liberty politique et toutes les
liberts ; la richesse et l'abondance. Mais de leur pompeux
programme, rien ne se r6alisa, rien n'6tait en voie de se
realiser. Aussi la revolution de 1843 ne tarda-t-elle pas A
faire regretter le regne de Jean-Pierre Boyer. Le nouveau
Gouvernement que, apres huit mois de tAtonnements, elle
avait ddifid s'6cioula. II avait suffi de quatre autres mois
d'une mauvaise administration pour que Charles Hdrard aine
lui-mime suivT en exil le Pr6sident son pred6cesseur.
II est done evident que les theories politiques, pour 6tre
appliquees avec profit, ont hesoin de s'appuyer sur des don-
nees certaines: une erreur qui faith devier entraine A des
consequences regrettables"
Quel avait Wtd cependant le programme des rdvolution-
naires de 1843 ? Deux mots le renferment : un gouver-
nement civil et temporaire avec la Commune libre, le tout
base sur le sens electoral. . . .
/~.it Pour fonder un gouvernement tipublicain, democrat et
Slib6ral, pareil A celui que preconisaient les homes de la
revolution, ilnesuffitpas d'en photographierl'image en quelque
part; a l'ezemple diu peintre on du statuaire, on doit d'a-
bord4'e prtciser les dimensions, en tracer les contousii plis '
4'eae wain habile, fair sortir dans leb(Wa iAr
t-.
1'oeuvre projetee. L'artiste qui broie les couleurs sait par
des el'ets harnmonieux d'ombre et de lumiere ;donner la vie
a la matiere. On ne coniprit point qu'il falait ainsi procdder,
apres la chiite de la R6publique csarienne de Boyer.
L3s associations, les assembl6es populaires, intermnddiaires
nicessaires entire le pouvoir et le people, les associations,
les assembles primaires oi so condens. et so forme l'esprit
public, qui se rdflete ensuite dans le parlement, n'exis-
tent jussqu'a present nulle part en Haiti : or elles n'6taient
pas, en 1843, en 6tat de se former.
Et quels sont aujoud'hui encore les intdrets a dtfendre,
les draits A rdeamer, la justice A rdtablir ? Sphinx que tout
cela pour les rdvolutionnaires de cette dpoque Or, la revo-
lution, qui se connaissait si peu elle-mime, 6tait un pri-
sent funeste] fait au Pays par J. O. Boyer, car comme du
fabuleux cheval de bois, il en sortit l'ennemi de notre
nationalitA, c'est-a-dire I'anarchie. La parties de 1'Est, en-er-
fet, se detacha aussitdt de la Rdpublique haltienne, et l'Etat
depuis s'amoindrit, so disloqua et so ruine. Tel .est le bilan
de la revolution dite de 1843.
Tout cela s'explique; mais pour qu'on puisse s'en faire une
idee bien plus exacte, il ne sera pas inutile de descendre
dans quelques details.
Rdsumons-lee en peu de mots:
Dans la rdforme nouvelle introduite en 1843 dans la poli-
tique d'Haiti, si, a propos de ddmocratie, on entendait la
necessitf de rdserver I'administration des affairs politiques
aux homes instruits, rdputds les plus capable, comme c'en
esi le principle, on serait amend logiouement, vu le peu d'a-
vancement de l'61lment populaire de cette dpoque, A instituer
deux castes dans la nation, deux castes avec un gouverne-
ment aristocratique, dvoluant d'un systeme de decentralisa-
tion administrative vers un systeme de fiodalite bourgeoise.
Ceut. 6t.d a duality constitutionnellement dtablie entire deux
classes ou deux families de m4me origine, qu'un accident de
uBealjsgJq'kix difl8rencides. Monstrueux eelh!t
-42-
A la vdrite, apres .39 anndes environ d'inddpendance,
Haiti n'6tait ni mnfre, ni organis6e pour accueillir favo-
rablerent cette reforme aux apparences libdrales.
De tout ce qui prdc6de, nous pouvons donc,-conclure
que le r6sultat de la politique haitienne a dtd nul dans
le pass tant au point de vue social que politique. En
eflet, rien d'essentiel n'y avait Wtd fond6. Les terres
-distribubes en parties sous PWtion, A la fin du regne de Chris-
tophe et- au commencement du r6gne de Boyer, n'ont point
servi a amdliorer notre 6tat. Au contraire la population qui
n'est point implanted d'une manibre serieuse, voit le foyer
et l'atelier rural a la mer'i de tous ceux qui veulent les
avoir et peuvent les payer, et cela au moment m6me de
la decadence de l'industrie agricole et du commerce.
Aussi tout notre rouage administratif s'en ressent-il.
On comprend dis lors l'impossibilit6 matdrielle qui rdsulte
de cet etat de choses pour celui qui veut introduire -dans
nos campagnes un systnme d'6ducation convenable. Le
paysan haitien, sous un tel regime, est rest dans les t6-
nebres jusqu'au jour oh le gouvernement du Prdsident Gef-
frard fit pndtr!er dans ce milieu social un premier, mais
mince rayon te lumi6res. intellecti;!les.
L'institution des ecoles rurales doit au gouvernement
du 22 Decembre son origine en Haiti. C'est une fort bonne
et belle chose ; mais, pour produire d'heureux effects, elle
a besoin d'etre appuy'e. sur les principles de -respect et
sur la garantie de la .p'opridt6, sur la famille r6gulierement
coustitude, sur le ddveloppement de la richesse publique,
et au-dessus de tout, dominant 'tout, comme couronnement
de 1'rdifice social, sur 'enseignement religieux sdrieusement
inculqud.
Cet enseignement, on se le rappelle, avait Wt6, jusqu'en
1860, 6poque de la. signature du Concordat avec le Saiant
Siege, confi A une lclerg6 irr6gulier, recrut6 par ta fantaiwi
et don't les mceura compromettaient la Religion et 'nuti
saient i l'influence de sa morale, -
"~~ ~ *' ^. v-*^'*''
13 -
Avec un plan ainsi conu uile trantisfrdnation meilleure
s'obtiendra progressivement avant un sikclc, come cela
s'est vu en Angleterre et en Allemaigne, oi les premiers
habitants comme partout, d'ailleurs, avaient did barbares.
Tel est le chemin t suivre et non pas celui ou I'on vait
l'homme poliique se poster dais'un carrefour, les bras blendus
comme un poteau indicateur, et crier aux gens affolds : 11
faut l'instruction publique, I'instruction publique gratuite et
obligatoire e!
Jusqu'ace quecette rdfoimes'accoimplisse, u nue peut al'firner
que le people haitien ola la famille se.leforme, se d6sorganise
et don'tt le.i classes lev6ie, les citoyens instruits no s'en-
tendent pas cux-memes sur le but .i atteindre, nul ne pent
affirmer que le p3uple haitien constitute deja une solid natio-
nalitd.
Comme d6mocratie on Etat propre an regime de self-
government, Haiti ost encore moins avancee que l'Allc-
magne, la nation arme, I'Allemagne, la plus aristocratique,
la plus monarchique des peuples civilis6s aprls la Russie.
-Les masses haitiennes, qui forment les troisquarts au moins
de la population sont, en effect, loin de ressembler A cells
du people germain, fagonn6es A administration ide leurs af-
faires rurales on communales; les premieres ont toujours
6tW n6gligdes et vivent commedes ilotesdans un pays soi-disans
de liberty ; obeissant au moindre signe d'un chef de section
elles restent 4trangeres ou indifferentes aux Assembl6es pu"
bliques, ces premieres representations populaires. Ellcs n'ont"
encore d'aspirations que pour la musique et la danse, seull
horizons of se borne sa pensde depuis la Colonie et of
les ont maintenues systimatiquement jusqu'ici les Gouverne-
ments felons.
Poser la question, c'est en m6me temps la resoudre d'une
fabon radical, nette et precise, si !'on se rappelle nos d6-
ceptions depuis 1843.
Les Haitiens, qui entendent sinc6remeit Tonaer leur' na-
"- *" ,
ik ..... t M"' ~' '-
tionalit'- sur, des principles d'une vraie d6mocratie, doivent
commencer par se donner les mmours de la liberty et se gar-
.der des scandals par lesquels se rivelent les mauvais gou-
Ternements. En distribuant la justice dans toutes les cou-
ches sociales, ils auront bientot fondd leur unit national, avan-
ce eux-mumes A pas de giant dans la civilisation et, finale-
ment la gratuit6 des charges, en bieu des functions, -
remplacerait dans ce pays un fonctionnarisme absorbant.
Loin de cet ideal, on ne peut recourir qu'aux expedients,
faisant ainsi de ]'opportunisme a outrance. VoilA pourquoi,
cepuis 85 ans d'inddpendance et malgrd les plus nobles
ell'ors, nous n'avons pu rien encore organiser. La solution que
nos homes d'Etat ont cherch6e dans la lettre d'une cons-
titution on dans la conclusion brutale.logique, d'un jour
le ])ataille, c'est A la science politique qu'il 4tait r6serv6
de la dinontrer.
Do 1813 A 1879, Haiti orompte trois revolutions ou grands
liouleversements politiques: cellequi renversa Faustin Sou-
louque du pouvoir; celle qui eut pour r6sultat 1'excution
de Sula\ve et cello du 30 Juin 1879. Toutes ces revolutions,
et les prises d'armes auxquelles elles out donn6 lieu, n'ont
did que la resultante de nos folies, de nos haines et de nos
colcres. Lner enchainement s'explique dans notre principal
ouvrage. ('
Nous avons beau nous remner pour une forme de gouver-
nement on pour une autre, il est evident que, de 1804 i
ce jour, nous n'avons raussi A 6tablir qu'une I)ictature plus
ou moins parlementaire, decoree tantot du titre de Monar-
chie et tantot de celui de Republique. La forme imported
peu, c'est le fond que, en cela, il faut consider.
Relativement A la propridtd, nous sommes encore l' 'cole
de Brissot, le constitutionnel qui, avant la Revolutiop!francaise,
a formula, une doctrine en ces terms: c Tousles corps vivants
ont le.droit de se ddtruire les uns les autres pour se conserver.v
(') La Politique Haitienne.
S..... .
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On comprend done pourquoi les families se ruinent, se db-
molissent en Haiti, par I'alidnation deleurfoyer, et commentde
consequence en consequence, on est arrived a l'aide d'une pa-
reille doctrine a jtistifier I'anthropophagie et ces perpdtuelles
guerres civiles si funestes a l'humanitd, puisque pour sa con-
servation, chaque corps ou parti politique 6prouve une volupt6
extreme A dgtruire le parti qui lui est oppose et que chaque
propridtaire veut absorber le domaine de son voisin.
Que r6v1le ce deplorable Mtat de choses ?
Une desorganisation social qui rend obligatoire la politique
de clan que nous suivions si aveuglement, politique de ruse
et d'audace.
C'est en ce moment que des esprits aventureux, dedaignant
I'observation rigoureuse des faits, osent parler de politique
expirimentale, ce qui signifie rait que la regle en mantilre de gou-
vernement serait de varier simplement les experiences, et de
les rdpdter an hasard. Qucl p6ril pour un pays de tomber en
de telles mains !!!
La science politique a une former, au conlraire, plus ma-
thdmatique. Sa mithode consiste a partir d'un faith reconnu
vrai, pour demontrer une v6rilt ;i l'aide d'autres faits ou
(ides intermidiaires.
Ainsi, quand on dit : Les sociidts d familles-souches cons.
tituent seules les nationalittds unies, stables, libres, heureuses
et puissantes, on embrasse du coup ou plut6t on ddduit
dans sa pens6e tous les phlinomines sociaux, administiatifs,
6conomiques, internationaux et moraux don't la combmai-
son est absolument ndcessaire Ai former cette solide united
social. II y a lM, en effect, comme un vrai probl6me de ma-
thdmatique.
Tandis que si, per fas et nefas, on fait de la politique expd-
rimentale come onl'entend, c'est-a-dire en voulant ddcouvrir
Sales lois sociales par induction, et remonter des effects aux
causes, il y a sorenient risque de s'dgarer, car on ne peut
r",oir. dasw-leurs rapports imm&dials (out L'esemblede is
I p... .. .. 7 . ..
tY/
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Par example, si nous recherchons, d'apr&s les indications dt.
la raison, ce qui peut constituer une solide nationalist ii
est p)'.rier que sur dix mille individus aussi. instruits les-
uns que les autres, cinq n'arriveront pas A cette mtnme et simple
Conclusion qui est la famille-souche.
En accumulant meme les ph6nom6nes que nous venons
d'dnumdrer plus haut, sans en omettre un seul, il est encore
difficile d'arriver unanimement A trouver la definition don-
n6e, et c'est 1 pourtant la seule veritd cherchde et recher-
chde jusqu'ici en science social.
Done, concluons en a'firmant que la politique expirimen-
tale, si tant est qu'elle puisse s'appeler ainsi, ne saurait 6tre
une politique d'action on de r6sultats positifs. Elle est tout
simplement un moyen de contrdle par le libre examen et
la libre discussion; c'est, en un mot, la philosophies politique
et non la science politique. A ce point de vue, si l'on tient.
compete des notions premieres qui doivent 6clairer : et des indi-
cations de la vraie mithode d'observation, la politique expe-
rimentale devient necessaire pour d6fendre contre 1'abus du
pouvoir, la justice et les int6r6ts sociaux. Cest a1, toutq,
sa raison d'etre et ce qui constitute le propre regime parle-
menlaire ou le regime liberal, mclant ainsi l'esprit nouveau
Sl'esprit de conservation.
Mais autrement la politique exp6rimentale, mise en pra-
tique, come moyen de gouvernement, est plutdt une cause
de retard que d'avancement, par rapport aux contradictions
naturelles qu'elle souleve, aux folies qu'elle engendre et a l'a-
narchie qu'elle ddchaine. Nous avons, pour example, le gou-
vernement de A. Petion, celui qui fut non le plus .patriote
mais le plus sage de tous nos chefs d'Etat,
Que dans un pays si mal organism socialement, il se ma-
nifeste des tendances liberales, cela se conoit, car les
intelligence, en se developpant, int6rogent tout e* qui les
Saffecte et qui provoque leur jugement. Et- ii seo troivera
tonjours des ames g6ndreuses, ddvou6es aux intrfits publics,
partout oi laie dfense des droiLs lde 1he oawe .dan bonjmae
- '-, -K
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opprime sera conisidr'ee comnine une noble mission. Ceux-li,
nous l'avons lit ailleurs, lorment une dlite: ils sont des
!enllemen come on les nonone dans la liUre Albion.
Mais qu'ilsj veuillent, ces hlommes, se former en part
exclusif, avec tendance A la centralisation, la ddsorgani-
lion, c'est non-s-uleiient donner dans un non-sens politi-
que, mais agir a contre-sens, car le people qui danse et
,qui fume sa pipe au coin des carrefours, et A qui il n'a dt6 en-
. core enseignd aucune idee ju'ste des choses qui l'intdressent,
ce people a les col6res d'un enfant, la violence d'un orange ;
il n'dcoute que ceux qui savent parler A son instinct, et
1it ou tard fait sentir le poids de sa main d"s que la pas-
sion on un interkt immddiat le pousse.
Et quel disarroi, lorsque, t cette population de rudes et
intdressants tiavailleurs, vient se miler un ieement de cor-
eruption, gens de toutes couleurs, vagabonds de metier, dd-
class6s ou fruits sees de I'ecole, se rdclamant eux aussi du
people et se faisant un drapeau des loques de la mis6re
publique! !! N'en croyez lien; cette mascarade est faite plu-
t6t pour dominer, asservi le people et s'en faire une sorte
,l'6pouwntail.
Le people hailien est sur une pente fatal; un souffle
mystdrieux, implacable, pareil A celui qu'a decrit le Dante,
entraire, pousse les g6ndrations vers un gouffre: jeunes et
vieux, bons et merchants, ignorants et savants s'y pr6cipitent.
(''et comme un vent de contradiction qui depuis Dessalines
rbgne sur l'ile entire. Si Dieu n'arrkte pas ses habitants
dans cette course 6chevelee, inconsciente, la nationality p6
rira en s'abimant d'un coup.
PORT-AU-PRINCE,
1888
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