Citation
La Martinique

Material Information

Title:
La Martinique études sur certaines questions coloniales;
Creator:
Huc, Théophile, 1829-1906
Place of Publication:
Paris
Publisher:
A. Cotillon et cie
Publication Date:
Language:
French
Physical Description:
114 p. : ; 25 cm.

Subjects

Subjects / Keywords:
Economic conditions -- Martinique ( lcsh )
Politics and government -- Martinique ( lcsh )

Notes

Statement of Responsibility:
par m. Théophile Huc.

Record Information

Source Institution:
University of Florida
Rights Management:
All applicable rights reserved by the source institution and holding location.
Resource Identifier:
000141689 ( ALEPH )
23443200 ( OCLC )
AAQ7838 ( NOTIS )

Full Text











LA MARTINIQUE




ETUDES SUR CERTAINES QUESTIONS COLONIALES


PAR


M. THIEOPHILE HUC

PROFESSEUR DE CODE CIVIL A LA FACULTY DE DROIT DE TOULOUSE


PARIS
A. COTILLON ET Ci, Editours, CIIA'LLAMEL AINI, Editeur,
Libraires du Conseil d'Etat, Libraire,
24, RUE SOUFFLOT, 24, ', RUE JACOB, 5,
xers










L-AI N






,aA 'rICA
























Saint-Sever (Landes), Imprimerie AMADIS SERRES, place des Platanes.



















PREFACE





M. Charles Reybaud, auteur d'un remarquable
ouvrage sur LE BRtSIL ET SON AVENIR, ayant A rendre
compete d'un Bcrit de M. de Lacerda-Warneck,
intitul6 : Ideas sobre colonisagaos... imprim6 A Rio
de Janeiro, s'exprimait de la maniere suivante :

a J'ai trait dans un livre don't il a W6t parle avec
une extreme bienveillance, laplupart des questions
don't M. de Lacerda-Warneck s'occupe avec plus
d'autorit6 que moi. Je ne connaissais pas alors son
travail, et ce n'a pas Wte pour moi une satisfaction
mediocre de m'apercevoir, en le lisant, que mon
6tude, faite d distance et sur documents, ne
s'6loignait pas trop, quant au fond des idWes et











quant A l'appreciation de la situation actuelle, de
1'6tude faite sur place par un Bcrivain aussi comp&-
tent. J'ai retrouv6, en effet, dans le volume venu
de Rio, A l'6poque ofi je publiais, ici, mon BRESIL,
toutes les opinions que j'avais exprimees sur les
measures A prendre pour donner A la colonisation de
ce vaste empire, les developpements qu'elle com-
porte (1).))

J'ai de mon c6t6, 6tudi6 aussi, depuis longtemps,
d distance el sur documents, la situation actuelle
des Antilles Francaises, et particulierement de la
Martinique, ma patrie d'origine. Ii m'a sembl6 que
j'entrevoyais aussi les measures qu'il serait conve-
nable d'adopter pour assurer d'une maniere efficace
l'avenir 6conomique et moral de la Martinique.
J'avoue que le t6moignage qu'a pu se rendre 16giti-
mement A lui-meme M. Ch. Reybaud m'encourage
A publier le r6sultat de mes r6flexions, et sans avoir
la pr6tention de posseder une gale siret6 de coup-
d'coil, je puis du moins m'autoriser de son example,
et chercher A prouver, en reponse A certaines insi-
nuations, que je ne suis pas aussi stranger qu'on a

(') Journal des Economistes, annie 1856 (2e serie, t. II, p. 139.)










III
bien voulu le dire, aux justes preoccupations de la
race creole.

Je prie d'ailleurs mes lecteurs de la Martinique,
A qui j'adresse sp6cialement cet opuscule, d'y voir
surtout une preuve de ma sympathie profonde et de
mon d6vouement pour les int6r6ts de la colonie;
ils voudront certainement accueillir avec bienveil-
lance cet hommage lointain d'un compatriote et
d'un ami.


























LA MARTINIQUE




ETUDES SUR CERTAINES QUESTIONS COLONIALES

PAR

MI. THEOPHILE IIUC
PROFESSEUR DE CODE CIVIL A LA FACULTY DX DROIT DE TOULOUSE.




























CHAPITRE PREMIER






CONSIDERATIONS GENERALES



SOMMAIRE; I. ASSIMILATION PROGRESSIVE DES COLONIES A LA METROPOLE.
II. DE LA CREATION D'UN MINISTER SPECIAL DES COLONIES
ET D'UN CORPS SPECIAL D ADMINISTRATION. DE L'ESPRIT
DE COTERIE EN MATIERE ADMINISTRATION COLONIAL.

III. DES COMMISSIONS CONSTITUtES A LA MARITINIQUE ET A LA
GUADELOUPE POUR PREPARER LA REFORM COLONIAL. -
COMMENT DOIVENT PROCEDER LES COMMISSIONS.




















CHAPITRE PREMIER


CONSIDERATIONS GENERALES


I

La Martinique, A raison de sa mediocre 6tendue, ne
peut 6videmment aspirer a constituer un jour un 6tat
independant et autonome; sa destinee social et politique
est done rattach6e d'une maniere6troite aux destinies
de la mire-patrie, et la question est de savoir comment
il convient de r6gler les rapports de toute nature qui
doivent exister entr'elle et la m6tropole.
Le deplorable systime qui, sous le nom de pacte
colonial, a pr6valu pendant si longtemps, a Wt6 succes-
sivement condamn6 par toutes les puissances de 1'Europe.
C'est la chose la plus abominable qu'on ait jamais
vue; c'6tait 1'exploitation rgglementde des colonies par la
metropole, et de la m6tropole par quelques colonies (.).

(1) Telle est la conclusion 6nergiqucment formulde par la SociEt6
d'Economie politique, dans sa reunion du 5 octobre 1864, A la suite
d'une discussion sur les idWes des dconomistes en matlire de ques-
tions coloniales, discussion brillante A laquelle prirent part: MM. Jules
Duval, directeur del'lfconomisteFranqais, Joseph Garnier, VilliaumB,
Wolowski, Maurice Block, Arthur Mangin. Renouard, etc. On
peut en lire le resume dans le Journal des EKconomistes, annie 1864,
2" serie, t. 44, p. 264.











-6
Ce regime a etW officiellement aboli en 1861; il a n6an-
moins laiss6 encore des traces fAcheuses qui doivent dis-
paraitre, et surtout il n'a pas 6t6 remplac6 par un regime
nettement defini, et qui suffise pour rompre d'une ma-
niere definitive avec les vieux abus, les vieux pr6jug6s
d'autrefois.
II aurait fall en effet entreprendre r6solument, et tou-
jours d6velopper l'ceuvre de l'assimilation progressive
des colonies avec la France. Cela 6tait facile pour les
Antilles et particulibrement pour la Martinique.
Les obligations de la m6tropole envers une colonies ne
sont pas, on le comprend, limit6es par lc chiffre des avan-
tages materials que la colonies peut procurer a la m6tro-
pole, car les services divers qu'une colonies peut rendre
h la France, par example, ne sont pas de nature a
pouvoir toujours etre exprim6s par un chiffre. C'est par
les colonies, en effet, que la France fait rayonner au loin
son influence civilisatrice, c'est par les colonies que la
patrie commune devoloppe sa marine marchande et
militaire; enfin, en temps de guerre, les colonies peuvent
fournir au besoin des points strat6giques important et
un abri pour les navires de la mire-patrie.
En recompense do ces services, la m6tropole doit aux
colonies, quand leur constitution est devenue assez forte,
le bienfait de l'assimilation.
L'assimilation consiste en ce que la metropole doit
accorder aux habitants des colonies les memes droits et
avantages qu'h ses propres habitants, et les soumettre
aux memes devoirs, autant que 1'l6oignement at les diffe-
rences de climate peuvent le permettre.
Remarquons d'ailleurs que 1'6loignement et la diff6-
rence de climate ne peuvent jamais &tre un obstacle










-7-
absolu a I'assimilation progressive d'une colonie. Il est
m6me arrive que certain 6tats ont quelquefois jug6
convenable d'aller encore plus loin qu'une assimilation
complete. Ainsi les Agores n'ont pas W6t seulement
assimil6es aux provinces continentales du Portugal, elles
ont e6t annexdes, c'est-a-dire qu'elles sont consid6rres
comme une sorte de prolongement du territoire de la
mere-patrie, et sont en consequence comprises dans
l'organisation administrative du Portugal.
Du reste, aujourd'hui, la question de l'assimilation
des colonies ne se discute plus; les publicistes et les 6co-
nomistes sont tous d'accord sur ce point; et il y a de6j
longtemps que les gouvernements eux-m6mes ont offi-
ciellement proclam6 que tel devait 6tre d6sormais le but
de leurs efforts.
C'est ainsi que dans 1'expos6 des motifs du S6natus-
Consulte de 1854, on peut lire cette significative d6cla-
ration :

a L'assimilation progressive des colonies a la m6re-
patrie est dans la nature des choses, dans le vceu 16gitime
des populations, et peut-6tre aussi dans le devoir du
qouvernement metropolitan.

Oui, I'assimilation progressive est dans le devoir du
gouvernement metropolitan, elle constitute une dette
qui n'a pas encore 6t6 payee, et les populations d'outre-
mer sont fond6es A r6clamer comme un droit l'ex6cution
des promesses faites depuis longtemps.










-8-


II


Nous avons dit que l'assimilation consistait en ce que
les colonies devaient autant que possible 6tre trait6es
come la m6tropole et obtenir les mimes advantages;
nous nous proposons de fair I'application de ces id6es
it la Martinique, en cc qui concern los divers services
publics.
Mais nous devons d'abord insisted sur une observation
d'une port6e g6n6rale, s'appliquant a toutes les colonies
frangaises, ct don't il serait impossible de meconnaitrela
gravity.
Los affairs colonials au lieu d'etre confides a un
ministire special, rontront dans les attributions du
ministroe do la marine, oft elles ressortissent a une
direction sp6ciale. Pour quell raison les colonies se
trouvent-elles ainsi places sous la direction du ministry
do la marine, plutot que de tout autre ministry? II est
vraiment impossible d'expliquer une pareille organisa-
tion, si cc n'est peut-6tre par cette consideration pu6rile
que la marine fournissant les sculs moyens possibles
de communication effective entire la m6tropole et les
colonies, la marine parait avoir un certain int6ret special
A leur prosp6rit6. Un tel motif n'a 6videmment rien de
sdrieux, alors surtout qu'il n'existe aucune espdce de
relation ontre les connaissances que suppose la direction
du ministcre de la marine et cellos qui sont indispensa-
bles pour une bonne et s6rieuse administration des
affaires coloniales. Le bon sens voulait qu'un minister











-9-

special fut charge de veiller aux int6r6ts coloniaux. -
L'exp6rience fut tent6e en 1858, mais comme de mes-
quines considerations de personnel, et non pas l'int6r6t
colonial, avaient uniquement d(termin6 la creation du
ministtre des colonies, de semblables considerations
ne tarderent pas a en provoquer la suppression, quoique
l'exp6rience efit parfaitement r6ussi, et les colonies ont
de nouveau 6t6 places dans les attributions d'un chef do
division au minist6re de la marine. De sorte quo, sui-
vant l'observation de M. Jules Duval, les colonies:
v au lieu d'6tre une chose principal, vivant par elle-
m6me, ne sont plus qu'un accessoire rel6gu6 au second
plan ('). ;

Il r6sulte de cette vicieuse organisation, que les
diverse colonies, au lieu d'etre administr6es comme le
voudraient leurs int6r6ts sp6ciaux combines avec ceux
de la m6tropole, sont le plus souvent soumises au caprice
des coteries particulieres qui s'agitent autour d'un direc-
teur ou chef de division; et que l'intervention du minis-
tere de la marine, le plus souvent fort peu competent
lui-m6me, ne sert gubre i autre chose qu'a sanctionner
les decisions prises par des subalternes irresponsables et
pas toujours d6sint6ress6s (2).


(4) LES COLONIES et la politique colonial de la France, ouvrage
couronn6 par l'Academie des Sciences morales et politiques, p. 475.

(2) Nous pourrions citer plusieurs examples; mais cela nous pa-
rait tout a fait superflu surtout pour le public colonial. I1 est d'ailleurs
de la plus haute importance que les divers services interessant les co-
lonies puissent fonctionner de maniere A ce que la responsabilit6 pese
entierement sur ceux qui ont la veritable initiative des decisions A
prendre.











10 -

a De cet injuste effacement des colonies, fait encore
remarquer M. Jules Duval, don't 1'opinion fait autorit6
en pareille maticre, drive l'habitude prise d'appeler h la
tite des colonies, come gouverneur, des officers de
1'armee de terre ou de mer, qui n'y apportent pas, sauf
d'heureuses et rares exceptions, les aptitudes et les
connaissances n6cessaires, ni l'esprit de stability plus
necessaire encore ('). ,

C'est 15, en effet, 'un des vices les plus d6plorables de
notre deplorable organisation colonial. Il est vraiment
p6nible de voir comment I'esprit de routine s'obstine
ainsi a compromettre, dans des positions pour lesquelles
ils n'ont pas 6t6 pr6pares, des officers distingu6s d'ail-
leurs sous tous les rapports. Autant vaudrait confier la
direction d'un vaisseau ou d'un regiment h des magis-
trats ou a des professeurs. II faudrait, comme en Angle-
terre, qu'une classes speciale de fonctionnaires fut institute
pour fournir h administration colonial un personnel
vraiment serieux et competent.
S'il est indispensable d'avoir a la tite des divers ser-
vices publics des fonctionnaires sp6cialement distinguish,
c'est incontestablement dans les colonies. Comment
pourrait-on perdre de vue, qu'a raison de leur 6loigne-
ment de la metropole, les chefs de service dans les colo-
nies sont souvent appel6s a prendre des measures imm6-
diates et graves, sans pouvoir en referer au pr6alable a
une autorit6 sup6rieure ? I1 n'y a qu'une preparation
sp6ciale qui puisse donner a un fonctionnaire cet esprit
d'intelligente initiative et cette siretW de coup-d'ceil.Com-


(') Ibid.










-- 11-

ment veut-on que des marines ou des artilleurs, quelle que
soit d'ailleurs la sup6riorit6 de leur intelligence, soient
ainsi, du jour au lendemain, brusquement. improvises
administrateurs d'un pays don't peut-etre ils n'ont jamais
connu que la situation g6ographique? Ne sait-on pas que
l'un des plus illustres, le mar6chal Bugeaud, a 6t6 peut-
etre le plus mauvais administrateur de 1'Alg6rie?
II est vrai que pour certain esprits, int6resses sans
doute A voir se perp6tuer 1'6tat actuel des choses, cela ne
saurait diminuer en rien le prestige de semblables admi-
nistrateurs. Nous nous rappelons, en effet, avoir lu dans
un journal qui se public dans une ile des Antilles, une
singuliere appreciation concernant le d6put6 Lacascade
et I'amiral Gueydon. Il s'agissait de l'excellent discours
prononc6 par M. Lacascade dans l'une des dernieres
seances de l'Assembl6e Constituante. Le journalist re-
connaissait que le d6put6 Lacascade avait tres-bien
parld et que tout ce qu'il avait dit sur le commerce co-
lonial 6tait fort exact.- Mais, concluait-il, de quel poids
de semblables declarations pouvaient-elles 6tre sur l'As-
sembl6e Nationale? Quelle difference si une parole
plus autoris6e, celle de l'amiral Gueydon, par example,
avait pu porter A la tribune ces memes affirmations;
quelle impression n'auraient-elles pas produit sur l'es-
prit des repr6sentants?.....
Il y a des gens qui sont ainsi faits; pour qui l'Hpaulette
est un certificate d'omniscience, et qui s'imaginent qu'une
assemble frangaise n'est qu'une reunion de Beotiens,
disposes A croire tout ce que dira un orateur, s'il est
colonel ou capitaine de vaisseau, et, au contraire, a ne
pas 6couter ce que dira un homme distingu6 n'ayant











12 -

d'autre m6rite que celui de parler dans les meilleurs
terms de choses qu'il connait fort bien.

Pour les homes de ceoM trempo, les gouverneurs
coloniaux, par cola soul qu'ils sont gouverneuj's, auront
toujours assez do prestige, se trouveront foujours i la
hauteur de leur mission, seront toujours des adminis-
trateurs hors line.

Pour nous, nous r6clamerons toujours la creation d'un
ministtre special des colonies, afin d'arracher los colo-
nies au despotisme des coteries, et la creation d'un corps
special de fonctionnaires coloniaux a qui serait desor-
mais confine la direction des divers services (1).




III


La nccessit6 d'une r6forme no saurait &tre plus 6vi-
dente. Ellc s'impose h tous les esprits avec une tell 6ner-
gio, que le ministire de la marine lui-m6me a dit prendre,
I'initiative d'une sorte d'enquite pour 6tudier les condi-
tions d'un romaniement g6n6ral de la constitution de nos

(1 M. Lacascade avait demand que la direction des colonies fut
confide a un sous-secr6tai;e d'Etat responsible devant les Chambres.
Cetct idde si sage et en mi'me temps si moddrie, a C6I combattue par
M. Fourichon. miniistre do la marine, sous Ic pr6texte que Ic direc-
teur dcs colonies, s'il avait Ic titro de sous-secritaire d'Etat, devien-
drait un personpage politique sounis h toutes les fluctuations
parlemeintaires, au rad dojd age dooge cs colonies. (Voir la stance do
la Chambro des D6putds du 6 novembro 1876.) C'est avec de parcils
sophismes que l'on a abandonn6 le sort des colonies A une bureau-
cratic central pcu lib6ralo, peu cdlairue, routiniere ct souvent inte-
ressee au maintien des abus.











13 -
colonies..... En consequence, des commissions sp6ciales
ont Wte institutes, dans ce but, notamment a la Marti-
nique et a la Guadeloupe. 'Mais comment esp6rer qu':ne
initiative prise par le ministdre de la marine puisse con-
duire s6rieusement a uneweforme don't le point principal
doit pr6cisement consister a enlever la direction des
colonies au minister de la marine? Aussi 1'esprit de
routine s'est-il empress de mettre imm6diatement des
entraves r6glementaires au libre fonctionnement des
commissions don't nous venons de parler. II parait,
en effet, que ces commissions ont Wt6 ofliciellement invi-
t6es h pcendre pour base de la future constitution colo-
niale les S6natus-Consultes do 1854 et de 1866 et meme
l'ordonnance organique de 1827!..... Si le travail des
commissions est ainsi limit et circonscrit, quel resultat
veut-on done attendre de lours investigations? Ainsi
done elles ne pourront exprimer une opinion s6rieuse
que sur les details infiniment petits de administration
municipal! On n'aurait pas proced6 autrement si on
avait voulu arriver a ce risultat de fire indirectement
consacrer par des commissions coloniales tous les abus
du vieux systime colonial. Mais, hcurenuement, la pro-
mulgation de la Constitution rlpublicaine a en pour
resultat de sousiraire viritullement les colonies au re-
gime despotique des d6crets 6mands, sans discussion
pr6alable, de la volontA an locralique d'ln roi on d'un
empereur. DEsormais la Constitution des colonies ne
peut etre modifi6e et decide que par une loi librement
discut6e a la Chambre des Deputes et au Sinat. Si un
project de loi quelconque est depose sur ce point par le
government, les repr6sentants des colonies pourront
se fair entendre, ct il est permis d'esperer que les
repr6sentants do la nation Bcouteront la voix autoris6e











14 -
des mandataires des colonies. Aussi le devoir des mem-
bres des commissions coloniales institutes a la Martini-
que et A la Guadeloupe, n'est-il pas douteux. Malgre les
restrictions imposees au mandate qui leur a Wt6 donn6,
ils ne doivent pas h6siter, si tell est d'ailleurs leur
conviction, a r6clamer la creation d'un minist6re special
des colonies, dans le but de restituer aux int6rets colo-
niaux toute 1'importance qui leur appartient; ils devront
aussi m6diter les doctrines 6mises par M. Jules Duval,
dans son livre si remarquable sur les colonies et la
politique colonial de la France, ouvrage qui est
devenu classique sur la matiere, et ou se trouvent dis-
cut6es avec autorit6 la plupart des questions int6ressant
l'avenir des colonies frangaises; enfin, ils devront avoir
toujours pr6sentes h l'esprit les paroles que nous avons
d6jh cities, tires de l'expos6 des motifs du Senatus-
Consulte do 1854:

L'assimilation progressive des colonies & la mere-
patrie est dans la nature des choses, dans le vceu 16gitime
des populations, et peut-6tre aussi dans les devoirs du
gouvernement metropolitan. n






















CHAPITRE DEUXIEME





INSTRUCTION PUBLIQUE



SOMMAIRE: I. L'INSTRUCTION PUBLIQUE, PROPREMENT DITE, N'EXISTE
PAS A LA MARTINIQUE.-NECESSITE DE LA CONSTITUER
SERIEUSEMENT.
II. ORGANISATION DE L'ENSEIGNEIENT PRIEAIRE.
III. Du CARACTLnE OBLIGATOIRE DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE.
IV. ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. DE
LA CREATION DD'UN LYCEE NATIONAL A LA IMARTI-
NIQUE.-INSUFFISAXCE DU SEMINAIRE-COLLEGE.
V. ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR. COURSE
PUBLICS PROFESSES PAR LE PERSONNEL DU LYCEE
NATIONAL.
VI. MARCH A SUIRE POUR OBTENIR LA RIALISATION DES
IRFORMES ET INNOVATIONS PROPOSES.
VII. SUBVE-TIONS A ACCOPDER A UN CERTAIN NOMIIRE D'ETU-
DIANTS DS D[VERSES FACULTES, ENVOYS EN FRANCE
PAR LA COLONIES.
VIII. 'CRAi:TION A LA MAnTINIQUE D'ENE ACADIEIE LIBRE
ou SOCIETY LITTERAIRE CT SCIENTIFIQUE.




















CHAPITRE DEUXIEME


INSTRUCTION PUBLIQUE


I

Le point principal sur lequel il imported de r6aliser au
plus t6t et aussi compl6tement que possible l'assimilation
de la Martinique a la m6tropole, est certainement I'ins-
truction publique.
On peut affirmer, quelqu'6trange que cela paraisse,
que l'instruction publique n'existe pas a la Martinique.
II est bien vrai que des arretes locaux ont institu6 un
Conseil de surveillance de l'instruction publique et des
Comit6s cantonaux de l'enseignement; il est bien vrai
que les Frares de l'Institut de PloIrmel, dirig'ient avec
intelligence et devoucment des 6coles primaires, qua-
lifides dcolcs publiques, en vertu d'une p:~nta du
gouverneur, mais tout cela n'emppche pas que F'instruc-
tion publique telle qu'clle est organis6e en France
n'existe pas a la Martinique. Alors que tous les ser-
vices publics, la justice, la guerre, les finances, 1'admi-
nistration proprement dite, ont leurs repr6sentants dans
la colonie, sous le control et l'autorit6 du gouverneur
et du ministry de la marine, seule, I'administration de










18 -
I'instruction publique n'est repr6sent6e par aucun fonc-
tionnaire! Il est done permis d'assurer que l'existence de
la Martinique, comme d'ailleurs cell de plusieurs autres
colonies, est officiellement ignore au ministere de l'Ins-
truction publique! Cela est incroyable, et pourtant cela
est! L'un des services publics les plus important qui
existent, celui-l' m6me qui, dans une colonies telle que la
Martinique, doit revitir une importance tout-a-fait excep-
tionnelle, celui de tous qui exige le plus de connaissances
speciales, le plus de tact, le plus de preparation s6rieuse,
est pr6cis6ment ce service qui s'est trouv6 tellement ou-
bli6, que tout ce qui conserne sa direction, rentre dans
les attributions g6n6rales d'un gouverneur presque tou-
jours marin ou militaire, sans qu'il existe un lien quel-
conque qui le rattache au soul ministere competent, au
ministere de l'instruction publique !...
Nous n'ignorons pas que depuis plusieurs annees le
Conseil general s'est 6mu d'une situation aussi strange,
aussi anormale, et qu'il a pris diverse resolutions tendant
a obtenir pour la colonies la creation d'un Lyc~e national.
- Mais nous pensions qu'il n'est pas possible et m6me
qu'il n'est pas pratique de restreindre a une question
pure et simple de lyc6e, la.question plus vaste et plus
complex de l'organisation, I la Martinique, de notre
enseignement national a ses divers degr6s.
Il ne faut pas perdre de vue que la creation pure et
simple d'un Lyc6e, sans autre modification dans les
divers rapports hi6rarchiques, no r6aliserait qu'un pro-
gres bien imparfait.
II imported que le minister de l'instruction publique soit
represents h la Martinique par un chef de service, place
d'ailleurs comme les autres sous l'autorit6 du gouver-











19 -
neur, mais qui aurait pour mission de veiller avec une
competence serieuse sur les diverse branches de I'ensei-
gnement, en d'autres terms il faut organiser a la Mar-
tinique:
1 L'enseignement primaire;
20 L'enseignement secondaire;
30 L'enseignement sup6rieur, au moins dans une
certain measure.


II


Parlons d'abord de l'enseignement primaire.
II ne s'agit pas, qu'on le comprenne bien, de contester
l'aptitude ou le zBle des Freres de Ploermel qui sont
aujourd'hui places, dans la colonie, la tote des 6coles
publiques. Mais il s'agit d'appliquer a la Martinique,
quant au point particulier qui nous occupe, le droit com-
mun de la France. II est notamment de la plus haute
importance quo l'inspection primaire soit introduite a
la Martinique, et y fonctionne comme elle fonctionne en
France. C'est 1a un point capital; il n'est pas possible
que le ministere se d6sint6resse a l'Hgard des colonies de
la direction de l'enseignement primaire; il y a en effet
des questions de programme et de m6thode pour la solu-
tion desquelles il faut n6cessairement intervention active
d'hommes sp6ciaux.
Deux emplois d'inspecteur primaire devraient done
etre cr66s a la Martinique, pour assurer, dans les diverse
communes de la colonie, I'application de la loi qui r6git
l'instruction primaire en France. Les conseils munici-












20 -

paux auralent "I se prononcor sur le choix de l'instituteur
communal; probablement les FrBres de PloOrmel seraient
conserves partout, mais ils auraient desormais la quality
d'instituteurs communaux, et seraient soumis aux memes
devoirs, comme aussi ils jouiraient des mi'mes avan-
taues.
Les questions de programme et de m6thode seraient
naturellement viddes par l'autoril6 universitaire, et
comme ces questions sont on general ind6pendantes de
la latitude, elles devraient a peu de chose pris, recevoir
la meme solution qu'en France ').
Quant aux points particuliers sur lesquels il importe-
rait d'apporter quelques modifications au regime actuel-
lement suivi h la m6tropole, par example en ce qui
concern la retribution scolaire, il y strait pourvu par
la loi qui aurait pour objet l'organisation aux colonies
de linslruction primaire universitaire.



Iii


11 apparliendrait en:fn a'i Convi ci g6ndral et aux Con-
seils municipaux, de prendro les measures necessaires
pour rendre l'instruclion primaire obli'atoire. Le Conseil

(i) II fai-t copendant noter que i'histoire do l'Am6riquc devrait obte-
nir dans los divers 'ablisciments d'inslruclion, une place sp6ciale
asscz large h c6t doe ihistoire do France. Le remarquable abr6g6
public en 1865l. par Doin Diego Blarro Arona, recteur de lInstitut
National du Chili, potrr.it on former la base. Voici le litro de lou-
vrage :
Compelidio de historic dl Amenrica, po1 Diego Bfnnnos Arno.. -
Santiago de Chili.











21 -

g6neral de la Martinique n'a pas n6glige ce point de vue;
et c'est avec plaisir que nous avons remarqu6 le passage
sniivant dcns.ie discourse prononc6 par M. de Kergrist,
ro'lverno'ur (da la l:irtinique, !'occasion de la session
oid-inairo du Consoil general, 10 24 oclobre 1876:

4 L'annde dorniiro vous vous etes prooccup(s de
l'idce do rendre l'instruction primaire obligatoire. Cette
measure ne saurait s'appliquer utilement que dans les
villes et bourgs ou dans leurs banlieues. On ne saurait
en effet forcer a so rondre aux 6coles existantes aujour-
d'hui, les enfants don't les demeures sont distantes de
cinq kilorntres et plus. Nos ecoles, d'ailleurs, ne sau-
raient suflire dans leur 6tat actuel a un tel accroissement
d'dclves. n

Ccs paroles demontrent que si I'instruction primaire
.tait rendue obligatoire, il en rasulterait imm6diatement
un considerable accroissement d'6elves pour les ecoles
actuelles, et qu'alors ces 6coles pourraient se trouver in-
suffisantes. C'est la un nouveau motif, et des plus graves,
pour developper plus largement encore l'instruction pri-
maire, ct surtout pour hater le moment ofi elle pourra,
avec officacit6, 6tre declare obligatoire.
Ce n'est pas sans un profound 6tonnement que nous
avons lI dans un journal de la Martinique, les lines
siivantes, au sujet du discours de M. le Gouverneur don't
nous venons de citer un passage:

Nous voudrions louer sans reserve tout ce discours;
malheureusement nous ne le pouvons point. Un pas-










22 -

sage, celui qui est relatif a l'instruction primaire obliga-
toire est regrettable. L'obligation de l'instruction pri-
maire, tell qu'elle a Wt6 formulae en France et au sein
du Conseil g6n6ral l'ann6e derni6re, cette obligation qui
consiste a force, sous diverse pines et sous amende,
les families h envoyer leurs enfants d telle ou telle cole,
aux dcoles communales et gouvernementales, est une
id6e fausse et contraire a tous les principles sains (1). ,

Ainsi done il y a h la Martinique des personnel enne-
mies des iddes fusses et professant d'ailleurs des prin-
cipes sains qui s'imaginent, de bonne foi, parait-il, que
declarer 1'instruction primaire obligatoire, c'est forcer
les pares de famille A envoyer leurs enfants ti telle ou
telle ecole communale ou gouvernementale! Mais lors-
que ces personnel timorees sauront qu'il n'en est rien;
que l'instruction primaire obligatoire n'a jamais Wte ainsi
entendue par personnel; que le principle de l'obligation
a seulement pour but de soumettre le pere de famille a
la n6cessit6 de procurer A ses enfants l'instruction pri-
maire, sans lui imposer, a cet 6gard, une Bcole plut6t
qu'une autre; que, par consequent, le pere de famille
satisfait a l'obligation don't il s'agit, en envoyant ses
enfants a une cole quelconque, ou meme, s'il le pr6f6re,
en les faisant lever chez lui; que c'est ainsi que l'ins-
truction primaire a WtB organisee avec le caractere obli-
gatoire, depuis bien longtemps dBjc dans les trois quarts
des 6tats do l'Europe; quand toutes ces choses, disons-
nous, seront bien connues des d6tracteurs de l'instruction

(1) Voyez le journal Le Bien public, numero du mercredi 25 octo-
bre 1876.










- 23 -


primaire a la Martinique, il est permis de supposed qu'un
retirement se fera dans les esprits, et que les d6tracteurs
d6sormais dclaires deviendront les d6fenseurs convaincus
d'une measure qui n'a rien de contraire aux principles



IV


Passons maintenant h I'enseignement secondaire.
La Martinique possede aujourd'hui un 6tablissement
priv6, fond6 sous Ie nom de Seminaire-Collgge, par
M. Leherpeur, premier 6v6que de la colonie, et dirig6 par
les PNres Maristes.
Lorsqu'en 1850, Ie gouvernement jugea h propos d'6ri-
ger l'6v6ch6 de la Martinique, il ob6issait h cette n6ces-
sit6 d'assimilation don't nous avons souvent parl6, et
ceux qui ont applaudi alors a cette equitable measure, et
qui seraient aujourd'hui au regret de la voir rapporter,
ob6issaient aussi & la meme pens6e; ils comprenaient
tous quels avantages considerables retirerait la colonie
de son assimilation avec la m6tropole. Ils seront done
certainement les premiers a d6sirer que cette assimila-
tion soit pouss6e encore plus loin, et que la Martinique,
en vertu du m6me principle, soit dot6e d'un Lycee comme
elle a dej 6t6 dot6e d'un 6vech6.
Il est tout natural que M. Leherpeur, en sa quality
d'6veque, ait fond6 un Seminaire pour assurer le recru-
tement du clergy de son diocese, mais s'il avait pu en
m6me temps pr6ter les mains d'une maniere efficace A la
creation d'un Lyc6e, nul ne doute qu'il ne l'eft fait avec












empressement. II aurait certainement tenu a montrer,
qu'enc invoquant le principle de I'assimilation pour obtenir
la creation d'un 6veche6 la Martinique, il n'entendait
pas d6cliner d'uno nmaniere Bgoiste, I'application sur d'au-
tres points du meme principle. Ses successeurs agiront
come i! l'aurait faith lui-m6me, ils reconnaitront sans
p ine qu'ils n'ont pas s'opposer a une measure qui touche
d'une maniero si directed aux int6r6ts intellectuals de la
colonie, et qui d'ailleurs ne saurait compromettre a
aucun point de vue les intretts spirituels qui leur sont
confics.

Ii ne faudrait pas, en eofet, consider la creation d'un
Lycee comme un acte d'hostilit6 l'6gard des 6tablisse-
ments actuellement existants, et en particulier le S6mi-
naire-Coll6ge. II est vrai que quelques personnel affectent
dans leurs discours, dans des articles de journaux, etc.,
de presenter sous ce jour ficheux le project congu par le
Conseil g6n6ral. Mais il n'y a pas a s'arr6ter a ces vaines
declamations, il n'y a meme pas lieu de cherchor a con-
vaincre de leur erreur des gens qui ne veulent pas etre
d6trompis.

Cependant il est une objection assez sp6cieuse en appa-
rence et don't il faut impartialement examiner la port6e.

u Pourquoi, disent quelques personnel, parler de cr6er
un Lyc6e, alors que le S6minaire-Coll6ge en tient lieu
avec advantage, a tous les points de vue. Le nombre et la
distinction des 61ives forms au S6minaire-Coll6ge prou-
vent 6loquemment que l'enseignement secondaire y est
distribu6 dans les meilleures conditions. Sans doute, s'il
en 6tait autrement, il serait urgent d'6riger un Lyc6e;










25 -
mais puisque le S6minaire-College donne les meilleurs
Sr6sultats, pourquoi vouloir engager la colonies et la metro-
Spole en des d6penses relativement 6normes, et, quant a
['heure prssente, non motives? .....


Il est facile de r6pondre a cette argumentation, que,
sans vouloir meconnaitre ni diminuer le genre de m6rite
qui le caract6rise, le S6minaire-Coll6ge, est tout-a-fait
insuffisant pour instruire et former la jeunesse creole.

II est d'abord insuflisant au point de vue du recrute-
ment de son personnel enseignant. II en est du reste ainsi
dans tous los 6tablissements dirigs par des congr6ga-
lions. I1 arrive quelquefois que tous les professeurs sont
des hommes capable de bien enseigner; mais c'est lI un
Spur accident. Le plus souvent, la vogue et la reputation
de la maison tiennont a doux ou trois personnalit6s vrai-
ment dislinguees, don't on parle sans cesso, que sans cesse
on met en avant; mais quand ces personnalits 6minentes
ont disparu, il est solvent difTicile et quelquefois impos-
sible de los remplacer. II parait que co systsme ni'a pas
d'inconv6nient dans les smninaires ou l'on improvise les
professeurs avec une incroyable facility. Mais dans
un 6tablissement qui ne doit pas 6tre destiny uniquement
a former des seminaristes, il est inadmissible qu'un sem-
blable proc6d6 preside au choix des professours.

Dans les lyc6es, il n'en est pas ainsi et il est impossible
qu'il en soit jamais ainsi. Tous les professeurs sans excep-
tion sont des hommes A la hauteur de leur tache, ayant
justifi6 prealablement de leur savoir ot de leur aptitude a
enseigner, et qui doivent leur situation, soit h un con-
cours, soit a des grades scientifiques toujours difficiles a










26 -

conqu6rir. Un personnel ainsi choisi pout seul donner aux
peres de famille les garanties qu'ils sont en droit d'exiger.
Le S6minaire-Coll6ge de la Martinique est encore insuf-
fisant a un autre point de vue, et ne saurait en aucune
facon tenir lieu de lyc6e. Nous voulons parler du regime
int6ricur de cet 6tablissement.
Le S6minaire-CollBge, on effet, come d'ailleurs tous
les 6tablissements libres, est dirig6 par un home qui
n'est soumis absolument a aucun control. Sans doute,
en tant que s6minaire, la mason do Saint-Pierre relieve
de l'eveque, mais aucune autorit6 laiquo n'a le pouvoir
de p6n6trer dans l'int6rieur de l'6tablissement, aucune
autorit6 laique n'a le droit d'inspecter. De tell sorte
que le sup6rieur est en definitive tout-A-fait ind6pendant
et ne relive do personnel. IUne tolle situation est pleine de
perils; elle pent avoir pour r6sultatd'entrainer l'6tablisse-
ment dans uno fausse direction, conform sans doute
aux vues personnellos et aux pr6jug6s du sup6rieur on
aux volontds do la congregation qu'il repr6sonte, mais
souvent contraire aux vrais intdrits de l'enseignement,
et surtout ah : volont6 des pires de famillc. Nous ne
pr6tendons pas qu'il en soit toujours ainsi, mais nous
ailirmons qu'il peut en Etre ainsi, et nous sommes cn
measure d'en fournir la preuve.

Un jeune homme, ayant fait ses principles classes
dans un 6tablissement congr6ganiste des colonies, so
rend en France pour terminer ses 6tudes; il est adress6
a un grand 6tablissement 6galement dirig6 par des con-
greganistes. Dans la lettre de recommendation dent
il Btait porteur pour le sup6rieur de la mason de
France, on pouvait, entr'autres singularites, remarquer
les suivantes:











- 27 -


Vous avez si bien regu, il y a quelque temps, un de
n os 61eves, que je me hasarde h vous en presenter et
recommander un autre.

Celui-ci est de couleur. Son pore est consid6r6 comme
appartenant A la parties influence de cette classes. Sa
famille d'ailleurs jouit de la consideration de tout le
monde. Je vous le recommande d'autant plus volon-
tiers que cette classes de notre population envoie de
.pr6f6rence ses enfants dans les lyc6es et qu'elle forme
ici ce que l'on est convenu d'appeler: le parti d6mo-
cratique et r6publicain, en opposition et en haine de
Sla classes blanche qui est aristocrate et l6gitimiste.Vous
aurez done de ce d6mocrate en herbe, a nous faire un
bon aristocrat (soulign6 dans le texte).

; Pour ce qui regarded le jeune homme....., son carac-
tire est bon, quoiqu'un peu taciturn et orgueilleux
(ce dernier d6faut est celui de toute la classes de
Scouleur).......

On comprend quelle dut 6ire la stupefaction du jeune
i>.ii; ,. lorsque ayant retire les autres pieces qu'il avait
'df produire, il trouva dans son dossier l'6trange recom-
.mandation qu'on vient de lire, ot qui y avait 6tW laiss6e
(.I..I|il, ..i...ilt par errour (').
.\ n-; hir...:. voili le sup6rieur d'un 6tablissoment d'ins-
lri,. i.i..i .....ndaire dans les colonies, qui s'imagine que
mission consisle a transformer los 616vos qu'on lui

(i) Nous poss6dons, avec bien d'autres documents sur les colonies,
l'original de cette Icttre.











- 28 -


confie en bons aristocrates !..... C'est tout simplement
ridicule et monstrueux.
De semblables aberrations de jugement ne sont pas
a craindre dans un lyc6e, oft le proviseur et ses subor-
donn6s ne chercheront a faire de leurs 0l6ves ni des
aristocrates ni des d6mocrates, mais seulement des
hommes honnEtes et instruits de tout ce qu'ils doivent
savoir pour devenir plus tard de bons citoyens, utiles a
leur patrie, quel que soit le drapeau politique qu'il leur
plaira d'adoptcr d'ailleurs.
Un contrhle s6v6re, une inspection presque continue
de la part de l'autorit6 universitaire sup6rieure, ren-
draient impossible dans un lyc6e tout abus du genre de
celui que nous vonons d'indiquer.
On voit done que le S6minaire-Coll6ge de la Martini-
que, quelle que soit la distinction du personnel don't il
dispose, ne pent a aucun point de vue tenir lieu de lyc6e.
- C'cst avant tout un siminaire ou il s'agit de former
de jeunes eccl6siastiques; sous ce rapport, son organi-
sation est certainement aussi bonne que celle des meil-
leurs s6minaires de la m6tropole....... Mais il .doit
demeurer exclusivement s6minaire.



V


Un lyc6e est encore indispensable a la Martinique, h
un autre point de vue; celui de l'organisation d'un
enseignement suphrieur, don't nous allons maintenant
nous occuper ici.











29 -

I ne s'agit pas, cela est evident, de cr6er a la Marti-
Snique de v6ritables facult6s. Une semblable tentative
Sserait t6m6raire, et d'ailleurs peu desirable. Quand
ni. me, en effet, la Martinique poss6derait une population
S-illsante pour fournir un contingent convenable d'6tu-
I irts pour les diverse facultes, il serait peut-6tre pr6-
f.3 Lblede n'en point 6tablir. I1 vaut mieux, croyons-nous,
.., I -la jeunesse creole aille chercher dans la m6tropole un
S....i. pl6ment ncessaire aux etudes faites sur le sol natal.
i.",-t ainsi queles idees g6n6rales qui constituent en quel-
'1" sorte le patrimoine commun de la nation, peuvent
I-, venir peu a peu, et sans effort, jusques dans les colo-
ri.:-- les plus Bloign6es; c'est ainsi, en un mot, que se con-
S:1 ve l'unit6 frangaise; un system different aurait pour
Si>-i.ltat de condamner les colonies a l'isolement, a I'ato-
ir,.. l'aneantissement intellectual. II n'est done possible,
a ..icun point de vue, d'6tablir de v6ritables faculties soit
S: Ij, Martinique, soit a la Guadeloupe. Mais il ne faut
I"' it oublier que les facultes, charges de distribuer
I -nseignement sup6rieur, n'ont point pour devoir uni-
1 .lue la collation des grades universitaires et la pr6pa-
Srtion aux divers examens. Elles ont aussi une autre
SIni.ision, celle de r6pandre et d'entretenir dans un public
i .tir6, I'habitude et le gofit des choses de l'esprit. Cette
Siinportante parties de leur mission pourrait 6tre avec
avintage attribute aux professeurs du lyc6e national
' ch'rlrg6s des classes sup6rieures. Ils pourraient, et cela
Sreintrerait dans leurs obligations professionnelles, faire
des course publics sur la littdrature national et 6tran-
'--_re, et sur les sciences physiques et naturelles. Nous
-a ons qu'une pareille tentative a 6t6 faite, il y a plusieurs
inees, a la Martinique. Nous ne voulons pas insisted
Sair les causes qui ont rapidement amen6 la cloture des











30 -

cours qui avaient dL6 ouverts. Nous nous bornerons a
faire cette seulo remarque : un course de physique ou
de chimie, par example, no consisted pas a presenter au
public une s6rie de tours de physique amusante. Car un
pareil programme, qui n'apprend rien h personnel, est
bien vite 6puis6. Mais il s'agit de presenter un expos
vraiment scientifique dos principles g6n6raux de la
science, avec 1'indication de ses principals applications,
et l'appreciation des divers proc6d6s mis aux services
de Findustric national, par les d6couvertes los plus
r6centes.
Dans I'ordre purement litt6raire, il s'agit de tracer
I'historique de notre litt6rature frangaise; de la compare
avec la litt6rature 6trangire aux 6poques les plus bril-
lantes de leur 6panouissement, et de r6veler h l'auditeur
non-seulement les beaut6s de notre langue, mais encore
los chefs-d'oeuvres littdraires qui sont demeur6s immor-
tels chez tous les peuples; ces chefs-d'couvres qu'il faut
connaitre sans avoir la pr6tention d'6tre un savant, mais
don't on ne saurait aujourd'hui ignorer I'existence, sans
avouer qu'on est rest stranger aux lemons les plus 616-
mentaires du goit.
Les professeurs du future lyc6e national de la Martini-
que peuvent souls romplir un tel programme, nous n'h6-
sitons pas h I'affirmer. Mais qu'on ne se m6prenne point
sur notre pens6e. Quand nous d6clarons que les profes-
seurs du lyc6e pourraient seuls accomplir la tache diflicile
don't nous venons d'esquisser les points principaux, nous
n'entendons cortes pas refuser aux R6v6rends Prres du
S6minaire-Coll6ge la science ct I'aptitude personnelle
n6cessaires pour fair d'excellents course publics. Mais
on comprendra, sans que nous ayons besoin d'insister










-- 31 --

davantage, qu'il n'est pas possible de demander a des
moines, charges de cultiver des vocations et de dresser
des s6minaristes pour l'exercice du saint ministire, une
Sexposition ex professor sur le theatre frangais, compare
Sau thbitre espagnol et au th6itre anglais.




SVI


Tels sont les avantages consid6rables qui r6sulteraient
pour la colonies de la creation d'un lycee. Mais, qu'il nous
soit permits de le dire, cette question n'a pas encore 6t6
port6e sur son veritable terrain, elle n'a pas Wte formulee
d'une maniere suffisamment pratique.
II ne s'agit pas, effectivement, d'affirmer qu'on desire
un lyc6e, et qu on a pr6par6 d'une facon quelconque les
voies et moyens d'ex6cution au point de vue financier. II
faut serrer la question de plus pris.
Dans la m6tropole, quand une commune demand la
creation d'un lyc6e, d'une faculty ou de tout autre 6ta.
blissement d'utilit6 publique, voici quelle est la pratique
Sinvariablement suivie:
I1 faut d'abord pouvoir offrir au ministry competent des
plans convenablement dresses de l'6lablissement projete,
ce qui suppose que l'on peut d'ors et d6ji disposer d'un
Terrain determine. La commune vote ensuite les fonds
i ncessaires pour les constructions don't il s'agit, en indi-
quant sur quelles resources disponibles les fonds pour-
Sront Utre pris,'ou h 1'aide de quels expedients financiers
ils pourront 6tre obtenus.











32 -

De plus, la commune doit s'obliger a verser chaque
annee sur ses resources ordinaires, dans les caisses du
tresor, une some gale h l'exc6dant que les d6penses
au compete de l'Etat, relatives au personnel et au materiel
de l'enseignement ainsi qu'aux frais d'administration,
pr6senteraient sur les recettes (').

Cette dernibre condition est de rigueur; si elle n'etait
pas remplie, la demand serait positivement repouss6e,
par la raison bien simple que le ministry peut toujours
repondre: Si vous n'ctes pas disposes a garantir h l'Etat
le deficit possible pouvant r6sulter de l'6tablissement d'un
nouveau lyc6e, d'une nouvelle faculty, etc., vous n'avez
qu'h continue a envoyer vos enfants au lyc6e, a la fa-
cult6 d6ja 6tablis dans tel d6partement voisin.

Mais qu'on veuille bien le remarquer: il ne serait pas
possible do tenir un pareil language aux Antilles. C'est
un droit pour la colonies d'etre traitee comme un d6par-
tement frangais. On peut dire, sans exag6ration, que la
metropole doit un lycee a la Martinique. Rappelons
encore une fois la declaration du S6natus-Consulte de
1864, a L'assimilation avec la France, est dans le
Sdevoir dc government. Done, lorsque le Conseil
general de la Martinique, avec l'autorit6 qui lui appar-
tient, insistera pour la creation d'un lyc6e, il ne sera pas
possible au gouvernement de decliner 1'acquittement
d'une semblable dette, et la metropole ne pourra pas
repondre : Envoyez la jeunesse creole a un lyc6e
voisin !

(i) C'est ainsi notamment qu'ont kt6 r6diges les d6crets de 1865 et
do 1870 6tablissant: I'un, une faculty do droit A Douai; I'autre, une
faculty de droit A Bordeaux.











33 -
De ce qui pr6cede, result cette important conse-
quence: II suffit, mais il faut que le Conseil general
presente h l'approbation ministerielle les plans convena-
blement dresses du future lycee, et indique clairement
qu'il en prend h sa charge l'execution a l'aide de res-
sources nettement d6finies. Nous pensions cependant que
la charge de subvenir aux traitements des fonctionnaires
du lyc6e ne dolt pas peser sur la colonies meme a concur-
rence d'un deficit possible, mais doit rester en entier a la
metropole. C'est ainsi que la question doit etre present6e,
c'est dans ces terms qu'elle doit etre soutenue aupres
des autorites competentes, c'est par voie d'inscription au
budget de l'instruction publique qu'elle doit etre r6solue.
Si en effet le ministry ne croyait pas pouvoir prendre sur
lui de faire inscrire au budget les credits ndcessaires pour
donner, sur ce point, satisfaction aux justes reclamations
de la Martinique, los repr6sentants de la colonies devraient
deposer un amendment au budget, r6clamer l'allocation
dos credits, et porter ainsi la question devant le Parle-
ment. L'issue ne saurait etre douteuse.
Mais il imported de ne point perdre de vue que la
creation d'un lycee doit entrainer comme consequence
necessaire la nomination d'un Inspecteur d'Acad6mie,
ayant les attributions et au besoin le titre de Vice-
Recteur; et que, comme complement d'organisation, au
point de vue de l'instruction primaire, il faudrait cr6er
aussi deux places d'Inspecteurs primaires.

Si ce plan pouvait 6tre r6alis6, et nous avons la ferme
confiance qu'il le sera un jour, on aurait en quelque
fagon jet6 les bases d'une sorte d'Universitd crdole. Sans
doute, dans le principle, les nouveaux emplois devraient
en grande parties etre confi6s a des savants envoys par










34 -
la metropole; mais bient6t la jeunesse creole trouverait
li un nouveau d6bouch6, et le corps professorial se recru-
terait dans la colonies elle-mime. On comprend quel
puissant movement intellectual pourrait 6tre la cons6-
quence d'une aussi heureuse innovation.




VII


Mais il appartiendrait ensuite a la colonie d'assurer
le succ6s d6finitif du lyc6e en donnant aux jeunes 61&ves
les plus distingu6s, et don't la position serait d'ailleurs
digne d'int6rkt, la facility de se rendre en France pour
y suivre les course des facult6s. Le Conseil ge6nral devrait
consacrer annuellement a cette destination une some
don't la quotit6 serait a determiner. Nous n'avons pas h
rechercher ici sur quels fonds cette some pourrait 6tre
assign6e. C'est la une question de budget, et 1'assignation
des fonds pourrait quelquefois varier d'une ann6e h I'au-
tre. Nous nous permettrons seulement une indication. Il
est certain en effet que 1'6tablissement d'un lyc6e aura
pour consequence la n6cessit6 de remanier imm6diate-
ment le systime suivi jusqu'h ce jour pour la d6termi-
nation et la distribution des bourses diverse cr66es par
la colonie. Certaines bourses devront n6cessairement 6tre
supprim6es, notamment cells qui ont pour but d'entre-
tenir des boursiers dans les lyc6es de la m6tropole. Du
moment en effet que la colonie sera pourvue d'un lyc6e
de plein exercise, ou I'enseignement sera aussi complete
qu'h Paris et a Bordeaux, ou fonctionneront notamment
des course de math6matiques sp6ciales pour la pr6para-










35-
tion aux diverse 6coles, il est manifesto que les bourses
don't il s'agit deviendront tout-h-fait inutiles. II en est
d'autres aussi qui, pour le mrme motif, deviendront
superflues. L'6conomie qui pourra etre realis6e sur ce
point sera peut-&tre suflisante pour permettre d'envoyer
chaque annee en Europe quelques 6tudiants distin-
gues.




VIII


Enfin, pour no rien omettre de ce qui pourrait concou-
rir h active le movement intellectual A la Martinique,
disons quelques mots au sujet d'une derniere innovation,
qu'il serait bien facile de r6aliser, et qui ne serait l'occa-
sion d'aucune depenso. Nous voulons parler de la fonda-
tion d'uno Socidtd libre ou academie littdraire et
scientifique.
Il n'est pas en France de ville quelque peu important
qui ne posscde une ou plusieurs Academies. Il est vrai-
ment regrettable quo la Martinique, oi se trouvent tant
d'esprits distingu6s, soit priv6e de ce puissant moyen
d'excitation intellectuelle. Si une Academie 6tait fondue,
I'esprit de recherche que rien ne vient stimuler aujour.
d'hui, se trouverait bient6t r6veill6 chez une foule d'hom-
mes instruits ou observateurs. L'histoire naturelle,
l'astronomie, la m6t6orologie, les antiquit6s du Nouveau
Monde, la litt6rature, I'histoire fourniraient tour a tour
le sujet de travaux important, et le recueil annuel des
actes de l'Acad6mie deviendrait bientot un important











36 -

r6pertoire de tous les faits int6ressant la region des
Antilles. Aujourd'hui, une foule de travaux individuals,
estimables cependant, demeurent inedits, ou biea ne
peuvent jouir que de la publicity 6ph6mBre d'un journal.
C'est ainsi que nous avons lu r6cemment dans les jour-
naux de la colonies une int6ressante discussion sur le
cafe qui aurait certainement pu faire l'objet d'une com-
munication acad6mique. Pout--tre aurait-elle pr6sent6
alors moins de vivacity, mais elle efit laiss6 du moins des
traces durables, car elle efit figure avec honneur dans
le recueil. Une Academie cr66e h la Martinique rendrait
a la science, nous en sommes convaincus, de signals
services. Sans doute il serait t6meraire de lui pr6sager
un r6le semblable a celui de l'Acad6mie de Calcutta,
mais il est positif que la science frangaise pourrait tirer
grand profit des faits observes, constat6s et discutes
s6rieusement dans une Academie des Antilles.

Enfin l'Acad6mie, en instituant des concours annuels
sur des questions convenablement choisies, provoquerait
ainsi un certain nombre de travaux qui, sans elle, n'au-
raient probablement jamais 6t0 tents.

Pour qu'une telle Academie soit fondue, il suffit que
quelques citoyens prennent r6solument une vigoureuse
initiative, et n'h6sitent pas a se r6unir pour se constituer
eux-memes. C'est de cette mani6re que toutes les Aca-
dgmies ou Sociedts savantes de province ont et6 fond6es
en France; certaines ne sont pas sans eclat, et toutes
sont utiles. La politique devant naturellement 8tre tota-
lement laiss6e de c6t6, il semble qu'une Acad6mie, a la
Martinique, puisse devenir un terrain neutre oui pourront
se rencontrer des hommes qui ne manqueront pas de










37 -

s'estimer des qu'ils auront eu occasion de se connaitre
et de s'appr6cier mutuellement.
Nous croyons de plus que la Martinique doit se hater,
car l'idee que nous 6mettons pourrait fort bien Rtre
bient6t r6alis6e ailleurs. En fondant la premiere, parmi
nos colonies, une Acad6mie s6rieuse, qui chaque ann6e
publierait un recueil de ses travaux, qui aurait ses cor-
respondants dans les autres colonies comme a la m6tro-
pole, et don't les membres, a leur tour, deviendraient
naturellement correspondents des autres Academies, en
agissant ainsi, la Martinique se placerait 6videmment a
la tete des possessions frangaises dans le Nouveau-Monde
et s'assurerait la direction de l'esprit public colonial.
Nous insistons tout particulierement sur ce point qui
a une veritable importance pour la Martinique. Les
consequences de la creation d'une Academie s6rieuse
sont incalculables; chacun en y refl6chissant pourra les
apercevoir sans peine.

























CHAPITRE TROISIEME





ADMINISTRATION DE LA JUSTICE


SOMMAIRE: I. DE L'TAILISEMIENT DU JURY EN i.XTIERE PINALE. -
I'TITIONS A CL SUJET.
II. DES DILAPIDATIONS COMMIES PAR LES EMPRUNITECS SUR
LES IMMEUBLES HYPOTIIEQUES.
III. LoU Du 8 JANVIER 1877 SURSTITUANT LE CODE PENAL
MlETROPOLITAIN AU CODE PENAL COLONIAL.

IV. EXAMEN CRITIQUE DU POUVOIR REGLEMENTAIRE ATTRIUE
ATX GOLUERNEURS COLONIAUX.




















CHAPITRE TROISI0ME


ADMINISTRATION DE LA JUSTICE


I

Nous avons pen de chose h dire en ce qui concern
administration de la Justice; car en pareille matiere
nous n'apercevons pas de question qui int6resse la Mar-
tinique plus vivement que les autres colonies. Nous
dirons cependant quelques mots touchant 1'6tablissement
du jury en matiere penale et les dilapidations commises
par les emprunteurs hypoth6caires sur l'objet qu'ils ont
affect h la siret6 du cr6ancier. Ce sont lh, certainement,
les deux questions qui, sans etre speciales h la Marti-
nique, ont plus particulierement 6mu l'opinion publique.
Parlons d'abord de l'Ntablissement dans les colonies
du jury en mati6re p6nale tel qu'il cxiste en France.
DejA, en 1862, un certain nombre d'habitants de l'ile
de la R6union avaient adress6 au Senat une petition
dans le but d'obtenir sur ce point I'assimilation avec la
metropole. Il est bon de citer textuellement les terms
du rapport qui fut pr6sent6 au S6nat sur cette petition
par M. de Royer, a la date du 9 avril 1862.











42 -
Tout le monde s'accorde, disait M. de Royer, h
reconnaitre que le jury qui 6tait impossible dans les
colonies, sous le regime de l'esclavage, pr6senterait en-
core de v6ritables dangers pour administration de la
justice, A une 6poque voisine de l'6mancipation. Les
faits sont lI pour le d6montrer.
SLa situation 6tait telle avant I'abolition de l'esclavage,
que la loi du 18 juillet 1845 avait df fortifier les chances
de la repression et augmenter 'influence de la magistra-
ture pour les cas ofi les course d'assise avaient a statuer
sur des crimes commis par des personnel non libres ou
par des maitres sur leurs esclaves. La loi du 9 aouit
1847 avait di aller plus loin. Elle avait pour la meme
nature de causes, susbtitu6 I la cour d'assise ordinaire
une cour criminolle composer de sept magistrats qui
declarerent la culpability h la majority de 5 voix sur 7.
Les traces d'un 6tat de choses qui provoque de tolles
measures, continuait M. de Royer, sont lentes h dispa-
raitre. Depuis l'affranchissement des esclaves, la partici-
pation des magistrates a la d6lib6ration des assesseurs
est encore trop souvent impuissante h d6jouer les ma-
noeuvres les plus contraires a l'ceuvre de la justice, et a
emp6cher des acquittements regrettables pour ne pas
dire scandaleux.
Des acquittements regrettables pour ne pas dire
scandaleux !..... Combien de fois n'a-t-on pas vu cette
phrase stWreotyp6e dans les rapports officiels?... Ne pou-
vait-on pas parler aussi de poursuites regrettables pour
ne pas dire scandaleuses ? Les annales des Antilles nous
en fourniraient plus d'un example; nous n'en dirons rien,
car nous ne pouvons oublier que cet opuscule est avant
tout inspire par une pens6e de paix et de concorde.










43 -
La petition des habitants de la R6union u'eut done pas
de suite.
Cependant, le ministrre de la marine, vaincu proba-
blement par 1'6videnco, finit par admettro la pensee qu'il
serait possible de ramener le r6le des assesseurs A celui
des jur6s, on ne les appelant plus A delib6rer que sur la
question de fait et celle des circonstances att6nuantes.
Mais le Conseil general de la R6union declara, dans
une deliberation du 1" juillet 1862, qu'un pareil project
constituerait pour les assesseurs un amoindrissement
sans compensation. N6anmoins, ce project fut appliqu6 a
la Guyane et au S6n6gal. Mais le Conseil d'Etat no
trouva pas l'exp6rience concluante, et exprima la crainto
que I'exclusion des assesseurs de la deliberation sur
I'application de la peine ne presentdt des inconve-
nients !... Ce qui signifiait en terms plus clairs: que le
corps des assesseurs, s'il 6tait exclu de la d6lib6ration
pour I'application de la pine, pourrait s'en venger en
so montrant trop facile A prononcer des acquittements!
Devant tous ces scrupules, le d6partement de la marine
jugea que le temps n'etait pas encore venu de modifier
I'institution de l'assessorat, et retire son project.

M. de Lessops, qui pr6sonta au S6nat un rapport sur
une nouvelle petition des habitants de la Reunion, prit
les m6mes conclusions dans la stance du 12 f6vrier 1864;
et la question fut ind6finiment ajourn6e.
Aujourd'hui, la question sera peut-etro de nouveau
agit6e. On sait en effet que les Chambres ont 6t6 saisies
d'un project de loi tendant A appliquer purement et sim-
plement notre systime p6nal aux colonies. Le code p6nal
a et6 d6ja adopt sans modifications impliquant le rejet











44 -
du jury, et aucune observation particuliBre n'a EtW faite
a cet 6gard; mais, si nous sommes bien renseign6s,
quelques esprits chagrins se proposeraient, quand il
serait question de l'instruction criminelle, de demander
encore le maintien des assesseurs, attend que le temps
ne serait pas encore venu d'6tablir le jury aux colonies.
Si les esprits chagrins don't nous parlons pouvaient
obtenir et conserver une pr6pond6rance quelconque
dans la direction des affaires publiques, on peut affirmer
que ce temps ne viendrait jamais! Mais leurs efforts,
s'ils viennent a se produire, seront impuissants. II ne
s'agit pas 6videmment de suspecter le corps des asses-
seurs; en fait, il est g6n6ralement compos6 de mani6re a
donner les garanties les plus serieuses sous le rapport de
la capacity et de l'indEpendance des citoyens qui ont
I'honneur d'en faire parties. Mais il s'agit de 1'institution
elle-mime. Qui ne voit qu'une telle institution est une
measure de defiance vis-a-vis d'une parties de la population
cr6ole!... qu'elle tend par consequent, malgr6 les capri-
ces du tirage au sort, a perp6tuer un antagonisme don't
tous les bons citoyens doivent d6sirer la disparition...,
que depuis longtemps elle est un veritable anachronism,
et mime, si on veut y refl6chir, un danger pour les inti-
rits qu'elle semble avoir pour but do proteger!...



II


La deuximme question don't nous avons h parler est
beaucoup plus restreinte, il s'agit tout simplement d'un
genre particulier de fraude h r6primer.










45 -

Dans sa session de 1874, le Conseil general de la
Martinique 6mit en effect le vcu que l'art. 408 du code
penal, qui n'est fait que pour I'abus de confiance, fut
desormais applique aux emprunteurs qui commettent
des dilapidations sur les propriet6s hypoth6qu6es au
credit foncier colonial.
Le Conseil general de la Guadeloupe formula de son
cot6 un vcwu semblable, dans sa session de 1875. Ccs
manifestations furent 6videmment inspires par le sou-
venir de l'art. 11 de la loi du 11 juillet 1871 sur les
banques coloniales, lesquelles 6tendaient l'application
de cet article aux emprunteurs des banques qui d6tour-
nent ou dissipent a leur prejudice les r6coltes pendantes
ced6es A ces 6tablissements.
En consequence des vceux don't nous venons de parler,
le Gouvernement a present aux Chambres un project de
loi conform. II r6sulte des explications fournies au
Senat, dans la seance du 25 juillet 1875, par le rappor-
tour, M. Bozerian, que des actes deplorables, scanda-
leux, ont 6t6 assez souvent signals par les administra-
teurs du credit foncier colonial. a I1 n'en est pas en effect
de meme aux colonies qu'a la m6tropole, disait le rappor-
teur. Aux colonies, la garantie principal du gage n'est
pas le fonds de terre qui a peu de valeur, mais des
choses qu'il est facile de divertir, o'est-a-dire les acces-
soires, immeubles par destination.
II y a evidemment une certain exag6ration dans ces
affirmations de l'honorable rapporteur, et 1'6cart entire
la valeur du fonds et cello de ses accessoires, est loin
d'6tre aussi considerable qu'il le dit. Quoiqu'il en soit,
le project don't M. Bozerian expliquait 1'6conomie, 6tait
litt6ralement conform aux vceux precites des Conseils











46 -

g6ndraux de la Martinique et de la Guadeloupe, c'est-h-
dire atteignait seulement ceux qui, dans ces colonies,
avaient traits avec le credit foncier colonial. Les Con-
seils g6n6raux n'ayant a se proccuper que des faits
locaux, avaient eu raison de ne parler que de ce qui se
passait sous leurs yeux, c'est-;-dire des fraudes commi-
ses au prejudice du credit foncier colonial. Mais il ap-
partenait au Gouvernoment et aux 16gislataurs de g6nd-
raliser la proposition, et il est fAcheux et fort regrettable
que cela n'ait pas Wte fait d'une maniere complete.
M. Leroyer demand cependant que les dispositions
du project de loi profitassent non seulement au credit
foncier colonial, mais encore a tous les pr6teurs priv6s
qui se trouveraient dans la memo situation aux colonies.
Cot amendment fut accept par lo Sinat, et il a Wt6
decide qu'on passerait a une second lecture du project
de loi. Ainsi done d'apris les votes 6mis, les dispositions
de loi profiteront il est vrai i tous les preteurs, sur
hypothdque, mais seulement aux colonies. En France,
le fait de dilapider l'objet hypoth6qu6 ne sera pas incri-
mine.
I1 est vraiment singulier qu'un repr6sentant des co-
lonies n'ait pas song a demander simplement une dispo-
sition g6n6ralo pour toute la France continental et
colonial, car avec le texte de la loi, tel qu'il a 6te adopt
en premiere lecture, il semblerait que les faits pr6vus
par le project no se passent et ne peuvent se passer
qu'aux colonies. Or on volt souvent en France des faits
analogues. Ainsi il est a notre connaissance qu'un indi-
vidu parfaitement insolvable, avait achet6 non loin d'une
grande ville, une vaste propriWte comprenant notamment
un vieux chateau et des bois consid6rables. II n'avait










47 -

donn6 qu'un A-compte insignificant sur le prix d'acqui-
sition. A peine entr6 en possession, il s'empressa de
faire d6molir le chateau pour en vendre les materiaux,
et de faire couper tous les bois. II disparut ensuite, apres
avoir r6alis6 une some considerable au prejudice de
son vendeur qui s'6tait cru garanti par son privilege.
L'immeuble avait perdu les trois quarts de sa valeur.
Or, il est certain que des faits de ce genre constituent
une veritable ind6licatesse susceptible de tomber sous
les provisions de la loi p6nale. Il est vrai que ce point a
6t6 mis en doute devant le S6nat. Mais il n'y a pas A
s'arr6ter h de vaines d6clamations. Le Conseil general
de la Martinique n'est pas le premier qui ait fl6tri de
semblables fraudes. D6jh, les Romains n'avaient pas
h6sit6 & considerer les faits de cette nature comme devant
constituer un veritable d6lit ('), et il est inadmissible que
ce qui est puni aux colonies soit tol6ro en France.
On pourrait voir en effet le m6me individu cr6ancier
hypothecaire a la Martinique, d6biteur hypothecaire en
France, commettre en France impun6ment le meme
genre d'indelicatesse don't il pourrait poursuivre la re-
pression h la Martinique, si elle 6tait on m6me temps
commise contre lui dans cette colonies. Pourquoi d'ailleurs
cr6er un droit special pour les colonies en matiere p6nale,
dans le moment mmme oli l'on veut les assimiler a la
m6tropole, en leur d6clarant applicable le droit p6nal de
la France continental. Chose bizarre c'est dans la
meme seance du 25 juillet 1875 que le Senat votait en

(1) Le texte de la L. 66, pr. D. 47, 2, de furtis, est former:
Si is, qui rem pignori dedit, vendiderit earn, quamvis dominus
sit, furtum facit, sive earn tradiderat creditori, sive special pactione
tantum obligaverat; idque et Julianus putat.
V. aussi L. 12 ult. L. 19 5, D. 47, 2.










48 -

premiere lecture I'application aux colonies de notre droit
penal, et 6dictait en m6me temps une disposition repres-
sive specialement applicable aux colonies. Il faut que
cette singuliere contradiction disparaisse, et un repr6-
sentant des colonies devra saisir l'occasion pour deposer
un project tendant a rendre la loi egalEment applicable h
la France continental.



III


Du reste, on peut affirmer qu'en ce qui concern les
lois repressives, l'assimilation ne tardera pas A 6tre
complete entire les colonies et la m6tropole. La loi du 8
janvier 1877, qui vient de substituer le code penal m6tro-
politain au code p6nal colonial, pour les Antilles et la
Reunion, a fait faire un grand pas a la question.
Cette loi du 8 janvier 1877 content deux dispositions
qu'il imported de remarquer. D'apres l'art. 3, 'article 137
du code d'instruction criminelle colonial est modifi6 de
la maniere suivante :

SLes faits pr6vus par les reglements de police 6manes
de l'autorit6 locale, sont consid6res comme contravention
de police simple et punis des memes peines. Le gou-
verneur n6anmoins, pour r6gler les matieres d'adminis-
tration, et pour l'ex6cution dEs lois, d6crets et reglements
promulgues dans la colonies, conserve exceptionnellement
le droit de rendre des arrktes et decisions, avec pouvoir
de les sanctionner par quinze jours de prison et cent
francs d'amende au maximum. Dans ce cas, et toutes










49 -

les fois que les peines p6cuniaires ou corporelles exc6-
deront colles du droit commun en matiere de contra-
ventions, les rbglcments dans lesquels ils seront pr6vus
(qui, ils?...), devront, dans un d6lai de quatro mois,
pass lequel ils seront caducs, etre convertis en d6crets
par le Chef du Gouvernement statuant en Conseil d'Etat.

II semble, au premier abord, qu'une telle disposition
soit inadmissible, et qu'avec une 16gislation colonial
bien faite, bien complete, il serait facile de pr6voir tous
les cas, et inutile par consequent d'attribuer a un gou-
verneur un droit qu'il ne saurait 6tre question, sur le
continent, d'attribuer m6me au chef du pouvoir executif.
Cependant, il est facile de concevoir que, dans'certaines
circonstances exceptionnelles, le gouverneur doit pouvoir
agir, non plus comme d616gu6 du pouvoir ex6cutif, mais
comme d6l6guB du pouvoir 16gislatif lui-m6me, attend
que m6me en France, dans des circonstances analogues,
ce serait au pouvoir 16gislatif qu'il appartiendrait d'in-
tervenir, et qu'a raison de 1'l6oignement, il n'est pas
possible que le pouvoir 16gislatif puisse toujours fonc-
tionner en temps utile, h l'occasion des faits qui peuvent
se passer aux Antilles.

Ainsi done, il n'y a pas de diflicult6 h admettre que le
gouverneur dolt etre invest d'une certain d6l6gation
16gislative. Mais la manirre don't cette delegation lui est
donn6e par 1'article precit6, nous parait pleine de perils,
et de nature, le cas 6ch6ant, a favoriser un arbitraire
sans limits. Ce sont pr6cis6ment les dispositions de ce
genre don't il imported de surveiller la redaction, avant
d'en autoriser l'insertion dans un code colonial, car de
semblables dispositions, avec des hommes incapables ou










50 -
malintentionnes peuvent arriver A crier un regime d'in-
tol6rables tracasseries.



IV


Analysons maintenant, cet article 137 du code d'ins-
truction criminelle: Le premier paragraphe pose le
privilege do droit commun reconnaissant h l'autorit6
locale le droit de fair les reglements de police pro-
prement dits. Le gouverneur a done le droit, a ce titre,
d'arriter certain riglements de police, sanctionn6s con-
form6ment au droit commun.
Mais independamment de ces reglements de police,
le gouverneur est autoris6 par le texte que nous exami-
nons : a faire des reglements pour les matieres d'admi-
nistration, et pour 1'ex6cution des lois, decrets et
reglements promulgu6s dans la colonie. Voilh done le
mot reglement qui revient encore deux fois, mais qui
n'a pas la memo acception. Les reglements promul-
gu6s dans la colonie, et dont le gouverneur peut assurer
l'ex6cution a l'aide d'un reglement special 6man6 de lui-
m6me, sont les riglements d'administration publique
resultant de decrets r6gulierement rendus par le pouvoir
executif, exergant ce qu'on appelle le pouvoir rigle-
mentaire. Mais il n'est pas aussi facile de comprendre a
quoi peuvent avoir trait les reglements pour les matidres
administration dent parle la loi. Est-ce a dire que
pour toutes les matieres administrative, le gouver-
neur soit autoris6 par ce text a publier des reglements
sanctionn6s par quinze jours de prison ? Evidemment










51 -
non. II faudrait, ce semble, 61iminer toutes les ma-
tieres administrative qui ont trait A un droit priv6 ou
a une situation individuelle; et il est alors difficile
d'apercevoir avec nettet6 la limited precise du droit du
gouverneur.
Mais le m6me texte accord au gouverneur le droit de
prendre des arrdtes et decisions, avec pouvoir de les
sanctionner par quinze jours de prison et cent francs
d'amende. Les expressions arrWtd et decision n'ont pas
le m6me sens, un arrdte ost uno prescription ayant
une port6e g6ndrale, une decision a seulement une
port6e individuelle. Dire que le gouverneurpeut prendre
une decision, c'est-a-dire 6dicter une prescription indi-
viduelle sanctionn6e comme on vient de le dire, cela
pout-il signifier que le gouverneur aura le droit de rendre
lui-m&me une decision pronongant quinze jours de prison
contre un citoyen? Ce serait monstrueux I le gou-
vernour ne pourrait done qu'6dicter une disposition
imperative ou prohibitive meme vis-i-vis d'un seul
citoyen, sous peine, en cas de contravention, d'une
condemnation h quinze jours de prison, prononc6e d'ail-
leurs dans la forme ordinaire par le juge de police.
Mais tout cela est bien vague et laisse une bien grande
latitude h l'arbitraire. II aurait fallu tout au moins,
comme garantie, n'accorder au gouverneur le droit de
publier do tels arr6t6s, qu'apr6s avoir pris l'avis du
Conseil privet; cela 6tait d'autant plus just que le chef
du pouvoir ex6cutif ne pourrait convertir ces arr6t6s en
decret que, le Conseil d'8tat entendu.
De plus, la disposition d'apres laquelle t les arret6s
don't s'agit seront caducs s:, dans un ddlai de quatre
mois, ils n'ont pas 6t6 converts en deorets, a peut aussi










52 -

6tre critique. Le gouverneur, en effet, en renouvelant
ses arretes successivement avant 1'expiration d'une p6-
riode de quatre mois, pourrait-il arriver ainsi h leur
assurer une duroe ind6finie sans les faire convertir en
decrets? Nous no le pensions pas, car ce serait 6luder
la loi de la manibre la plus audacieuse et d6truire en
r6alit6 les prescriptions de 'art. 137. D'un autre c6t6
il peut arriver que les raisons rendant n6cessaire la pu-
blication d'arr6t6s de ce genre cessent presqu'imm6dia-
tement; que le gouverneur n'ait pas d6s lors h demander
un d6cret confirmatif au gouvernement; mais que plus
tard, aprbs 1'expiration du d6lai de quatre mois, les
memes raisons se repr6sentent. Nous pensions que,
dans ce cas, le gouverneur aurait le droit de fair revi-
vre l'arr6t6 devenu caduc.

Enfin, il r6sulte formellement du texte que nous
examinons, quo le gouverneur no pourrait pas, par des
arretes sp6ciaux, aggraver soit au point de vue de l'em-
prisonnement, soit au point de vue de I'amende, la sanc-
tion d6ja 6crite dans les lois, d6crets ou rgglements don't
il s'agit de procurer l'execution; il peut seulement, en
vue de cette execution sp6ciale, prescrire des measures, et
c'est seulement observation des measures ainsi prescrites
qui peut 6tre assure par la menace envers les contre-
venants, d'un emprisonnement de quinze jours et de
cent francs d'amende. Ainsi, par example, supposons
qu'une loi prohibe l'introduction a la Martinique de
certaines marchandises, sous peine de confiscation et
d'amende, le gouverneur, pour assurer l'ex6cution de
cette loi, n'aurait pas le droit de d6clarer que les contre-
venants encourront de plus la peine de I'emprisonne-
ment. Mais le gouverneur aurait le droit, pour assurer










53 -

1'ex6cution de cette loi, et reprimer la fraud qui se
pratiquerait A l'aide de d6barquements nocturnes sur
un point isol6 de la c6te, de prendre un arrete pour
interdire complement l'acces de la cote h l'interieur,
pendant la nuit, de telle heure a telle heure, h peine, -
pour les contrevenants A cet arret6 special, ayant pour
objet de procurer I'ex6cution d'une loi, d'un empri-
sonnement pouvant aller jusqu'a quinze jours.
Nous avons cru devoir insisted quelque peu sur l'ar-
ticle 137 modified du code d'instruction criminelle colonial,
pour montrer combien cet article a besoin, a plusieurs
points de vue, d'6tre soumis a une revision severe.
Nous devons encore remarquer les dispositions des
articles 4 et 5 de la mmme loi du 8 janvier 1877, et qui
ont principalement pour objet de maintenir en vigueur
la legislation locale sur la police du travail. Nous aurons
a y revenir lorsque nous nous occuperons plus particu-
lierement de 1'organisation du travail.


























CHAPITRE QUATRIEME






ORGANISATION DU TRAVAIL



SOMMAIRE: I. POSITION DE LA QUESTION.
II. DECRET DU 13 FPERIER 1852. LCONOTIIE DE CE
DECRET.

III. DEPLORABLES CONSEQUENCES DE CE DECRET.
IV. DISPOSITIONS FACHEUSES DE LA LOI DU 8 JANTIER 1877
MAINTENANT LE TRAVAIL FORCE DANS LES ATELIERS
DE DISCIPLINE POUR DES DETTES PUREMENT PECU-
NIAIRES.
V. NATURE DES IEFORMES A OPERER SUR CE POINT. -
CREATION DE CONSEILS DE PRUD'HOMMES. INTiRLT
SPECIAL DES JUGES DE PAIX DAN8 LA QUESTION.
VI. RlGLEMTENTATION PLUS EQUITABLE EN CE QUI CONCERN
LES LIVRETS.

VII. QUESTION DE L'IMMIGRATION RENDUE N1:CESSAIRE
PAR LE DEPLORABLE DECRET DU 13 FIAYIER 1852.
INCONvb NIENTS DE L'IMMIGRATION.
VIII. LA SUPPRESSION RADICAL DE L'IMMIGRATION EST-ELLE
ACTUELLEMENT POSSIBLE? QUESTION DES SALATRES.
IX. SOLUTION AFFIRMATIVE.

X. EN TOUTE HYPOTHESE, LA RACE CHINOISE SEMBLERAIT
DEYOIR ETRE PREFEREE.



















CHAPITRE QUATRIEME


ORGANISATION DU TRAVAIL


I

Les questions relatives a l'organisation du travail ont
toujours le privilege de passionner les esprits; c'est
qu'elles ont pour r6sultat: d'abord, de trouble des int6-
rats souvent fort respectable; et ensuite, de toucher
a la dignity meme de l'homme, a ce qu'il y a de plus
sacr6 chez lui, la faculty de disposer librement de lui-
mmme. Quand la question a 6t0 agitee dans les vieilles
soci6t6s europ6ennes, on a pu sans doute voir so pro-
duire quelques utopies, mais ces utopies sont aujour-
d'hui tomb6es a peu pros partout dans le discredit, &
ce point que quelques publicistes ont pu, avec une
apparence de raison, soutenir qu'il n'existait pas de
question social. Un tel paradox n'a certainement pas
besoin d'8tre r6fut6, mais dans les colonies il ne pour-
rait pas mmme Wtre formula; la question social y existed
bien positivement, et meme elle se pr6sente sous une
former heureusement encore assez rare en Europe.
En Europe, comme on le sait, il s'agit principalement
du travail industrial; dans les colonies les difficulties










58 -
surgissent exclusivement h I'6gard du travail agricole.
Or les colonies tells que la Martinique, n'ayant point
d'autres resources que les productions qu'elles tirent
du sol, on comprend toute l'importance exceptionnelle
qui, dans de telles conditions, s'attache aux questions
relatives au travail.
Nous n'avons pas h rappeler les circonstances particu-
liUres qui ont paru rendre n6cessaire h la Martinique,
comme dans quelques autres colonies, une r6glementa-
tion sp6ciale du travail. On a pu croire a une certain
6poque a l'indispensable necessit6 d'une telle r6glemen-
tation, mais aujourd'hui l'experience est faite, et l'on peut
affirmer que le regime actuel ne saurait etre s6rieu-
sement d6fendu par personnel, au moins dans toutes ses
parties.




II


C'est 1'6trange d6cret du 13 f~vrier 1852 qui former
encore aujourd'hui la base de la r6glementation du tra-
vail a la Martinique, comme aussi h la Guadeloupe, a la
Reunion et a la Guyane, d'apris un syst&me congu tout-
a-fait en dehors des donn6es du droit commun. Or, il
6tait impossible de trouver une conception plus diam6-
tralement opposee au but qu'il s'agissait d'atteindre.
Quelle 6tait en effect la situation? Le travail agricole
qui 6tait autrefois le partage exclusif de la servitude avait
besoin d'6tre r6habilit6; il fallait pour cela 6viter avec le
plus grand soin toute measure pouvant etre consid6r6e










59 -

comme ayant pour but cach6 d'imposer indirectement ce
genre de travail a une parties de la population. Il fallait
rehausser la dignity du travailleur; r6primer sans doute
avec 6nergie le vagabondage et la mendicit6; mais il est
equitable d'admettre le travailleur sur un pied de parfaite
6galit6 avec le proprietaire en s'6cartant le moins possi-
ble du droit commun. Au lieu d'agir ainsi, qu'a-t-on fait?
On a commence par ddclasser, s'il est permis de
parler ainsi, -le contract de louage d'ouvrage appliqu6
aux travaux agricoles sous le nom de contract d'enga-
genient. Contrairement A tous les principles, contraire-
ment aux notions les plus 616mentaires du droit et de la
justice, on a rattach6 au droit p6nal la sanction d'obliga-
tion don't I'inexecution ne doit jamais donner lieu qu'h
une action civil ordinaire. Si un travailleur agricole
manque aux engagements par lui contracts, il encourra
d'apres le d6cret du 13 f6vrier 1852 la peine de l'amende
et meme de l'emprisonnement (article 7).
On aurait voulu deshonorer le travail agricole qu'on
n'efit pas trduv6 de meilleur moyen. II faut remarquer
en effet que ces incroyables dispositions ne concernent
que l'industrie agricole et non point les autres industries.
De sorte que, en cas d'infraction a ses obligations, le tra-
vailleur des champs est menace par des p6nalit6s qui,
dans la meme hypoth6se, ne pourraient atteindre les
ouvriers des villes !
En second lieu, le m6me d6cret de 1852 impose aux
travailleurs ruraux I'obligation alternative d'avoir un
engagement d'une annee au moins ou d'6tre porteur d'un
livret, exig6 d'ailleurs de tout individu en 6tat de domes-
ticit6, quelle que soit la dur6e de son engagement. Ceci
est comme le pivot de tout le system.










60 -
L'article 16 do ce decret est ainsi congu:

Article 16. Les vagabonds ou gens sans aveu sont
ceux qui, n'ayant pas de moyens de subsistence, et
n'exergant habituellement ni m6tier ni profession, ne
justifient pas d'un travail habituel par un engage-
ment d'une annee au moins, ou par un livret.

Mais voici qui est encore plus fort:

Article 17. Quiconque sera trouv6 dans une reunion
de vagabonds pourra 6tre puni des peines prononc6es
centre le vagabondage.

On voit maintenant comment va fonctionner le sys-
t6me: en France, un individu n'est pas n6cessairemcnt
un vagabond parce qu'il no sera pas porteur d'un livret
ou d'un engagement pour une ann6e de travail; mais h
la Martinique, c'est different: Dans cette m6me situation
un travailleur rural sera un vagabond. Pour 6viter cette
dangereuse qualification et les consequences qu'elle en-
traine, le travailleur rural va done se procurer soit le
livret, soit l'engagement d'un an. Il r6ussit, le voilh
employ dans un atelier. II va maintenant se trouver en
presence de nouvelles difficulties; il devra prendre garde
aux dispositions suivantes:

Article 6. A d6faut de conventions contraires, 1'en-
gag6 subira pour chaque jour d'absence ou de cessation
de travail sans motif legitime, independamment de la
privation de salaire pour cette journee, la retenue d'une
second journ6e de salaire h titre de dommages-int6rets,
sauf recours au juge en cas de contestation.










61 -
Article 7. ....... Pourra 6tre puni d'une amende de
police dans les limits d6termin6es par 'article 466 du
code p6nal colonial, tout ouvrier, cultivateur ou autre,
qui aura subi, dans le course de trois mois, trois fois la
retenue prescrite par 'article 6 de la presente loi. En
cas de r6cidive, I'emprisonnement pourra 6tre prononc6
dans les limits d6terminees par l'article 465 du code
p6nal colonial. La r6cidive existe lorsque dans le course
de la m6me ann6e, il y aura lieu d'appliquer une second
fois, dans les conditions poses par les paragraphes pr6-
c6dents, une amende de police.

Dans les colonies, pour tous les contracts autres que
ceux relatifs aux engagements de travail, et en Europe,
pour tous les contracts sans exception, la violation de la
convention par I'une des parties ne peut donner lieu qu'a
une action civil ordinaire. Dans les colonies, et sp6cia-
lement h la Martinique, il en est autrement. Un systime
de sanction g6n6rale a 6t6 organism, de telle sorte que la
dette du travailleur vis-A-vis du propridtaire peut s'aug-
menter facilement pour se r6soudre dans l'obligatidn de
prester un nombre supplementaire de journ6es de travail.
De sorte que, le travailleur indirectement oblige, pour
n'dtre point trait comme vagabond, de souscrire un
engagement d'une ann6e ou d'obtenir un livret, se trouve
naturellement port h consilrer le travail agricole
comme une charge humiliante qui lui est arbitrairement
imposee par une legislation hostile.

Considerons maintenant la situation du travailleur qui
par sa faute, si l'on veut, sa negligence ou d'autres mo-
tifs, plausibles a son point de vue, mais non reconnus
l6gitimes par le juge, a encouru los p6nalites 6dict6es











62 -
par le d6cret de 1852; A cet 6gard 1'art. 23 du meme
d6cret dispose :

< A d6faut de paiement, apres les premieres poursui-
tes, les amendes prononc6es en vertu de la prdsente
loi, ainsi que les condamnations aux frais et d6pens,
seront de droit converties en journees de travail pour le
compete de la colonie ou des communes, d'apres le taux
ou les conditions qui seront d6termin6es par des arret6s
du gouverneur en conseil priv6. Faute d'y satisfaire, les
condamnes seront tenus d'acquitter leurs journees de
travail dans les ateliers de discipline. *



III


Ainsi done, et en derniere analyse, tout se traduit en
definitive pour le travailleur, dans la legislation actuelle,
en une prestation force de travail. De sorte qu'il peut se
demander, non sans quelque apparence de raison, ou
est la liberty ?
Comment veut-on qu'avec un pareil regime la popu-
lation colonial ait pu 6tre s6rieusement attiree ou atta-
ch6e au travail agricole, alors surtout que la legislation
vicieuse que nous venons d'analyser sommairement a
encore 6t6 aggrav6e, sur un grand nombre de points,
par les arr6t6s reglementaires du gouverneur?...
Envisag6e au regard des propri6taires eux-memes
cette legislation n'est pas meilleure. Sans insisted en
effet sur la mauvaise quality du travail qui sera produit










63 -

dans de semblables conditions, ni sur les sentiments
amers que cette meme legislation peut faire germer dans
l'esprit des travailleurs, voyon's quelle est la position
faite aux maitres vis-a-vis de leurs engages :
Voici ce que dit l'art. 7 :

a Quiconque ne fournira pas exactement aux travail-
leurs engages par lui, soit les prestations en nature, soit
les salaires promise par le contract d'engagement, pourra,
apres deux condamnations au civil encourues pour ce
fait dans la mmme ann6e, 6tre puni d'une amended de
police, dans les limits d6terminees par I'art. 466 cod.
p6n. colon.

D'apr6s le droit commun, ce fait ne pourrait donner
lieu qu'A une demand en r6siliation du contract d'enga-
gement. Le cas pr6vu par cet article s'est-il produit
souvent? Il imported peu; l'hypothsse doit pouvoir se
r6aliser puisqu'elle est entr6e dans les provisions des 16-
gislateurs. Remarquons en outre que, d'apr6s les terms
g6n6raux de 1'art. 23, les amendes prononc6es centre les
maitres pourraient 6galement, contrairement A l'inten-
tion bien claire du r6dacteur du d6cret de 1852, 6tre
converties en journ6es de travail prest6es dans un atelier
de discipline!....
Comment pourrait-il s'6tablir des rapports supporta-
bles entire des maitres et des travailleurs qui peuvent
r6ciproquement, h 'occasion des conventions interve-
nues, provoquer Fun centre P'autre des condamnations
p6nales ?....
I1 ne faut done pas etre surprise si l'application du d6-
cret de 1852 a constammant ralenti la prosp6rit6 du










64 -
travail agricole, en rendant de plus en plus necessaire
l'intervention des immigrants. C'est de la promulgation
de ce d6cret que date le temps d'arr6t qui s'est manifesto
dans l'agriculture colonial, qui semblait appelee a pro-
duire des resultats consid6rables. Nous pouvons a cet
6gard alleguer un t6moignage qui ne saurait 6tre sus-
pect, celui de M. T. Ducos, alors ministry de la marine,
et qui a pr6sid6 A 1'6laboration du d6cret de 1852. En le
pr6sentant a la signature du President de la R1publique,
il s'exprimait ainsi dans son rapport : ( Cet acte sera un
auxiliaire bien efficace pour la prosp6rit6 de l'agriculture
colonial sous le regime du travail libre, qui se fait
remarquer, depuis trois ans, par des success ines-
peres. *
Si la p6riode qui a precede imm6diatement la promul-
gation du decret de 1852 s'est fait remarquer par des
succes inespirds, n'est-il pas evident que la decadence
qui a suivi la promulgation de ce decret est due princi-
palement au d6cret lui-meme !....
M. Jules Duval (') constate aussi qu'apres 1848 et
principalement dans cette p6riode ant6rieure a 1852, on
avait su trouver le moyen de retenir les travailleurs dans
leurs ateliers. a C'est qu'aux Antilles, dit-il, faute de
pouvoir recourir comme ailleurs aux coolies indiens,
force avait Wte de condescendre aux expedients pour re-
tenir los affranchis. Grace h ces concessions, profitable
a tout le monde, la decomposition des ateliers s'6tait
prolong6e moins longtemps chez nos planteurs que chez
les colons anglais, et la race frangaise avait montr6 une
fois de plus son aptitude A entrainer les populations qui


(') Les Colonies, p. 167.









65 -

lui font cortege dansles champs du travail comme sur
les champs de bataille. ,
Mais, continue le mmme auteur, cette situation s'est
altdrde, comme si une sagesse prolongde pesait trop
aux hommes, et les travailleurs se sont peu h peu d6ta-
ch6s en grand nombre des habitations. M. J. Duval ne
sait s'il faut en attribuer la cause aux propri6taires, las
de managements qui co2ttaient a leur amour-propre,
ou aux travailleurs pr6f6rant devenir petits propri6taires,
et trouvant dans l'oisivet6 un attrait sup6rieur..... II
croit cependant A l'influence de ces deux causes r6unies.
Nous pensions que M. J. Duval se trompe; s'il avait m6-
dit6 le d6cret du 13 f6vrier 1852, il efit bientot trouve la
cause du mal, et par consequent le remade.

On ne pourra jamais calculer le mal que ce deplorable
d6cret a fait a nos colonies des Antilles, de la Reunion et
de la Guyane. Les hommes qui en ont 6t6 les v6rita-
bles inspirateurs ont assume une bien lourde responsabi-
lit6; quelques uns sont morts; d'autres vivent
encore. II nous convient de ne nommer ici ni les uns,
ni les autres.
II faut done r6agir contre ce d6cret de 1832.
II est certain en effet, que les entraves apport6es a la
complete liberty du travail sont a la foisnuisibles au tra-
vailleur lui-mEme et au propri6taire, et ont pour r6sultat
de diminuer la production, quelquefois au point de vue
de la quality, d'autres fois au point de vue de la quantity,
et souvent a ces deux aspects r6unis. C'est lh la cons6-
quence force de tout systeme qui recherche dans des
dispositions p6nales des moyens indirects de contrainte
a l'6gard du travailleur.











- 66 -


IV


Les inconv6nients sociaux 6conomiques d'un tel sys-
t6me sont aujourd'hui reconnus. C'est done avec raison
que les diverse questions relatives au travail ont Wt6,
avec beaucoup d'autres int6ressant les colonies, envoyees
a l'examen d'une commission prise dans nos grandes
assemblies. Mais les travaux de cette commission ne
sont pas encore terminus; ils aboutiront, ilfaut l'esp6rer,
a un project de loi qui sera de nature a donner satisfac-
tion A tous les int6r6ts. En attendant la 16gislation sur
le travail demeure toujours en vigueur. On aurait pu
cependant profiter de la loi du 8 janvier 1877, qui d6cla-
rait le code p6nal m6tropolitain applicable a la Martini-
que, pour y introduire quelques dispositions de nature a
attenuer un peu le regime actuel. On ne l'a pas fait, et
c'est intentionnellement qu'on n'a pas voulu le faire.
Voici en effet ce que nous lisons clans cotte loi :

Art. 4. Les decrets, riglements et arr6t6s actuellement
en vigueur dans les dites colonies (les Antilles et la
Reunion) sur la police du travail et la repression du
vagabondage, ainsi que les dispositions de 'art. 10 du
d4cret du 16 aofit 1854, ne sont pas abrogis par la prd-
sente loi. Los individus, cependant, condamnes pour
faits pr6vus par le decret du 13 fevrier 1852, ou pour faits
de mendicit6, soit h 1'emprisonnement, soit a des amen-
des converties en mine temps que les frais en jour-
nies de travail, seront, clans les ateliers de discipline,











- 67 -


s6par6s des individus subissant la peine de l'emprison-
nement par suite de condemnation pour contraventions
ou d1lits de droit commun. Ils n'auront pas de costume
distinct. La separation des sexes aura lieu pour tous les
genres de travail.
Art. 5. Les juges de paix connaitront des infractions
aux d6crets, reglements et arret6s maintenus par l'art.
4, i" alinea, ainsi qu'a ceux (sic) mentionn6s dans le
paragraphe 3 de l'art. 3 (v. ci-dessus p. 48), pourvu que
les peines quiles sanctionnent ne d6passent pas 15 jours
de prison et 100 fr. d'amende au maximum.


Telles sontles seules ameliorations que noslegislateurs
aient os6, pour le moment, apporter au deplorable syst6-
me applique encore aujourd'hui au travail dans les
Antilles! Voilh done ce systeme tout-h-fait exceptionnel
et local maintenu en bloc par une loi faite p6cis6mont
pour faire p6entrer h la Martinique le droit commun de
la France en matiere p6nale! La seule excuse de nos
16gislateurs, c'est qu'une commission 6tait djah saisie de
la question, et qu'il n'y avait pas lieu de toucher aux
matieres sur lesquelles devaient naturellement porter ses
investigations. I1 n'empeche que tout cela est profond6-
ment regrettable, car si pour une cause quelconque la
commission est mise dans l'impossibilit6 d'air6ter bien-
t6t un project d6finitif et complete sur tout ce qui concern
letravail et les travailleurs, les r6glements tracassiers,
oppressifs et inintelligents, declares non abrog6s par la loi
du 8 janvier 1877, sembleront tirer d'une telle declaration
une force et une autorit6 nouvelle. On aurait pu.tout au
moins, pour les amendes et les frais, renoncer h la
conversion en journ6es de travail dans les ateliers de











68 -

discipline. I n'y avaitpas de motif pour retarder une
pareille rdforme.

Les ateliers de discipline! On croit r6ver lorsque
dans une loi promulgu6e en 1877, on lit de semblables
expressions. Mais quels r6sultats a-t-on jamais pu
esp6rer d'un travail impose dans de semblables condi-
tions. Qu'un individu condamn6 pour un delit commun,
a un emprisonnement correctionnel, soit soumis pendant
la dureo de sa peine a un travail quelconque, cela so
comprend. Non pas qu'il y ait lieu de computer sur les
effects moralisateurs ou r6mun6rateurs d'un tel travail,
mais tout simplement parce qu'il serait absurde de laisser
dans une complete oisivet6 celui qui est retenu en prison.
C'est parceque le condamn4 est en prison, qu'on peut
c1 soumettre a un travail impose. Mais placer dans un
atelier de discipline uniquement pour le faire travailler,
un individu qui d'ailleurs n'est pas du tout condamn6 a
l'emprisonnement, ce serait v6ritablement le comble de
l'absurdite si ce n'6taitpas encore plus odieux qu'absurde.
Il ne s'agissait done pas de declare que les malheureux
don't il s'agit ne seraient pas confondus avec les autres
condamnrs, qu'ils n'auraient pas de costume distinctif,
etc., il fallait simplement d6clarer que desormais les con-
damnations a dces amendes et aux frais, dans les cas sp6ci-
fiUs par les art. 4 et 5 pr6cit6s, ne pourront jamais 6tre
converties en journ6es de travail.










- 69 -


V


La legislation de 1852 est donctout entire a refondre,
au moins en ce qui concern les travailleurs coloniaux.
- Tout au plus pourrait-on conserver certaines de ses
prescriptions h l'6gard des immigrants indiens ou chi-
nois. Pour les chinois il ne saurait y avoir de graves
inconv6nients, puisque chez eux toutes les difficulties,
mime colles qui ont trait aux droits priv6s, se reglent en
definitive par un certain nombre de coups de bambou;
on pout en dire autant des indiens qui appartiennent a
des nations ou le droit public n'existe pas. Mais comme
nous pensions que tous les efforts doivent tendre a pou-
voir se passer des immigrants, il faut chercher ailleurs
quc dans une r6glementation penale, le moyen de resti-
tuer aux travailleurs coloniaux la totality du travail
agricole.
Le principal c'est la liberty, qui seule peut assurer la
dignity du travail; il y a ensuite des moyens secondaires.
Un cldret du gouvernement provisoiredu 27 avril 1848
avait institu6 des jurys cantonaux, forms par portion
gale de proprietaires et de travailleurs, et qui avaient
pour attribution de concilier et de juger toutes contest.
tions entire les propri6taires, les maitres ou chefs d'in-
dustrio et les ouvriers, gens de service ou commis. Mais,
disait le Ministre Ducos, en 1852, dans le rapport pr6cit6,
I'experience aujourd'hui acquise ne conseille pas de
les maintenir. M. Ducos pouvait peut-6tre n'avoir pas










70 -
tort en 1852, c'est-h-dire dans les premieres annees de
l'inauguration du travail libre. Cependant, comme
d'apres le meme M. Ducos le travail libre donnait depuis
1849 des resultats inesp&rds, il est permis de supposed
que les jurys cantonaux n'6taient pas aussi inutilesqu'on
voulait bien le dire. La v6rit6 est que leur institution
6tait v6ritablement incompatible avec le regime imperial.
En consequence ils furent supprim6s. On pourrait au-
jourd'hui, sinon les r6tablir purement et simplement, tout
au moins faire revivre leur esprit en cr6ant des conseils
de prud'hommes composes d'un personnel mixte qui ne
devrait pas 6tre trop nombreux.
La suppression de toute p6nalit6 en ce qui concern
l'ex6cution des contracts d'engagements, au moins pour
les travailleurs originaires de lacolonie, et l'institution
d'un nombre suffisant de conseils de prud'hommes, voila
deux measures en quelque sorte correlatives I'une de l'au.
tre, et qui produiraient a tous les points de vue les
meilleurs r6sultats.
Les juges de paix sont peut-6tre plus int6ress6s que
personnel, au point de vue do leur influence morale, et
de la dignity de leurs functions a la prompted r6alisation
de cette double r6forme.
Nous n'avons pas besoin de dire combien est delicate
et 6lev6e la mission si difficile du juge de paix. II doit
prendre s6rieusement a la lettre le beau titre don't il est
honor. Or il lui est bien difficile de conserver la 16giti-
me influence qu'il doit a ses functions, s'il est oblige d'ap-
pliquer une loi mal faite, tracassiere, antipathique a ses
justiciables. Les travailleurs agricoles, gens peu habi-
tu6s A l'abstraction, distinguent difficilement entire la loi
et le juge. Ils sent condamn6s parceque la loi le veut










71 -

ainsi, mais dans leur recrimination passionn6e contre la
loi, ils comprennent souvent la personnel du juge, et m6me
quelquefois ne voient que le juge. Il y a la un grave
danger pour l'autorit6 morale de celui-ci et elle peut
ainsi so trouver impuissante dans un moment of des
int6r6ts menaces auraient besoin de s'appuyer sur elle.



VI


Les prescriptions concernant les livrets devraient
aussi 6tre modifiees profond6ment.
Dans la France continental comme dans les colonies,
le livret est g6neralement antipathique aux travailleurs
a qui est impose l'obligation d'en avoir un. Cette r6pul-
sion ne saurait avoir pour cause le livretlui-mime, mais
plut6t la condition ficheuse qui pourrait 6tre faite a un
travailleur dans le cas oh un maitre peu scrupuleux vou-
draitvis a vis de lui abuser de son livret. Le travailleur
sent et comprend que par le fait du livret il peut se trou-
ver en quelque sorte a la merci, a la discretion de son
maitre, il se trouve d6s lors humili6 par une obligation
qui n'est impose qu'h lui soul, et il peut se dire : Si je
suis tenu d'avoir mon livret en regle, pourquoi le maitre
ne serait-il pas tenu d'avoir le sien ?....
Si done il y avait r6ciprocit6 dans les prescriptions
concernant le livret, je suis convaincu que cette institu-
tion aujourd'hui vue avec d6faveur par les masses, se-
rait au contraire parfaitement accueillie, a cause des
signals services qu'elle peut rendre.











72 -
II faudrait, disons-nous, d6cr6ter la reciprocity des
livrets, en d'autres terms declarer que les livrets seront
tenus en double exemplaire, l'un devant rester entire les
mains de l'engag6, 1'autre entire les mains du maitre ou
propri6taire. C'est une idWe qui a d6ja Wt6 applique par
le code civil italien au bail A colonat, et on nous per-
mettra de reproduire ici ce que nous 6crivions h ce sujet,
il y a d6jh 10 ans:


a Le Code Italien content, i propos du bail B colonat,
quelques dispositions reglementaires ol I'on pourrait
trouver le germe d'un syst6me nouveau pour la solution
de toutes les contestations pouvant s'6lever entire les
maitres et les serviteurs qu'ils emploient n'importe a
quel titre.
Voici quelles sent ces dispositions :

Art. 1662. Le livret du bailleur, s'il content les divers
articles de credit et de d6bit, avec l'indication, pour cha-
cun, de 1'6poque et de la cause, et si les memes articles
ont Wte successivement transcrits sur le livret qui dolt
rester entire les mains du colon, fait pleine preuve tant
en faveur du. bailleur que centre lui, pourvu que le
colon n'ait pas r6clam6 avant 1'6ch6ance des quatre mois
depuis le dernier article.
Le livret gard6 par le colon fera pareillement preuve
pourvu qu'il ait 6t6 6crit par le bailleur de la maniere
sus-indiqu6e.
Si le livret de l'une des parties n'est pas reprssent6
parcequ'il a 6t6 perdu ou pour toute autre cause, il fau-
dra s'en tenir h l'autre livret.











- 73 -


Art. 1663. Le livret tenu par le bailleur et le colon
dans la forme ci-dessus prescrite, fait preuve 6galement
des pactes et conventions particuli6res intervenues en-
tr'eux.


Ne pourrait-on pas, ajoutions-nous, adopter 1'id6e qui
sort de base a ces dispositions; ordonner en consequence
que les maitres et les serviteurs (ou travailleurs) seraient
tenus d'avoir chacun un livret sur lequel seraient men-
tionn6s le point de depart des services (ou travaux) lou6s,
le montant des gages (ou salaires) et les paiements
effectu6s? D6clarer que foi pleine et entire serait ac-
cord6e aux livrets ainsi r6gulierement tenus, et qu'A
d6faut de livrets on appliquerait les principles ordinaires
sur la preuve? (i). ,


Si l'obligation, pour les travailleurs agricoles ou au-
tres, d'etre munis d'un livret 6tait r6glement6e d'apres
les id6es qui pr6cedent, il est manifesto qu'aucune objec-
tion s6rieuse ne pourrait 6tre faite. Le travailleur le plus
soupgonneux et illettr6 n'aurait jamais h craindre d'etre
16s6 dans ses int6rets par une inscription frauduleuse
faite sur son livret par le maitre, puisqu'il aurait toujours
un exemplaire en sa possession, et qu'il pourrait sans
retard faire v6rifier par un tiers la nature de l'inscription
faite, et qu'il jouirait toujours d'un certain d6lai pour
protester utilement, en cas de fraud, contre l'inscrip-
tion qui manquerait de cause. Enfin, il ne serait jamais
expose a se voir injustement refuser son livret.


(') Lo Code civil Italien et le Code Napoleon. 2me edit. 1868. -
Frbres Cotillon. T. 1, p. 28t.











74 -

Les diverse r6formes don't nous venons de tracer l'es-
quisse, compl6t6es d'ailleurs par les autres measures qui
seraient jugees n6cessaires, auraient pour r6sultat, il est
permis de l'esp6rer, de reconcilier avec le travail agricole
la majeure parties de la population colonial. La cons6-
quence naturelle serait la possibility de pouvoir peu h
peu se dispenser de recourir a l'immigration. I1 serait
m6me indispensable, en supposant les r6formes accom-
plies, de prendre des measures immediate pour arr.ter
immigration qui ne pourrait d6sormais produire d'autre
effet que celui d'introduire dans la colonies des 616ments
d'une concurrence redoutable pour les travailleurs indi-
genes.





VII




Il nous faut done examiner maintenant la question de
l'immigration.
C'est le d6cret de 1852 qui, en expulsant par ses ri-
gueurs les travailleurs indigenes des ateliers, a rendu
l'immigration necessaire, n6cessaire a co point que quel-
ques personnel ont pu dire, avec un semblant de
v6rit6, que l'immigration 6tait, pour les Antilles, une
question de vie ou de mort. Mais il ne peut s'agir,
heureusement, que d'une n6cessit6 factice.
Citons d'abord, sur cc point, I'opinion de M. Jules
Duval :











75 -

SQuelle que soit, dit-il a propos des Antilles, 'incon-
testable utility de immigration au point de vue de la
production colonial, et tout en l'acceptant comme un
pis aller, on ne peut se reposer sur cet expedient
comme sur une solution normal et de tout point satis-
faisante. Elle maintient trois ou quatre soci6t6s dans un
6tat de rivalit6 et d'antipathie....; elle grive les plan-
teurs de lourdes charges par les indemnites de recrute-
ment et de transport qui Bchappent a une consommation
reproductive, en meme temps que la presque totality des
salaires est emportee au loin par l'absent6isme des tra-
vailleurs; elle livre la production colonial, en cas de
guerre, A la discretion des maitres du pays d'dmi-
gration; elle menace sans cesse les colonies du cholera
asiatique, autorise l'immixtion quotidienne de 1'admi-
nistration dans l'Nconomie rurale pour toute chose: dis-
tribution et placement des engages, nourriture des
hommes, police du travail, soins m6dicaux, congas et
fuite, systeme disciplinaire. II n'est pas de movement
du personnel qu'il ne faille 6crire. Enfin le recrutement
des engages exotiques ne peut 6tre approuv6 que lors-
qu'il est exempt de violence et de fraudes; or l'on sait,
malgr6 des d6n6gations intiress6es, combien d'abus ont
0t6 constates en Afrique et en Chine I D6pouill6e de ces
abus et librement consentie, l'immigration est un moyen
16gitime sans doute d'assurer du travail aux cultures et
aux fabriques, mais elle reste une mauvaise m6thode de
consolider l'unit6 dconomique et social d'un pays (i). n


(') Les colonies et la politique colonial, p. 168.











76 -
II est impossible de mieux r6sumer les inconv6nients
de toute nature que immigration entraine a sa suite. Il
nous semble toutefois que M. J. Duval en a oubli6 un.
L'immigration pr6sente en effet un danger qui, pour n'6-
tre pas encore sensible dans les petites colonies, et par.
ticulibrement a la Martinique, peut cependant se d6velop-
per un jour d'une maniere inattendue; et I'on ne s'en
apercevra que lorsque le mal sera devenu bien difficile
A att6nuer.

Ce danger consiste dans la possibility de voir certain
immigrants demeurer sur le sol de la cdlonie, d'une
maniere fixe et permanent, et y former ainsi la souche
d'une race nouvelle pouvant un jour devenir redoutable,
par la concurrence aux races coloniales, et renouveler
ainsi les causes d'un antagonisme qui tend a disparaitre.





VIII



Faudrait-il done, a cause de tout cela, prohiber l'immi-
gration actuelle d'une maniere absolue? En Novembre
1876 I'honorable M.-Verdet n'a pas hesit6 h le proposer
au sein du Conseil G6neral, et thdoriquement rien de
plus rationnel. N6anmoins comme l'immigration a pour
but de procurer a l'agriculture les bras que le personnel
colonial indignne ne peut ou ne veut lui fournir dans
1'Ftat actuel des choses, il semblerait prudent au premier
abord de ne supprimer l'immigration que graduelle-










77 -

ment, au fur et a measure que les reformes realisees
auront produit un effet suffisamment attractif sur les
travailleurs martiniquais.
Or, a ce point de vue, les r6formes, pour si bien con-
cues qu'on les veuille supposed, ne pourront jamais pro-
duire imm6diatement et d' .n seul coup toutes leurs
consequences; il faudra certainement attendre qu'une
certain p6riode se soit Bcoul6e. II ne faut pas perdre de
vue en effet, que le deplorable d6cret de 1852, en Bloi-
gnant de l'agriculture la population indigene, a fait
prendre a cette population une direction et des habitu-
des nouvelles. C'est li un fait don't on doit tenir compete.
Un certain gofit pour le petit traffic, pour la petite indus-
trie n'a pas tardc6 se d6velopper chez beaucoup de
travailleurs indigenes. D'autres ont facilement trouv6 le
moyen d'6luder les dispositions 16gales repressives de la
mendicit6 et du vagabondage, en parvenant a r6aliser
les apparences de la petite, bien petite propri6t6. Ce sont
la les habitudes nouvelles centre lesquelles il s'agit de
r6agir en attirant de nouveau cette population vers les
travaux agricoles, d'abord par la perspective d'un salaire
convenable, et en second lieu par la certitude d'un trai-
tement honorable.
En ce qui concern la question des salaires, le 16gisla-
teur n'a pas h intervenir, c'est une affaire qui doit 6tre
librement discut6e entire les propri6taires d'une part, et
les travailleurs de l'autre. Mais tout en definitive se r6-
duira au point de savoir quel est le quamtum du salaire
offer au travail par agriculture. A cet 6gard, les int6-
ress6s ne devront pas se laisser arrkter par les vues
6troites d'une 6conomie plus apparent que r6elle. En
comparant ce que leur cofite un travailleur immigrant et










78-
ce que leur cofiterait un travailleur indigene, ils devront
tenir compete non seulement des d6bours6s de diverse
nature dontl'immigration est la cause et qui se portent
en moyenne a 480 fr. 34 c. par immigrant, mais encore
des dangers don't les menace cette immigration, dangers
centre lesquels ils prendront en quelque sorte une v6ri-
table assurance, en engageant de pr6f6rence les travail-
leurs indigenes mime pour un salaire plus fort. Enfin,
pourquoiles propri6taires qui occuperaient les travailleurs
indigenes nejouiraient-ils pas d'une prime proportion-
nelle, qui devrait 6tre assign6e sur les fonds actuelle-
ment inscrits au budget pour I'immigration, et qui pour-
rait les d6frayer ainsi du surcroit de salaire pay6 aux
indig&nes?

Tels sont les moyens imm6diatement praticables a
l'aide desquels on pourrait donner a l'agriculture la pos-
sibilit6 d'offrir un salaire suffisamment l6ev6 pour attirer
les travailleurs coloniaux. II en est encore d'autres; mais
leur r6alisation demand un certain temps. Nousvoulons
parler du renouvellement complete de l'outillage employ
dans les usines, et de l'extension du travail industriel
qui en sera la consequence, extension qui permettra d'of-
frir un salaire plus 61ev6, pour un genre de travail qui
n'aura plus le caractere agricole, mais qui sera n6anmoins
le complement n6cessaire de l'exploitation sucriere. On
sait en effet que l'outillage et les proc6d6s actuellement
employs sont impuissants A extraire de la canne la tota-
lit6 de la substance qu'elle continent. II y a done annuel-
lement une perte force pour la production. Depuis long-
temps les hommes sp6ciaux cherchent le moyon de ren-
dre complete l'extraction du sucre a l'aide de proc6des
qui devront 6videmment cofter beaucoup moins que ne










79 -

vaut la quantity du sucre qu'il s'agit de rendre libre et
de restituer au commerce. Nous avons quelques raisons
de penser que le probl6me est sur le point d'etre resolu
d'une maniere satisfaisante par des savants frangais et
espagnols. Or il est manifesto qu'une telle d6couverte
entrainera une modification complete de 1'outillage actuel
tout en donnant une grande extension au travail indus-
triel.

En attendant, est-il certain que l'offre d'un salaire
convenable faite par 1'agriculture aux travailleurs indi-
genes soit accepted par un nombre assez considerable
pour qu'on puisse imm6diatement se dispenser de recou-
rir a l'immigration ? On ne pourrait I'affirmer sans
tem6rit6. D'un autre c6t6, si on persiste a encourager
l'immigration on perpetue une cause fLcheuse de con-
currence centre le travail indigene! Comment sortir
de cette impasse cr66e comme h plaisir par le d6cret
de 1852 ?




IX



Nous croyons, malgr6 tout ce qui pr6c6de, que l'on
pourrait sans grand inconvenient tout d'un coup, d'une
maniLre absolue, supprimer I'immigration comme le
propose M. Verdet, mais h titre d'exp6rience, et sauf a
y recourir de nouveau si ce cas I'exigeait. I1 ne faut pas
perdre de vue, en effect, que la colonies, malgr6 Ia sup-
pression suppose immediate de l'immigration, se trou-










80 -

verait toujours en presence de 17,890 travailleurs immi-
grants de toute origine, d'apres la situation arretee au
l"janvier 1876. Or en 1875 il n'y a eu aucune introduction
d'immigrants, il y a eu au contraire 368 rapatriements,
et il y avait en 1875, presents a la colonies, 517 immigrants
de plus qu'en 1876. En 1876 administration a 6t6 dans
le plus grand embarras pour placer le convoi qu'elle
avait requ de l'Inde; et pour 1877, il ne s'est produit
aucune demand de coolies au bureau de l'immigration.
Supposons done que le chiffre normal de 17,000 travail-
leurs immigrants diminue ainsi de 5 h 600 par an, par
l'effet des deces et des rapatriements; si 1'immigration
est supprim6e, il faudra bien que I'agriculture s'adresse,
pour combler les vides, a la population indigene. La
population indigene refusera-t-elle ce supplement qui
lui sera peu h peu demand, a raison seulement de 5 h
600 hommes par an? Ce n'est pas probable, si l'on sup-
pose dejh r6alisees toutes les r6formes destinies h reconci-
lier le travailindigene avec l'agriculture. Cela estd'autant
moins probable qu'en 1876, le deficit de 517 hommes sur
le contingent de l'annie prc6cdento, ne parait pas s'&tre
fait sentir, soit qu'on ait pu s'en passer, soit qu'ils aient
Wte remplac6s par un nombre analogue de travailleurs
indigenes. II faut bien qu'il en ait it0 ainsi; puisque,
d'apres ce qu'on a dejh vu, le convoi regu en 1876 n'a pu
etre place, et qu'il n'y a eu cependant aucune inscription
pour 1877. I est bien vrai qu'au dernier moment, certain
habitants du nord ont sign une petition pour demander
un convoi de 500 immigrants, offrant meme de supporter
tous les frais d'introduction, mais cela ne prouve pas que
ce nombre de 500 travailleurs n'efit pu 6tre fourni par la
population indig6ne. Si on I'avait bien voulu, on aurait
pu, comme dans le sud, trouver un nombre suffisant de










81 -

journaliers. Quoiqu'il en soit, et malgr6 la suppression
immediate de l'immigration, il y aurait done A traverser
n6cessairement une p6riode de transition de plusieurs
ann6es durant lesquelles les effects de cette suppression
ne s3 produiraient que peu a peu et avec assez de len-
teur pour qu'il fut possible d'en appr6cier sainement les
resultats. I1 ne serait done jamais question de remplacer
en bloc et d'un seul coup la totality des immigrants par
des indigenes. Si 1'experience r6ussissait, si les travail-
leurs coloniaux, sous I'influence des r6formes operies,
manifestaient une tendance prononc6e a revenir vers
l'agriculture, peut-6tre conviendrait-il alors de favoriser
ce movement salutaire par des'primes accord6es au
rapatriement de ce qui resterait encore d'immigrants,
mais si au contraire il 6tait d6montr6 que la population
indigene a d6finitivement et irr6vocablement divorce avec
les travaux agricoles, alors il faudrait de nouveau avoir
recours h l'immigration, mais a l'immigration restreinte
A une race unique, convenablement choisie.




X



Maintenant, quelle devrait 6tre cette race? C'est h l'ex-
p6rience acquise qu'il appartient de r6pondre. Il est
regrettable cependant que le nombre trop restreint, rela-
tivement, des chinois presents a cette heure h la Marti-
nique, ne permette pas d'appr6cier quels pourraient 6tre
les r6sultats de leur presence en beaucoup plus grand
nombre. II y a en effet des personnel qui sont portees a










82 -

croire que les chinois sont d'excellents travailleurs quand
ils sont prosque isol6s, mais qu'ils deviennent insuppor-
tables et m6me dangereux quand ils se trouvent r6unis
en trop grand nombre. Il serait facheux qu'il en fut ainsi,
car les chinois ne perdant jamais l'esprit de retour dans
leur patrie, il n'y a point a craindre, avec des immigrants
de cette nation, le danger de voir se former peu h peu,
sur le sol colonial, une nouvelle race.

Quoiqu'il en soit, nous croyons utile de reproduire ici
une interessante lettre, 6crite h Paris, le 30 septembre
1865, par le g6n6ral Torrico, alors ministry pl6nipoten-
tiaire du P6rou, et bien en situation pour juger avec
impartialit6 immigration chinoise :


a Ce sont les chinois, dit M. Torrico, qui colonisent la
c6te du P6rou. Des entrepreneurs vont les chercher en
Chine; ils leur offrent une some quelconque, en leur
faisant connaitre les conditions ultarieures de l'enga-
gement qu'ils vont prendre; ils les transportent au
P6rou, et lh ils les livrent a des propri6taires, moyen-
nant une some convenue et a la condition, pour les
colons chinois, de rester huit ans au service de ceux
qui les engagent, et pour ceux-ci, de les nourrir, de les
vetir et de leur payer quatre piastres par mois. De pa-
reils engagements sont commun6ment renouvel6s aux
m6mes conditions, avec cette difference, qu'h leur re-
nouvellement c'est le colon lui-mime qui en regoit le
prix. C'est la meilleure preuve qu'on puisse donner do
leur convenance et de leur bonne foi. Quand ils ne sont










83 -
pas renouvel6s, c'est que les colons, qui sont en g6n6ral
tres-actifs et tr6s-industrieux, ont avis6 des moyens plus
rapides de faire une petite fortune. Les colons chinois
au P6rou s'6taient montres d'abord enclins a certain
d6sordres moraux et au suicide. Mais cette malheureuse
disposition s'est 6vanouie, et aujourd'hui ils remplissent
aussi bien que possible toutes les conditions qu'on pou-
vait en attendre.... Pour en encourager l'introduction, le
Gouvernement P6ruvien avait d'abord consent a payer
une prime de 30 piastres par colon, mais cette prime est
supprimee depuis longtemps, et I'immigration chinoise
n'en continue pas moins avec l'activit6 proportionn6e au
besoin qu'on en a. (1) x

Nous devons dire cependant que tout le monde ne juge
pas les chinois aussi favorablement, et que pour beau-
coup ils ne meritent, A aucun point de vue, la moindre
confiance. Ces jugements contradictoires s'expliquent
probablement par la difference des milieux dans lesquels
se sont trouves places les immigrants chinois; certain
milieux pouvant d6velopper plut6t les qualit6s, et d'au-
tres au contraire les d6fauts de leur race.
Il n'y aurait qu'une seule objection A fair au recrute-
ment des engages chinois; c'est que ce recrutement res-
semble tout-h-fait A la traite et memo est quelquefois
pratique d'une maniere plus odieuse. On peut lire a cet
6gard les details instructifs fournis par M. Planchet,
dans un article ayant titre : La traite des coolies chi-

(') Cette lettre a Wtr inserde dans le Journal des Iconomistes,
t. 48 (1865), p. 99.











84 -

nois ('). M. G. de Molinari, dans un article ins6r6 au
Journal des Debats et reproduit dans le Journal des
lconomistes (2), cite, d'apres M. Planchet, la decision
bien significative d'un tribunal mixte, compose du gou-
verneur de Yokohama, des consuls de France, d'Angle-
terre et d'Allemagne. Un navire transportant des coolies
ayant reAlch6 au Japon, plusieurs engages s'6chapp&-
rent. Le capitaine les reclama. Le tribunal mixte don't
nous venons de parler repoussa la demand du capitaine,
assimilant a la traite le recrutement des coolies tel qu'il
est pratiqu ha Macao. Aussi M. de Molinari propose-t-il
de conclure une convention international sp6cifiant les
conditions d'engagement et de transport des engages et
les garanties d'ex6cution des contracts jugees n6cessaires.
De quoi servirait-il en effet d'avoir supprim6 la traite en
faveur des populations des c6tes d'Afrique, si c'6taitpour
vouer a leur place les Asiatiques la servitude!

Ainsi done, pour nous r6sumer sur la question qui
vient d'6tre examine, nous pensions que l'on pourrait
sans grand inconvenient supprimer imm6diatement I'im-
migration; que n6anmoins, s'il 6tait plus tard jug6 n6-
cessaire d'y recourir de nouveau, il faudrait la restrein-
dre h une race unique; et enfin, que la race chinoise
parait presenter, pour la Martinique, moins d'inconv6-
nients que toute autre.

Les sentiments sont d'ailleurs unanimes sur l'urgente
n6cessit6 de l'organisation du travail. C'est ce que recon-
naissait nagu6re, en terms excellent, lc journal le

(1) Revue des deux mondes, 1* juillet 1873.
(2) 3me s6rie, annie 1873, t. 32, p. 106.










- 85 -


Bien Public, dans son num6ro du-24 mars 1877. Apres
avoir 6num6r6 certain vols qui venaient d'6tre constat6s
cette feuille disait avec infiniment de raison:
N'y aurait-il pas des measures gen6rales h prendre ?
Pourquoi ces vols, vols don't le nombre augmente, et
avec le nombre, I'audace et la violence? N'est-ce pas le
r6sultat de la misere et du besoin? Cette mis6re et ce
besoin d'oi viennent-ils, sinon de l'absence du travail?
L'organisation s6rieuse du travail, organisation qui
paut etre faite sans blesser ni la liberty ni le droit 16giti-
me, devrait etre l'une des grandes preoccupations de
ceux qui ont a cceur la dignity du pays. (')


(') Le Bien public du 24 mars 1877.
























CHAPITRE CINQUIEME





CREATION D'UN MONT-DE-PIETE



SOMMAIRE : I. LA LIBERTY DU TRAVAIL A POUR COMPL MENTLA CREATION
D'UN MONT-DE-PIETE. PROPOSITION DE M. VERDET.
II. RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SU LES ONTS-DE-PInTE.
III. DISTINCTION ENTIRE LES MONTS-DE-PIETE PROPREMENT DITS
ET LES SOCIETIES DE PRET GRATUIT.
IV. UN MONT-DE-PIETE GRATUIT EST POSSIBLE ET INDIS-
PENSABLE.




















CHAPITRE CINQUIEME


CREATION D'UN MONT-DE-PIRTE



I


Mais il ne peut pas suflire d'avoir assure la liberty et la
dignity du travail, il faut trouver le moyen de fournir
aux travailleurs un certain credit qui leur permette,
surtout au debut de la periode nouvelle que suppose
l'adoption des measures ci-dessus exposees, d'aborder la
situation apres avoir pu proc6der h une sorte de liquida-
tion des embarras du passe.

On a souvent d6fini le credit : le moyen de degager
des valeurs engages; c'est-h-dire de rendre libres et
imm6diatement disponibles, des valeurs qu'on a d6jh
entire les mains, mais qui existent sous une forme quel-
conque en rapport seulement avec leur utility. Or les
travailleurs peuvent avoir a leur service une quantity
plus ou moins grande d'effets ou valeurs mobilieres qui,
dans l'6tat actuel des choses, ne peuvent devenir pour
eux des elements de credit, qu'en recourant a la forme
7










90 -
pou commode et souvent ruineuse d'un emprunt sur
gages.

C'est done avec raison que i'honorable M. Verdet a
propose, dans I'une des s6ances du conseil g6n6ral
(9 Novembre 1876), de voter la some de 600,000 fr. a
prendre sur la caisse de reserve, pour la creation d'un
mont-de-piete.
L'6tablissement d'un mont-de-pi6t6 se pr6sente en effet
comme le complement natural et n6cessaire des measures
prises dans l'int6rEt des travailleurs. Seulement on peut
adopter h cet 6gard des combinaisons diverse, et la
question sera de savoir quelle est celle de ces combinai-
sons qui pourrait le mieux correspondre aux n6cessit6s
particuli6res de la Martinique.





II




Pour avoir a cet 6gard une opinion raisonn6e, il faut
d'abord consulter les renseignements fournis par la
statistique.
Ainsi, il existait il y a dix ans, en France, 44 monts-
de-piet6 r6partis dans 25 d6partements; le nombre des
engagements annuels s'61evait h 3,400,000 repr6sentant
une valeur de 43 millions de francs.
Voici maintenant un detail int6ressant; sur 1000 enga-
gements on en trouve:










91 -

Par des commerfants, fabricants
et petits marchands. . .... 1
Par des rentiers et propri6taires. 8
Par les professions lib6rales. .
Par des employs. . .
Par des militaires . .
Par des ouvriers et journaliers. 73


Valeur 367f
id. .... 156
id. .... 61
id. .... 56
id. .... 10
id. ... 350


4
!0


Total des engagements. 1000 Total des valeurs, 1000

On voit done qu'il y a une disproportion 6norme entire
ce que touchent les ouvriers et journaliers, sept fois plus
nombreux, et ce que touchent les autres groups d'em-
prunteurs. Mais cela s'explique facilement, quand on sait
que sur 1,530,900 pr6ts annuels, il en est 1,050,000 de 3
fr. 5 10 fr.
Or, il est infiniment probable qu'un mont-de-piete cr6E
a la Martinique aura pour clientele h pen prIs exclusive
les ouvriers et journaliers. II en est autrement dlans les
grands centres do population, surtoutl dans ceux ofi so
trcuve ce qu'on appello uno population flottante qui se
renouvelle sans cesse; la, los actesd'une personno pouvent
jusqu'a un certain point demeurer inaperqus, l'acces du
mont-de-piete est relativeinent facile, et l'empire des
pr6jug6s est presque nul. Mais il est loin d'en 6tre ainsi
dans un milieu plus restraint, ou chacun est plus ou
moins connu de ses concitoyens, et oi il est dillicile
d'aborder le mont-de-pite6 sans qu'il en transpire quel-
que chose. Aussi pensons-nous qu'h la Martinique le
mont-de-piet6 profitera a peu pr6s exclusivement a la
classes qui en a le plus de besoin, c'est-a-dire a celle qui
emprunte les plus petites sommes. Or, il faut savoir qu'un










92 -
mont-de-pi6t6 est constitu6 en perte sur tous les pr6ts
qui ne d6passent pas 12 fr., et que le nombre de ces
pr6ts forme, ainsi que l'affirmait une circulaire ministe-
rielle d6s 1840, les trois quarts des operations totales.
11 est done certain qu'un mont-de-pi6t6 cr6 & la Mar-
tinique dans les conditions ordinaires perdra r.cessaire-
ment, a moins d'l6ever le taux de ses operations A un
chiffre qui serait exorbitant. Ce r6sultat cependant pourra
ne point se manifester dans la premiere ann6e qui suivra
l'6tablissement d'un mont-de-pi6t6. II est probable en
effet que la masse des travailleurs, surtout des travail-
leurs agricoles, aujourd'hui grev6e d'une dette assez
lourde, laquelle a pour r6sultat I'asservissement de son
travail, voudra s'empresser de liquider sa situation, pour
racheter au plus tot sa complete liberty d'action, et aura
recours dans ce but au mont-de-piete. La moyenne des
pr6ts effectu6s pourra certainement d6passer, durant
cette periode de debut, la some de 12 et meme de 15
fr. Mais lorsque la situation particulibre a laquelle nous
venons de faire allusion pourra 6tre consid6r6e comme a
peu pres liquid6e, alors le mont-de-pi6t6 ne sera plus
appel6e fonctionner que dans des conditions ordinaires,
et les pertes sont in6vitables.
Est-ce h dire pour cela qu'il faille abandonner la pro-
position faite par l'honorable M. Verdet ? Au contraire,
et ce que nous venons d'6tablir rend encore plus urgente
la creation d'un mont-de-piete; seulement il faudrait
qu'il s'agisse d'un mont-de-pi6t6 organism en dehors de
toute pensee de speculation et destined accorder des
prets absolument gratuits.











- 93 -


III



Tous les monts-de-pi6t6 ne sont pas partout 6tablis sur
les mhmes bases. Les uns op6rent de maniere a procu-
rer des b6nefices aux bailleurs de fonds, ou tout au
moins de fagon a ce que tous les frais quelconques et
tous les int6rets des capitaux engages soient couverts.
Dans ce cas le taux des emprunts Ieut 6tre port6e un
chiffre tr6s-1lev6; ainsi a Calais le taux n'est pas moin-
dre de 18 p. 0/0.

D'autres monts-de-pietk au contraire operent avec des
capitaux qui ne doivent jamais produire aucun int6rkt au
profit de ceux qui en ont fait I'avance. I1 n'y a done
qu'h couvrir les frais d'administration; il en est ainsi &
Aix, ou 1'emprunteur ne paie que 2 p. 0/0.

Enfin il y a d'autres monts-de-piete oh des resources
sp6ciales permettent de couvrir mmme les frais d'admi-
nistration; dans ce cas les pr6ts sont absolument gra-
tuits sans inter6ts ni frais d'aucune sorte. II en est ainsi
h Toulouse, h Grenoble, a Montpellier, etc. Ces monts-
de-pi6te portent plus particuli6rement le nom de Sociedts
du prIt charitable et gratuit.

Voici maintenant les principles differences qui exis-
tent entire les Socidtes de pret gratuit et les monts-de-
pidtd proprement dits.











94 -

Les monts-de-pi6t6 pr6tent a tous les emprunteurs
sans distinction, sans renseignements pr6alables sur les
personnel.
La socite6 de pr6t gratuit, don't les resources sont en
g6nnral plus limit6cs, ne pr6te qu'aux personnel recon-
nues dignes de cette faveur.
Les monts-de-pi6t6 acceptent en nantissement toute
sort d'objets mobiliers susceptibles de former la mati6re
d'un gage; les soci6t6s de prit gratuit excluent en g6ne-
ral les objets sujets i la corruption ou h &tre attaqu6
par Ils vers, common par example : les 6toffes de laine;
- on no recoit pas non plus los objets qui occupant trop
d'espace, commune les armoires, etc.
Enfin les monts-de-pict6 percent une some quelcon-
que pour une anne6, aver faculty de renouvellement; les
soci6tds du pret gratuit no pritent quo des sommes mo-
diques, (a Toulouse leur quotit6 ne pent depasser 300 fr.)
pour un ddlai do six mois seulement. Le paiement d'un
h-compte done droit au retrait de 1'6quivalent et h un
second ddlai de six mois pour le sold.

Les societEs de pret gratuit ne peuvent, on le voit, op&-
rer que d'une manibre fort restrointe, et la necessity
pour les empruntours do subir un control toujours p6-
nible, une sorte d'enquete pr6alable pour 6tre reconnus
dignes ou en dc6initive indignes du pr6t qu'ils sollici-
tent, tend it les eloigner de plus en plus. Aussi a Tou-
louse, quoiqu'une soci6t6 de pret gratuit fontionne depuis
'ann6e 1827 et rende d'incontestables services, il a fallu
6tablir un mont-de-pi6t6, ouvert A tout le monde, et c'est
ce qui a eu lieu en 1867.