PROSPER CHRISPHONTE
LE POETE
DE
"La Dessalinienne"
( Portrait-Essai-Critique )
Port-au-Prince, Haiti
-0-
1941
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PROSPER CIRISPHONTE
LE POETE
DE
"La Dessolinienne"
( Portrait-Essai-Critique )
Port-au-Prince, Haiti
-0-
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JUSTIN LHERISSON
(1873-1907).
? '
D0dicace
A La Redaction du Journal a Le Matin -- qui
m'a conseill de ( mettre en brochure ) ma confe-
rence sur Juslin Lherisson, (1)
A Monsieur le Docteur Rulx LIon (2) qui m'a de-
mand6 de a changer cette conference (3) en une
etude gCnerale sur le poete de La Dessalinienne n,
A Monsieur le Directeur du Journal aLe Jour)>, qui,A
la fin de sa critique de ( Noces d'Or de Monsieur L.
C. Lherisson ), a souhait6 la bienvenue au ( livre
que j'avais annonc6 a sur Justin LhdrissonD (4).
A Me. Antoine Innocent qui, avec am6nit6, m'a
communique tous les documents qu'il s a trouv6s
dans ses archives ,
Cordialement je dddie cel outrage.
P. C.
1)- Pour savante qu'elle fut, la conference de Mr.
Chrisphoute gagnerait L tre mise en brochure ...
Le Matin di 15 Novembre 1932.
(Voir d'autres appreciations aux journaux Le Nouvelliste
et L'Elan du 15 Novembre 1933. Haiti Journal du 16
Novembre 1982, a la revue La Relave du ler Avril 1988.
2)- Sous Secrotaire d'Etat de l'Hyginle et de Assistance
Publique et Sociale.
3)- Cette conference a 4t6 prononede a .Haitiana-, a la
Smatinde solennelle, littdraire et artistique -, organis4e le
dimuanche 13 Novembre 1932 par l'Association des Membres
du Corps Enseignant -- avec le contours de la Musique
du Palais, -de quelques artistes et d'un chcur d'elives de
l'.lnstitution Ste. Philomibne -- pour comndmorer le R50me
anniversaire de la mort de Justin Lhdrisson.,.
L' A. M. 0. E. "- qui m'avait d4sign4 pour fire la
conference "- avait plae6 la solennite sous la presidency
d'honneur de M. le Senateur Seymour Pradel ", seul con-
disciple survivant du porte de La Dessalinienne ".
A)- Faut-il ajouter,- car le talent de I'Ycrivain se mani-
festera encore en faveur d'un autre Lhdrisson,- que
Noces D'Or ", a sa derniere page, announce le prochain ou-
vrage de Me. Chrisphonte, qui sera intitul : LE POETE
DE LA DESSALINIENNE "...
Nul doute que Me. Chrisphonte trouve assez d'enthou-
siasme chez le public pour I'aider a doter notre litt6rature
d'un autre beau livre qui manque depuis longtemps "..
Le Jour' du 16 Septembre 1939
PIEJVHdtRE PAtRTIE
Le 10 f6vrier 1873, A la rue des Fronts-Forts), (1)
dans la maison portant le num6ro 91 et situee en
face du cmnarch6 de la Cath6drale ), (2) est n6
Alexis Justin Lhriisson.
11 etait le fils de Marie Joseph Florencia Morno et
d'Andr& Canus Lh6risson. Sa mere, fille du capitaine
Morno, petite fille du S6nateur Emeran Lafontant
qui fut ((Administrateur des Finances de MiragoA-
ne ), (Doven du Tribunal civil de Port-au-Prince,,
naquit au Bel-Air, alors quarter de la classes ais6e.
et son pere A J16r6ie. En cette ville fut notaire son
grand-pere, Elie Lherisson (3) qui figurait-ainsi
que son frere Francois Romain Lherisson- parmi
les adversaires acharn6s du gouvernement de
Boyer... (4) Ne faut-il pas signaler que ce grand
oncle de Justin, Francois Romain Lhdrisson, fut ins-
1) Rue Thomas Madiou"
2) Aux lieux oi 1'on voit le monument de P6tion et le
batiment lozeant la Direction G'n(rale de l'Enseiznement
Urbain tait ce march g6ndralement dfnonmm5 Marehd
en Haut "par opposition an Marchd en-Bas on Mar-
chi Vat.lliPres .
3)- Elie Lhdrisson ?tait le fils de Pierre Lhdrisson qui
fnt, sons Dessalines, Administrateur des Domaines dans
le Sud... Ces Lhlrieson et ceux de Port-an-Prince descen-
dent d'un officer frangais d'artillerie qui se trouvait A I'Anse-
A-Veau.
4)_ Voir Rv4olution de 1843 de F. E. Dubois.
-10-
lituteur aux Cayes, et fabuliste, auteur d'un volume
de chansons creoles ), ( l'un des redacteurs de no-
tre premiere revue : L'Abeille Hailienne ) ?... (1)
La grand'mbre de Justin Lh6risson, Caroline Ca-
roux, fut aussi instilutrice a JTremie oh elle mou-
rut regrett6e de tous.
Justin Lherisson cut cinq freres :- Alcius, mort
a quinze ans, (( 'un des meilleurs de sa classes ))
l'((Institution Darius Denis ) ;- Charles, dctdM6 A
dix-huit ans, ( etudiant en m6decine, professeur de
Francais et de Latin A a l'aInslitution Cauvin ;
Elie, ancien 616ve du Lyc6e P6tion ) oif il fut
( R6p6titeur ), puis ( professeur de Sciences Natu-
relless.
Elie Lhdrisson a laiss6 le souvenir d'un medecin
tres human. Ordinairement, il ne r6clamait pas
d'honoraires. Ce philosophy fut l'un de ces derniers
types de m6decins A cheval portant redingote et
haul de forme... Avant comme apris avoir achet6
le a buggy cher aux ( disciples d'Esculape ))
I'epoque oi il n'y avait pas d'automobile, le doc-
teur Lherisson 6tait bien accueilli dans toutes les
families. Un trait, rappelle la vive sympathie don't
il jouissait.
Apres avoir trott6 ca et la pour permettre i son
maitre de prodiguer sans retard des soins a ses
nombreux malades, le cheval broutait tranquille-
1)- F R. Lhlrisson a 6crit une jolie piece : La Bergre
Somnambule .. II a laipss le souvenir d'nn poite aimable et
abondant ..
(Voir L'Ame Noire de Me. D. Vaval, pages 16 et 17).
-11-
ment devant I'une des maisons-oc venait d'entrer
le docteur---grace A la g6n6rosit6 des parents du
patient. Le pansement termin6, le m6decin leur
causait joyeusement et frinquail cordialement.
Elie Lherisson, passion! d'histoire national et
de maladies tropicales- ( eut la direction provisoi-
re du Lyc6e P6tions ; mais, il y fut professeurjus-
qu'A sa mort survenue en mai 1901, A trente-deux
ans... c La Ronde ) (1) fut 61ogieuse envers le d6-
funt. < Le docteur Elie Lh6risson fut un coeur loyal
et franc, un esprit ind6pendant et fier. Sa vie a e6t
court, mais f6conde.
Aussi est-il universellement regretlI des humbles
qui l'aimaient pour sa bon1t come de ceux qui
l'admiraient pour sa science modest et reellex... On
s'explique que son grand confrere, le Docteur L6on
Audain, n'ait pas h6sit6 A prononcer son << oraison
funebre s...
Les frres de Justin Lh6risson encore vivants :-
Octave, ancien (( Employ6 a la Douane de Port-au-
Prince, c Encanteur Public ), honnete et paisible
pare de famille ;- Louis Etienne Carius, (2) l'ain&,
que Justin appelait ( p6re Lh6risson )...
Les pere et mere de Justin Lh6risson d6sesp6r6-
rent d'avoir une fille. Le sixieme garcon, griffe et
d6bile, fut leur dernier enfant.
Une voisine, Madame Anastasie R6gnier, et Mon-
sieur Malherbe Carrt le porterent sur ( les fonds
1) Numiro du 15 Mai 1901,
2)- Voir Noces d'Or de Monsieur L. C. Lherisson
-12-
baptismaux ). Je n'affirmerai pas qu'il ( crft ne
sagesse ) ; mais le gosse se montra tres 6veill6.
Sa marraine, sa premiere institutrice, le remarqua.
A celle qui lui apprit I'alphabet, I'homme, devenu
6crivain, d6dia ainsi qu'h son parrain, ses freres
et ses anciens mnitres--( Les chants de L'Auro-
re >.., Le gars ne fut pas moins appliqu6 a 1'a(Ecole
Maternelle )~de Mile Irene Daguerre qu'A l'aEcole
Lancast6rienne a de M. Faublas Th6venin.
(< Apres avoir parcourn le programme de cet 6ta-
blissement primaire, il fut envoy en 1885 au
Lyc6e P6tion. Dou6 d'une intelligence precoce, il
fit des progres rapides.
((Muni d'un bagage intellectual solide, il d6buta
dans la vie come teneur de lives A la .pharma-
cie Saurel.
( D6mocrate par nature et par temperament, il
comprit de bonne heure qu'il fallait rendre au peu-
pie ce que le people lui avait donn6. C'est pourquoi
il devint un membre consciencieux et devou s jusqu'au
sacrifice du Corps Enseignant de Port-au-Prince)...
(1).
En 1891, ses 6tudes terminees, il fut nomm6
< Rdpdtiieur au Lyc6e National ), ensuite a Profes-
seur a. 11 devait y rester seize ans, c'est-a-dire jus-
qu'A sa mort...
Lorsque Justin Lhlrisson n'6tait pas au Lyc6e, on
1)- Le Soir du 16 Novembre 1907... ( L'A. M. C. E.
ne pouvait done rester indiff6rente an 25Aine anniversaire de
la mort du pobte de La Dessalinienne ", I'un de ses anciens,
membres ).
-13-
le trouvail a l'([ustitulion Plsance ) ou a l'cEcole
Polymathique ). Le soir, Ides lemons particulieres le
retenaient au foyer.
Son enseignement fut toujours pratique et subs-
tantiel ; ce qui permit a ses nombreux 61eves de
briller soit dans les concours g6n6raux, soit dans le
monde )... (1)
Au Lyc6e, le professeur d'Hisioire et de Geogra-
phie Generales et d'Haiti fut iu conseiller pour ses
6leves qui le consid6raient comme un ( rat de
bibliothbque ). 11 s'empressait d'avoir I'auteur nou-
veau d'uu livre d'Histoire pour mieux se docu-
menter. En chaire, le sujet qu'il developpait (cou-
lait de source ) taut le verbe elait clair et per-
suasif.
Justin Lherisson avait sa nithode,celle d'un auteur-
professeur. Les premiers de la classes 6taient des fa-
voris6s. Ils ne subissaient pas d'examens. Comme
me l'a sinc6rement dit l'un de ses anciens 6elves,
(quand le directeur, Me. Auguste Bonamy par exem-
pie, lui en demandaitla raison, il l'invitait a les ques-
tionner pour se convaincre de leur preparation )...
Lorsque les Inspecteurs, pais de leur redingote ou de
leurjaquetle au gre du vent, arrivaient au lyc6e, et,
come pour aggraver lenr air martial, s'asseyaient
dans la classes de Justin Lh6risson en se grattant
la barbe, s'6tirant la moustache, le professeur
n'6tait que trop content... Deja, de questions em-
barrassantes ils harcelaient un paresseux... Fl1chis-
1) Le "oir du 16 Novembre 1907.
-14-
sait un mediocre. Alors, les premiers ouvraient ( le
feu de barrage ) et repondaient par de justes ripos-
tes aux assailants. Les Inspecteurs, comme l'heure
avancait, se retirerent en les f6licilant...
Cette mnthode avivait l'6mulation. Les paresseux
tachaient de rattraper les m6diocres ; ceux-ci : d'6-
galer les premiers qui davantage excellaient...
Le professeur flt un orateur. ( De frne6tiques
applaudissements sanctionnant les id~es g6nereu-
ses, les grandes verit6s qui venaient d'etre 6mises
en un language si magnifique ), (1) accueillirent
son ( discours du 11 juillet 1897 ) a la a distribu-
tion solennelle des prix du Lyc6e Pktion Une
brochure (2) appr6cie encore le discours dans
ces terms : (L'eloquent professeur, dans an vibrant
appel aux elvues du liyce et a la jeunesse du pays,
leur a donned le conseil d'ouvrir l'histoire et d'y
chercher la source des energies vraiment fortes et
des consciences robustes ). Aussi, cette meme annee
1897, Justin Lh6risson fit-il imprimer ce discourses )
sous le titre : < Les Enseignements de L'Histoire.>)
(3) La plaquette est un precis de recommanda-
lions ) morales et patriotiques.
Au point de vue moral, les 6elves de nos ecoles
peuvent toujours en profiter. a Ne soyez aiguil-
lonn6s que par une noble emulation. Soyez pa-
1 et 2)- Voir brochure intitule : Lyce National de Port-
au-Prince -Distribution Solennelle des Prix Faits le Di-
manche 11 Juillet 1897.
3) Imprimerie H. Chauvet et Co., Rue Bonne Foi, 19.
-15-
tients dans tout ce que vous failes; car le pro-
gras, le vrai progres s'effectue lentement et siire-
ment. Et puis, ne vous laissez jamais d6courager
par un cchec on un insucces. Au contraire, mon-
trez plus d'ardeur au travail et vous verrez si, au
bout de vos efforts, ne vous attendent pas quel-
ques douces jouissances... Mais, chers leves,
quelque cruelles que puissent Otre nos souffrances,
sovez fermes; ne montrez aucune d6faillance.
Ouvrez l'Histoire, et aussit6t tout un people de
h6ros et de patriots vienlra retremper votre cou-
rage par leurs vertus civiques n...
Au point de vue patriotique, les conseils de Jus-
tin Llirisson s'adressaient au ( pays ). ( Ne lais-
sons pas empire le mal avant de penser aux re-
m&des qui sont sous la main ; n'attendons pas que
nous soyons sous les griffes de la Force pour pen-
ser aux moyens de defense ; n'attendons pas enfin
la lutte supreme avant de cooler dans un moule
national 1'ame de cette jeunesse si interessante et
si pleine de sBve Car, si les &vinements vien-
nent nous surprendre avec nos vices et nos erreurs,
adieu le patrimoine des aieux I adieu le porte-dra-
peau de la Race Noire !,...
En ce professeur qui lanca un si touchant
e appel l'observateur averti pouvait deviner le
future historien. Passant en revue les principles
nations, il indiqua les causes de leur faiblesse et de
leur puissance, de leur decadence et de leur pros-
p6ril6 afin de mieux tirer la lecon don't doivent
profiter les peoples en retard.
-16-
Si (( Le Nouvelliste ) du 15 novembre 1909, it
1'occasion du c(deuxicme anniversaire de sa mort),
a reproduit des passages de son <( discourse ) avec ce
commentaire: ( on y troiuvera exposee avec elo-
quence la question actuellement debattue dans nos
journaux : celle de l'education nouvelle d donner I
notre jeunesse pour la rendre capable de remplir sa
haute mission social ), c'est que Justin Lherisson
fut aussi un rHel educateur... Si T Le Nouvelliste )
a ajoute : 6 ces paroles vigoureuses semblent venir
de la tombe; puissent-elles 6tre entendues de tous
ceux qui n'ont pas encore perdu le sentiment de
la patrie et le souci de la dignity dans le monde !~--
c'est que l'erutdition a rendu l'opuscule tris int6res-
sant.
On comprend que l'orateur ait et un excellent
professeur. Le confirm encore c( Le Soir ) du 16 no-
vembre 1907. ( Tres aa courant des choses du pays,
Justin Lherisson rendait ses lemons a la fois instruc-
tives et attrayantes si bien que les moins douLs de
ses elves au point de vue de intelligence empor-
taient de ses course quelque chose qui reste p....
Justin Lh6risson leur lisait aussi des u pages choi-
sies n, mame des sonnets historiques. L'un d'eux -
( sur Bouckman ) part au ( Soir )... Prohable-
ment, le maitre laborieux, le chercheur conscien-
cieux, parlant de ( l'energique proclamation ) de
Bouckman it toute sa bande r6nnie an ( Morne Rou-
ge ), n'avait pas manque de leur signaler que
( celte harangue peut dire considdrdee come le pre-
-17-
mier monument du creole >... (1) A ce tire, pour
nos fils qui l'ignoreraient et qui doivent la retrou-
ver plus facilement, la voici lelle que Justin Lheris-
son l'a inseree dans sa remarquable conference sur
e le Marronnage et le Vaudou : (2)
Bon Dieu qui faith soleil qni claire nous en haut,
(3) qui souleve lan mer, qui fail grounder l'orage ;
bon Di)e l, zaut' tend, cach6 nan on nuage ;
li IA, li gade nous, li oud tout ca blanc fait ; bon
Did blancs mand6 crimes; pas nou, vie bienfaits ;
mais Did li qui si bon ordonnin nou vengeance;
li va conduit bras nou, li va ban nou assistance.
Jete portraits Did blancs qui vie dleau nan g6 nou;-
coute la liberty qui parld nan coeur non a...
v'imnporle-t-il pas de prdfer attention au conferen-
cier s'il est remarquable ?
Justin Lhdrisson est un logicien par sa manidre
de justifier le marronnage < On dirait mdme
que plus en face de sa conscience le blanc se trou-
vait criminal, infame, plus il demandait A son
imagination de lui cr6er des instruments de sup-
plce pour tirer de la sueur, du sang, du martyre
de son frere noir le plus de richesse possible a...
1 et 2) Voir Le Marronnage et le Vaudou ,.
3 ) Le bon Dieu qui faith le soleil qui nous dclaire IA-
haut, qui solve la ner, qui fait grounder Forage, enten-
dez-vous, est cacho dans un nuage. De 1a, ii nous regarded, il
voit tout ce que fait le blanc. Le bon Dieu des blancs de-
miande des crimes : le notre veut des bienfaits. Mais ce Dieu,
qui est si bon, ordonne la vengeance. II conduira nos bras ;
il nous donnera assistance. Jetez les portraits du Dieu des
blanes qui vent des larnes a nos yeux ; dcoutez la liberty qui
parole dans nos cceurs... *
-18-
Le conferencier-- qu'on se plait 6 voir en harmo-
nie avec le polte- fait concevoir sans peine pour-
quoi les negres, malgre les sanctions 6numi r6es en
'article 38 de 1'Edit de 1685 on Code Noir ( contre
I'esclave fugitif ), ne cessaient de agagner les bois),
nime ( la parties espagnole ) oif ils Rtaient ( recus
avec satisfaction ). Justin Lh6risson I'explique aise-
meni en vers dans a Les Marrons ), (1) sonnet que
ses 6leves ont di 6couler avec plaisir.
S... Fatigues de g4mir sous le poids de leur peine,
De voir leur corps sacred s'en aller en larbeaux,
Ils se sont exilds sur les cimes sereines
Pour nettre pros de Dieu leur vie et leurs tombeaux...
S... Rarement le sommeil ferme leurs yeux pensifs,
Car, le soir, ces marrons perooivent dans la plain
Des plaintes, des sanglots qui, ravivant leur peine,
Les font singer au sort de leurs freres captifs- ...
Ainsi, aux ( marrons ), 1'heroisme fut la regle.
Dans Le Glaive n, (2) le poete l'indique par leur
stoicisme.
S... Le bfcher fume, puis, Iugibrement pStille
Et s'enflamme, et, le corps du martyr se gr6sille
Pour bient6t se rdduire en cendree.-Pas un pleur!
Pas un cri n'est sorti de son itme trempde !..
Et tandis que, trouble, ricane le Planteur,
Du rouge brasier sort une effroyable 6pee ..
1 et 2 )- Voir La Ronde- du 15 Novembre 1900
-19-
Ces deux poemes devaient en inspire d'autres
(1) faisant bien ressortir cette degradation du negre
qui ne valait pas plus que le b6tail. Outre ( Nos-
talgie ), (2) Justin Lherisson 6crivit ( Le NIgre
Devant Dieu )). (3)
LE NEGRE OEVANT DIEU
Seigneur, voilA longtemps deja que dans la chatne,
Bien loin du ciel aim6, bien loin du sol natal,
Et saignant sous le fouet du commander brutal,
Je vis sans espdrance au fond de ma glhenne '
Dans mon cour une voix me dame chaque jour
Que, malgrd ma douleur, je suis ta creature,
Et bien que je sois mis au ban de la Nature,
Je r6clame pourtant ma part de ton amour
Jo sens que j'appartiens a la famille humaine.
Oh oui, comme le Blanc, je suis ton fils, Seigneur.
Pourquoi me courbes-tu sous le poids de sa haine 1
Pourquoi permets-tu qu'il vive de ma douleur,
Que sa cupidite m'incorpore A la Terre ?
-N'aurais-tu done, Seigneur, des entrailles de Pore ?
Justin Lh6risson, ne fut-il pas bien inspire en
adressant cette priere au Cr6ateur ? M. Paul
1 ) Les autres posies de Justin Lherisson, parues a
La Ronde," sont : Voix d'Antan (Numnro du 5 Jan-
vier 1899 ; Les Birondelles et Coucher de Soleil"
(Num6ro Extraordinaire d'Octobre 1899); "Amours de
Boucanier ( Numro du 15 Juillet 1901 ).
2 ) La Ronde du 15 Juillet 1901.
3 ) -. La Ronde dl 5 AoNt 1901.
-20-
Hazard ecrit dans ( Ce Que Nous Devons Defendre ) :
( Dieu n'avait-il pas avec nous quelque complicity
secrete 7 Dieu n'Htait-il pas Francais ?... Les Fran-
cais sont des hommes libres, non pas des esclaves:
et c'est celte liberal que nous devons defendre m...
L'Allemand- ne parle-t-il pas de meme, avec
une profonde conviction ?... Mais nous lions ( des
esclaves) aspirant d la liberty ; Dieu -entendrait-
il la faible voix de ces ( negres ,? a Le Marronnage
et le Vaudou devait y rdpondre -pour la bien pre-
parer-avant I' lepopee dessalinienne ,.
El le conftrencier se rdoele un philosophy en pr6-
cisant ( la philosophies ) des a marrons D.- a D'ail-
leurs, qu'importait aux marrons la vie qui, pour
eux, n'6tait faite que de souffrances quotidiennes ?
La mort, au contraire, ne leur offrait-elle pas plus
d'attrails ? N'6taient-ils pas pythagoriciens sans le
savoir ? Ne croyaient-ils pas i la metempsychose,
a la transmigration des ames ? Les dieux, par la
bouche des pretres, ne leur disaient-ils pas constam-
ment qu'apres leur mort ils devaient relourner en
Afrique ?...
Le conferencier devient un habile critique. La
refutation des idees de M. Price (1) sert de base
a cette autre parties de son etude : le Vaudou. ( Tout
en reconnaissant ce qui est juste-que le Vaudou
a 6te pour beaucoup dans les revoltes des marrons,
il semble lui denier tout caractere religieux. Pour
1) Voir De La Rdhabilitation de la Race Noire par
la Ripublique d'Haiti ( Hannibal Price).
Pages
21-28
Missing
From
Original
-29-
La reponse de I'adorke dit que l'amour du
poee etait partag6, qu'il avait tronv6 la femmne de
son c(eur... De cette entente cordiale fleurit le
bonheur qui augmentait avec l' change de sen-
sations et de sentiments.
CHANGE
Elleme dit hier de sa voix cristalline :
Pote, donne-inoi quelques strophes d'amour,
Et je te donnerai des baisers en retour,
Et je teimbaumerai des fleurs de la colline.
Fais appel lia Muse ; elle t'inspirera
Des vers dignes du prix que te promet ima lovre
Oh verse-inoi I'ivresse, embrase-inoi de fibvre,
Et ma bouche vermeille a toi seul s'ouvrira !
Enfant, puisque tu veux que j'enfourche PNgase
Ponr aller te cueillir des rimes de topaze,
Ouvre tes grand yeux noirs, ces phares de mon ecaur
Peut-Atre je pourrai des jardins de Cythere
Te rapporter remain une fleur printanniere
Dont le parfum exquis me rendra ton vainqueur.,..
Le a gentil couple ) eut sept enfants : Carmen,
morte a un an; Francois, Andre, Louis, d6c6d6s en
has Age ; feue Francine, qui fut Mme. C. Pothel;-
Rose, aujourd'hui Mine. R. Michel, diplom6e de
l'(rEcole Normale d'Institutrices ), directrice de
'(( Ecole Pierre Faubert ) ; Ldlia, professeur au
m6me 6tablissement, munie du ( certificate d'Apti-
tudes p6dagogiques )...
-30-
Hon pere de famillle, Justin Lh6risson ch6rissait
beaucoup ses enfants. Les vers qu'ils lui ont inspi-
r6s- come en t6moigne la po6sie : A Ma Fille
Francine )- exhalent I'affection paternelle.
* Et pourtant. ee matin, mon iime fut ravie
En entendant surgir de ton frile berceau
Le premier cri sorti du gosier de 1'oiseau :
Ta voix, 6 mon enfant, ofi gazonille ma vie,...
Treize ans de vie conjugale ne pouvaient suffire
a leur education, principal souci de Justin Lh6ris-
son. Ses filles qui, en 1929, contribuerent A r&editer
( La Famille des Pitite-Caille ), doivent leur suc-
ces A l'tpouise morte le 15 mai 1932. Sans fortune,
sans rente viagere, la veuve, fiddle A la memoire
de son mari, vaillamment peina pour leur donner
une instruction convenable. Aussi ses deux files et
leur consine, Mile Anna Lh6risson, professeur a
l'aEcole Victorin Pl6sance ),- leur cousin : le Dr.
C. Lh6risson, filleul du poete de ( La Dessali-
nienne ). professeur a l'(Ecole de MWdecine ),-
et leur oncle : Mr. L. C. Lh6risson, ancien direc-
teur du ( College Louverture ), president de l'(As-
sociation des Membres du Corps Enseignant ), (1)
perpetuent-ils une noble tradition I...
1) Mr. L. C. Lh6risson, qni, de FEvrier i Avril 1940, orga-
nisa la 2ime series des conferences dn Souvenir, prononces Ai
]a salle Franee-Haiti, et prSsida la Conoiti( qui, a la Capitale.
f6ta les 15, 16 et 17 Sptemubre dernier, le 100bme anniver-
saire de la naissance du poete Oswald Durand.- rent le 4
.anvier 1940, A I'Archev6ehP, de S.E. Mgr. Le Gonaze. la nm-
daille bene merenti que Notre Saint Pbre le Pape Pie XII a
daign6 lui d(cerner ponr lep services qu'il a rendus au
Clerg4.
-31-
Les Lh6risson, il y a plus d'un sidcle, appartien-
nent A une famille d'instituteurs (1)...
Madame Justin Lherisson, pianist, 6gayait de
morceaux A la mode les reunions qu'il y avait chez
S) NOSIREL LHERISRON est n6 A Bainet, le 28 Juil-
let 1856. II 6tait le tils de Pierre Hyppolite Lhtrisson, mort
en prison a St. Marc le 4 Avril 1882, et de ChArise Aliandre.
Son grand-pcre s'appelair. Pierre Ulysse Lherisson... Ces
Lhdrisson descerlendt de Caze Lhfri.son, colon qui possi
dait a Jamais Va, section rurale d-pendlant de la Commune
des C6tes de Fer, une vaste habitation dout les ruines exis-
tent encore
Nosirel Lihurisson a fait ses (tudes classiques a Paris od
il v6cut de 1869 A 1873, pnis. est ell6 A Londres ofl. de 1873 a
1876 apprit I'Anglais, la (Colptabiiit6 et le Commerce afin
d'aider son pore, nrgociant t Bainet, qui n'avait pas vouli
qu'il entrat dans les ordres en France -.
Apris les Ivi'nements de 1883. il se ren(dit A la Jamarque od1
il travailla conejne profe.se. r, ensuite A Colon ot il fut rap-
peld par le Coiuverneinent A la suite des d4marches entre-
prises par qiulqiqes amis II fiit, sons Hyppolite. Interprete
a la Douane de JacmIel. En 1886, il eoiumenuc A prcIcher et
a iniliter sirieusemnent dans l'enseigienent. 11 devint pas-
teaur en 1S9)4. ..
11 a laissei1 a JaIeel. 1111 seulenment un temple en mnagon-
nerie et ,u fer. mais encore le Uoll/ge Siloi; pensonnat
d'Arts et Aitriers pour enfants des deux sexes, er. dans les
Arroniuisseuents de Jaimnel, Saltrou, et LBogAne : 24 dole.s
.rardles. 30 ch ,.pelles ainsi que 7 stations avec chapelles el
Dotuinicanie pour Ie saint des a nes d'environ 650 compa-
triotes et fideles...
Le pasteijr Nosirel I riirisson n'a jawnais en de subvention
de Etatr, Anssi, A sa inort survenne A, Jaenmel le 20 Jjiillt 1934
ent-il des fatdraillent nationals! Ses restes farent exposes A,
Silo& dans sa deimeure privie d'abord, remis ensuite an
(Gonvernemient qni les avait fait encore exposer sur la Place
d'Armies, qui avait envoy la li. sitque di Palais el s'6tait
fait repr6senter par deux ministries. l[e Chef de I'Etat-Major
de Monsieur le Prisident de la R6pnblique remit la daora-
tion et le brevet de Chevalier dins I'Ordre National Honneur
et MIrite que Son Excellence MIe Strdio Vincent avait ddcer-
n6s an dfn. difipn. Ses ll rm ) unt;c au temple .qu'il a
construit...
Le 39 J.uillet 1939, une plaque cominmimorative fut apposfe
A Bainet sur la propriit6 ot i est venu an monde avee cette
-32-
elle- an Bel-Air, ( rue des C6sars plusieurs
fois par semaine. Les condisciples de Justin, Ag6s .
de vingt A vingt-deux ans, se grouperent apr6s
avoir laiss6 les classes. Ces jeunes gens, disciplines
et intelligent, s'appelaient : J. Pauyo, Mirabeau
Drice, Windsor Bellegarde et Seymour Pradel. Its
lisaient, recitaient leurs poemes, ceux d'auleurs
francais et nationaux. Un soir de 1893, s'estimant
de force a maitriser le movement litteraire, ils
deciderent d'avoir leur revue. Les camnrades de
Justin Lherisson le d6signerent comnie ( D)irecteur
grant ) de ( La Jeune Haiti sans double, pour son
zele et son Inrite. Certifie Monsieur Jdrmie dans
(( Haiti-lnd6pendante a : < Parmi les zelaleirs de la
jeunesse d'alors. s'il ne faut nommer que ceux qui
ne sont plus, nous citerons Elie et Justin Lhdrisson n.
Ce dernier encourageAiil des luinble qu'll estimait
par leurs 6crits. Pour le talent qu'il leur recon-
naissait, il leur envovait des lettres admiratives.
Me. Duracin6 Vaval, (j leas retues aux Cages of il
6tait co-directeur de ( La Petite Revvue a bien
voulu m'apprendre que ( ces missives l'out port a
faire imorimer ses Essais Critiques sur la Littlra-
ture Haitienne ), et M. Antoine Innocent : ( qu'il a
public Mimola en fenilleton au Soir sur les con-
seils de Justin Lherisson )...
inscription : Ici est nL le Ipasteur N',sirel Lhrisson, grand
iducateur..
A St. Marc, I'Ecole Maternelle Elodie Lhdrisson porte le
norn d'une ancienne institutrice, fille de FranCois Romaiu
Lherisson.
-33-
Les principeaux collaborateurs de ( La Jeune
Haiti ) 6taient MM. StWnio Vincent, Dr. Hirard
Bernadotte, Justin Godefroy et PNlion Gedrme qni,
plus tard, fonda ( La Ronde ,.
Fondateurs et collaborateurs de (( La Jeune Haiti),
tous, amants des belles-lettres, eurent come mai-
tres des citoyens instruits et des professenrs venus
de France sousla direction de Guillaume Manigat; -
ceux de la mission francaise : Moll. Villain, Ron-
zier. Jocquevielle el Gauthier.- Ils fortifierent I'ar-
bre d6jii plein de seve : le lyc6e. Les fruits furent
succulents et juteux. (1) ( La Jeune Haiti ) et a La
Ronde s'imposerent aux lettr6s. Mais, celle-I
ayant precede, entrain& celle-ci dans l'arene, Justin
Lh6risson et les fondateurs de la premiere revue
out 6tC les pr6curseurs de ce renouvean lilltraire. (2)
C'est que. rdns l'une et 1'autre, on remarquait l'affir-
mation du talent, de la personnalit ( dans une in-
vention original, la discussion courtoise des id6es
et des theories. L'atlestent les ecrits de l'ex-direc-
telr de a La Jeune Ilaiti ) qui fut un collaborateur
de ( La Ronde et ceux de l'ancien directeur
de a La Ronde qui a collabore Ah La .eune
Haiti ). Mais, je suis force d'nvouer que, ( dans
I'embarras du choix sera celui qui voudrait savou-
1 et 2) L'un des survivants de ce group, Pradel, a
inontri' (daiis one reuarquable 6tude social : Les Deux
Terdances. I'inflnenre capital qu'ont exerece snr I'Fvolution
de la pensde haTtienne les radacteurs de La Jeine Haiti,
r.ous formjns A nue forte discipline intellectuelle par les mat-
tres admirables qnu frent les ftranpipis Jnles Moll et Henri
Villain. ( D. Bellegarde.- Voir La Phalange du 15 Novem-
bre 1939 ).
-34-
rer en ce moment un passage de La Jeune Haiti >
quand il lira des ( portraitins -- plus loin repro-
duits... Ils sont exiraits de ( La Jenne Haiti ). Ils v
ont d'abord 6t6 publics ainsi que tons les autres-
formant la plaquette de ce nomn.-Faudrait-il donner
an example ? j'avancerais que le o porirailin de
Me. Stenio Vincent part le ( 15 juin 1893 )... 11
est alors equitable de s'arreler un peu A PNlion
Grd6me pour mieux elablir que la compagnie el le
( zele ) de Lherisson l'enthousiasmerent an point
de ( prendre ,, en 1898, la direction ) d'une revue
cependant que son ami fondait 11 quotidien. N'est-
ce pas just quand, aux avis du maitre et du pa-
triote, correspondent si bien les conseils dul directeur
de ( La Ronde ) ? De plus, en rappelant ceux de
PNtion Ger6me,ne l'aurai-je pas -mnme bri6vement
present convenablemeit si ( le style, c'est l'hom-
me ) ?...
... ( L'heure pr6sente est bien triste el semble
sonner le glas des vertus viriles qui ressuscitent
les peuples. On s'en va, ployant sous le faix des
6venements avec de profonds soupirs lass6s, la
conscience veule et prete aux pires abdications......II
en est r6sult6 une crise profonde de sentiments
et un retirement complete des aspirations. Pour
op6rer des lors le movement de volte-face, il ne
faudra pas moius de la franchise des coeurs et de
I'61oquence des idees. Les consciences troublees
r6clament pour 6tre rappel6es a elles-mmres des
exigences infinies. Les d6clamations courantes n'ont
pas de prise sur elles ; elles en connaissent toute
-35-
I'hypocrisie froide et l'inconscience enorme. Ce
qu'elles demandent, c'est la sinc6rit6 de I'ame
s'affirmant sans peur et sans reproche, c'est l'accent
pnetirant qui remue et suscite la soif de 1'id6al. 11
faut que, sous la parole entrainante d'ap6tres con-
vaincus, les mots d6voilent une port&e profonde
qni initie A une vie superieure, au dessus des basses-
ses et des lachet6s. L'individu rappele au sens
e6eve des choses, a la conception hautaine de ses
devoirs, en fera l'obsession preferee de sa pens6e.
Des scruples naitront qui rendront impossible
les compromissions viles, les defaillances irr6m6-
diables. Le sentiment des responsabilites s'elargis-
sant davantage, la personnalite morale grandira
d'autant. Et des Aimes qui semblaient condamn6es
auront recouvre toute leur 6nergie sous la seule
action des pensees fortes, virilement propag6es...
L'ceuvre a entreprendre est done pleine de deboi-
res, et, pourtant, elle s'impose definitivement a... (1)
Osera-t-on avancer que ces fortes idles se passent
de commentaires ?... Si, par leur gravity, elles relient
le passe au present, ces deux directeurs d'opinion,
ces consciences saines que furent Ptlion Ger6me et
Justin Lhdrisson, parfois, durent penser sinon
(assister-aux defaites successives de leurs croyan-
ces ,. Mais, ils ont en le courage de commencer
( l'oeuvre e...
On le remarquera encore dans cette conclusion-
1) Extrait d un article intitul( : L'(Euvre.- Voir La
Rnnde du 5 Septembre 1898.
-36--
flatteuse pour le cenacle don't Grmnie Mtait le chef-
d'nn article intitul6 : ( La Ronde (1) N'est-ce pas
le chef (2) qui parole au nom des fondateurs et col-
laborateurs de la revue ( avec ce timbre de voix
claire qui trouve ), cornme il l'avait souhnit6, a son
6cho dans la posterit )) ? a Lorsque 1'esprit est
resserr6 an point qu'il ne peut se mouvoir en toute
latitude et se donner le libre jen de ses perspecti-
ves, il est condamn6 A des productions 6ph6meres.
Les ceuvres appelees a une longue survive sont prkci-
sdment celles or I'Ycrivain, dgnage de ouite enirave,
s'elve d ces hannlears d'oit I'on dcoiure de vastes
horizons... En attendant, rien de plus agreable
que de se rMunir en nombre pour parler literature
et donner l'essor d quelques uines de ses pensees. Le
temps fuit vile et la mort nous guette. La vie n'est
belle que quand elle sert une fin noble. Et qui nous
dit, aprss tout, qu'un accent profound, 6chapp6 de
notre Ame, ne sera pas le timbre de voix claire qui
trouve son echo dans la postlrite ? ) (3)
1) Num(ro du 15 Septembre 1900.
2) La preuve en est faite par ces paroles de Me. Amilear
Duval. qui terminent une chronique publide & La Ronde du
5 Aoft 1898 : Excusez-moi, lectrices, de cet arr6t imprivu.
Certes, j'en suis an d~sespoir. Mais que voulez-vous ? Le
doigt directorial du scdv~re g4rrlme me cominande de ne pas
aller plus loin. Magister dixit : j'ajourne done A une pro
chaine occasion mes impressions sur la neuvaine de Ste. Anne.
3 ) Ce que d'auenns ignorent-car Gtronme n'a pas public
beaucoup de vers, e'est qu'il fut un vrai poete. L'une de ses
po6sies. Promthfe, pent montrer qu'il miritait ce titre.- II
l'a dddie A l'actuel ininistre de la Justice, qui fut I'admi-
-37-
Est-ce moins i l'honneur de Petion Gdr6me et de
Justin Lherisson qu'au n6tre si l'on agree que
(( l'ceuvre ) qu'ils ( entreprirent ) devrait etre tou-
jours virilement propag6e ?...
Justin Lherisson a collabord A la plupart des
journaux et revues de son temps : outre a La
nistrateur de La Ronde... Peut-ktre d'autres prefbreront ils
Triomphe, parue au numdro d'Octobre 1899 de la m8me revue I
PROMETHkE
A Amilcar Duval
SSur le Caucase aride oi des vautours mystiques
Dechiraient a l'envf son ccBur toujours saignant,
PromithM, le vaincu des luttes titaniques,
Entendit dans les airs monter un chant poignant.
Partageant la douleur du rdvoltA sublime
Qui voulut que sa race eut le front moins courb6,
Les files de la Mer sortirent de I'abtme
Et vinrent se ranger autour du dieu tombe.
Toutes, elles sont IA, les belles Nerbides,
La chevelure au vent et les yeux tout humides,
Lanjant vers le ciel clair leur long g6missement.
Alors le grand aTeul que rongeait la souffrance
Sentit a sa misere un doux allegement
En voyant tant de course pleurer son impuissance
( Extrait de La Ronde du 5 F6vrier 1899 ).
Mais, strange destine fut celle de G(r6me qui 6crivit en
1900 : Le temps fait vite et la mort nous guette -...' La
Ronde du 15 Janvier 1902 annonqa ses fianqailles avec
Mile Esther Moise. En Fevrier 1902 mourut G~r6me... Quoique
court, sa vie fut belle 'parce qu'elle "servit une fin noble -.
-38-
Ronde ),- a la ( Revue-Express ), ( Haiti-
Illustr6e ), ( Le Quotidien ), ( Le Nouvelliste ,
( Le Matin ). (1) En 1898, ii fonda ( Le Soir :
journal quotidien, de renseignements et d'an-
nonces )...
L'humble apparence du journalist celait une
volont6 inflexible : celle qui 1'loigna de toute vi-
lenie. En neuf ann6es, aucune faiblesse, nulle de-
faillance. Si ( le m6tier mene A tout, a condition
d'en sorlir ), le directeur du ( Soir ) v est resle
sans s'amoindrir. M. Dantls Bellegarde s'est tou-
jours empress de l'affinrmer : Justin Lherisson
atait un honndte home. Sa plume ne fut jamais
serve. On ne trouvera pas dans toute la collection
du Soir une seule champagne interessee )... (2) Aussi
cet ennemi de l'intrigue -connut-il maintes heu-
res sombres II tait trop domino par le souci
de ses responsabilit6s A ce moment of les mem-
bres du Corps Enseignant touchaient irr6guliere-
ment leurs appointments. II souffrait v6ritable-
ment pour les siens. II paraissait meme hesitant
A rentrer au logis lorsque le pain du lendemain
n'6tait pas assure. Cependant, aux jours malheu-
reux, cet home mince et svelte n'etait pas moins
aimable sous sa redingote, vetement prefre6 qu'il
1 ) Voir Anthologie HaTtienne des PoBtes Contempo
rains : ( L. Morpeau ).
2) Voir La Phalange du 15 Novembre 1939.
-39-
semblait porter comme 1'emblme ,, de la dignity v
don't il 6tait devenu ( l'athlete )... (1)
Lejournaliste Lherisson innova.. II inaugura la
( chronique hebdomadaire ) : un articulet simple
en la forme, parfois un hors-d'oeuvre,- il savait
parler d'agriculture pour faire entendre politique,-
mais un articulet un pen railleur, s6vere au fond,
r6sumant les actions on les gestes de ( la semaine
6coul6e x). C'6tait trouver le moyen de dire ce qu'il
voulait A une 6poque oi l'.autoritH ne tol6rait guere
la critique...
( Voulez-vous avoir une id6e de ses qualities
de psychologue ? Lisez ou relisez les articles parus
sons le pseudonyme Tic-Tac on encore ces notes
spirituelles pleines d'a-propos et de p6n6tration
que, dans le temps, il savait nous donner sons la
rubrique Petite Revue ... (2)
Cejugement est si vrai qu'un autre ( psycholo-
gue Fr6deric Marcelin,- il est facile de s'en
assurer en premiere page de ( La Famille des
Pitite-Caille ),-- a declare A Lherisson : des amis
ont cru que l'auleur d'(xEpaminondas Labaslerre
etait celui des articles signs ( Tic-Tac )...
Pour permettre le contr6le des opinions 6mises
sur ces ( chroniques hebdomadaires ) don't Justin
1) La press, qui est anjourd'hui frapp6e au coaur, en-
voie son salut 6mn et respectneux a ce vaillant athlete de
l'lntPlligence, de l'Honneur et de la Dignit.,- Voir Le Nou-
velliste di 16 Novembre 1907.
2) -Le Soir da 16 Novembre 1907.
Lherisson fult 'inaugurateur, il imported de repro-
duire.l'une d'elles.
PETITE REVUE
a Ne nous demandez pas ce qu'est devenu le
Comit6 de Salubrite Publique )? Vous le savez
autant et peut-etre mieux que nous.- Ne nous
interrogez mnme pas sur 1'etat du Change; vous
savez comment il se porte et se comporte surtout
envers nous. Tout ce que nous pouvons vous dire
aujourd'hui, c'est que I'Epidemie continue, terrible,
et se complique,-- ce qui esl tres grave,-- de la peur
( on a peur maintenant ) de la peur d'avoir peur,
de la querelle de Messieurs les M6decins et de bien
d'autres facteurs que vous nous dispenserez d'6nn-
I11mrer...
Un tel Mtat de choses est faith pour nous inspi-
rer de justes apprehensions : nous voyons le com-
mencement te douloureuses epreuves qui nous
rendront meilleurs on qui front de notre pays un
immense desert peupil de fant6mes piles et lamen-
tables..
La perspective est sombre que voulez-vous ?
Les dettes contracl6es par l'Imprevoyance se patient
16t on tard. Nous commencons a les liquider : sou-
haitons que leur amortissement ne nous enl6ve la
reserve de nos energies et de nos esperances !...(1)
Justin Lh6risson- n'avait-il pas i la fois I'air de
ne rien dire et l'art de tout dire ?... N'y a-t-il pas
1)- Le Soibr du 10 Mars IW-UU.
-41-
un peu de tout dans cet articulet : hygiene, ( querelle
de m6decins ), etat des ames et des affaires ou
finance, morale, politique, et tout ce qui nous
echappe A cette minute, pourtant, que ( d'autres
facteurs ) pouvaient expliquer aux lecteurs de
1902 ?...
Mais, a-t-elle cess6, cette ( peur d'auoir peur 0?...
Quand ce n'est pas ( l'epiddmie n, n'est-ce pas
I'endnmie ?... (1)
Le journalist Lh6risson, qui r6clama I'am6liora-
tion du sort de la masse, exposa et d6fendit ses
id6es avec aisance, r6futa celles de ses contradic-
teurs avec measure et fermet6.
Ses appeals, retentissants come ceux des meil-
leurs t 6ditoriaux ) du a doyen ) ; ses ( nouvelles
braves ) aussi < rapides que celles d'un organe
officieux ; ses ( propos'galants : caustiques com-
me des ( on dit 5) ; ses malices. non moins sar-
castiques que celles de (( Notre (Eil e, presenturent
Justii Lh6risson comme le type du parfait jour-
naliste )).
Son tact envers les anciens ( chefs de Police ,
e commandants de Place et ( d'Arrondisse-
ment ), etc., n'6tait guere inconnu. M. Dantes
Bellegards, qui r6v6la, non sans all6gresse, qu'ail
fut. pendant neuf ans, son collaborateur assidi ,
1 ) Le journal Le Jour, dans son editorial du 28 Fevrier
1940, a ainsi conclu : Pour qu'on cesse d'avoir peur, il faut
que fleurissent la concorde et l'union, bastes sur un plus
large esprit de justice social.
-42-
l'explique amplement. ((Justin Lherisson jouait
avec le gouvernement come souris et chat. II
avait jurd de ne pas se laisser d6vorer ; il sut
6chapper aux pieges les plus subtils... Quand la
situation politique 6tait mauvaise, il emplissait
son journal d'articles sur l'agriculture. C'etait sa
fagon de faire comprendre au public que les
choses se gAtaient. II avail surtout invent& un genre
d'articles qui n'appartenait vraiment qu'a lui; cha-
que lundi il 6crivait une < petite revue dans
laquelle il 6tait cens6 r6sumer les faits important
de la semaine Bcoulee. Cela n'avait pas plus de
quinze lignes, mais c'6tait de la critique quinles-
senci6e, concentr6e, sublime. II n'y disait rien, et
cependant on y lisait tout, et quelque chose encore.
La phrase la plus anodine paraissait h6riss6e
d'intentions cruelles. Mi6ne son silence sur les 6ve-
nements du jour avait un sens cache, et les points
de suspension don't il faisait grand usage sugge-
raient au lecteur mille pens6es malicieuses. Dans
les milieux gouvernementaux, on diss6quait ces
articles du lundi pour essayer d'y dicouvrir la
parole imprudente qui pit justifier quelque measure
violent centre le directeur du Soir. Mais Lh6ris-
son restait insaisissable. 11 racoutait volontiers
l'anecdole suivante: on avait dressed an Palais
National un < mat m6tallique ) qu'il s'obstiinit a
appeler a semaphore ). On crut trouver une inten-
tion maligne dans celte appellation et un de ses
amis du gouvernement vint un jour charitable-
-43-
ment le pr&venir que la police s'appr6tait a lui
faire un mauvais parti s'il continuait A appeler
semaphore ) ce qui etait officiellement d6cr6te
a mat m6tallique >. II se proposait de raconter ces
dr6leries et ces ruses de journalist dans un livre
qu'il avait intitul : Manuel du Parfait Journaliste
Haitien )... (1)
Une fois, pourtani, Juslin Lh6risson faillit 6tre
intern au ( penitencier ) de la ( rue du Centre ).
(2) II c d6butait dans le journalism politique au
( Quotidien ) d'allure orgueilleuse et insolente
sous le gouvernement de Florvil Hyppolite. Sa
prose virile avait courrouc6 le Pr6sident. Le di-
recteur refusa de denoncer l'un de ses deux prin-
cipaux collaborateurs. (3) M. Guillaume Ch6raquit
fut seul ( mis aux cachots )... Apres le rbgne
d'Hyppolite, Justin Lh6risson devait figure parmi
les journalists les plus (( malins ).
A la longue augment le nombre des abonn6s du
u Soir >. La situation p6cuniaire de Lh6risson
devint meilleure : bonne occasion de rappeler com-
ment fut fondd le quotidien. Me 1'a confirm M.
Benoit Henreaux, l'un des typographes qui im-
primait le journal, et qui me procura le plaisir
de voir la fine 6criture et la signature de Lh6risson
1 ) Voir La Phalange du 15 Novembre 1939.
2 ) -Rue Hamerton Killick.
3 )- Le denxieme 6tait Windsor Bellegarde. ( D. Belle-
garde.- Voir preface de La Famille des Pitite Caille, 26me.
edition) .
-44-
dans un ouvrage (1) que Justin a donn6 a a son
ami ). En presence de M. Heureaux, ( Mr. et Mine.
Justin Lh6risson s'entretenaient des charges du
m6nage- qui croissaient avec les enfants... Justin
r6solut de trouver un moyen d'y faire face... Bien-
t6t part a Le Soir )).
Pouv-ait-il ignorer- Lh6risson, avant de fonder
ce quotidien, les nombreuses difficulties, meme
a les embfiches ) de la carribre, comme l'a signal
M. Bellegarde, ou simplement, pour plaire A sa
femme, cr6a-t-il le journal, pret comme d'autres,
A cesser le combat devant les ennuis et les
< pi6ges ) ?
Ses ecrits, ant6rieurs an ( Soir ), faisaient pr6-
sumer le contraire, comme cetfe critique, tonjonrs
just, de nos travers, qui est dans son discours.
a Nous avons l'esprit ondoyant et parfois chimrri-
que. Nous ne prenons pas la vie au s6rieux. De 1
cette instability qui nous conduit en tons sens ; de
lb cette impatience d'attendre que le Temps murisse
nos projects. Tant6t nous avancons, tantot nous
reculons ; et nous gardens si pen de measure dans
ce que nous faisons, nous savons si pen ce que
nous voulons, que nous arrivons solvent, trop
souvent m6me, A douter de nos forces et A accu-
ser le ciel de l'inefficacit6 de nos efforts. C'est
dans ce manque d'6quilibre organique, c'est dans
ce manque d'hygiine morale et social qu'il faut
1 ) Zoune Chez Sa Ninnaine.
-45-
aller chercher le secret de ces exces et de ces access
d'enthousiasme suivi du plus sombre abatte-
ment )...
Ces d6fauts sont bien n6tres. Aussi le critique,
que r6vle 'l'orateur, come celui que montre le
confrrencier ou I'historien, ne saurait 6tre aismrent
contredit Ce qui augmente le plaisir de lire
1'6crivain...
Mais, un an avant de fonder ( Le Soir 1, Justin
Lherisson avait affich6 d'excellents principes- et
solennellement :il les avait lus A une ( distribution
de prix ) en presence du ministry de l'Instruction
Publique. -L'un des buls de la critique, n'est-ce pas
d'Bviter ou de fire 6viter les erreurs, les abus ? Si,
dans l'intervalle entire le dessein de cr6er le jour-
nal et sa publication, le critique Justin Lhdrisson
avait, sans doute, ( mniri son project s, s'il put meme
1'ex6cuter, sut-il ( tenir a au point d'avoir 6t6 cet
homme d'6nergie don't l'accs d'enthousiasme
n'a pas 6e6 ( suivi du plus sombre abattement ) ?...
Sans reticence a r6pondu M. Dantes Bellegarde:
< Pour se lenir sur la corde raide du journalism
haitien, quels prodiges d'ingdniosil6 ne lui fallut-il
pas accomplir! quelles voltiges savantes et quelles
acrobaties dangereuses o... (1)
Justin Lherisson surmonta tous les obstacles
pour faire vivre le journal, et si bien qu'avant
sa mort il souhaila qu'on ( suivit le programme
du Soir o. L'avis du 20 novembre 1907 dit que
1 )- Voir La Phalange du 15 Novembre 1939.
-40-
MM. L. C. Lherisson et Windsor Bellegarde n'en-
tendaient nullement le changer. Sans contest,
Justin Lherisson fut tan home de principles et
d'energie... On en est encore facilement persuade,
si l'on compare le passe au present, par ces paroles-
prononc6es trente ans apres le deces de Justin
Lherisson de Mr. Fr&ddrique Diaigneaud, direc-
teur diu ( Nouvelliste ), (1) quand, ministry de I'n-
Itrieur, il pr6sida au Cap le ( congress de la press ) :
( Nous avons A resoudre des problemes beaucoup
plus difficiles que ceux qui sont proposes A nos
confreres de I'etranger. C'est un rdel tour de force
que de fire viure ano journal en Haiti. S'il prospere,
cela devient prodigieux )... (2) ( Prodiges d'inqgenio
sito ), a d6clare M. Dantes Bellegarde... ( Prodi-
gieux Cette epithete-exprimantl'effort immen-
se qu'a certaines heures dut faire Me. Duvigneaud,
et celui de J. Lhrisson durant neuf annnes con-
secutives n'est pas encourageante pour le con-
frere d'aujourd'hui come pour mieux saluer celui
d'hier dans le directeur du a Soir o don't le jour-
nal se vendait cinq, (3), puis dix centimes... (4)
Tres 6conome, il achela uine imprimerie (5) qui
fonctionnait A la ( rue du Centre ).-- Le Soir )
ne cessa de paraitre chaque jour. On comprend
1)- Le plus ancien de nos journaux...
2) Voir Le Nouvelliste du 15 Janvier 1937.
3) De 1898 a 1903.
4) En 1904.- lais le prix mensuel de l'abonnement 6tait
toujours d'une gourde.
5) L'Imprimerie L'Effort.
-47-
1'importance de cette autre opinion de M. Dantes
Bellegarde : ( Justin Lherisson fut par-dessus tout
unjournaliste,-- un journalist d'une espece rare
et peut-ktre unique. 11 6crivait une prose ferme,
precise, un pen railleuse, toujours correct, Ira-
vaill6e mime s... (1)
Autant pour appuyer cette assertion que pour
vdndrer la memoire de Justin Lhdrisson qui, pendant
deux lustres pros, fat ln intigre directeur de quoli-
dien, je reproduis un article du << Soir .-- Sous
un titre suggestif, il envisage < le scandal finan-
cier ) le plus (, sensationnel ) jug6 sous le gouver-
nement du g6n6ral Nord-Alexis.
LE VIN EST TIRE
A A propos de la commission dl'enqu6te adminis-
trative et de verification, les uns disent tout en
partageant, du reste, la pens6e qui a pr6sid6 A sa
formation :
( Le moment n'est pas propice A ce grand tra-
vail de nettoyage.
Les autres ajoutent:
c Ces investigations front beaucoup de bruit,
puis, on n'en parlera plus.
Bien que je ne manifesto d'dlonnement que
quand je constate qu'on s'dionne encore de quelque
1) Voir La Phalange du 15 Novembre 1939.
-48-
chose dans ce pays, (1) j'estime qu'alors meme que
1'occasion ne serait pas favorable pour faire rendre
gorge a nos d6trousseurs, on ne saurait plus recu-
ler devant cette tache, puisque y penser mnme
serait d6jh la capitulation du bien devant le mal ;
et cette capitulation aurait lout F'air aux yeux du
pays d'une defaite immoral.
( Le vin est lire, il faut le boire.- Et on le boira...
< I)'autre part, ce scandal financier revet un ca-
ractere de trop grande gravity pour n'int6resser que
le pr6sent.-- On en parole aujourd'hui,- on en par-
lera demain,- on en parlera longtemps, car ces
affaires criminelles consomm6es par des gens qui
avaient toutes les raisons de prot6ger et d'aimer
ce malheureux pays,- out mis au compete m6me
de ceux qui ne sont pas encore n6s des dettes don't
l'6pouvantable 6normit6 a d6consolid5 notre cre-
dit.
( Par leur fait n'avons-nous pas les pieds et
poings lies et ne sommes-nous pas A la merci
de ces banquiers qui--mme dans les operations
oh ils font preuve de bienveillance envers nous-
trouvent le moyen de transformer en or pur nos
chiffons de paper !
# II faut donc souhaiter que le jour du Centenaire
de l'Ind6pendance Nationale, apres avoir ce16br6 la
1 ) O'est, pent-tre, cee que signitialt sou aimable sourire
on son rire franc et large : car. mu'a dit Me. J. Saurel, qui
habitat non loin de lni : Lhdrisson aimait rire... Et s'il avait,
fait sienne l'antique devise : nihil mirari, son rire, n'avaift il
pas pour but de rappeler, parfois, que la vie peut bien Ptre un
long eclat de rire ?
-49-
gloire des fondaleurs de la Patrie haitienne, l'on
puisse d6noncer nommiment a 1'Histoire tous ceux-
IA qui, avec les millions qu'ils ont effronminent enle-
ves de la caisse publique, auraient pu orner de mo-
numents comm6moratifs les lieux qui out kt6 les
th6Atres des processes ancestrales...
( Cette d6nonciation serait une excuse, un aver-
tissement et un programme I El sur la route de notre
second centenaire, les dtlrousseurs deviendraient
de plus en plus rares pour le plus grand bien des
servileurs ddvouds et fiddles de la RIpublique.
( J'allais dire amen I mais j'y pense, on rira, et
on pourra croire que ce que je propose est irr6ali-
sable... Et pourtant I... ) (1)
Pourrait-on mieux 6voquer la retentissante
( affaire des Consolidards )? Et ne fallait-il 'pas
ttre absolument honne~e pour reclamer avec tant
d'assurance non sans ironie -- le jugement et le
chAtiment de ses concitoyens, pas des moindres ?...
Hier, 6tait-il impossible de compler les detrous-
seurs ) ? Lherisson les d6sirait ( de plus en plus
rares sur la route du second centenaire )... Aujour-
d'hui, pas mnme un demi-siecle apres les ( fetes du
Centenaire de l'Ind6pendance Nationale ., Justin
Lherisson. en cas qu'il eft b6ntficie d'une r6sur-
rection -- apres avoir revu tons les comptes,
n'aurait-il pas ri a ou bien efit-il hesite a dire
Same ), lui- si loyal- qu'il regrettait de mourir
1 ) Le Soir du 38 Mai 1903 ( 1re page : 1~re et 2rme
colounes )
-50-
pour n'avoir pas ( rendu assez de services A sa
famille et A sa palrie ?
A cause de celle intigrile chez I'homme, et de
celte ( correction ) chez l'crivain, ses articles plai-
sent toujours en la forme et an fond. Double hon-
neur pour le citoyen et le directeur d'un quotidien-
dont ( la plume ne fnt jamais serve ), et qui, afin
d'.tre ce ( journalisle d'une espkce rare, peut-dtre
unique ,, n'a n men6 une seule champagne indtres-
see !I...
Aux jeunes qui, en un temps oi la patience leur
semble un torment, et la gAneralite des devanciers
l'incarnation de la routine et de 1'incompptence-
voudraient etre du < qualrieme pouvoir a avec
d6cence et probity, Justin Lhdrisson reste un exem-
pie. S'ensuit cette suggestion : les ain&s ne doivent
pas h6siter A montrer A la lg6nration actuelle ceux
d'hier qu'ils considerent aussi comme les vrais re-
pr6sentants du journalisme... Et cette supposition
n'est pas outr6e : Lh6risson pouvait bien etre le
type de ce ( parfait journalist que nous r6servait
Fun de ses ouvrages ..
Afin que le quotidien continuity de paraitre aprss sa
mort, dans son testament il a demand A son frbre
Carius de ( diriger le journal jusqu'd la majoritN de
son premier garcon a, c'est-A-dire pendant quinze
annies environ ; Francois n'avait pas plus de ( six
ansi. Malheureusement, il ne tarda pas a suivre son
pere dans la tombe. Et M. Carius Lh6risson, pro-
fesseur, directeur du College Louverture a, ne
pouvant ( s'occuper activement de journalism ,
-51-
contia la direction du ( Soir ) A Windsor Bellegarde,
d6pute au Corps L6gislatif ).
Justin Lhrisson demand dgalement A M. Dantes
Bellegarde de e runiir en volume ses meilleures pages
publides au Soir, a La Jeune Haiti, A La Ronde n...
En d6cidant ainsi, atrocement dit sonffrir Justin
Lherisson qui, durant neuf annees, abattit la rude
besogne de diriger un quotidien, et qui, partant
pour 1'au-delA. d6sirait que ( Le Soir a lui surv&-
cfit !... N'eut-il pas raison de vonloir e assurer la
vitality& de son journal )) puisque son administration
ni deficiente, ni d6ficitaire, 1'autorisait a demander
encore Ah ceux qui dirigeraient Le Soir apres sa
mort d'en partager les revenues avec sa fermme ) ? Et
s'il y pensa, c'est que Justin Lherisson, plus que
personnel, avait dejA fait sienne la devise de P6tion
G'6r6me : En avant en avant, par dessus les tom-
beaux !.. Apres la mort de son confrnre et ami, il
l'avait realisfe. Naturellement, lesfuturs directeurs du
a Soir devaient s'y conformer. Et ces vers de
Charles Moravia qui, apres le d6ces de Ger6me,
enchassa cette a devise )) en 1'un de ses poemes
(1)-- cependant que je me souvenais encore que
Ger6me l'exprima sur la tombe de Dant.s Dujour-
(2) me venaient a la m6moire :
1 ) La Devise Voir ( La Ronde du 15 Mars 1902.)
2 ) -DantPs Dujour, ancien Chef de Division an minist6re
dn Commerce, a laiss6 une intOressante brochure, parne en
1900 L'Inpit sur l'Acool en Haiti.- Dans un article inti-
tuld Biblingraphie, qu'on peut lire au verso de la couver-
ture de La Ronde du 15 Septembre 1900, un 6crivafn, repon-
dant aux initials F. H., plaga Dujour au premier rang des
fcrivains politiques de note pays.
-52-
Peut-6tre savais-tu qu'il te fallait mourir,
Et sentant que le deuil pouvait andantir
En nos occurs disolds le courage stoTque,
Tu voulus nous laisser ta devise hdrolque !
Merci !... Nous n'allons pas renoncer aux efforts
Et, pour 6tre dignes de toi, nous serons forts I
Maintenant que tu dors au tombeau solitaire'
Si tu peux nous entendre encore sous la terre,
Ecoute ton ami criant ces mots si beaux :
En avant I en avant, par-dessus les tombeaux ? ..
Des ( mots si beaux ) qI'il fallait les redire comme
pour rdaliser aussi cette ( devise !...
Mais, pour comprendre un pen le chagrin de
Lh6risson, qu'on se souvienne 6galement du der-
nier article de Moravia au quotidien ( Le Temps
(1) apr6s sa decision irrevocable de le ( former )I
On ignore point qu'apres avoir lutt6 fierement, le
journal n'6tail pas arrive A fire ses frais ), (2)
quoique l'un des meilleurs. Ce qni grandit encore
le journalist Lh6risson sans diminuer le courage
de Moravia, car Charles Moravia ne tarda pas a
fonder (u Le Temps Revue et mourut directeur de
( Haiti-Journal )... Pour comprendre un pen le cha-
grin de Lhdrisson, qu'on se rappelle ce dernier arti-
cle de Moravia au journal qu'il estimait tant si ne
suffisent ces citations: ( II fait evidemment du
courage pour mener les campagnes que nous avons
1 ) Num6ro du 25 Juin 1982 II Faut Fermer Le Temps.
2) Depuis plus d'une annde, le journal ne fait plus ses
frais... La barque n'aetd tenue A flots qu'A coups d'expd-
dients A la faveur d'un moratorium qui ne peut 6tre Etendn
inddflniment...
-53-
entreprises... qui nous out cotit6 perte d'argent et
perte d'amitie. Mais il faul plus de courage encore
pour 6crire les cinq mots qui forment le titre de cet
article .... (. Encore cinq mois et Le Temps pou-
vait f6ter le dixiBme anniversaire de sa fonda-
tion !... N'eht-ce pas 6t& une belle chose que ce
banquet du Temps? Nous nous tions promise
d'avoir de I'orgueil et du bonheur. Si pr6s de cette
dixieme tape, c'est ce rave ambitieux qui s'&crou-
le... cette pensee qui s'abht sur la mer immense et
d6serte les ailes eni croix ....... ( Au risque de
paraitre grotesque, nous ne cacherons pas que c'est
avec des larmes et secotii de sanglols que nous &cri-
vons notre dernier article dans ce journal, I'ceuvre
de noire esprit, la manifestation de noire dine, dans
lequel nous avions mis notre supreme raison de viure
et ou nous servions notre pays a notre maniere
selon notre conception personnelle, pregnant con-
seil plus de notre palriotisme que de nos int6rets
on celui de nos amis. C'6tait un poste de sacrifice,
mais aussi de devoir et d'honneur. 11 est dur de ne
pouvoir tenir et de voir s'en aller l'objet de plant
d'efforts. Le vent mauvais a dechir6 nos voiles et
l'abime s'entrouvre )...
C'est bien tout cela qui ~fait sous-entendu dans le
testament de l'homme que guettait la mort. Car,
ktre force de renoncer a cel ( orgueil ) et ce ( bon-
heur ), c'est-A-dire de diriger le journal qui cons-
tituait ( une supreme raison de vivre devait,
autant que Moravia, chagriner Lhdrisson !...
( Le Soir n'etait-il pas-comme ( Le Temps -
-54-
t( pres de la dixii6me tape ) et d6sireux de (( filer
le dixi6me anniversaire de sa foundation ) ?... Et
quand (( le reve ) de Lherisson ne c s'ecroulait )
point par a la faute des abonnes, (1) le Sort-ne
fut-il pas trop impitoyable si le quotidien, malgr6
la supreme volont6 de Justin, apr6s sa mort ( v6cut
un peu plus que ( ce que vivent les roses ) ?...
Le grand dommage,-- l'abime entrouvert ,
apr6s que (( le vent mautais eilt dchirg les voiles -
c'6tait le directeur du Soir qui, oblige de designer
son successeur, allait disparaitre, c'etait l'Ncrivain
lui-m6me qui mourait laissant sept ouvrages
(Myrtha-1892 ), ( Les Chants De L'Aurore-1893 ),
( Portrailins-1894 ), ( Passe-Temps-1895 ), ( La
Famille des Pitite-Caille-1905 ), a Zoune Chez Sa
Ninnaine -1906 ) et ( Mannel d'Histoire d'Haiti--
1907 )...
1) Ce dernier article au Temps montre la grandeur
d'dme de Moravia signalant l'insouciance ordinaire de ses
compatriotes et qu'il excuse : Quand a ceux qui, pouvant
nous encourager, sont rests indifferents A notre oeuvre et
sourds A notre appel muet, comment pourrions nous leur en
vouloir ? Est-ce leur faute s'i!s n'ont pas compris ?...
Cri natural aux homes de bien et d'action IA oil la Science
et 1'Art ne s'imposent pas facilement...
DEUX1tMIE P~tTIE
J'apprecierai d'abord les ouvrages en prose de
Justin Lh6risson.
PORTRAITINS
Dans la forme, (( Portraitins ) est un petit album
contenant des ( instantanes ) d'amis ou des a pho-
tos ) d'intimes. De ces amis, de ces intimes don-
nez les traits suffisants A les presenter, precis, crois-
sants en gradation pour les bien designer ; expri-
mez-les en language condense, en prose concenlree,
et vous aurez la brochurette au fond... Pour qui
voudrait une definition : c Portraitins )) est la ga-
lerie de dix Haitiens de valeur en style quintes-
senci6... Ainsi compris, le genre n'est pas tris facile.
La theorie n'avance pas a grand'chose quoique la
formule soit simple: rendre la personnel lelle
qu'elle est. Agrandir ei t pouss6 l'auteur au-dela
du module, rapetisser : en dep.A. Justin Lh6risson
n'a pas n6glig6 le moral. (( Portraitins ) eut la
vertu de corriger le d6faut de l'un, le travers de
l'autre. Souligna-t-il : ( Quand aux points portees
A tel ou tel ( portraitur )), avons-nous besoin de
dire qu'elles sont inoffensives ?... Toutefois, gare
aux mechantes insinuations I )... L'intention n'6tait
-58-
pas mauvaise. Justin Lh6risson s'est montr& un peu
railleur en peignant ses personnages... Les lettres
lui manifesterent lenr plaisir. ( Ces portraitins que
nous confions aujourd'hui d cette plaquette ont regu
un accueil favorable des lecleurs de La Jeune
Haiti L'auteur, qui s'en 6tait rejouit avec raison,
nous permet de nous souvenir avec fiert6 de quel-
ques concitoyens qui se sont signals dans les
lettres, la politique, ou dans les deux; d'entre les
morts: Mirabeau Drice, Massillon Coicou, Amdnde
Brun, Etienne Mathon, Windsor Bellegarde, Arsene
Chevry, Georges Sglvain ; parmi les vivants : Louis
Borno, Stinio Vincent, Seymour Pradel...
A lire les a portraitins ) de MM. Vincent et Pra-
del, on se demand si les deux n'ont pas a pos6 )
pour Lh6risson. Apres quarante-six ans, ces ( cartes
postales P continent < d'attirer les regards .
STENIO VINCENT
Bref, replet avec une frimousse charmante
et... bourgeonn6e; des yeux bien fendus, om-
brag6s de longs et soyeux cils, grille ardente
derriere laquelle guettent des d6sirs en habit de
bataille, mais aux attitudes platoniques... parfois.
( A la voix sonore, impr6gn6e d'un chic d'outre-
mer, se pliant A l'interpr6tation du doux et du
grave : lui doit sa fame ( .:ina jeu de mot ) et
surtout bien des coeurs f6mini;s.
e Est enfant de chceur dans le Temple moder-
niste, le chantre en prose des mignons p6ches et
-59-
lonnerait des lemons de Savoir-faire au profane
voir son Initiation ). A horreur du vide come la
nature, ne mangerait, s'il le pouvait, que des baisers
roses et succulents.
( Aime l'inedit, I'impr6vu, le blanc silvestrien, la
musique desjupes de soie, le flux et le reflux du
corsage, les d6hanchements provocateurs, etc.
a Ramant sur les galbres de la Litt6rature v, a noye
parfois l'Id6e sous une vague cristalline de mots
euphoniques et colors. A fait, au bon vieux temps,
force braconnages sur I'H61icon.
( Signes particuliers :-A le don d'imitation et d'as-
similation, semble 6tre faith pour le Secr6tariat, ne
prie pas, mais aime A 6tre pri6,- a une pr6dilec-
tion marque pour une veuve... Cliquot i...
SEYMOUR PRADEL
a Myope comme une taupe, ne porte pas son Age,
a des yeux profonds, infernalement noirs. Bon
camarade, bon enfant, bon comme le pain.
( Ne se fAche jamais, caresse la main qui le chatie,
-quand c'est une main amie, rit souvent quand il
faut pleurer, pleure souvent quand it faut rire.
a Aimait beaucoup les sciences math6matiques,
s'est faith transfuge, s'occupe de critique, dissequera
bien : 6tudie Sainte-Beuve, Taine, Brunetiere, Fa-
guet.
Parle l'Anglais, 1'Espagnol, est musician, com-
pose parfois, serait tres ( fort ) s'il n'6tait pas
a manfoubiniste )...
-60-
( Nature exceptionnelle et trls original ; en u
jour peut-6tre triste, joyeux, sceptique, pessimiste,
optimiste, croyant, boudhiste, brahmaniste, pan-
thWiste, etc.
Signes particuliers :-Se trouve toujours mal sous
la redingote, s'est fait dix Commandements qu'il
suit anglaisement et jouit, pendant six mois de
l'ann6e, de ses rentes de plaisirs )...
A Justin Lherisson,MM.St~nio Vincent et Seymour
Pradel ont paru des mondains distingues, erudits,
mnme des duellistes tranchants come les lames de
leur 6epe -- elant de braves celibataires... Ponvait-
il prevoir que Mes. Vincent et Pradel seraient
devenus des athletes ( formidable ) fondant en
passes rapides sur Me. Louis Borno qui, souple et
fort, leur eft r6sist6e coups de ( coma, binocle, et
cocomacaque )) ?...
Les survivants de ( Portraitins ) sont trois Avo-
cafs, don't deux Presidents : un ancien, Louis Borno,
(ciseleur d'urnes orgueilleuses avec des rimes luisan-
tes ), qui ( avec line fWte d'artiste, iune demarche
legere, dodinante, accompagnee de ponctuations de
bdtons...- trouve dans le Sahara des Codes l'onde
de Castalie pour desalterer ses 1wvres el, quoique
un vieux jeune, s'intdresse beaucoup a la generation
montante, distribue des conseils juridiques ou
litt6rnires A ceux qui frappent A son Cabinet de
Consultations )...-Celui qui rigne : le ( bon garCon )
Stinio Vincent... -et le ( prince de la Jeunesse ), litre
depuislongtemps acquis, si, en 1894, Lhdrisson a
-61--
signalM que ( Pradel jouit, pendant six mois de
l'ann&e, deses rentes de plaisirs >...
Si Justin Lhdrisson vivait, n'efit-il pas tde, lui
aussi, parmi les plus favoris6s sous 'administration
de Leurs Excellences ?... Et les autres, pourquoi ne
sont-ils d6jA plus, eux qui, 616gamment, auraient
encadr6 notre Pr6sident ?... Trop relative la politi-
que, impenetrable le mystere de la destine pour
ne pas trop s'6loigner de ( Portraitins I...
Au moins, apres quelques mots concernant les
vivants, commeje ne peux-s'agissant d'une tiude
gendrale de l'oeuvre de Justin Lherisson parler de
chacun des morts, choisirai-je l'un d'eux, Mirabeau
Drice, qui fut condisciple de Lherisson, co-fon-
dateur de ( La Jeune Haiti 6, le6ve de l'Ecole
Normale Sup&rieure de Paris professeur de Grec
et de Latin an Lycae National.- Autant de motifs
auxquels s'ajoutent d'autres-- qu'on ne tardera pas
d connaitre avec intervention de Georges Sylvain-
qui me paraissent justifier davantage la reproduc-
tion du portraitin de Drice...
MIRABEAU DRICE
SUn front large et rond comme la pleine lune,
des yeux ronds, mobiles et brillants ; un nez rond
(sans jeu de mot ); a une demarche de marin, cu-
mule parfois la prose et les vers; ne le rdvele
qu'A ses intimes.
( A laiss6 de beaux souvenirs au Lycde. Ne se croit
pas capable d'aimer, ( nous savons pourtant le con-
--62-
traire ), mais donnerait volontiers dix ans de sa vie
pour vivre a I'orientale.
( A beaucoup d'id6es, beaucoup de moyens,-pas
p6cuniaires,- philosophy quelquefois, s'oriente
dans le vide des doctrines et les cables des secles,
est tourment6 par I'Infini et tourmente son cer-
veau inquisiteur.
( Pourrait justifier son pr6nom sans recourir aux
cailloux de Demosthlnes, sans s'enfermer dans
tne grotte avec une a1te de Scipion, mais en etu-
diant les foudres de la parole.
( Est un des jeunes maitres de notre jeune litt6-
rature.
( Signes particuliers :- Signe Mirabbo A present,
aime les petits verres autant que les petits vers )...
Sont-ils peu nombreux les jeunes litterateurs qui
l'ignorent : ( Mirabeau Drice filt I'un des jeunes mai-
tres de noire jeune littirature ).--Non, s'ils ne se sont
pas souci6s de le savoir ou si on ne lear en a guere
parley !... De plus, ce professeur de ( langues
mortes a n'a pas en de remplacant qui I'egalAt
au lyc6e... Nullement indispensables ceux qui,
comme Drice, pris a l'improviste, traduisent sans
h6siter des textes grecs ou latins I Mais, si un autre
Drice, pendant longtemps, doit 6tre introuvable, ne
convient-il pas de l'avouer avant de s'en remettre
aux 6coliers ? De cette phalange pourrait sortir
notre deuxieme lalinisle hors-pair, notre second
helleniste hors concours...
Cette opinion, Me. Georges Sylvain serait le pre-
mier, me semble-t-il, A la renforcer. Au cinquieme
-63-
num6ro de ( La Ronde ), A laquelle ii collabora,
et le 5 octobre 1898, Me. Sylvain exprima un sou-
hait a la fin d'une eloquente defense des ( maitres
antiques ))-illuminant depuis quarante-deux ans le
( portraitin ) de Drice. Aussi est-il n6cessaire
d'en extraire certaines pens6es qui, plus que jamais,
out (c force et vigueur ) I...
Commence Me. Georges Sylvain : I1 s'agit de
s'entendre. Se contente-t-on de dire que, d'une
faCon g6nerale, les 6tudes scolaires, rnalgr6 de
louables efforts individuals dis A la t6nacite de
quelques instituteurs, ne sont pas en notre pays
entreprises ni surtout poursuivies avec assez de
m6thode et ne d6rivent pas d'une conception assez
nette des besoins propres A notre degr6 de culture
social ? Que ce serait chose excellent et saine de
voir, par example, dans nos campagnes, tous les
cultivateurs inities de bonne here a la pratique
des instruments aratoires (1) et des meilleures m6-
thodes de travail, et dans les villes, tous les jeunes
gens, mime ceux des classes aisles, pourvus d'un
metier, come c'etait d'usage autrefois chez nous
(2) et come c'est encore en honneur parmi nos
congeneres de Cuba, de la Guadeloupe, de la Mar-
tinique ? j'y souscrirais volontiers s...
1 ) Actuellement, cette initiation est l'une des tAches
des Agents Agricoles. Mais chez nous, dit l'ing6nieur R. H.
Holly en l'article intitul6 Nos Vieux Champs, paru au jour-
nal Le Jour du 27 Mars 1940, I'usage de la Fourehe et du
Boyau est encore inconnu au paysan.
2 ) On y revient.
-64-
A ces mots, ne peut-on pas supposed que I'an-
cien ( Administrateur-Del6gu6 de 1'Union Patrio-
tique ), s'il vivait, n'efit pas laiss6 A d'autres le
soin de reorganiser I'aEnseignement Rural et
Urbain ?... Justin Lh6risson I'avait pr6dit : Geor-
ges Sylvain '( portait le minister de l'Instruclion
Publique sur ses colossales 6paules >...
Poursuit Me Sylvain : ( Si, recherchant la cause
du malaise don't nous sommes accabl6s, on l'attri-
bue avec complaisance aux 6tudes classiques et
aux professions liberales, si l'on affirmed que les
souffrances du temps present provienent d'une
indigestion de grec et de latin, et que nous aurons
trouv6 le secret du bonheur d6s I'instant que nous
cesserons d'Otre une collection de pontes et d'avo-
cats, de songe-creux et de bavards pour devenir
une nation d'ingenieurs, de mecaniciens et d'arti-
sans, alors je hoche la t6te et je demand A refl&-
chir )...... a Parmi nos rares ecrivains haitiens don't
les outrages pourraient sans disavantage itre cites
dans un cercle francais de gens cullivus, les plus
purs sont ceux qui ont recu ou qui se sont donned la
plus forte instruction classique... En some, les
lettres anciennes ont te pour le genre human, de
son enfance i sa maturity, la meilleure cole de
sagesse, de beauty, de grandeur )...
Arrivera-t on A former une telle cole ?... Tan-
dis queje me demand encore : Doit-on serieu-
sement se plaindre des educaleurs francais, insti-
-65-
tuteurs et missionnaires ? (1) Me. Sylvain rench6rit :
( Anciens et modernes, classiques et romanti-
ques, enseignement classique et enseignement
moderne, cette querelle est vieille comme la littira-
lure. C'est la lutte Oternelle de l'esprit de non-
veaut6 contre la tradition, de ce qui vent Otre con-
tre ce qui dure. La sereine splendeur des lettres
anciennes n'en a jamais 6t6 alt6ere. Presque A tons
les Ages, sons pr6texte que les ignorants neles com-
prennent plus, on les traile ainsi de (( langues mor-
tes e ; et se distant apparemment que plus elles sont
mortes, plus il raut les tuer, on s'acharne avec dl6-
lices sur ces cadavres recalcitrants. El les articles
succedeni aux discours, et les dissertations s'en-
tassent sur les theses. Et I'on s'indigne, et 1'on
raille, et I'on s'irrite et l'on se plaint : a Qui nous
delivrern des Grecs el des Romains ? Les Grecs et
les Romains ne s'en portent pas plus mal:
* Brisant des potentats la couronne Cphrmare,
Trois mille ans out pass(P Ir la cpndre d'HomiBre,
Et depuis trois mille ans Homere respects
Est jenne eneor de gloire et d'immortalit...
1 ) En Haiti, le congr6ganiste jouit d'nne autoritd na-
turelle don't ne peut se pr5valoir aucun professenr layc n 'gre,
si transcendent soit-il...... La vitality du Clerg( est incon
testable ; dans ses rangs, il y a certainement d'autres Goreds,
d'autres Guilloux, d'autres Schneiders.- (A. Viau.- Voir
Journal Le Mouvement du ler Fevrier 1940... La Question
du (1inma ).
Parmi ces autres membres du ClergE, ne convient-ils pas
de citer S. E, Mgr. Le Gouaze ? Le distingue archevdque de
Port-au-Prince est le premier prdlat qui fonda chez nous
un quotidien : La Phalange, organe de la penside haltienne
et d'action catholique s'est tout de suite placee en tete des
journaux qui donnent une bonne impression de notre press
A 1'etrauger.
-66
Et voici le souhail de Me. Sylvain : A Je laisse an
chroniqueur qui, dans quelque trenle ans, refera
aprds nous cette defense des maitres antiques, le soin
de le center a nos petiis neveux )...
Depuis octobre 1928, les trente ans sont expires.
L'occasion, cette ( dame qui vent qu'on 1'attende ,
s'est enfin present6e. Sije l'ai saisie, c'est qu'on
oublie trop vite les hommes de m6rite, qn'il est
au contraire consolant d'avoir et de se souvenir des
aines de valetr. Mais, c cette defense des mattres
antiques ) est si ibillante que je ne I'ai pas ( re-
faile ; je I'ai rappel@e par la grace de Portrai-
tins ofi figure ( l'ap6tre du nationalism ha'tien >.
Ce litre le grandira aux yeux de nos petits-
neveux avcec ces deux aulres : juriste et diplo-
mate avises .. 11 ne les avait pas encore oblenus
quand fut public son (( portrailin .
GEORGES SYLVAIN
s D'une robustesse trapue, avec une tate monn-
mentale moins vaste que ses nobles pr6tentions
et ses ingniieuses combinaisons ; aussi le public le
connait-il par coeur.
( Un example frappant de compensation : sans
distinction au physique, est largement dote A l'in-
tellect de remarquables qualites... litt6raires. A
une m6moire prodigieuse, une elocution facile, le
language le plus souvent correct, mais... monotone.
o Donne un d6menti formel, par ses labeurs
diurnes et nocturnes ( il travaille aussi la nuit
-67-
dans... un trou... de souffleur s'entend ) ce dic-
ton : ( Qui trop embrasse, mal 6treint ).
a Affeclionne l'imparfait du subjonctif; chante
en amateur; mais d'aucuns pr6tendent que a son
damage resemble A son plumage. )
( Courtise les muses en ses moments perdus, et,-
malgr6 cela- est, de tous nos po6tes,- le plus
favoris6 d'Apollon.
( Signes particuliers.- A presque le monopole
des Secr6tariats, excelle dans l'art de se faire... des
ennemis, et, digne descendant d'Atlas, porte et le
Petit-Thldtre et le Ministere de l'Instruction Publi-
que sur ses colossales epaules )...
La declaration formelle de Justin Lh6risson
montre l'importance qu'il avait attache A ses a por-
traitins ) : ( Nous nous plaisons A esp6rer que le
grand public ne leur haussera point les 6paules.-
Est-ce une illusion ?- Qu'importe N6anmoins
nous pensions que si, par lear original cachet, ces
instantanes n'arrivent pas a reunir les suffrages de
la Foule, ils seront au moins,-dans notre desert litt6-
raire,- une minuscule oasis pour les domes qui fuient
d tire-d'aile, les ardeurs suffocantes de nos couran-
tes banalitis )... (1)
a Portraitins a est la plaquette exceptionnelle
d'un auteur ( original )...
LA FAMILLE DES PITITE-CAILLE
C'est, d'abord, an tableau oi l'on voit, au ((Champ
de Mars ), Justin Lherissan et Golimin, son vieil
1) Voir Avant-propos de Portraitins,
-68-
ami, pr6t a lui a donner audience ,. Golimin
c prend ses precautions) ; il s'assure si Justin Lh6-
risson n'est pas ( un parent des Pitite-Caille ) mAme
au au vingtieme degree )... ensuile, un conte en cent-
vingt pages, qu'il imported de resumer tant l'ouvrage
devient rare ainsi que ( Zoiine Chez Sa linnaine )...
Damvala, n6gre Congo, import en bas Age i St-
Domingue, est achet6 par un riche colon de la
plaine du Cul-de-Sac. I1 est choy6 par la femme du
planteur- qui ii'a pas d'enfant. Damvala vit en
petil-maitre dans la grande case. II est surnomm6
Pitite-Caille l par les negres de I'habitation. Pitite-
Caille b6neficie de sa situation privil6gice. II a
soixante-neuf enfants don't quarante-neuf filles, et
toutes les nuances : ( n6gres francs, n6gres rouges,
tacte codinde, griffes, mulatres, marabouts, tchiam-
pourras, etc. )... 11 s'occupe d'un seul, d'Elidzer, fils
de ( Sor Zinga ) : sa ( femme caille )... Orphelin,
Eli6zer s'adonne A tons les m6tiers. II est marin
lorsqu'il rencontre a Aquin la Martiniquaise Velleda
qui l'aime. Tireuse de cartes, Vell6da se fixe A Port-
au-Prince. Vils les moyens don't doivent disposer
ceux qui sondent I'avenir ; louches les recettes
qu'emploient ceux qui veulent amrliorer leur sort...
Et la fortune arrive... S'explique le sous-titre du
livre : ( Les Fortunes de Chez Nous )...
Vell6da devient Madame Eliezer Pitite-Caille.
Monsieur et Madame s'installent a Turgeau. Its ont
quatorze eufants. Douze meurent. I1 expedient les
deux autres en France. 11 m6nent grand train. Leur
maison est fr6quent6e par le a high life ), entire
-69-
autres : les Goldinberg, les Voumworth, les Grand-
format, les Volferriere, les Strixnaff, les Hassoun-
guez, etc. ... Home d'affaires et de bonnes mani-'
res, Eli6zer ( prend ses grades magonniques >. Des
a freres ) et de ( cupides chefs de bouquement >)
se chargent de le rendre populaire. II se croit 'tel,
pose sa candidature a la d6putation. Un martin,
( le service de la delivrance des cartes allant len-
tement ) et les eleclenrs se montrant impatient,
Eli6zer Pitite-Caille ( harangue la foule ). Des ad-
versaires interpr6lent mal ses paroles, d6clarent
qu'il ( prepare un coup de main ). D'ofi tumulte,
( rixe entire electeurs et commencement de couri )).
Eliezer et Botilen'gre, son principal auxiliaire, ( ont
le temps de outer ). La volante, accourant sur les
lieux, r6plte en choeur les commandments de son
chef, le general Bor6me : a Faites serr6 !... March
prend yo !... Bayonnetez vo !... Trainnin yo!...
Limin diff6 nan tete yo ac macaque !... Pete zizi6
yo !... N6tiez yo !...
Dans l'apres-midi, Eliezer Pitite-Caille est bruta-
lement arr-te ainsi que Bouten6gre... Libe6r apres
vingt jours passe aux cachots et aux fers ), Eli6zer
renonce A la politique malgr6 l'avis contraire de
Boutenegre, mais ne se naturalise pas quoique le
lui conseille M. Voum. Pen de temps apres, Eli6zer
Pitite-Caille est denonce par Passe-Partout( d'avoir
un d6ept d'armes chez lui ). Innocent, il refuse de
suivre l'ofticier venu pour l'arreter. Le militaire
s'en va et retourne avec un detachement. ( Apres
une vigoureuse admonestation, entire deux haies
de soldats Eliezer est conduit au Bureau Central de
la Police o. II est soumis a l'6preuve du a oue6t
n'anme D et ( jet6 dans le Trou-Terre n... Les per-
quisitions n'ayant rien r6v616, Passe-Partout et lui
sont mis face A face. Passe-Partout reconnait qu'il
s'est tromp6... Eli6zer est relax ; mais, profon-
dement indigne, il est a frapp6 d'une attaque d'apo-
plexie ). Docleurs M.etlay Fair. Cessamnme, Caba-
leur et Tipisline sont incapable de le gu6rir. II ex-
pire .. Mine. Vve. Eli6zer Pitite-Caille a rappelle a
Etienne et Lucine... Etienne Pilite-Caille, de retour
de France, s'empresse de r6clamer sa part succes-
sorale. Lucine Pitite-Caille, qui recoit aussi la
sienne, spouse Monsieur Rodolphe Cabatoute.
Aussi tr6passe-t-elle a dans une crise 6clampli-
que ) apr6s son refus de t laisser vendre par
Rodolphe la seule maison qui jusqu'alors avait Wt6
6pargne : la coquette villa qu'ils habitaient )...
Etienne Pitite-Caille, comme A Paris, ne cesse
de s'amuser. De s'6tre trop livr6 au plaisir,
il chancelle et tombe sous les coups de ses cr6an-
ciers et de a l'implacable usurier Scanathol Moni-
che a... ( Ah les fortunes de chez nous, celles qui
ont pouss6 comme champignons))!... Etienne Pitite-
Caille n'accepte pas la place de commis de maga-
sin que lui offre Antoine Bogodeau, a vieil ami )
de son feu pere. Etienne ne desire travailler qu'eu
douane. Pour Bogodeau, a ce refus est l'uie des
manifestations les plus caract6ristiques du plu-
minpoulisme haitien )... Etienne, hier indispensa-
ble aux reunions, aux fetes, ne se relevcra plus...
--70-
-71-
( Des hauteurs aristocratiques de Turgeau, Etienne
Pitite-Caille avail d6gringol a Calin-Centime, de
Calin-Centime an Dlean Caraco pour rouler ensuite
A la rue Chemisette ( Quartier des Pisquettes ).
Etienne Pitite-Caille prend chaque matin son absin-
the ou son zo-donvani, joue au trois-sept bois nan
nez avec des partenaires qu'il n'eit jamais accepts
autrefois come palefreniers .. Enfin notre banda
n'est aujourd'hui qu'une bWte serein, un spectre, un
rien )... et Mme. Vve. Eliezer Pitite-Caille : 1'une
des cinquante mattresses du general Pheuil Lam-
boy...
Supposez quelle troublante meditation provoque
le rdcit de Golimin pour avoir la morale : on perd
souvent la fortune a comme on l'acquiert )... la
famille est plus forte si l'instruction s'harmonise
avec l'Mducation..
Comme je dois envisager le fond de ( La Famille
des Pitite-Caille a en meme temps que celui de
( Zoune Chez Sa Ninnaine ), le lecteur aura le
temps d'en gotiter au moins un passage. Et s'il
reste un ( prince sans rire a, j'avouerai qu'aon ne
juge pas les autres d'apres soi >...
a Pays foutu pays foutu I- telles furent les
paroles qu'il ( Eliezer Pitite-Caille) rep6tait come
un fou. II fallait donc lui remonter le moral.
( Non, non, mon ch6, lui dit Boutenegre, c'est
ine err6, le pays n'est pas fouti ; c'est nou qui pou
ine annie, ine mois,ine hlre, et pet-6te ine minouite
sont fouti. II ne faut pas blier qu'il y a in jou pou
-72-
chasse, in jou pou gibier; grands mounes long-
temps toujours r6pe6t aussi : C6 pas tous 16 jou
Frangou6se al lan mache li pot6 bon sirop.
( Di reste, c'est pas d'aujod'hui que j6 suis dans
les aff6 de mon pays. D)pi l'empre Choulouque je
m'ocquipe de polutique.
t J'ai vu leu g6n6ral Similien, leu chef des Zin-
glins, c'eutait I'ho ele le pli puissant d'taiti ; eh
bien I le g6neral Sinilien a 6te rendu tolle tolle,
godette godette, f6blanc f6blanc dans le prison de
Port-au-Prince.
( Mon ch6, nan point espante pou fait moins volI
gagu6re ; quand je prends ine botte de saliere je
fais la promenade pour rentrer ensuite dans le
marty. Aussi, ti tou prison nou sorti prend 1l, n'est
rien, rien di tout. J6 n6 r6grette qu'ine chose, c'est
ma redingote bombazine tout neuf qui d6chire.
Viege Altagrace p6t6 g6 moin I plut6t que j'6tais
pris in coute bayonnete passe redingote moin chir6,
you redingote, ga cout6 cher...
S-- Ce bon... f...
Moi,j'ai fini, lini avec la politique de ce pays.
Ne m'en parlez plus...
C'est ine erre. Est-ce que nou pas toujou vi-
vants. Nous sommes passes vingt jou dans les ca-
chots polutiques, et come dit Celigny Ardouin qu6
je conni : ( La corde politique ne deshonore pas ) !
C'est le vol, le vol A main arm6e, e'est le plimin
poule qui est in crime, in d6shon6 ; Dieu merci, nou
pas vole.
( Ti botte, nous prend 1A, c'est ine botte repos.
-73-
Nous sommes a gauche, nous sommes cate maqu6e
pou le moment ;- cousin mouri pouble nous 1...
(Eli6zer Pitite-Caille accept bien h faire le mort ;
ses cruelles deceptions d'ailleurs l'y avaient prepa-
r6 ; mais en s'effacant de la scene politique, il n'en-
tendait point y revenir dans l'attitude d'un martyr,
ni dans celle d'un redresseur d'abus, ni & genoux
en implorant la protection de personnel. Il ne
voulait point avoir A rougir de sa conduit. Aussi
bondit-il de colere quand Boutenugre, poursuivant
son homelie, lui parla de la n6cessitM qu'il y avait
pour eux de se conformer A cet usage qui veut
que tout lib6r6 aille remercier l'autorit6 I...
a Moi aller remercier l'autorit6 I mieux vaut
mille fois la mort 1
(( Boutenegre, qui ne prenait rien au tragique,
lui r6pliqua : c'est votre affaire.
a Oui, c'est mon affe. C'est ce qu6 vous voulez
pas comprendre ; pourtant vous 6tes in homme
qui volt plus dans les livres que moi.
Qu'est-ce que cela peu vous fait de dire: oGinral,
je vous rinmercie ) et vous retire ? A rien I Neg
ap tromp6 neg d6pi lan guin6e.
a Cette l'isage de remercier, nous sommes veni le
trouver : C'est ine couyonnade, c6 vrai I mais c6
couyonnade pB sauver la vie.- Et la vie, c6 toute
dans ce pays. Dimoment tete pas couple, on p6
toujours esperer. Si bon vent souff6 pou nous, nos
pers6quit6 peut devenir nos capitaines suyetes *...
-74-
ZONE CHEZ SA NINNAINE
Contrairement A ( La Famille des Pitite-Caille v
qui n'est point divis6e en chapitres, ( Zoune Chez
Sa Ninnaine en coinprend vingt-cinq.
Pour gcouter cette nouvelle histoire, Juslin Lh6-
risson est ( en face de Goliinin assis dans son v6n6-
rable fauteuil, 6chantillon in6i6gant, mais tr6s so-
lide de l'industrie national ,...
( Zoune, nom jouete, veritable nom : Z6trenne ,
nee au ( Pays-Pourri, une des sections rurales de-
pendant de la Commune de la Croix-des-Bou-
quets est une ((creole de Boyer,laide et maigre D.
Elle a dix ans et n'est pas baptis6e. ( Si la t6te est
recouverle d'une chevelure gridape, la bonche
bien fendue, aux 16vres sensuelles, en s'ouvranl,
d6couvre des gencives couleur de cayemite et
deux belles rangees de dents tres blanches a... Ses
pere et mere, Ti Coq et Sor Pouin ( qui cachent
sons l'enveloppe grossiere d'un Bouqui I'Ame d'un
Ti-Malice a, lui choisissent comme marraine : Mine.
Boyotte, et parrain : Lintofer. Mine Boyotte est une
bouliquibre d'une grande clienltle que jalousent
et calomnient des concurrentes 6tablies au MarchN
en Haut. Elle est ( la pratique a de ces paysans <(qui
s'esquivent a apres lui avoir renis Zoune. Ils crai-
gnent de (( ramener leur z6gu& ) on ( leur legba ),
( c'est-A dire la petite sentinelle si faible qu'elle ne
soufflait pas m6me le feu sous la marmite, mais
comme le dieu africain, surveillait I'ajoupa et la
court a. Lintofer est le chef de la section de ces
-75-
campagnards qui savent quels avantages tirer de
leurs commere et compare. Mme. Boyotte s'occupe
trbs s6rieusement de sa filleule. Elle la transform
bient6t en a servante grassette et pimpante 1... Pour
a compl6ter son education ), elle ne tarde pas A
a placer Zoune chez Sor F61icienne a : ( maitresse
de couture et maitresse d'instruction ). Zoune s'ap-
proche de la Sainte Table c apr6s la retraite r6gle-
mentaire En retour, la filleule, bies d6vou6e,
fait a subir une heureuse transformation A la bou-
tique s ; elle ch6rit davantage sa marraine et le
prouve en defendant Mme. Boyotte chaque fois
qu'on l'injurie. Un jour, irrit6e, elle s'en plaint au
colonel Cadet Jacques. Pour lui plaire, le militaire
ordonne d'emprisonner des femmes qui avaient in-
vective Zoune et sa marraine 'comme il avait fait
incarc6rer un pere qui lui avait refuse sa fille en
marriage, et Sorina, a belle petite poule grassette *
qui avait repondu < aux propositions de Cadet Jac-
ques par ce mot : Ouap Yata a... Mais, sa marraine
devient I'amie intime du colonel... a Quand et com-
ment arriva la chose ?... Nul ne le sait a... Tan-
dis que Cadet Jacques < alimente de ses fonds la
boutique de Mme. Boyotte ,-- alors, a boutique
la plus achaland6e et la plus prospere de la ville,--
Zoune, cag6e de plus de seize ans, a le sang chaud,
est a ronde comme baboule a... a Toute sa per-
sonne est envelopp6e d'une grace effront6e qui
narguait, qui provoquait m6me ". Et le militaire,
a type achevo de la djole douce i, plus que jamais
d6cid6 a couper les langues de vipere, est a bon
vizeur, ronze parlout )... D6sormais, Zoune est une
cible. Mine. Boyotte ne s'en apergoit pas tout de
suite. Le colonel la prie de lui ( envover A man-
ger ) ; A cause des ( exigences du service il ne
pourra ( se deplacer i son gre t... La discretion
de Zoune porte Mine. Boyoite h lui confier cetle
tAche... Ponrtant, la marraine arrive i supposed
que sta lilieule se Icondiit u al... Les soupcons
croissant, elle l'accuse ( de vagabondage s, par la
contrainte I'accule ai l'aveu et la met ii la porte...
L'excuse de Mme. Boyotte est sa vive jalousie.
Mais, dans son indignation, elle a tort de prendre
Zoune i parlie. Sa filleulc,- tendre, il est vrai,
pour d'autres : I'arpenleur Chaumeville par exem-
ple, ou le ills de Mine. Lavase, avail rIsisle au colo-
nel monobstant la chanson qu'on soupirait partout:
( Cadei Jacques cd sirop miel,
Quand on bori li, /aut bouni li encore x...
Un barde improvise parmi ia foule massee
deviant la porle de sa marraine ranieine chez la
filleule hisitante le courage de s'en aller et de com-
mencer une vie nouvelle ; car, credit Justin Lheris-
son sous le litre du livre et en derniere page :
( Fan'm gain sept sauls pon li passe ), proverbe
aussi populaire que celui auquel a donned naissan-
ce la conduile du colonel: Fait Cadet Jacques
son li) . .
Ninnaine a sont (( des audiences d a vieille nmaniere
-77-
haiticnne ), des ,, histoires kcrites au jour le jour ),
qui forment deux nouvelles locales. Et ces nouvelles
constituent une just critique de mcurs. Sous l'en-
jouemenl, la vivacity du rkcit, le conteur est un
ironiste spiriluel. Justin Lherisson a lui-meme
avoue que a ces ouvrages ne sont ni des charges, ni
des romans ), et que son butest d'instruire, plaire,
mime consoler avec des personnages auxquels il a
conserve leur attitude. leur caract&re x... (1)
a Un des talents de Justin Lh6risson consistait a
saisir sur le vif l'tat d'ame et d'esprit de certain
types de notre milieu... II avait au supreme degr6
le don particulier de grouper dans tin personnage
les elements caracterisliques, les situations on-
doyantes et diverse don't la trame serr6e constitute
notre vie social )... (2)
Ne rencontrons-nous pas, en effet, dans les scenes
ou ces personnages ont evolu6 des visages de con-
naissances, des fails el gestes ) d'amis ?-
Eliezer Pilite-Caille, n'est-ce pas le type du ( dd-
brouillard ) sensible A la flatterie, de ( l'arriviste )
se laissant prendre au mirage d'une vaine popula-
rite qui le foudroie ?- Etienne Pitite-Caille, n'est-
ce pas le compatriote qui ne connait Paris que
par ses a lieux de plaisir ), et, de retour au pays,
se croyant les mains trop nobles pour travailler,
( linit en tristesse ) ?- Cadet Jacques, n'incarne-
t-il pas avec Bormne,Pheuil Lamboy et Avril Grand-
1 )- Voir lettro de .Instin Lh(risson ii MM. Hermann Heu.
reaux et Fernand Hibhbrt.
2 )- Le Soir du 10 Novembre 1907.
-78-
boucan, les militaires menes par les sens et le bon
plaisir ?- Machey Henchatte, le colporteur de faus-
ses nouvelles ? Zoune, ne repr6sente-t-elle pas la
femme qui refuse sa main a l'un pour inieux offrir
son coeur A l'autre ?- Mme. Boyotte, Ve!llda Pitite-
Caille : ces ( femmes ordinaire ), favorishes par la
fortune et retombant dans leur piteux etat ?... Et
1'on se rappelle maintes ( fortunes de chez nous )!...
Mais, par sa faconde et son savoir-faire, Bou-
teneqre domine tons les personnages... M. Lheris-
son peut se vanter d'avoir cr66 un type qui restera
dans notre littlrature. Boulenigre, c'est l'homme
du bas people qui, ayant 6ete m16i i toules sores
d'inlrigues politiques, a pu s'elever au-dessus de sa
condition. II est avis6. 11 a cette sagesse que donne
la longue pralique des homnmes et des choses de son
pays. II sait habilement flatter la vanity des gens don't
il espere tirer quelque profit. 11 ne connait pas
le decouragement : quand les 6evnements ont brise
ses projects, il ne se plaint pas- it quoi sert de se
plaindre ?- il ne s'indigne pas, pourquoi inuti-
lement s'indigner ?-- mais il laisse passer I'orage
et attend tranquillemeni que les nuages aient dis-
paru. La patience r6sign6e, ne vaut-elle pas mieux
que force ni que rage ? C'est pour inspire A Elie-
zer Pitite-Caille cette sagesse qui permet de rester
toujours superieur aux evenements qu'il se r6pand
en propose nombreux et toujours savoureux. M. Jus-
tin Lherisson le fail s'exprimer en une langue on
pourrait dire mixte, car ce n'est pas le francais et
ce n'est pas non plus le creole. Boutenegre a fre-
-79-
quent6 des homes de haute vol6e, il croirait de-
choir s'il continual i parler le vulgaire patois des
faubourgs )... (1)
De la r6alite sont done tires scenes el personna-
ges. Les lemons qui s'en dlgagent perlmettent ii
ceux qui comprennent et meditent de conserve
leur ( sante morale ,. Et pour que le style produise
son plein effet, Justin Lhlrisson, air et ton nar-
quois, emploie des noins et surnoms hilarants, des
expressions d6sopilantes, des mots et proverbes
creoles tant6t piquants, tant6t savoureux, tous :
au service t'une peiise bien exprimbe dans ses
moindres nuances... La Famille des Pitite-Caille
et a Zoune Chez Sa Ninnaine sont des contest
qui juslifient I'lieureuse alliance du franCais et du
creole sons la plume d'un artiste. Comme leur
nombre est fort restreint, ils sont des phares qui
,clairent la route aux nautoniers desirant la
refaire...
Lorsque des scrupules failiirent nous priver de
ces nouvelles, NIM. Fernand Hibbert et Hermann
Heureaux, a qui l'auteur en avait communique le
plan, lui repondirent : Allez-y carrement ; ce genre
nouveau plaira Justin Lherisson n'est pas un
imilateur, mais un modle...
Ces deux nouvelles ne doivent done pas 6tre con-
siderees comnne de urais romans. L'aimable M.
Yvan Jeannot, a secrdtaire de la R6daction du Nou-
velliste affirma : Ils --( nos romans surtout
1)- Voir Bulletin Officiel du DWpartement de l'Instruction
Publique, No d'Avril 1905.
- 80-
puisqu'il s'agit de ce genre v)-- ( consomment les
valeurs actuelles sans en cr6er de nouvelles. C'est
ce que r6vele du reste la lecture d'un Fernand
Hibbert, d'un Justin Lherisson etc., pour ne citer
que les morts )... (1)
( S'agissant de Juslin Lherisson ) qui a lui-meme
declare qu'((il n'a pas ecrit de romans n, les resu-
m6s et la stride appreciation de ses deux ouvra-
ges- int6ressants jusqu'i la fin par a les audiences
captivantes de Golimin, ( reuvlent ) plut6t que
l'6crivain est un mailte-conteur.
Fernand Hibbert, romancier lui-meme, 6videm-
ment, qui n'a pas cre6 le roman, ayant parl6 de
( genre nouveau et demand it Lh6risson d'ay
aller carriment ),n'aurait pu envisager le roman,
mais lesdeux notuvelles locales que l'auteur devait
traiter d'apres le plan qu'il liii avail sounis.D'ailleurs,
il les Iraita si bien qu'il n'est pas encore ddpasse
come conteur... )ans le m6me sens faut-il accep-
ter ce jugement du c Soir du 16 novembre 1907 :
a Lhdrisson est le crdaleur d'un genre qui ddjd faith
fortune dans notre litt6rature p...
Si, trente-trois ans apres la mort de Lherisson,
a les valeurs acluelles sont consonimnes ne re-
vient-il pas aux 6crivains a acluels d'oen crier de
nouvelles ? L'intelligent M. Yvan Jeannot, n'est-il
pas tout d6sign6 pour cette oeuvre ? C'est ce qu'on
est m6me en droit d'attendre du roman qu'il < pr&-
parait ...
1)- La Fonction Ctlturelle (flt Roman- ( Voir La Rel've.
Nos. d'Aoft -Septeinbre-Octobre 1938.
-81-
Justin Lhlrisson eut aussi A dire A MM.Hibbert
et Heureaux qu'a(il a crit pour le public haitien
sans nulle intention de calbindage )... Le public,
qui ne d6daigne pas toujours ( les calbindeurs ).
lui a manifesto son plaisir... N'est-ce pas une autre
crdnerie d'anteur qui, comme pour ( Portrailins ,
n'a pas recule devant une forte declaration, et,
cependant, par le natural du style, la seduction du
recit, ravit ses lecteurs ?... Nos moeurs, s'amrlio-
rant malaistment, des generations trouveront dans
ces ouvrages < un agreable d6lassement n... (1)
L'un de ces attraits reside dans la chanson. a La
Famille des Pitite-Caille ) et ( Zoune Chez Sa Nin-
naine confirment que Lherisson 6tait fort int6-
ress6 a la chanson creole. Celles qu'il composa et
qui parurent de son vivant, par la fraicheur de
l'inspiration et la verve qui les anime, furent bien
goulhes. Sans doute, la ineilleure maniere de le
remarquer serait-elle d'ecouter 1'une de ces chan-
sons pimpanles,goguenardes et poignant les noeurs?
S'il n'est pas facile de les retrouver, il en est une
au moins que tous out fini par savoir tant la Mu-
sique du Palais l'a rendue a populaire >... celle
qui est intitulne : ( StInio Vincent )... Cette clanson
n'est pas de MWnes--comme on le repdle g6ndrale-
ment. Cet artiste 1'a simplemenit a iise en musi-
1 )- Vingt-ans, trente ans, einquante ans s'deonleront qne
les types de BoutenOgre, d'Eli4zer Pitite Caillede Mine Bo-
yotte, seront des types 6ternels et vivants, ( Le Boir du 16
Novembre 1907. )
-82-
que ). L'air et les paroles sont de Justin Lh6risson
(1) qui a compose plusieurs chansons et meringues
avec la collaboration de Nelson Frangeul. Aussi
Lherisson n'a-t-il pas manqu6 de lui rendre un
( homage poslhuime ) en lui dediant ( Zoune
Chez Sa Ninnaine ) !... N'importe-t-il pas que ceux
qui n'ont pas encore In ces ouvrages soient con-
vaincus que Lherisson excellait dans l'art d'unir
la chanson au conei ? Pour 1'allester, ne convient-
il pas de reproduire un passage, cette fois, de
o Zoune Chez Sa Ninnaine ), et la chanson qui suit
cel extrait ? D'ailleurs, c'est la chanson ( de ce
barde improvise que je viens d'6voquer, et qui
donna ai Zoune le courage de s'en aller )... Geste
necessaire.- Justin Lherisson devait nous montrer
a Zoune dans la vie n...
( Vers les huit heures du martin, la place du
Matrche en Haul fut le theatre d'un ( scandal pu-
blic sans precedent. Devant la boutique de Mmie.
Boyotte une foule considerable de curieux s'dtaient
rassembl6s. On eul beau leur dire de circuler ; on
efit beau leur faire la menace de les arroser avec
des ( boquites d'eau ), ils resterent inebranlables
et riposterent avec impertinence.
Les uns disaient :
a -La rie ce pou 1'Etat.
Les autres :
Galerie, ce pou 1'Etat.
1 ) Ses filles me le confirmaient il n'y a pas longtenps.
-83-
( Les plus petits de la bande, sous leur chemise
d6braillee, ajoulaient aussi leur voix a cette re-
vendication de privileges populaciers; ils frin-
guaieit, ils piaillaient, et de leur aigre crierie,
oclataient des amenites comme celles-ci:
S-- (C guou d'aix ouap dit nou IA !
Cetle tourbe ne voulut done point d6sempa-
rer... Pensez done !
Quel meilleur divertissement offert A sa curiosi-
te : l'expulsion d'line domesiique pour vagabondage !
SMine. Boyotte crut prudent de precipiter le de-
nouement. Elle fut, au reste, encourage en cela
par ses voisins qui lui firent conprendre qu'un
pareil attroupemeut etait de nature a meltre leur
boutique A la merci des filous et i les exposer elles-
me es aux insolences des va-nu-pieds et des fem-
mes ( ordinaires ).
( Elle se rendit si bien i ces raisons que,saisissant
Zoune par le bras, elle essaya de la mettre dehors.
S-- S6ti mamzelle, s6ti grand moune !
a La jeune fille laissa tomber le paquet qu'elle
avait sons l'aisselle, et les deux pieds come vis-
ses an parquet, elle tira sa ninnaine de son c6te.
a L'indignation centuplant les forces de celle-ci,
la honte augmentant prodigieusement la resistance
de celle-la, elles resterent au moins cinq minutes
a s'atlirer sur place dans un rapide movement
foulant et refoulant.
( Cette lutte provoqun, A un moment donned, au
milieu d'un enorme grouillement dans la rue, un
eclat de rire hionmrique, iln brouhaha indescrip-
-84-
tible fait de glapissements et de miaulements,
de chocs de couis, de ferblancs et de marmites...
< S6ti pas s6ti I..
< Lagu6 li I pas lagu6 li !...
SL'enthousiasme populaire ne connut plus de
bornes quad Mine. Boyotte, dans un supreme
effort. perdit pied et tomba tout de son long an
seuil de la porte.
( Les cris qui jaillirent alors de ces mille bouches
de la Foule furent si aigus qu'ils se repandirent
au loin en rumeurs retenlissantes et sinistres, an
point qu'un nomim Machey Henchatte, qui se trou-
vait a un kilometre de la scene, se rendit en hIte
aupres du President Boyer et lui annonca ( qu'il y
avait un grand movement en ville, qu'on avait
mnme tir6 une vingtaine de coups d'armes et que,
d'apres ce qu'il avait appris, c'6taient H6rard
Dumesle et ses acolytes qui voulaient renverser
le gouvernement.
( Sans le sang-froid du Pr6sident Boyer et 'inter-
vention du Secretaire-general Inginac qui, maintes
fois deja, avait 6et tromp6 grossierement par cet
infame d6lateur, le colonel Avril Grandboucan
serait sorti a la tote d'un fort d6tachement, et,
peut-&tre, ce jour, bien des gens, sans savoir pour-
quoi, auraient &te bel et bien nettoyes par erreur.
( Tandis que Machey Henchalle, tout penaud, re-
gagnait son repair, la scene du Marche en Haut
tournait au vaudeville. Un samba, traduisant les
sentiments de la populace, venait d'improviser
ces couplets que la foule rep6tait A tue-tote ) :
-85-
( Sur 1'air de Pas J'leurez, Me Zanmis :
a Pas crid, idle gridape,
Mard rein ou.
Prends paquette ou, s6ti,
Bon Dieu bon !
On jeine, ou belle ou gras,
Ou gangnin belle deginde
Pas pi a la vie ), pas pe,
Oua tombe, oua dlvd !
L Nan pays d'Haiti
Sons chin maigne yo oui pices.
Si jeunesse ) Ie lampd
En pile moune la cache I
Devinera-t-on assez la deception de Machey
Henchaite si I'on ne s'imagine qu'il incarnait plus
de mille (( infdmes ddlateurs ) et, sous des manieres
moins a militaires ), mais non moins odieuses,
personnifie autant dans le present ? Comprendra-t-
on suftisamment ce ( vaudeville ) devant la porte de
Mme. Boyotte si I'on n'a jamais assist hA ces sce-
nes de la vie haitienne ) qui se passaient de temps
a autre prbs de la maison de Justin Lherisson ? Du
moins; si cette habile maniere d'allier la chanson
crdole au conte-comme cette adroite facon d'unir
notre idiome au francais pour 6gayer davantage
le lecteur- n'est pas courante chez nos 6crivains,
n'eft-il pas &tl injuste de negliger cette origina-
litM ?... Elle prove encore que ces deux ouvrages,
tir6s du milieu et construits avec les matlriaux di
lerroir, sont absolument haitiens. Aussi leur
attrait et leur valenr sont-ils incontestables comme
le talent de l'auteur !...
C'est bien ce qu'Mlablit cette consideration inse-
see anu bulletin official du Departement de l'Ins-
truction Publique : (1) ( M. Justin Lhdrisson s'est
d6fendu, dans sa preface, d'avoir voulu faire de la
literature. L'ouvrage (2) ne porte pas en effet trace
de cetle preoccupation : il est dcrit sans aucune
pretention. I'auteur s'appliquant a nous donner le
plus possible 'illusion de la reality. Mais insufller
la vie i des personnages creds par son imagina-
gination, les fair 6voluer aux yeux du lecteur
comme s'ils existaient et agissaient r6ellement,
decrire les scenes ofi ils paraissent de facon pitto-
resq:e ou dans une langue toujours siire, n'est-ce
pas a proprement parler faire oeuvre litltraire ? Er
pourquoi refuserions-nous ce caractere a La Fa-
mille des Pitite-Caille quand nous y trouvois un
personnage comnme Boutenegre et des tableaux
oussi vivants que la danse au Bel Air el la scnie (du
chiampan dans les prisons de Port-au-Prince ?o...
L'on accepted sans reserve celte autre affirmation
du mnme ( bulletin ) : La Famille des Pitite-
Caille a trouv6 en librairie le success qui' l'avait
accueilli lors de sa publication en feuilleton dans
le journal ( Le Soir a...
S)-- Nnimlro d'Avril 1905).
2).- La Famille des Pitite Caille.
-87-
II en fut de m6me pour ( Zoune Chez Sn Nin-
naine ) ...
Ces deux livres, en pr6sentant o une peinture
exacte de nos nmours ), sont pour le sociologue. le
folkloriste, des sources de pr6cieux renseigne-
ments. Avec ceux que lui a fournis ( La Famille des
Pitite-Caille ), M. le Dr. Price Mars a fait une int6-
ressante conf6rence...
MANUEL D'HISTOIRE D'HAITI
La division de notre histoire en ( periodes indien-
ne, espagnole, franchise et contemporaine ), consti-
tue le fond du ( Manuel d'Histoire d'Haiti ). Com-
me nul n'est cens6 meconniitre l'histoire national,
il est loisille de ne pas s'v arr6ter. Mais, qni ne
sent que Justin Lh6risson, ecrivain et professeur
d'Histoire d'Haiti. ne pouvait-an souvenir du mas-
sacre des Indiens, des souffrances atroces des escla-
ves et de lenrs r6clamations 6touff6es dans le sang,
de leur r&volte, leur d6faite, leur victoire,- garder
le silence sur le martyr des premiers et les sacrifi-
ces h6roiques des seconds? II ne pouvait aussi,
apres le triomphe, taire les exhortations qui de-
vaient permettre aux dirigeants de mieux gouver-
ner... (1) Avec la collaboration de Windsor Belle-
garde, il ecrivit le a Manuel )... (2)
1 ) II portrait sans cesse sBs pens4es Pt I'Anergie do sa
foi patriotiqne vers une destinSe meilloure pour son 'pays. -
Le Soir du 16 Novembre 1907.
2 ) ,- On lit dans le testament de Justin Lhsrisson Imm'-
diatement apris la publication de men Manuel d'Histoir"
d'fHaiti, mon aini W. BRllegarde sournettra La Grand~-
Histoire au DWpartement de 'Instruction Publique. 11 I;l
fera 6diter A 'IImpriiuerie L'ETfort.
-88--
Le iivre comblait des lacunes. II rempla(ait celui
d'En1lus Robin, qui n'6tait pas r66dit6. 11 rendait
plus attrayante 1'6tude de I'histoire par la division
des chapitres en paragraphs suivis de questions
braves et claires, de lectures appropri6es ou( pa-
ges d'histoire )... II fut bien accueilli. Le D6-
partement de l'Instruction Publique en autorisa
l'adoption dans nos colleges et lycees par carrete)
en date du 18 mai 1906. Le ( manuel aurait ben6-
fici6 de plus de trois editions sans les difficult6s
survenues A la mort de Justin Lh6risson...
Avec son collaborateur don't I'((Instruction Civi-
que ) est en usage dans nos 6coles, Justin Lh6-
risson a droit au respect de tous parce qu'il trouva,
au moment oh elle manquait, la m6thode pratique
d'enseigner I'histoire national, qui servit de guide
aux maitres, aux instituteurs desireux d'obtenir
rapidement des r6sultats satisfaisants...
Justin Lh6risson a laisse trois recueils de vers :
a Myrtha a Les Chants de L'Aurore ) et ( Passe-
Temps ).
MYR THA
Brochure de quarante-huit pages et premiere
production de l'ecrivain, < Myrtha ) est un poeme
en dix parties, inspire par ( I'intelligente et sympa-
thique demoiselle M. C. )... Ces initiales font pen-
ser a Marie ), la future spouse. Mais, comment
-89-
s'en tirer lorsque Justin Lh6risson ne peut plus
nous dire si ( Myrtha ) a exist ou fut le sobriquet
de ( Marie )) ?...
Les titres des parties expliquent ( Myrtha ) en
trois phrases.
Myrtha est ( l'Ing~nue ) ai ( cceur vierge plus pur
que 1'6toile du soir ". Avant que la ( Reflexion )
s'allie i la (( Realil a pour tuer le ( Rdve ), I'EEtin-
celle ) de I'amour enflamme le coeur de a L'Amant ).
Apris ( Le Bal ) oui Armand- a ce nom ch6ri qui
fait frissonner tout son 6tre ) regardait, jaloux,
( des cavaliers presser sa taille fine ), c'est le a Ren-
dez-vous ), puis, les ( Fiancailles ), le Mariage )...
Si a Myrlha devait personnifier a Marie ), on
devinerait aisement qui fut ( Armand ). Justin
Lherisson de s'ecrier :
a Enfin leurs rgves d'or sont r~alises !...
Epoux. vivez heureux aimez-vous ; aimez-vous !...
N'est-ce pas le distique qu'ont soupir6s grands'-
mnres el grands-pires, celui que fredonnent les
petits-fils ?...
Il faut avoir dix-neuf ans pour 6tre si naif et gen-
til, et concevoir ce plan ideal. Aussi le jeune poete,
tris sentimental, fait-il preuve ca et la d'inexpe-
rience !... L'auteur de (Myrtha) est moins le styliste
que le lyrique qui ouvre un coeur dans toute sa
candeur...
LES CHANTS DE L'A URORE
< Les Chants de L'Aurore ) : un recueil de soi-
xante-douze pages, empli de tendres processes,
-90-
d'enivrantes caresses. Le confirmeut des vers ecrils
pour Lucie :
. ........ Cest bien a notre dge
Que nous pouvons golfer sans cesse, chaque jour,
L'ineffable bonheur, les douceurs de l'amour))..
Si le poete appelle < Les Chants de L'Aurore -
et non ,( Myrtha -- prime-rimes ), c'est qu'il y a
ins6r& des posies kcrites a quinze ans. La piece
liminaire, dehuitvers, datle de i888, est le plus pur
hommage d'un pr&coce < nourrisson du Parnasse
d sa ( mere ). Le lyc6en avait toujours quinze ans
lorsqu'il composa uie autre assez longue :
( Union-Fraternit6-Patrie >. D'apres le journal a Le
Temps du 20 juillet 1931, qui l'a reproduite, a ces
vers de jeunesse offrent un interet particulier en
ce sens que l'adolescent prevoyait l'intervention
americaine ,. Qui en douterait apres avoir lu ces
deux quatrains :
Laisserez-vous ravir ee sublime heritage
Par nos peres conquis avec tant de courage ?
Voudrez-vous voir encor, sur notre sol natal,
L'Ctranger nous courber sons un joug infernal ?
H6las si l'union ne vous enehalne, freres,
Si vous ne vivez pas come jadis nos pAres,
Ce pays qui m'est cher et que vous alarmez
Verra fondre sur lui des vautours affam6s ...
Ajoutez-y certain passages de son discours de
1897, le second sonnet de (( Fundrailles ) et quel-
ques articles du journalist afin d'etre tres stir que
-91-
la perte de notre autonomie a sans cesse inqui6te
Justin Lhdrisson...
Dans ( Les Chants de L'Aurore le ton ne baisse
jamais trop ; le po6te est un romantique. Ill'avoue
dans la finale du sonnet ( A Francois Copp6e ):
( Un barde noir, pourtant, toujours a son rHveil,
Avec Hugo le Grand, amant de l'dpopde,
Lamartine et Mussel, vous lit Francois Coppee p...
On aurail difficilement trouve une plus ( docte
compagnie. Aussi, chez le poete, l'inspiration- pa-
rait-elle une onde limpide qui incite a boire I..
PASSE- TEMPS
L'auteur des ( Chants de L'Aurore ) a d6di6
a Passe-Temps h celui des Chants du Soir ). Ce
n'est point par amour du contrast. Paul Lochard
6tait encore le poete dlicat de ( Feuilles Au Vent ),
l'ecrivain de beaucoup de sermons, discours et con-
f6rences, l'un des plus honnetes ( directeurs de
Douane x, et, jusqu'a sa mort, ( directeur du Moni-
teur )... Un confrere aussi distingue, un ain& de
trente-sept ans justifiait la d6dicace. Elle tint lieu
de pr6face...
( Passe-Temps ), edit6 en France, est un recueil
de sonnets.- De sonnels seulement, pourrait-on
objected ?... S'ils sont ( bien faits ), ne ( valent )-
ils pas ( mieux ) que (( de long poemes )?... Ce
n'est pas si facile, en quatorze vers, de condenser
toute sa pensee. Justin Lh6risson a r6ussi en par-
nassien, Bon disciple de cette cole, il a recherche
-92-
le terme rare, la forme austere, implacable. A lire
( Passe-Temps ), on sent que le propre de la
po6sie est d'aider 1'esp6rance a d6passer l'horizon
terrestre )... Les themes sont inspires par la dou-
leur, lajoie, la nature, l'amour, l'in6vitable amour,
pour Justin Lherisson : une compensation, ou une
consolation.
. . . . . Quand
Ta vouidras reposer ton esprit qui raisonne,
Mets ton front sur le sein d'une chire mignonnex...
Generateur de fines meditations, l'amoour--djia
signal chez l'auteur, et qui donine les trois recteils
- porte A poser ces questions : -Du temps qu'Eros,
de ses fleches, pargait le coeur de l'ecrivain, par-
venail-on, aissi vile que de nos jours, d 6 inetire le
front sur le sein d'une chere mignonne ) ?- Un pre-
tendant s6rieux comme Justin Lherisson, aux
iddes avanckes sur cells de son epoque,-ce qu'on
peut montrer aussi,- n'engage-I-il pas d rappeler
les amours d'autre'ois au moment oil le publicisle el
le poete ne se sont jamais mieix accords ?
Que la promise fut a Myrtha n, Lucie D ou
( Marie generalement, le jeune home lui tenait
un language reserve. 11 lui faisait une ( cour res-
pectueuse ). Les poemes, qu'il lui envoyait, dece-
laient le sentiment d'une Ame un pen comprimee.
II gravissait un ( galant calvaire ). Tel un stagiaire,
il franchissait des tapes successives... Diverses les
-93--
falcons d'6prouver sa sinc6rit Pour que la ( d6-
claration d'amour ) fit agr6ee, Ic pr6tendant de-
vait avoir on apprendre un me6ier: condition
principal au temps of les parents ne pr&feraient
un professionnel. ls n'envisageaient que l'avenir
des futures conjoints. Aux heures infortunees, ils
vivraient du produit de leur travail. Avec de telles
preoccupations, les fiances n'6taient pas tout de
suite les plus libres camarades avec leur ton, leur
genre plus c r6serv6s que maintenant. Et leurs
peres qui parlaient sans cesse de ( protocole ) -
qu'ils observaient minutieusement s'ils Ctaient Se-
cr6taires d'Etat, S6iiateurs, D)put6s, Chefs de
Cabinet, Magistrats, Chefs de Division I etc., et
leurs m6res, qui portaient cheveux longs et robes
a traine, par leurs manieres apparemment affect6es,
rendaient l'amour un pen ( mysterieux Est-ce
peut-etre pourquoi l'on entend ( des vieux louan-
ger la femme de leur 6poque A I'heure oh la jeune
fille d'aujourd'hui circle sans jupon et sans bas,
et quand, jadis, celle qui eft accompli une telle
< hardiesse a se fAt elle-m6me a mise au ban de.la
socite Autant d'eloges en faveur de (( l'ancien-
ne ) que de brevets d'inf6riorit6 pour ( la moder-
ne) qui, plus ambitieuse et l6gere, rompt I'union
aussi facilement qu'elle la cr6e !...
Grands-peres et peres, le tremplin des ( amours
d'antan ) est us6 ; en consequence la vieille con-
ception amoureuse est d6mod6e. Agac6es finale-
ment les femmes qui feindraient de l'accepter !
Les maris, qui retourneraient au systeme surann6,
-94-
ne tarderaient pas A (( rompre le charme ) de la
vie conjugale. (1)
Grands'meres et meres, qui vous l6onnez quand
nombre de jeunes femmes, sous la court a robe
de crepe de Chine ), ne portent que ( la brassiere )
et le short ), (2) ces dames et demoiselles ne sau-
raient se comporter comme vous devant les condi-
tions nouvelles de vie, d'dvolution, qui caracteri-
sent ( le modernisme (... (3) Qui n'est dispose a
vous approuver quand vos descendants, portant
encore votre deuil ou bien celui de leurs grands-
peres ou peres, osent f aller au bal ,, sans retenue
danser au m6pris d'une convenance que vous aussi
avez rigoureusement observee ? (4) Mais, est-ce la
faute du (, progress ) et de ( la mode ) qui l'accom-
pagne ? N'exigent-ils pas que la femme ne soit plus
recluse, qu'elle jouisse d'une certain liberal ?...
1) O'est toujours I'Evolution qui des foyers exig l'ex
pulsion du respect conjugal. cette austere fiddlit4 de no.
anciennes haltiennes.- ( Voir Petit Dictionnaire du journal
Le Jour. da 24 Aoit 1940.
2) Est-ce cette mline Evolution qui oblige la jenne fille
a ddambuler dans les rues A moitiA vetue, avec une sorte de
culotte en pointe posterienre, s'estompant sous la jupe trop
transparent ? ( Le Jour, inme numinro )
3 )- Est-ce l'Evolution qui demrande aux parents d'6tre
complaisants jusqufi confier leurs enfants ( pauvres jennes
filles ) aux organisrrrices de pique-niques a bains mixtes ?...
( Le Jour, meele iutnmro. )
4) Eqt-ce encore 'Evolution qui fait da jeune home
une sorte de brute sans elegance oubliant mbme la politesse
A employer A lendroit d'une jeune fille A laquelle il rec!ame
un fox-trot ou une imringue ? J'en ai entendu un dire (au bal)
A une demoiselle : E at ral gnou Ti Celia la musi-
que jonait une meringue. ( Voir Petit-Dictionnaire de Le
Jour du 24 Aopt 1940. )
-95 -
En 1940, I'amoureux passionne, que revelent
a Myrtha n, ( Les Chants de L'Aurore a et Passe-
Temps probablement, aurait reclam& un pen plus
pour la femme s'il ne l'eit rapproch6e de o l'athlete
complete >. II a ccrit en 1897 : ( Nous ponvons mo-
difier nos usages, purer nos traditions... jusqu'h
ce qu'enfin- le Temps aidant- nous arrivions au
dWveloppement complete de routes les forces connues
el lalentes de notrejeune socidte... Cette evolution ne
se fera pas sans secousse. L'Histoire est lA pour con-
firmer ce que je dis. Nous avons des habitudes, des
erreurs, des prejuges inveteres qui, quoique recon-
nus funestes A notre avancement, nous tiennent
pourtant a cceur. Ces idoles sont I'objet d'un culte
jaloux ; et ceux-la mOme qui les denoncent, ceux-
1A meme qui trainent sur "la place publique ces
loques vieilles et d6goitantes, ne sont pas toujours
assez consequents avec eux-m6mes, assez energi-
ques, assex radicaux pour les briller sur 1'autel du
progr1s el de I'interet general. Et pourtant, il faut
qu'elles s'en aillent en fum e ; il fant qu'clles su-
bissent le sort de tout cc qui gene la march de la
Societd et de l'Humanit6. Et nous n'en serons dMbar-
rasses que par an de ces elans inergiques qui ressus-
citent les peoples condamnes )...
Ce verbe e.nergiqne l,- s'ii rappelle l'oraleur
ou l'drudil A la prose precise prouve que les
poetes, comme on le rep6te quelquefois par mo-
querie, ne sont pas toujours dans les nuages, qu'ils
penvent descendre de ( la voCite 6theree ) pour ap-
precier Mtres et choses en philosophy profound. Ce
-96-
language net et clair signifie encore que ce pays ne
doit pas avoir 1'air de vieilles contrees avec des
routes sans cesse i refaire, des sites qui seraient
plus pittoresques pour les touristes si nos artistes
les avaient, comme ailleurs, retouch6s. (1) II pr6ne
que l'heure a depuis longtemps sonn6 pour qne
( la perle des Antilles ) ne soit plut6t une expres-
sion poetique, mais que, du sol et du sous-sol
transforms par I'industrie et le travail m6thodique,
elle procure du labeur a tous ses enfanls et connais-
se ceite prospirite don't savent s'enorgueillir les petits
peuples aclifs. (2) Le potle Justin Lherisson, on en con-
viendra, d(oit-ere classes parmi nos progressisles... (3)
1 )--Le basin Zim, dernibreinent restanrd, illustre bien mai
pensie. Aissi cette opinion de Mr. F. M. Leroy inrite-t-elle
(d tre citre : Torte cette douceur de la vie indienne, est-il
inutile d'y peniisr ilans un monde moderne ? .fodhrine. ? ILe
devoir le plus pressant de I'artiste mioderne. n'est-il pas tie
reapprendire a vivre aux hoinmes en leur montrant le clie-
mlin libi ree la joie ? ( Voir an nnnrCro dn 24 Dieeinbre 1939
de Haiti Journal l'article intitul Bassin Zim. )
2) Qui n'6prouve un certain malaise quand s'1crient
les dtnigrenrs du pays : on n'a qu'apasser la frontiire pour
voir la diffirence... iorsqu'ils ne se servent de cette expres-
sion qui d6voile F'exces de leur passion : yo pas caumlnnrtl(tes
'louts...
3 ) (feorges Sylvain dit dans sa critique d'nne Evolution
Nfcessa'ire. outrage deFr6deric Marcelin: Ce serait ceipendant
le cas de se demander si nne politiq ie plus avis'e IIn consis-
terait pas pour nons. sans fire fond sur des conconrs qni a
F'occasion peuvent se d6rober, sans COlpter pour lons r6-
former stir personnel autre quel stir no011s Inies, A nous effor-
cer de inmriter par notre ardeur an travail, par notre amour
de la justice, notre respect tdes fortes. I'estiime que les gran-
tes nations civilisies ne refnsent ni a la Belgiqne, ni laf
Suisee, ni a la, Hollande.- Alors, imais alors senlenient, nous
n'aurons pas A nous mettre en pine des capitauix trangers :
ils viendraient s'offrir d'enx-minues. En faisant un enploi
judicieux de nos resources, en restreignant nos d6penses,
-97--
Sans doute, s'il a aussi pense que a le vrai pro-
grks s'effeclue lentement ), n'efit-il jamais d6sir6,
voire facility& (( l'emenfe des femmes )!... ( Evolution>!
a Notez souligna Lhrisson --c queje ne dis pas
revolution ), (1) ces deux mots experiment des
idees differences n... Mais, il n'efit point h6sit& a
les aider a mieux defendre leurs droits quand
gagner le pain quotidien et se faire une situation
honorable et suffisante pour fonder un foyer sont
devenus des entreprises de plus en plus penibles ).
(2) II les efit aides sans y voir l un recul veritable,
le signed d'une decadence ), surtout quand la fem-
me des champs a toujours travaill autant que le
maria. parfois, plus que le paysan. ( Les expirien-
ces e-- et qu'importe le domaine olI s'exerce I'activild
nons rain'mnerions spontan4inent la sant45 et, 'ordre dans nos
finantes Pt rendrions possible la oration de oes instruments
de er6dit d'ntilitO vraimrent nationale... ( Voir Ta Ronde du
5 jnin 1899 ).
An nuninro dn 24 Aoit 1940 dni journal Le Jour, iMr. I'Ing.
R. A. Holly finit ainii son article intitnlI : Cr'dit Agricole :
Un pnys nriv' d(i HBanque Arrieole. qullle que soit la fertility
de son sol. ne sauirait progresser normalemnnt si les fonds
n4dessaires venaient A fire d(rfant anx propri6taires de biens
rnra.nx. Oe pays serait eonda.nnd f, vA^,Ater dans la routine,
coin le e ntre 'a (t(l et I'est encore depuis pins d'nn sieele,
si les eapitanx et I'entrainenent pratique dans les (eoles rn-
rales faisaient difanit anx jeunes paysans propriStaires. O'est
incontestale...
LOs dveAlonpeOnents de In, unprre mondiale diniontrent de
quelle uitilitg vraiment natinnale serait nne Buanqte Aqricole
niii, aven I'irrioation, faciliterait /I diversification, l'itensi-
floation ldes cultures ef le. voieg. de comn ,un,iation.
1 ) Toute inolution suppose fore(inent une ainnlioration.
Or, si, an lien d amelioration, I'introdnction dn nouvean don-
ne un r.snlrat contraire. on se trove plut.6t en presence d'nne
d66ni'reseence on, pins encore, d'nne decheance. ( Voir Petit
Dietinnaire dp T, .Jlor d: 24 Aont 1940).
2) Voir La Phalatnqe dn 20 DI)cembre 1939.
-98-
de la femme, Justin Lhdrisson ne se fit pas oppose
a son av(olution)) !- peuvent 6tre rdalis6es par cetie
( partie nerveuse de l'humaniti ) sans que ( Joseph
de Maistre ait complternent tort quand il 6crit:
La femme ne peut-6tre snp6rieure que comme
femme ,... (1)
Ne doit-elle pas conconrir, comme l'a claironn&
le poete de La La Dessalinienne At ( former des fils
qui, o libres, forts et prosperes, toujours seront fri-
res ?... Quel r6le plus louable au moment ou les
peuples combaltent a outrance pour rester seals
maitres dii sol )!... Afin que les enfants aient l'dme
aguerrie pour qu'ils n'aient a dans leurs rangs
points de traitres ), (( les pAres )-- qui bdchent )
souvent loin du foyer-doivent-ils seuls y travail-
ler ?... Ncessaire est l'ceuvre des meres, cette ceu-
vre, lente et sfre, de formation morale, qui per-
mettra aux ( fils -- come maintenant ceux de
l'Angleterre-- l'heure du danger- d'y aller fib-
rement ou en chantant :
Pour le drapeau,
Pour la patrie
Mourir est beau i... (2)
Si notre histoire offre des examples de femmes ce-
1kbres par leur heroisme, si, depuis 1801, nousavons
eu des femmes remarquables par leur patriotism,
leur d6vouement et leur fide6il6, peut-on cacher
1) Voir La Phalange du 20 Dscembre 193).
2 ) Extrait de La De.ssaliiieinne.
--99-
qu'actuellement ( les gardiennes du feu sacr6 ) pa-
raissent en minority ? Si l'Mducation des ( fils ) s'en
est fort ressentie parce que c c'est la femme qui,
g6ndralement, prodigue A l'homme ses premiers
sentiments ), n'importe-t-il pas de r6agir ?
Nous y convie un tableau de l'un de nos intelli-
gents directeurs d'lnstitut, bross6 plus de quarante-
deux ans apres celui de Lh6risson. Mais, Justin Lh6-
risson avait recommand6 de ( cooler dans un moule
national l'dme de cette jeunesse ) et l'avait trouv6e
( inlCressante et pleine de saoe ).- A ( la jeunesse
scolaire ) d'aujourd'hui, Mr.A. Viau, a-t-il au moins
attribu6 ces qualities ? II est just de 1'entendre si
( les exceptions ) qu'il a signaldes ne ( confirment .
pas (( la regle e.
... Malgr& les efforts d6ployds, on a form, d
peu d'exceptions pros, des d&voyds sans ideal, denu6s
du respect de soi, insoucieux du devoir, imperti-
nents et jactancieux, i'aimant et n'adorant que le
veau d'or, lechant sans vergogne la main qui fla-
gelle pourvu qu'elle laisse tomber quelques gour-
des depreciees.
( On a fabriqu& en series des polissons qui, A peine
eclos, fument, boivent, jouent et sacrifient a I'autel
de Venus, des vaniteux bouffis de pr6jug6s stupi-
des, infatuds d'eux-inmmes et qui pensent qu'avant
eux l'Amerique dtail inconnue.
( II leur manque la foi, cette foi puissante qui
souleve les montagnes, qui nous porte a remettre
nos destins dans les mains de Celui qui a dit : ( Tu
ne tueras point, tu aimeras ton prochain comme
100 -
toi-meme pour 1'amour de Dieu ), et non : Tu
rendras ceil pour oeil et dent pour dent ).
( Ce sont des pharisiens assoiff6s de jouissances,
sans conviction, dominoes par la crainte des risques
de la vie. Ayant grand dans la mollesse et dans le
fasle, ils ont l'effort en horreur. II leur faut la vie
facile avec routes les voluptks 6phemeres. Rien de
sacred pour ces malheureux. Le Droit, la loi, la jus-
tice, la foijuree,- Mots creux que tout cela. En
fail, ce qu'ils idolAtrenl, c'est leur propre bien-Mtre,
ce sont leurs propres orgies.
a Leur vie n'esl que trahison, hlchages d6shono-
rants, mensonges, violence inutiles ...
( La conclusion qui d6coule de ces faits est celle-ci:
Les vrais coupables ne sont pas les entrepreneurs de
cinemas qui sont d'abord des commercants, mais
les 6ducateurs, les professeurs, les parents qui sont
faibles et complaisanls... (1)
A bien comprendre Mr. A. Viau, ces polissons,
bouffis de prejugis stupides, infatuds d'eux-mdmes,
1) La Question du Cinmlt. ( Voir Le Mouvement du
10 Fevrier 1940 ) -Le 14 Juin 1940, la station HH 2 S annonqa
que les entrepreneurs de cinemas visas par Mr. A. Vian, c. &.
d. la direction de Paramount et celle de Rex, avaient assign
en dommages-intdrets par devant le Tribunal Civil M. le Di-
recteur de La Phalange de leur avoir fait perdre une parties
de leur clientile-spScialeuent cell des mineurs- par la
champagne de censure que le dit journal a mende contre les
films projects ou destinds a 1'8tre sur l'dcran respectif de leurs
th(Atres...
Mais, un deeret-loi avait ddja paru, qui interdit aux mi-
neurs- jusqu'a seize ans- l'accs des sales de spectacles...
( Voir La Phalange du 14 Juin 1940, qui opina qu'on pou-
vait 5tendre la measure aux mineurs de plus de 16 ans qui
sont loin d'8tre plus sages que ceux qui en ont moins ).
-101-
fabriqius en serie,-- il les connait bien puisqu'il
compete des anmies come directeur d'&lablisse-
ment,- sont plus coupables de S p1ches mortels )
quede apechis veniels) s'il n'v a a rien de sacred pour
ces malhelreux )) et si ( leur vie n'est que trahison,
ldchages deshonorants, mensonges, violence inuti-
les ...... ( Rien n'v manque pour que, s'agissant
ld'coliers, ce tableau soit Il'n des plus noirs... (1)
1 ) Le Reverend P're J. Faisset qui. par la plume etla pa-
role sans cesse au service du Christ on de( Sa doctrine, s'est
crd6 une place spPciale parmi les religieux en Haiti, avanca
dans un article, Le Point Central en Edluationt : Dans cet
ensemble de fautes, d'erreurs, de d6faillances,- ensemble
fort complex coiume tout ce qui regarded l'homime ondoyant,
inconstant et divers. quelle est la part de responsibility qui
inc ,ube A l'ducation ? Car, il ne faut pas se faire illusion,
I'dducation moderne, en parties du moins, a fait faillite.- Sur
deux points, les systomes pEdagogiques non chrdtiens me
semblent avoir brohche: les tns ont p.iti par l absence on I'obs-
curcissement de toutideal pddagogique : les autresont resolfl-
ment cultive des ideals faux, ati-sociaux, anti chretiens ....
Et si ces pharioicns n idolAtrent que leur propre bien-Atre,
leurs propres orgies, le It. P. Foisset, coinme pour dire
pourquoi. en Haiti. le congreganiste jouit d'une autorit6 na-
turelle ldot ne peut se prdvaloir auciun professeur laTe negre,
si transcendant soit-il, ajouta : Si l'absence d'un ideal precis
et universal constitute le d6faut capital des doctrines no-
dernes de l'dducation, il n'en est pas de minme pour la tradi-
tion p6dagogique catholique. Vieille de 2000 ans, elle est
tonjours en advance. Elle possfde une philosophies pddago-
giqui nette, solide, indbranlable, rappelie en 1930 avee tant
d'telat par le paper Pie XI, et qii jette de lumineuses clart6s
sur l'essence de 'hommne, sur son 6tat de nature dechue on
rachletie. sur la vie et la culture humaines et leurs lins, sur la
vraie hi'rarchie des closes divines et rerrestres, tous ees pro-
blOies redoutables qui dominent notre existence. II se pent
que cette philosophies pddagogique nA figure point conune
telle dans nos manuels de pddagozie. Elle n'en sort pas moins
de base A la pratique educative A tous les iclielons de l'en.
seignement catholique. De droit elle appartient an domain
des imponderables don't la force secrete ne s'afirme nulle part
mieux qu en matiere d'4ducation, et c'est ce qui fait la puis-
sance formatrice de l'education catholique.- ( Voir La Pha-
lanse du 17 Avril 19-10 ).
-102- -
Mais, Mr. Viau, agant accused les parents la
question depasse le cadre de la pedagogie,- ces
a parents ) dlant ces ( fils d'hier (1) auxquels s'a-
dressa Justin Lherisson en 1897.- S'y arr6ter est
equitable si on n'invoque plus a le rieux demon
rUvolutionnaire come cause principal de nos
turpitudes et de nos d6boires... Par quels aulres
< diables D a-t-il diW remplacd ?...
La logique mdme de Juslin Lhdrisson invite a s'!
arreler. L'ecrivain de 1897 ne s'est pas content de
parler aux 6coliers. A tous ses concitoyens il
a signaled les ( pr6jug6s ., les maux qui retardent
leur a( evolution afin de s'en debarrasser sans
faiblesse. C'est ce qu'6tablissent les extraits de son
discourse Dfjd treize Chefs d'Etat se sont succedds !...
Lepoint de vue sociologique oblige d envisager
plus ainplement le problem de l'dducation.
Pour ne pas avoir Fair d'un grave censeur, je
laisserai parler d'autres, 6galement qualifies. Mon
devoir ne sera pas moins rempli meme si la solu-
tion du ( problime s (2) n'est pas des plus faciles
quand a la gangrene ) tend a p6ne6rer ) partout,
1 )- Aujourd'hui p)rev, mfme granlds-p/'es, car, en 1897,
MM. DantP.s Belle garden et Jules DPvieux laissbrent le lyc6e en
philosophie, et leurs e!nfanbt sont des professeurs quo Mr.
Vian n'a sans doute pas exceptCs.
2 ) Voir dans Noces D'ors De Mr. L. C. Lhdrisson ce qui
est dit des Ecoles de Port an tI'rince et de La Legislation de
I'Instruction Publique de la Republique d'Hati de 1804 a
1895.
-103-
et ne diminue guere le nombre considerable de
nos ( analphabetes )... (1)
Affirma un interessant hebdomadaire : Pan-
gloss), organe des moins et plus de Irente ans, certes,
plus jeunes que Mr. A. V'iau, qu'on peut classer
parmi les dcrivains de quarante.
( I1 D (ale paysan)) a n'est qu'une brute et ne sert
qu'a nous emplir les poches. Le malheur vent que
ce soit ce que nous avons convenu d'appeler une
l6ite gangrene, allaqu6e jusques aux os par ce
virus pc6 trant, demolisseur des valeurs qu'est la
basse envie, qui soit aux postes de command. II
en a toujours et ainsi, et cela a toujours donn6
lieu it des tiraillements, a de constantes pouss6es
negatives. II nous faudrait done attaquer le mal a
la racine, el nous armer un scapel brutal pour I'ex-
tirper, car, tout le temps que nous ddpenserons nos
1)- Sur une populaitiui de 2.700.000 Almes. ( chiffre di
Clerg4i Catholique ), les analphabetes ( adults, adolescents
et enfants d'dge scolaire ) ne sont pas moins de 1 672.500
don't 1 300.000 adults et 373.503 adolescents et enfants d'Age
scolaire...
Comume le recensement official n'est pas encore fait. on
peut ajouter : II ya 1.500 000 femmnes et 1.200.000 hommes.-
Les femnies travaillent beaucoup plus que les homes, sur-
tout dans la classes prolitarienne...
Dans le rapport de la Commission d'Etudes au Congrbs de
1'Ed nation tenu en Aoflt 1937 par 1'A. M. C. E. et le C. H. A.
F., il est dit qu'en 1936, sur 84.959 naissances declares pour
toute la RWpublique, on a enregistr6 8.667 enfants lIgitimes,
76.292 enfants naturels et seulement 8.754 marriages au lieu
d'environ 80.000..,
( Extrait doi rapport lu en Ddeembra 1939 a I'Assemblde
G6enrale de I'Association des Membres du Corps Enseignant.-
Voir Le Mouvement du 8 Janvier 1940 ).
-104-
energies ti nous hair nmulnellement, il nous sera im-
possible de sortir de l'orniere n...
< L'6tranger, observaleur et psychologue, con-
nait notre mal A fond et exploile noire faiblesse.
II sait que nous avons un amour de la destruction,
parce qu'il convient mieux d nos natures paresseuses,
et I'horreur des volitions constructives. Voilh notre
mal dans toute sa splendid horreur. C'est A nous A
savoir s'il conviendrait de nous en guerir )... (1)
Ce ( son de cloche est comme nn appel aux
armes si c la brutalihf i doit-htre de rigueur pour
a attaquer le mal i la racine Comme ( exces en
tout nuit ), ce sysldmie n'aboutirail qu'A I'arbitraire
et i la violence, on i la terreur et au machiavelisme. -
S'imposent plut6t la fernmet envers lous, c'est-A-dire
envers ( les paysans a qui sont moins ( des brutes
quedes a ignorantsi), e l'61ite gangren6ee, ( I'Mtranger
exploitant notre faiblesse ,- fermelM qui condi-
tionne ( l'1volution ) des a peuples en retard n,-
et la sdvdriC it 1'egard des a( rffriactaires au progres. a
Ainsi doit-on le comprendre dans une ddmocratie!...
Et que pensent les tcrivains de cinquante ?
Un articulet, paru a ( La Phalange ), (2) s'en est
pris A tous. Toute superioritC nous blesse et nous
offusque chez un compatriote. II est permis A l'd-
Iranger d'avoir un titre, d'etre distingu6, de rece-
1) Extrait de Panf/glss et reproduit par La Phalange
du 7 Mars 1940.
2 ) Numiro du 6 Mars 1940.- ( Voir Le Film du Temps
Prdsent-- pilogue par L. G.-- Luc Grimard, directeur de la
revue Le Temps et de la Soci,'td des Lettres et des Arts, qui
figure parmi les derivains de cinguante ).
-105-
voir une decoration, d'6tre instruil, rice, heureux:
tout cela esl defend sournoisement, mais d'aulant
plus frrocement lI'hailien )...
Non seulement ( charilt bien ordonn6e a ne
, commence ) plus (( par soi ), mais encore on
parait charge de maledictions a...
L*intr~l d'une bonne comparison conduit an
passe afin d'entendre I'un on l'aulre de ses princi-
paux representants. Me Charles Bouchereau, I'un
des ecrivainsde soixante, expos, il y a trente-neuf
ans, I'elat d6primant de nos mceurs. (1) Le 15 dd-
cembre 1901, la crise morale ,. que Me Louis
Borno avail brillamment developppe dans une con-
ference ( pronounce le mai 1896 au musee du Petit-
Siminaire ), avail ( pris des forces bien deconcer-
tanles a. Certifie Me Charles Bouchereau : ( Tons
ceux qui, en d6pit des circonstances, conservaient
intact en eux le culte de l'honneur et de la dignity
de note coin de terre, en 6taient intimement pe-
neltrs et avaient je ne sais quel vague A l'Ame qui
exprimait sensiblement le profound digozt que lenr
offrail le spectacle desolant des meurs hailiennes.
Me Borno, avec sa clairvoyance d'observateur de
notre milieu social, ne pouvait ne pas saisir toutes
ces idWes qui, enveloppees de brumes, flottaieot,
indecises dans 1'aii, et assi6geaient alors conti-
nuellement, tels des fant6mes, I'esprit de nombre
de ses compatriotes A 1'Ame ouverte a toutes les
manifestations de la Blanche v&rit&. 11 parla donc
1) Voir Chronique a La Ronde du 15 DWcembre 1901.
10(--
eni lermes emus el pdenelrants de la crise morale (1)
qui sdvissait alors dans notre bon et malheureux
pays )...
Elle ( sovissaii ) si bien en 1901 que Me Bouche-
reau- don't le langage rappelle a quelle &poque re-
monte son amiti6 pour Me Louis Borno, --posa ces
questions: cLa conscience morale haflienne, les mceurs
ha'liennes sonf-elles en progqrs chez nous depuis
que Me Borno a parld ?... II v rdpondit hli-nmme :
a J'en doute )...
Son scepticisme a-f-il dispnru si, apres avoir
concourn a diriger la Republique avec S. E. M. le
President Borno, les ( redressements a) que Me Bou-
chereau et d'autres collaborateurs avaient desires,
n'ont pas fourni tons les resultats auxquels ils
etaient en droil de s'attendre ?... N'est-on pas per-
suad6 que le language 'de Me Charles Bouchereau-
tenu quatre ans apres celui de Justin Lherisson,
compare an verbe de ceux que j'ai nornmes,-- n'est
pas moins convaincant ?... Et qu'on retienne que,
trois ans avant Me Bouchereau. PNtion G6r6me cla-
ma que ( I'heure prksenle est bien iriste et semble
sonner le glas des vertns viriles qui ressuscitent les
peoples ))...
Avec a L'Heure ), (2) intervient la haute per-
sonnaliHl de Son Excellence Monsieur le President
Stenio Vincent. a Nous demandons que g les pro-
1 ) Voir La Crise Morale de Me Louis Borno.
2 )- Numero di 17 F6vrier 1940- ( Voir article intitul :
La Ronde des Jours par Joseph, alias Luc Dorsinville. ) ':
-107-
rogatifs ) (1) lisent intelligemment le chapitre:
Le Glissement de la actionn ) de a En Posant Les
Jalons (2) (Ils verront a la page 185 du tome pre-
mier : a Les lois sont faites non seulement pour ne
pas 6tre appliques, mais pour 6tre violees et me-
pris6es, le plus souvent par ceux-la memes qui
sont charges d'en assurer le respect ( ( Ceci
est dit. de 1904... el alors ?... Quel progras dans l'or-
dre moral aurions-nous fait en 1940 ? )...
Cette interrogation, apres le e6moignage de Me
Louis Borno, t6moignage que Me Charles Bonche-
rean a apport6 avec le sien, apres que la situation
des justiciables de 1904 a Wte critiquee vertement
par Me Slenio Vincent, temoin oculaire au temps
d'un proces c&lebre, et pour lequel Justin Lhlris-
son osa reclamer la siricte application des lois
ou de la justice,- cette interrogation en 1940,
quand d'aulres a scandals ) ne sont pas moins
< sensalionnels s dans l'ordre conomique el com-
mercial, (3) n'egale-t-elle pas celle de Me Charles
1 ) Ce terne est expliqu6 dans le mrnme article. II s'agit
des personnel tentant, chaque mnatin, chaque midi et chaque
soir. de trouver unjoin dans le texte constitutionnel qui lenr
permette de faire la niqne anx autres citoyens en Octobre
prochain... (Mr Dorsinville avait parley en faveur des Blections
lEgislatives de DScermdre 1940)
2 ) Ouvrage en 4 tomes de S. E.Mr le Pr6sident S. Vincent.
3) Une autre 6pde de Damoc!bs n'est pas moins suspen-
due sur notre tete, car nous respirons tout aussi bien un
air vicid, un air ddl6tbre ol flottent des relents sinistres de
scandals conjuguds et des plus stupefiants : scandals de chb-
ques faux, scandals de fraudes douanibres, le reste a l'ave-
nant...
Des measures s'imposent done, et des measures drastiques
et radicales s. v. p...... Autrement, c'est I'asphyxie, la ddsa-
gr6gation social. Messieurs les Magistrats, en avant.- ( Voir
Le Mlouvement du 29 Mars 1940 ).
-108-
Bouchereau en 1901, et ne contirme-t-elle pas sa
reponse ?...
M. Danlis Bellegarde, qui figure honorablement
parmi les plus de soixante, rench6rit : ( En Haiti...
on semble culliver come qualitfs specialement
uiiles en polilique la dissimulation et I'hypocrisie.
Clez quelques uns, I'habitude dn mensonge est si
forte qu'ils en viennenl A mentir pour rien, pour
le plaisir, pour I'art )... En outre, (( 'esprit de
I'haitien est-il si creux et si plein de defauts, 1'am-
bition, le desir de paraitre, de dominer, le travail-
t-il tant que, en depil de la conscience qu'il a de son
talent et mime de son g6nie, il soil si enclin '
parler de Iiii ? )... a I)onc, l'dgocentrisme come le
mensonge est une plaic qu'il faut extirper de notre
collectivite puisque l'un et I'autre contribuent a
fire de l'haitien an dire pour le moins special )...(1)
Ne pent-on pas demander au moins a M. Dantes
Bellegarde si,- a en depit de la conscience qu'il
a de son talent R, il n'a jamais donned dans ( l'e-
gocentrisme i qu'il a tres aprement flagelle ? (2)
1 ) Voir article de M. Bellegarde sur Ne Pas JIentit a
La Phalange, muais lire ses paroles ainsi rapportees au nu-
nimro du 6 Mars 1940 du journal Le Jour.
2) On i'efit pas manqud de reprocher a M. D. Belle-
garde, s'il n'avait pas ecrit des ouvrages appriciables, entire
autres : Un Haitien Parle, .1'avoir affirmn il y a 42 ans : On
ne doit croire an talent d'un L crivain que lorsqu'il y a des
productions qui en timoignent. Sans ces preuves indispensa-
bles, je doute ....... Quelques pages de prose on quelques vers
longtemips oublids sont une base fragile- qui ne resisted pas
Ala pioche du critique sirieux".. ( Voir Causerie (c La Ron-
de du 5 Octobro 1898 ).
-109-
L'opinion de M. Bellegarde-si le menteur 6prou-
ve toujours quelque crainte doit -tre suivie de
celle de Me Flix Magloire, (1) pulblie an cMalini) du
24 f6vrier 1940 sur elapeuir qui eempoisonne nos plus
innocentes ddmarches de la pense ) ...... et doni le
moins qu'on puisse dire, c'est qiu'elle nous condanne
u menpr une vie nuelle et creuse en acles virils, fai-
sant de nous des morts quand nous sommnes des
vivanls )... (2)
Comme Justin Lh6risson a d ja parl6 de nla peur),
en une tournure qui symbolise le language de Me
Magloire, Me. Filix Magloire maintient que ( le mal
rep'ind ) encore dla terreur).... Le Jour qui en a
suggereI le remrnde, 1'a ainsi diagnostiqu6 : ( Peur,
function du milieu el des contingencies p... (3) et ajou-
ta : ( Quand le penseur est double d'un politique, oh,
alors c'est le mensonge a 'I'lat endemique n... (4)
N'est pas moins grave cel autre jugement du me-
me journal- qui termine un articulet rappellant,
1) BAtonnier de l'Ordre des Avocats.
2) Voir Le Jour dn 28 Fdvrier 1940.
8 ) Au numnro du 13 Mars 1940. Le Jour signal en ces
terms I'Aducation de nos sportmen, amateurs du ballon
rond -,- le football Atant notre jeu national : Qa tournerait
mal sans intervention de l'arbitre et de quelques gardes.
La terrain n'est pas un ring, messieurs...... Ce jugement est
porter sur le match du 10 Mars 1940... A celui du 17 Mars, il y
eut une vraie scfne de pugilant. ( Voir Le Jour du 27 Mars
1940 ).
Le "mauvais example" offer par les grands. fut bient6t
suivi par les joueurs de la deuxieme cat4gorie. On lit an Jour
du 6 Avril 1940 : Le mauvais example est parti d'en haut ;
aussi est-il plus dangereux. On a constat4 avec deoeurement
plus d'une seine de pugilat. II faut que l'on comprenne que
le pare n'est pas une gaguibre... Encore une fois une sanction
s'impose...
4) Le Jour du 28 Mars 1940.
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